Ils ont participé à l’éphémère aventure des Copiaus, puis la plupart se sont retrouvés ensuite à Paris au sein de la Compagnie des Quinze avant que tous ne marquent l’histoire du théâtre de l’après-guerre.
Léon Chancerel |
Michel Saint-Denis |
Marie-Hélène Dasté |
Jean Villard |
Étienne Decroux |
Marguerite Cavadaski |
Jean Dasté |
Suzanne Bing |
Auguste Boverio |
Aman Maistre |
Faute d’argent, l’école de Copeau ne dure que quelques mois. Mais les comédiens qui l’ont suivi en Bourgogne ne renoncent pas. Ils fondent une troupe pour poursuivre leurs recherches et vivre de leur art aux côtés de Copeau.
La troupe recherche
un lieu de vie en Bourgogne.
Carte manuscrite des environs
de Morteuil (Côte-d’Or), 1925. Archives BnF
« Les gens du pays, patoisant le nom du patron, nous appellent “les Copiaus”. La troupe adopte ce titre. […] Nous sommes logés dans le village suivant la bonne volonté des habitants de nous céder des locaux inoccupés. Au début, une troupe de comédiens signifie pour eux une troupe de saltimbanques peut-être voleurs de poules et de lapins. À mesure qu’ils nous connaissent ils offrent d’autres maisons et appartements. L’atelier, costumes, accessoires, décoration, est dans une maison au milieu du village. La cuverie – lieu de travail, répétitions, leçons et cours, gymnastique, musique – est sur la route au bas du village, au pied de la maison du Patron. […] Les vignerons à l’entour nous entendent. Les enfants et des vieux hantent les abords et viennent du dehors assister à la comédie. »
Journal de bord des Copiaus, 1974.
TEXTES
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- Le Théâtre du Vieux-Colombier
- Jacques Copeau et le Vieux-Colombier sont installés en Bourgogne
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Le Théâtre du Vieux-Colombier
Lorsque la saison dernière, M. Copeau dut abandonner pour un temps son théâtre de Paris pour prendre un repos nécessaire, l’hospitalité lui fut offerte en Bourgogne où, depuis un an, loin d’être inactif, il transmet son enseignement et sa foi à une troupe de jeunes comédiens choisis, ceux-là même que nous avons eu la bonne fortune d’entendre hier soir, pour la première fois.
M. Copeau a déjà clairement exposé dans nos colonnes quel était son but et ce qu’il désirait faire. Quelques phrases, puisées dans les manifestes, de ce grand mystique de l’art théâtral précisent encore ce qu’il entend réaliser sur scène. […]
Après un spirituel prologue de présentation, le spectacle d’hier soir dans une si heureuse simplicité de mise en scène, fut une convaincante manifestation de cette lutte de vie contre le conventionnel et le faux. L’éducation des comédiens a tendu a développé en chacun les qualités qui lui sont propres mais en lui conservant une constante capacité dans la réalisation d’une quelconque émotion humaine.
M. Copeau ne prétend pas au renouvellement du répertoire classique, ce qu’il veut c’est l’assainir et le débarrasser de soi-disant traditions qui le déforment et l’étouffent. La manière si droite et vivante dont fut joué Le médecin malgré lui démontre la vérité de cette technique où une connaissance profonde des textes est à la base de tous mouvements qu’ils inspirent.
L’intermède musical que composaient de vieilles chansons françaises fut délicieux d’ingénue fraicheur ; le charme de la présentation et la grâce franche des jeunes voix sans apprêts concourraient exquiserment l’expression la plus touchante, à l’instinctive poésie de ces airs antiques et délicieux.
Dans l’enseignement de M. Copeau d’ailleurs « l’unité de principe est présentement fournie par la musique prise comme base et comme guide de l’instruction dramatique ». La musique, il est vraie n’est-elle pas une intarissable source d’émotion ; la plus pure et la plus féconde ?
[…]
Semblables aux artisans des âges médiévaux qui, remplis de foi et du seul amour de leur art, laissèrent tant de chef d’œuvres anonymes, les comédiens de M. Copeau faisaient preuve d’un désintéressement qui est une belle leçon pour trop de cabotins que lance et maintient une odieuse réclame, n’ont voulu être que les fidèles sans-noms d’un même culte fervent pour leur art commun ; pour nous ce ne sont que les « Copiaus », mais leur talent naissant est déjà si marqué, la flamme ardente de leur maître sont le signe que rien n’est perdu encore quand on suggère de tels espoirs, aussi est-ce avec joie que nous leur disons : à bientôt.
Ces lignes auront atteint leur but si elles soulignaient mieux l’attention qu’il faut que le public de notre accueillante Bourgogne prête à cet essai aussi généreux de décentralisation dans une époque sans vergogne.
La salle assez bien garnie comprenait un public choisi. Les spectateurs seront sans doute plus nombreux encore à la deuxième représentation que la Compagnie du Vieux Colombier donnera à Chalon le dimanche 13 décembre 1925.
AR.
Jacques Copeau et le Vieux-Colombier sont installés en Bourgogne [1]
« Paris – du moins le Paris qui pense – n’a pas oublié la fondation par Jacques Copeau, en 1913, du théâtre du Vieux-Colombier. Son créateur, et les artistes qui l’entouraient, prétendaient justement à réagir contre la décadence de la production et des mœurs théâtrales.
L’œuvre accomplie par le Vieux-Colombier a été grande. Sa réputation, dépassant Paris, s’est étendue aux provinces où il a donné des représentations, puis à l’étranger, en Suisse, au Luxembourg, en Rhénanie, en Angleterre, et en Amérique où il séjourna pendant deux années. De 1919 à 1924, Jacques Copeau a ouvert la route et a donné l’élan à toute une génération nouvelle.
Récemment, il a résolu de s’installer “en province” d’une part pour y poursuivre librement des travaux et des recherches qui s’accommodent mal de l’existence fiévreuse et de la vaine agitation de Paris, d’autre part pour atteindre un public régional sont trop souvent refusés hors de la capitale les plaisirs délicats de l’esprit. Et ce public-là vaut bien celui de Paris, envahi par la pègre cosmopolite.
Pour son essai de décentralisation, Jacques Copeau a choisi la Bourgogne parce que –juge-t-il-« elle est riche d’un grand passé historique et historique, parce que la qualité de son sol et la nature de ses mœurs y maintiennent vivant le goût de la sociabilité qui est à la base des réjouissances théâtrales ».
- Si je trouve bon accueil dans votre région, déclare Jacques Copeau – et cet accueil est déjà trouvé – j’y ferai un établissement de longue durée, et j’offrirai aux populations bourguignonnes des divertissements sans cesse renouvelés, des représentations de plus en plus importantes et qui prendront un caractère de mieux en mieux appropriés aux traditions, aux habitudes, à l’esprit, de ce beau pays. Pour le moment, nous n’avons qu’une ambition, celle d’être jugés dignes d’une adoption familière par la communauté bourguignonne…
Et Jacques Copeau a déjà « embourguignonné » son nom ainsi qu’un jovial « bareuzai » qui aurait fredonné les « Vieux Noëls de La Monnoye ». C’est pourquoi les « Copiaus de Morteuil » sont vite devenus populaires au pays des bons vins.
Morteuil est un hameau situé entre Beaune et Chagny, au centre de la province, et paisiblement couché devant les coteaux dyonisiaques qui portent ces noms illustres : Pommard, Volnay, Corton, Montrachet, Meursault, Chassagne, Monthelie, Santenay, Mercurey, etc.
C’est là, dans le vieux château, que vit en communauté la petite compagnie d’artistes, soucieux de bien faire leur étier pour l’agrément du public et leur propre satisfaction.
- Quelles sont –ai-je encore demandé à Jacques Copeau, les raisons qui vous ont fait choisir la Bourgogne de préférence à une autre province plus à la mode ? (Nous savons assurément que les Parisiens -et le fondateur du Vieux Colombier est né à Paris – aiment généralement la Bourgogne et la Normandie, provinces limitrophes, mais ils pouvaient y avoir d’autres raisons).
- Sa situation géographique, répond-il. Elle est en relations faciles avec Paris, le Nord de la France , la Suisse et la Provence. Et aussi, comme je vous l’ai dit, par ce que nous supposions du caractère de ses habitants, vigoureux, ouverts, aimant les fêtes et la vie de Société.
Rien n’est plus vrai. Le Bourguignon affectionne le plaisir et a besoin de fréquenter ses semblables. Sa bonne humeur émousse toujours les traits de son esprit critique. Il adore le soleil et la musique. Que pensez-vous de cette région de la « Bourgogne d’or » qui englobe plus spécialement la Côte d’Or et la Saône et Loire ?
- C’est un des pays les plus solidement beaux et les plus hospitaliers de France.
- Regrettez-vous Paris ?
- Paris a su nous donner pendant dix ans, un noyau de public fidèle et vraiment éclairé qui venait au Vieux-Colombier et n’allait pas ailleurs. Ce noyau de public reste encore en constant rapport avec nous et ne cesse de nous réclamer. Voilà ce que nous regrettons de Paris. Mais nous avons voulu fuir la sorte d’agitation factice qui ne permet pas un travail véritable, et cette sorte de public qui n’est d’aucun pays, qui ne se satisfait jamais d’un effort honnête et sincère, et qui constitue l’essentiel de ce que l’on appelle les snobs.
Jacques Copeau ne s’écrierait pas, comme Maurice Rollinat : Paris ne vaut pas un adieu ! Non, il est ici à quelques heures de la capitale, où il a trop de souvenirs. Mais, ainsi que tant d’artistes, il estime que l’étouffant Paris n’est pas tout, et qu’il faut ouvrir les avenues vers d’autres horizons, plus larges, et qu’il convient d’aller défricher les champs inexplorés de nos provinces où il y a tant à faire.
- Quelle est la composition de votre troupe ?
- La troupe se compose d’éléments jeunes recrutés dans le la compagnie du Vieux-Colombier et dans un petit group constitué à Paris, depuis deux ans, destiné à des recherche plus particulières, et qui s’appelait l’Ecole du Vieux Colombier. Les artistes qui se trouvent à Morteuil ne sont pas seulement des comédiens, mais aussi des artisans du théâtre, capables de fabriquer les costumes, d’imaginer et de réaliser la décoration de la scène, en un mot de fournir par eux-mêmes les éléments nécessaires au spectacle. »
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[1] Gustave Gasser, « Jacques Copeau et le Vieux-Colombier se sont installés en Bourgogne », Journal de Beaune, 20/08/1925, p. 2-3.