Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Territoires contemporains


Varia
Cédric Thénard, Contribution à une histoire de la modernité musicale. Le festival d’Angers, Musiques du xxe siècle (1983-1990), Paris, L'Harmattan, 2016, 399 p. [1]
Philippe Lalitte
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MOTS-CLÉS
Mots-clés : festival de musique du xxe siècle ; modernité musicale ; politique culturelle
Index géographique : Grand Ouest ; Pays de la Loire ; Angers
Index historique : xxe siècle
SOMMAIRE

TEXTE

Suite à la politique culturelle en faveur de la création musicale et de sa diffusion impulsée par le compositeur Marcel Landowski jusqu’en 1975, puis considérablement élargie par Maurice Fleuret, directeur de la musique de 1981 à 1986 sous le ministère de Jack Lang, les années 1980-1990 correspondent à un apogée pour les festivals et plus particulièrement pour ceux dédiés à la musique contemporaine. C’est dans ce contexte favorable qu’est né le festival Angers, Musiques du xxe siècle. L’État, la municipalité d’Angers et la région des Pays de la Loire s’associèrent en 1983 pour implanter dans le Grand Ouest un pôle de diffusion et de promotion de la création musicale sous la direction artistique de Roger Tessier.

L’ouvrage de Cédric Thénard, publié chez l’Harmattan [2], retrace l’histoire de ce festival qui a contribué pendant ses sept années d’existence (1983-1990) à la « modernité musicale ». Ainsi que l’affirme l’auteur, les festivals dédiés à la musique du xxe siècle « apparaissent comme la forme idéale pour restreindre la frilosité possible envers la modernité musicale » (p. 16). L’objectif de cet ouvrage est clair : d’une part contribuer à l’histoire des festivals en France et d’autre part rendre compte de la façon dont ce festival a porté une certaine idée de la modernité. Si l’histoire des festivals est un champ de recherche investi par les historiens et les sociologues, il ne l’est que très ponctuellement par les musicologues (et encore plus rarement pour les festivals dédiés à la musique du xxe siècle) [3]. L’intention de Cédric Thénard, qui possède une double formation d’historien et de musicologue, est donc tout à fait louable. Il conduit le lecteur dans une reconstitution minutieuse des enjeux culturels et politiques, des acteurs, des concerts, des actions pédagogiques et de la réception des œuvres. L’ouvrage est divisé en trois parties qui examinent successivement : (1) le contexte national et local de création du festival, (2) la cartographie du festival, (3) le bilan en matière de fréquentation, de financement et de relations avec les tutelles.

L’un des mérites de la première partie est de retracer les convergences entre la politique culturelle de l’État visant à promouvoir la création à partir des années 1960 et la municipalisation progressive de la culture à Angers confortée par l’héritage d’une longue tradition musicale. Dans sa volonté de démontrer un enracinement de la modernité angevine, l’auteur examine le répertoire des sociétés de concert locales au xixe siècle et au début du xxe siècle (L’Association artistique d’Angers, La société des concerts populaires). Cependant, le lecteur en retire plutôt une impression de conservatisme dans les goûts du public et un répertoire surtout axé sur la musique française. Le récit des années 1970 démontre que c’est surtout à partir cette époque que la municipalité affirme son engagement en faveur de la modernité, notamment avec la création du Théâtre musical (1968) et de l’Orchestre philharmonique des Pays de la Loire (1971). On peut seulement regretter que l’auteur n’ait pas assez insisté sur le rôle déterminant de Jean-Albert Cartier qui a véritablement conduit ce changement en supervisant  non seulement la programmation du Centre chorégraphique et lyrique national (1972) dont il est le directeur, mais aussi celles de l’Orchestre philharmonique des Pays de la Loire et de la Société des concerts populaires, de la Maison de la culture et du Festival d’Anjou. Thénard s’attache ensuite à montrer comment l’arrivée du maire socialiste Jean Monnier en 1977 a permis d’instaurer les conditions propices à la création du Festival, mais également à l’installation de la Galerie sonore et à la mise en place de la Maison de la culture. La première partie s’achève par la description du projet de festival sous la direction de Roger Tessier, l’un des compositeurs à l’origine de l’ensemble L’Itinéraire et du mouvement spectral. Selon Thénard, son ambition était double, le festival devant à la fois « devenir un grand rendez-vous national voire international, mais en même temps s’implanter durablement dans une ville et une région » (p. 108). Il fallait donc rompre avec le modèle du Festival de Royan en catalysant les forces vives du Grand Ouest et en ouvrant les concerts à un large public.

La deuxième partie s’appuie sur des éléments factuels – les dates et la durée des sept éditions (de 1983 à 1989), le nombre de spectacles par édition, les lieux de concert, les relations avec les autres disciplines artistiques, les ensembles et orchestres locaux, nationaux et étrangers, les actions de formation – pour établir une cartographie précise du festival et retracer son évolution dans le temps. L’analyse des formations françaises et étrangères invitées fait émerger l’inflexion, à partir de 1986, vers plus de diversification (ensemble Venance Fortunat, Orchestre national de jazz, Bhinneka Tungal Ika, Art Zoyd, etc.). La programmation tente un équilibre entre compositeurs d’avant-garde et classiques du xxe siècle tout en s’aventurant parfois vers le jazz, le rock et les musiques du monde. Afin de mettre en évidence la modernité de la programmation, Thénard a choisi de répartir les compositeurs joués au festival par générations : les « pionniers de la modernité », les « artisans de la modernité » (où sont regroupés assez bizarrement Schoenberg, Berg, Webern, Varèse, Scelsi, Cage, Leibowitz, Messiaen, Tippett, Ohana, Dutilleux), la génération des années 1920 (celle de Boulez), la génération des années 1930 (celle de Kagel), la génération des années 1940 (celle de Murail) et la génération des années 1950 (celle de Dusapin). Si cette classification fait parfaitement ressortir l’éclectisme générationnel, elle échoue à donner une cohérence à la programmation. Une répartition par catégories esthétiques, par pays d’origine, par genre aurait certainement été plus révélatrice d’une programmation faisant une large place à la musique française et à la musique instrumentale (peu de musique mixte ou électroacoustique, presque pas de théâtre musical et d’opéra). La deuxième partie se termine sur le constat d’un choix délibéré, pour des raisons en partie financières, de limiter le nombre de créations mondiales lors les deux dernières éditions.

La troisième partie aborde la question des financements et du public. On retrouve ici des problématiques communes à beaucoup de festivals dédiés aux musiques de création. L’importance vitale des subventions « oblige » les directeurs à intégrer les exigences des élus en matière de démocratisation culturelle, qu’il s’agisse d’actions en faveur des publics néophytes, d’élargissement du répertoire, de diversification des lieux de concert, d’actions envers le jeune public et de tarifs accessibles (voire d’entrées libres ou exonérées). La question de la fidélisation du public est l’équation la plus difficile à résoudre. Le festival d’Angers en a fait l’amère expérience puisque la majorité des spectateurs ne se rendent qu’à un seul spectacle (58 %). Concernant le financement, l’auteur montre qu’après une augmentation significative entre 1983 et 1985 l’aide directe de l’État a stagné (contrairement au Festival Musica de Strasbourg lancé la même année). Le déficit s’est creusé dès la troisième édition, la sixième apparaissant comme la pire situation financière de la courte histoire du festival. Ce sera d’ailleurs la principale raison de sa disparition avec l’échec des Journées mondiales de la musique (le congrès de la Société internationale pour la musique contemporaine) qui devaient avoir lieu en 1989. Cédric Thénard conclut sur la question de « savoir si aujourd’hui les festivals dédiés à la musique contemporaine conservent toujours ce qui a fait sa particularité depuis plusieurs décennies, c’est-à-dire être le reflet des courants de la modernité musicale, rappelons de l’atonalité » (p. 322). Mais, ne faut-il pas plutôt se poser la question de ce qu’est la modernité musicale au xxe siècle et surtout au xxie siècle ? Si l’atonalité a semblé se généraliser après la Seconde Guerre mondiale, force est de constater que dès les années 1960 le dogme d’une atonalité « pure et dure » s’est lui-même effondré. La véritable mutation qui s’est opérée, et qui continue encore aujourd’hui, concerne le recentrement sur le son et la texture, l’utilisation des nouvelles technologies (enregistrement, synthèse du son, contrôle du geste, multimédia) et le recours à la  spatialisation du son [4]. Cette mutation que l’on peut qualifier de paradigme du son [5] a impacté de façon durable l’ensemble des esthétiques musicales. De ce point de vue, la modernité musicale et les festivals qui lui sont dédiés ont un avenir certain.

AUTEUR
Philippe Lalitte
Maître de conférences HDR en musicologie
Université de Bourgogne Franche-Comté, Laboratoire d’étude de l’apprentissage et du développement-UMR 5022

ANNEXES

NOTES
[2] L’ouvrage est issu du mémoire de master 2, sous la direction de Pascal Ory, soutenu en 2015 par Cédric Thénard.
[3] Marie-Claire Mussat, « Les festivals de musique contemporaine en France depuis 1960 », dans Jean Sagnes (dir.), Les festivals de musique en France : actes du colloque tenu au Musée du Biterrois, le 4 octobre 1997, Béziers, Presses universitaires de Perpignan, 1998, p. 81-144. Françoise Franch, Le Festival de Royan, mémoire de maîtrise, université de Toulouse-Le Mirail, 1993. Philippe Lalitte, « Histoire d'un brise-glace : le Festival Why Note et son public », dans Philippe Poirrier (dir.), Festivals et sociétés en Europe xixe-xxie siècles, Territoires contemporains, nouvelle série, n° 3, mis en ligne le 25 janvier 2012 : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/Festivals_societes/P_Lalitte.html.
[4] Philippe Lalitte, « Ruptures et mutations dans les musiques savantes, xixe-xxie siècle », dans Philippe Poirrier et Bertrand Tillier (dir.), Histoire des arts, xvie-xxie siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 205-220.
[5] Makis Solomos, De la musique au son. L’émergence du son dans la musique des xxe-xxie siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Philippe Lalitte, « Cédric Thénard, Contribution à une histoire de la modernité musicale. Le festival d’Angers, Musiques du xxe siècle (1983-1990), Paris, L'Harmattan, 2016, 399 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 12 septembre 2017, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteur : Philippe Lalitte.
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944

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