L’un des Copiaus, Jean Villard-Gilles, signe des chansons qui célèbrent les « spécialités » bourguignonnes. Avec Aman Maistre, autre membre de la troupe, il formera plus tard un duo de chansonniers célèbres, Gilles et Julien.
Cinq chansons bourguignonnes
du livret de Jean Villard-Gilles.
Archives municipales de Beaune.
TEXTES
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- Pour un théâtre provincial
- Le théâtre pur
de Jacques Copeau
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« Pour un théâtre provincial », par Jacques Copeau,
Journal de Beaune, mardi 29 septembre 1925, p. 3.
« Quand on étudie avec sincérité les causes de l’abaissement de notre scène française, on s’aperçoit que ce n’est pas le talent qui lui manque mais la vertu, je veux dire le courage et l’élévation. Pour que notre théâtre renaisse, pour qu’il retrouve sa dignité sociale, son pouvoir sur l’âme populaire, il faut qu’il échappe à la domination de l’argent d’une part. Il faut, d’autre part, qu’il cesse de s’adresser à un public blasé, versatile, sans convictions, qui ne lui demande qu’une excitation de ses nerfs, une flatterie de ses instincts, des émotions triviales ou des bizarreries surprenantes. Le théâtre pourrait beaucoup pour soulager les âmes du malaise moderne. Mais à une double condition : c’est qu’il cesse d’être purement commercial, qu’il cesse d’être purement parisien. En fait, ce qu’on appelle le « théâtre français » avec ses qualités superficielles et ses vices fonciers, c’est un « théâtre parisien ». Il n’est même pas l’expression ni l’aliment du peuple de Paris, mais d’un milieu spécial, en majorité cosmopolite, nommé sans doute par antiphrase « le tout-Paris ». Il naît de ce milieu et pour lui. Il s’adresse à ce public surmené de distractions et de plaisirs, affolé de luxe et de lucre. Il en reflète les mœurs, les gouts, les modes, la profonde anarchie du cœur et de l’esprit. Comment voulez-vous qu’il se permette les hautes visées, qu’il aborde les grands problèmes, ou même simplement qu’il garde son équilibre et reste dans son bon sens ? Et c’est ce théâtre là que les entrepreneurs de spectacle promènent dans les provinces. C’est cette nourriture là que vont chercher à la ville voisine les jeunes gens de nos campagnes. Eux qui ne lisent guère, songez qu’ils n’auront d’autre aliment intellectuel que des pièces boulevardières, des revues obscènes ou des cinés-romans. Cela révolte l’esprit. Il n’est pas d’homme de bonne foi qui ne partage cette indignation. Mais ceux-là mêmes ne font rien là contre, et je crois bien qu’ils ont une tendance à ne faire bon accueil chez eux qu’à ce qui vient de Paris. C’est une injure à l’antique esprit provincial. De ce vieil esprit patient et équilibré, de cette intelligence active et traditionnelle doit venir le grand renouveau auquel nous voulons tous travailler et non pas de Paris que la centralisation à outrance empoisonne, de ce Moloch qui, comme l’a fort bien dit M. Lucien Romier, consomme de plus en plus et crée de moins en moins. Depuis douze ans que j’observe de près les causes de la décadence du théâtre français et tâche de réagir contre elles, j’ai toujours trouvé dans les provinces un public plus sérieux, plus sensible et plus réagissant que celui de Paris. C’est pourquoi repoussant les succès faciles et les consécrations officielles, je viens à vous gens de Bourgogne, dans l’espoir qu’au contact de bons auteurs français, de réalisations simples et fortes, d’une beauté accessible à tous, compréhensible pour tous, vous prendrez conscience du rôle que vous avez à remplir en tant que public, qui est de vouloir rehausser le niveau de la culture nationale. Votre histoire, votre passé artistique, votre activité pratique, vos coutumes, vos traditions, votre folklore, vos sociétés, vos fêtes locales, vos célébrations de toutes sortes voilà le fond vivant, solide, éprouvé, d’où jaillira pour peu que vous y consentiez un grand art dramatique vraiment populaire et vraiment français. Je ne demande qu’à travailler avec vous, si vous voulez nous accueillir moi et mes camarades, qui sont tous jeunes et courageux, enflammés par l’amour de leur art, et dont le nombre grandira à mesure que vous exigerez de nous des fêtes de l’esprit plus imposantes et plus belles. »
Jacques Copeau,
directeur du Théâtre du Vieux-Colombier
« Le théâtre pur de Jacques Copeau »,
Journal de Beaune, samedi 16 octobre 1926, p. 1.
Nous l’attendions cette nouvelle formule, et avec quelle impatience ! Car déjà la poésie pure, le cinéma pur, la peinture pure, avaient trouvé leurs théoriciens, leurs adeptes et leurs adversaires. Le théâtre seul avait, semble-t-il, échappé aux révolutions car il est impossible d’appeler celui que fabriquent les très jeunes auteurs à la mode du théâtre révolté. C’est tout au plus du théâtre de grand-père ripoliné à neuf, et par-ci, par-là, cocaïné.
Rénover le théâtre à l’heure actuelle, signifie tout bonnement abattre les vieilles maisons, bruler les accessoires et guillotiner tous les acteurs de n’importe quelle catégorie. Car tout cela ensemble c’est le vieux théâtre, et une seule parcelle sauvée rendrait la gangrène au corps entier. Rénover le théâtre, c’est en outre, mettre à l’index tous les auteurs dramatiques contemporains et les envoyer en exil au Tibet, où l’on joue de très curieux mystères.
Comme tout cela semble impossible, il reste à l’homme de théâtre, qui en a reconnu la nécessité, de supprimer le vieux théâtre quant à lui-même, de l’oublier et de l’ignorer.
C’est ce qu’a fait Jacques Copeau, du Vieux Colombier.
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Il y a deux ans, il quitta Paris où il avait su se créer une scène et une réputation. Il quitta ses amis et ses ennemis, emportant une seule chose : l’amour du théâtre et la foi. Il eut à son âge la grande patience de recommencer une carrière, celle du pur artiste délivré du souci de remplir une salle et de sourire aux critiques et aux actionnaires.
Il s’en alla dans le désert, l’ayant cherché toujours. Jadis, il avait bien pris la Rive Gauche pour le désert ; mais l’automobile des snobs traversa son Sahara.
Alors il trouva son désert en Bourgogne, parmi les paysans, les hommes simples et ignorants. Là, le comédien dressa sa tente et ne joua plus que pour ceux-ci, avec une compagnie de dix très jeunes gens, n’ayant jamais fait de théâtre auparavant ; seule condition d’engagement et de recommandation valable. Et là, dans la méditation et dans l’ascétisme, dans la pauvreté et dans l’oubli, Copeau se mit à jouer pour gagner son propre pain et divertir les hommes. Après deux ans de retraite, il se mit à parcourir les petites villes et les villages de Bourgogne et improvisa, par exemple, une fête à la gloire du vin de Beaune. Ces exercices l’amenèrent à trouver sa voie. Il voulut jouer pour jouer, faire du théâtre pour le théâtre. Ne trouvant aucun texte moderne qui put lui servir utilement, il se vit forcé de l’écrire lui-même et ce fut L’Illusion.
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Mais craignant ce Paris sceptique qu’il avait fui, c’est en Suisse, à l’étranger, comme tous les vrais prophètes, qu’il est allé éprouver son nouvel art. C’est à Bâle et ensuite à Zurich – où j’ai assisté à la représentation- qu’un directeur de théâtre français avec une petite troupe de jeunes gens inconnus, et avec une pièce à l’affiche, qui ne portait aucun nom d’auteur, est venu créer une formule susceptible de renverser toutes les habitudes du théâtre actuel, subventionné et hypothéqué.
Et les Suisses ont applaudi.
L'Illusion n’est qu’un jeu de théâtre, un essai de divertissement, où rien n’est poussé à bout, sans construction voulue ni dénouement fatal. C’est le retour vers l’ancienne Comedia dell Arte où l’on montre tout sans rien vouloir prouver. Les passions humaines sont juxtaposées librement, comme dans la vie.
L’Illusion comporte trois actions différentes, superposées. Une troupe de théâtre passe dans un pays, et nous voyons son directeur lui donner une leçon (c’est Copeau qui nous la donne, à nous). Puis la vie quotidienne s’infiltre. Un paysan arrive cherchant son fils qui, la veille est venu se joindre à la troupe. Les comédiens décident de lui jouer une pièce, et de lui montrer, au-delà de la réalité, celui vers lequel son fils est parti. Ainsi le paysan devient spectateur d’une troisième action, qui forme le noyau, où nous voyons le jeu des passions, amours, trahison, jalousie, candeur et meurtre se donner libre cours au gré de scènes intenses et dramatiques.
C’est du jeu, du jeu, du théâtre pur. Et toutes les villes suisses d’applaudir et se réjouir ! Copeau a été compris du premier coup. Il a fait un prodige avec la chose la plus simple, et qui est à la base de tout art : la sincérité.
L’entreprise était d’autant plus risquée que les Suisses sont des gens gâtées par de nombreuses troupes de passage, parisienne d’une part et ensuite par le théâtre allemand, que des efforts continus ont conduit à des limites diamétralement opposés des recherches de Copeau : au constructivisme, à l’expressionnisme outré, dont le style nickelé ne se compose plus que de « mors en liberté », et dont le super-réalisme va jusqu’à placer des canons véritables sur la scène.
Et bien le théâtre de Copeau a tenu le coup ! Peut-être parce que les extrêmes se touchent ? Parce que le salut du théâtre est dans la recherche d’une nouvelle simplicité !
Copeau, comédien français et universellement connu, imite Molière et Shakespeare en voyageant sur le char de Thespis, accroché aux express internationaux, à travers la Suisse, demain à travers l’Europe, et en propageant l’art purissime.
Quel belle propagande tandis que Paris le boude !