Musique, Pouvoirs, Politiques
Du pouvoir de la musique et de son détournement dans la tradition homérique
François Dingremont
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RÉSUMÉ

Cet article se penche en premier lieu sur la manière par laquelle se construit, dans l’Antiquité grecque, un pouvoir de la musique fondé sur une conception idéalisée, puis sur la façon dont l’Odyssée, à la fois excède ce processus d’idéalisation et le détourne. On verra, en effet, qu’Ulysse s’efforce de créer un contentement chez les auditeurs de ses récits de la même intensité que celui produit par le charme de la musique. Mettant, en termes de plaisir, sur un pied d’égalité le charme de la musique inspiré de l’aède et celui des récits non inspirés et reposant sur le seul pouvoir des mots et de la trame des discours, la tradition homérique se paie le luxe d’une confrontation entre une idéal de créativité musicale, dont Platon se fera le porte-parole, et une forme à la fois plus commune et plus personnalisée de performance qui n’est pas loin de ce que l’on appelle, de nos jours, le storytelling.

MOTS-CLÉS
Mots-clés : musique (mousikè) en Grèce ancienne (Hésiode/Platon) ; auralité ; chant de l’aède ; inspiration poétique ; Ulysse storyteller
Index géographique : Grèce
Index historique : Grèce ancienne (Hésiode/Platon) ; viiie siècle - ive siècle avant J.-C.
SOMMAIRE
I. Auralité du monde d'Homère
II. Idéalisation du pouvoir de la musique
III. L'Odyssée ou le détournement du pouvoir de la musique
TEXTE

Le fait que la musique puisse devenir un instrument de propagande ou à l’inverse de subversion semble indiquer qu’elle possède un pouvoir qui fait défaut au logos, au discours conceptuel. Cette caractéristique n’appartient en propre ni aux représentations modernes et contemporaines du jeu politique ni à celles, là aussi contemporaines, du rôle de la musique. Dans l’antiquité, les poètes musiciens, les aèdes, jouissent d’un pouvoir qui tient au fait qu’ils sont les « auxiliaires », les « serviteurs » des Muses, pour reprendre l’expression d’Hésiode [1]. Par ce biais ils bénéficient d’un statut et d’une autorité exceptionnels. De ce statut découle une fonction accordée à leur chant, celle de célébrer les dieux et les hommes valeureux, de créer de la gloire, du renom. Cet aspect laudatif est autant présent chez Homère que chez Hésiode. Néanmoins, au sein même de la tradition homérique, cohabitent une représentation idéale du pouvoir de la musique et de l’aède et son détournement par un héros, Ulysse, dont l’ambition est de rivaliser avec les aèdes, et avec le meilleur d’entre eux en la personne de Démodokos. Cet article se penchera donc d’abord sur la manière par laquelle se construit un pouvoir de la musique fondé sur une conception idéalisée, puis sur la façon dont l’Odyssée, à la fois excède ce processus d’idéalisation et le détourne. On verra, en effet, qu’Ulysse s’efforce de créer un contentement chez les auditeurs de ses récits de la même intensité que celui produit par le charme de la musique. Mettant, en termes de plaisir, sur un pied d’égalité le charme de la musique inspiré de l’aède et celui des récits non inspirés et reposant sur le seul pouvoir des mots et de la trame des discours, la tradition homérique se paie le luxe d’une confrontation entre un idéal de créativité musicale, dont Platon se fera le porte-parole, et une forme à la fois plus commune et plus personnalisée de performance qui n’est pas loin de ce que l’on appelle, de nos jours, le storytelling.

Pour dérouler le fil d’un raisonnement qui nous mènera de l’imaginaire idéalisé du pouvoir de la musique à son détournement par Ulysse, je procéderai en trois étapes. Une première, où l'on distinguera l'importance de l'auralité dans l'univers homérique. Je reviendrai sur ce terme qui met en relief la dimension sonore d'un monde où les rumeurs, les bruits, les renoms ont une place capitale. Le statut et le pouvoir de l'aède reposent sur cette base d'auralité. Il est un faiseur de gloire non seulement parce qu'il narre les exploits des héros, mais aussi et surtout, parce qu'il le fait sur un mode musical. Cette configuration qui place le chant de l'aède au centre de la transmission mémorielle sera idéalisée par Platon. Dans une deuxième étape du raisonnement, je proposerai un détour par la pensée platonicienne de la musique. Cette dernière confère à la mousikè une dimension d'idéal éthique et éducatif. L'écoute de la musique, lorsque celle-ci respecte les lois de l'harmonie, met sur la voie de la sagesse. L'idéalisation de la musique fait suite, selon moi, à une inclination théologique dont on trouve déjà des traces chez Hésiode. Ce dernier se dit élu par les Muses et investi d'un pouvoir, celui de révéler l'origine des Dieux et des hommes. Sa poésie est laudative. Sur ce point, elle rejoint les considérations de l'Iliade sur la place, l'importance et l'efficacité du chant. En effet, le chant et la musique ont des valeurs si ce n'est thérapeutiques, tout au moins apaisantes. Ce schéma autour duquel se construit le pouvoir de la musique et de l'aède est bousculé dans l'Odyssée. Sur Ulysse et sur Pénélope, l'effet apaisant ne fonctionne pas. Ce même Ulysse, lorsqu'il s'adresse à l'aède Démodokos, figure idéale de l'aède, en vient même à détourner son inspiration pour que ce dernier célèbre ses propres exploits. Le héros de l'Odyssée va même plus loin dans sa stratégie de détournement, il se donne lui-même en spectacle, sans être divinement inspiré et sans avoir recours à la musique. Le résultat est troublant, puisque sans ces deux caractéristiques qui définissaient, dans l'idéal, le pouvoir du chant, Ulysse parvient à faire naître les mêmes émotions chez ses auditeurs. Par cette concurrence, Ulysse introduit une forme de production spectaculaire, on pourra l'appeler storytelling, qui rivalise avec le charme de la musique.

I. Auralité du monde d'Homère

Le pouvoir que les Grecs conféraient à la musique ne peut se comprendre qu’en tenant compte de l’imprégnation dans leur civilisation d’une culture de l’oralité. La Grèce archaïque, vue à travers la tradition épique, est un monde de bruits, de rumeurs, bref de sons. Dans l'Iliade, la bataille qui fait rage se fait surtout entendre [2]. À l’éclat des armes s’ajoute celui du brouhaha des combats. Si Jean-Pierre Vernant avait bien insisté sur l’importance pour les Grecs d’être vus [3], j’ajouterais qu’être entendu relève d’un enjeu similaire. Être vu vaut autant, socialement, que de faire parler de soi. Il s’agit d’être entendu et compris dans l’instant de l’énonciation, mais aussi de l’être in abstentia et pour l’éternité en profitant du talent des singers of tales comme les appelait Albert Lord [4], à savoir pour le cas grec, des aèdes. Ces derniers répercutent, par leurs récits chantés, des kléa, des hauts faits, des exploits, des gestes dignes de louange et de mémoire. Celui dont les exploits sont chantés par les aèdes peut alors accéder à une forme d’immortalité symbolique par une inscription « aurale » (du latin auris : oreille), auditive dans la mémoire collective. L’aède est l’agent du kléos, grâce à lui les renoms se répandent. Mais pour y parvenir, il doit attirer et séduire les oreilles de ses auditeurs. À chaque performance de son chant est rappelé non pas l’événement fondateur de la communauté, mais les gestes (kléa) d’un héros, qu’il s’agisse d’Achille et de sa colère dans l’Iliade ou d’Ulysse et de son retour vers Ithaque pour l’Odyssée. Cette mémoire est entretenue oralement [5]. Joseph Russo rappelle que la société homérique est essentiellement « aurale », auditive [6]. En employant le terme « aural », Russo met l’accent sur la circulation de la parole dans les sociétés où les liens entre écoute, imitation et mémorisation se font, en effet, sans le recours à l’écrit. Florence Goyet choisit aussi d’employer ce terme pour rappeler que les épopées « sont des textes auraux, façonnés dans et par la présence du public [7] ». Cet état de fait structure culturellement la société.

« Le chemin qui va d’interprète en interprète, quand il n’est pas frayé par l’écrit, ne peut s’ouvrir qu’avec l’assentiment de la communauté et grâce à la complicité du groupe dont la mémoire se parle […]. Pour entrer et prendre place dans la tradition aurale, un récit, une histoire, une œuvre de parole quelle qu’elle soit, doit être entendue, c’est-à-dire acceptée par la communauté ou l’auditoire à qui elle est destinée », écrit Marcel Detienne [8].

L’interprète du passé doit interagir avec la communauté, la satisfaire dans sa manière de construire le récit de la mémoire. Cette dernière n’est pas conservée dans des lieux, elle est vivante, mouvante, se transformant au gré de l’économie de l’oralité [9].

De fait, on sera frappé du grand nombre de termes grecs concernant l'écoute, l'audition, ou le simple fait d’entendre, d’une part, et la circulation des sons, de l’autre. Auralité pourrait, par exemple, rendre le terme grec akoè/akouè (forme épique). Au sens littéral, akoè signifie ce qui est entendu, le son d’une musique ou d’une parole [10]. Ce son, ce bruit, est vivant, il enfle ou se réduit, fait et défait les réputations, il est porteur de messages, de nouvelles [11]. Il véhicule des bruits, des rumeurs, des savoirs qui ne relèvent pas de l’epistémè, d’une science rigoureuse, mais de la doxa, d’une connaissance par ouïe-dire, sans règles fixes, sans origine déterminée. Recettes, savoir-faire pratique, formules, sentences, les doxai sont véhiculées par une parole dont l’autorité repose sur la reconnaissance de la communauté. Les banquets sont autant des moments de partage des vivres que d’écoute de la musique, ils sont les lieux privilégiés pour cette auralité. Moments d'hospitalité, ils sont aussi ceux où la mémoire se fait entendre par le chant de l’aède [12]. Les bruits des réjouissances remplissent les palais et sont entendus à ses alentours [13]. L’Odyssée connaît un perpétuel bruit de fonds, qu’il s’agisse du banquet des Prétendants de Pénélope [14] ou de celui des Phéaciens.

En guise de synthèse, je dirais donc que la parole, la sonorité, la résonance ont une importance capitale dans l’univers des épopées grecques. L’aoidè, le chant épique possède une texture sonore. Pour marquer l'esprit et la mémoire des auditeurs, la voix du poète doit être retentissante [15]. Une bonne sonorité est capable de produire des effets d’échos. On comprend dès lors l'enjeu qu'il y a, pour les souverains, de s'assurer les services d'un aède. Rappelons que dans la société, telle que la voit la tradition homérique, les aèdes sont des démiourgoi, des professionnels au service de la collectivité. Le souverain de l'oikos investit lorsqu'il s'en va recruter un aède. « Qui en effet irait chercher un hôte ailleurs, s’il n’était pas de ceux dont l’activité est utile, devin ou guérisseur des maux ou charpentier ou aède inspiré des dieux, dont les chants nous enchantent ? Tels sont les gens qu’on va chercher par la terre infinie. Nul n’irait inviter un mendiant pour se ruiner », précise, dans l'Odyssée, le porcher Eumée [16]. Il met en lumière l’économie poétique archaïque. L’aède est pour ainsi dire engagé par un oikos. Il s’agit d’un investissement semblable à celui consenti pour s’offrir les services d’un guérisseur, d’un charpentier ou d’un devin. L’aède n’est pas un créateur de récits, il chante ce que l’on sait déjà, ce qui est déjà mémorisé d’une façon diffuse par la communauté, et que l’assemblée veut entendre répéter sous une forme différente. En tant que porte-parole d’une tradition, il actualise un récit, une légende, mais il n’invente pas.

L'espace sonore de la parole publique est donc un lieu stratégique qu'il s'agit de contrôler, voire, nous le verrons en fin d'article, de manipuler. Les formes de reconnaissance passent par la propension à faire parler de soi, à donner un écho à ses actes valeureux, c’est ainsi que se construit une renommée, un kléos. Ce dernier terme, avant de prendre le sens de gloire a celui de rumeur [17]. Il est formé à partir d’un verbe kléein dont le sens premier est « dire quelque chose à propos de... ».

II. Idéalisation du pouvoir de la musique

Platon est un philosophe extrêmement sensible à cet espace sonore de la parole publique et d'une manière plus générale, à l'univers des sons. Il est particulièrement préoccupé par la résonance de ces derniers, notamment de ceux émis par la musique et par les effets qu'ils peuvent produire sur les consciences et les comportements. De la musique, on tire le meilleur, l'harmonie qui incite au comportement vertueux, comme le pire, la dysharmonie qui corrompt même les meilleurs esprits [18]. Cette bipolarité, Platon la projette sur la sphère éthique et politique, l'harmonie des sons devenant l'harmonie des opinions nécessaire au bon gouvernement de la cité et la dysharmonie, fauteuse de troubles, la désunion de la cité. Harmonie est donc dans sa philosophie un terme musical, éthique, politique, mathématique et astronomique [19]. Ce souci de protection, de préservation du son harmonieux va le conduire à s'approprier philosophiquement le vocabulaire de la musique, à la penser comme une idéalité d'une part [20], et à faire du philosophe un musicien de l'autre [21]. Selon Platon, la mélopée, la pratique de la composition musicale, doit être strictement encadrée et contrôlée par les principes de l'harmonie, c'est par ce biais qu'elle peut participer à l'entreprise de paideia (éducation/civilisation). La pratique de la mélopée est préférable à celle plus difficilement contrôlable, plus débridée, plus pathétique de l'incantation, utilisée dans les tragédies. « Le terme melopoiôn  renvoie à la composition mélodique en tant qu'elle fait usage des harmonies et des rythmes en vue de l'amélioration morale », écrit Anne-Gabrièle Wersinger [22]. Le pouvoir du musicien pour Platon tient donc au fait que son art incite à l'élévation morale. Formulant cela, le philosophe déplace la musique de la sphère de l'expérience sensible qui nécessite pour qu'elle ne s'affadisse pas, innovation, surprise, vers le domaine de l'idéalité, vers un mode abstrait et théorique d'existence où la clef de la réussite se trouve dans le strict respect des lois de l'harmonie. La musique ne peut être jugée qu'à l'aune d'un seul critère, celui de sa place dans le processus d'amélioration morale. La musique est utile en tant qu'elle capte les âmes et les dirige vers la contemplation des principes supérieurs de la connaissance. Le terme « idéalité » appartient au vocabulaire de l’historienne du politique Nicole Loraux. Elle l’emploie pour décrire la manière par laquelle la cité grecque, la polis, choisit de se représenter avantageusement [23]. L’idéalité est une abstraction où se trouve projetée une image flatteuse de la cité, celle d’une polis une, indivisible et en paix avec elle-même. L'oraison funèbre est le moteur de cette idéalité pensée comme moyen d'écarter les moments de dysharmonie, de discordance, bref les luttes intestines, les séditions. En toile de fond se dessine l'image idéelle de la concorde civile. Si Socrate pratique avec délice le jeu de l'agôn discursive, de la rivalité des opinions, Platon, au legs socratique, ou au détournement diront certains, ajoute une intention irénique, faisant, dans La République, de la concorde l'idéal politique de la cité. D'où la place dans son raisonnement du thème de l’harmonie à préserver [24]. C'est sur cette base, un idéal d'harmonie, que politique et musique se rejoignent. Le Socrate platonisé du Phédon déclare que « la plus haute musique (mousikè) est la philosophie », après avoir avoué qu'Apollon, en songe, lui avait intimé de faire de la musique [25]. Dans la République (III, 411c-d), il est précisé que l’homme inculte ne peut jouir ni de la musique, ni de la philosophie. La pratique et l'écoute de la musique n'ont de sens que si elles s'insèrent dans un processus gnoséologique, dans un parcours qui mène à la connaissance de principes philosophiques essentiels. Précisons avant tout que lamousikè pour les Grecs ne correspond pas tout à fait à ce que nous entendons par musique. Il s’agit de l’art des Muses (Mousai). Elles sont filles de Mnémosyne, de Mémoire, selon Hésiode [26]. La mousikè, pour Platon, et plus généralement pour les Grecs, se divise en deux parties, la léxis, l’expression linguistique, la façon de parler du poète, sa manière de construire et de rendre son récit d’une part [27], et le mélos qui relève de la sonorité, de la mélodie, ce que l’on appelle de nos jours musique, de l’autre. Ce mélos est lui-même subdivisé en trois parties. Le logos, la parole, la vocalité, puis l’harmonie et enfin le rythme [28]. Si Platon se montre extrêmement critique vis-à-vis des arts résolument et entièrement mimétiques comme les arts plastiques, arts de la déformation de l’unité des Idées, des Formes, il l’est également, à un degré moindre, au sujet des lamentations, des thrènes et de leurs gémissements tels qu’on les trouve dans les tragédies. Cette forme de musique suscite la pitié. Aux chants plaintifs de deuil qui amènent les larmes [29] et mettent dans un état d’ aganaktesis (d’irritation violente) il préfère la mélopée solennelle des chants de triomphe, des péans. Si la fonction philosophique de la musique vient de ce qu’elle se trouve investie du pouvoir de « calmer magiquement la peur de la mort », la musique des tragédies, et d'une manière générale celle du temps du philosophe, prend le chemin inverse [30]. La musique des tragédies amollit l’âme, affaiblit la vigueur, elle émeut la sensibilité en jouant sur la fibre des sentiments exacerbés et sur une représentation de la mort qui suscite la crainte et l'effroi. À l'inverse, la mélopée, lorsqu'elle se garde d'introduire des sonorités nouvelles, des dissonances, de l'exacerbation, joue un rôle éthique dans l’éducation des jeunes hommes, elle raffermit les caractères. La musique harmonieuse produit l’euètheia, l’ingénuité, composante primordiale de l’excellence des caractères [31]. En un mot, les mélodies agissent sur l’âme, elles l’influencent. Elles émeuvent et meuvent l’âme vers des sphères où elle fera l’apprentissage de la fermeté et de la volonté. Mais ce transport, à l'instar de l'amour du beau [32] qui améliore l’âme, n’est possible qu’avec une harmonie, une consonance des sons. La beauté de l'harmonie musicale est la preuve de l'aspect enviable du principe général harmonique. Le pouvoir de la musique réside donc dans cette possibilité de rendre sensible l'idée d'harmonie. « La puissance libératrice de la musique est comparable à celle de la réflexion philosophique, toutes deux aboutissent à une sorte de purification » ; la dissonance, impression désagréable, est « l’expression de sons désunis, porteurs d’une dualité non résolue », écrit Moutsopoulos [33]. En revanche, la composition musicale harmonique doit s’attacher à faire vivre la complémentarité, la concorde des sons [34]. Elle doit éviter de jouer sur des registres trop polyphoniques, la polyphonie étant synonyme de dispersion, voire de conflit des sons [35]. Les éléments musicaux doivent rester homogènes [36]. Le pouvoir de la musique vient de sa force civilisatrice, révélatrice, en l’occurrence la révélation des principes harmoniques, assimilée à une révélation de la vérité, et mobilisatrice, elle émeut et meut l’âme vers son origine divine. Elle met sur la route de la sagesse. L’idéalité se situe donc dans la croyance en la dimension éthique du son, ainsi que dans celle qui accorde une nature divine à l’harmonie et immorale à la polyphonie. Avec ces deux éléments on passe du domaine empirique, aural, à une dimension idéelle, noétique, de la musique. L'idéalité de l'harmonie est politico-musicale, puisque sons et citoyens ne devraient suivre qu'un seul et même objectif, la concorde [37]. La pratique de la musique devient une sophia, un apprentissage de la sagesse. Pour autant, Platon est extrêmement sévère sur les productions musicales de son époque, loin qu’elles sont de cette idéalité. Jouant sur l'innovation, la variation, elles avilissent la dimension divine de la musique. Cette dernière est de provenance divine. En ce sens, le poète comme le musicien sont investis par le divin lorsqu’ils créent. Lorsqu'il est inspiré, le musicien n'est plus maître de son esprit [38]. « Ce n'est point par l'effet d'un art qu'ils parlent ainsi [les aèdes], mais par un privilège divin », dit Socrate dans Ion (534 c). La qualité d'un aède, pour Platon, tient non pas à la maîtrise de son art mais à la nature de sa relation aux Muses. Comme le remarque Moustsopoulos, les musiciens et les philosophes sont des êtres privilégiés [39]. « C'est par leurs fonctions respectives de transmission de l'inspiration que musique et philosophie se rencontrent ; d'où leur importance dans l'éducation dont le but serait, pour Platon, de préparer la cité entière à devenir l'image de la vie la meilleure et la plus belle », écrit Moutsopoulos [40]. L'âme du musicien est donc proche de celle du philosophe. Ce statut particulier de l'aède était déjà revendiqué, avant Platon, par Hésiode. Le poète béotien, par la fonction qu'il croit être la sienne, par le pouvoir qu'il accorde à son chant, pose les jalons d’une supériorité du poète chanteur que Platon idéalisera.

C'est à Hésiode que nous devons de connaître la généalogie des Muses. Elles sont les filles de Mnémosynè, Mémoire [41]. Lorsqu’au début de notre ère Pausanias traverse la Béotie, terre d'Hésiode, il mentionne l'existence à Ascra, au pied de l’Hellikon, d'un sanctuaire dédié aux trois Muses (Melétè, Mnémè, Aoidè), ce qui suppose qu’on leur vouait un culte [42]. De fait, c’est chez Hésiode que l’on trouvera la plus grande implication théologique de la poésie et par là l’expression la plus transcendantale du pouvoir du chanteur. Hésiode, dont le nom signifie « celui qui émet la voix », se dit, dans la Théogonie (22), investi d'un pouvoir qui institue un « moi » poétique [43]. Lui, au départ simple pâtre, devient un « je » poète, l'élu des Muses, sa condition sociale s'en trouve transcendée [44]. Marquant la différence entre Hésiode et un vulgaire berger (« opprobre des campagnes », 26) les Muses l’ont choisi pour lui enseigner (didaskô) un beau chant (kalèn aoidèn), ou l’art du chant si l’on prend le terme aoidè au sens large. « Elles le rendent capables de bien chanter », écrit Jean Rudhardt [45]. Elles ne lui transmirent pas qu’un chant mais aussi une responsabilité et un pouvoir. Elles lui remirent l'instrument qui fait autorité lorsqu'il s'agit d'occuper une position d'autorité sur la place publique : le sceptre, issu, pour l'occasion, du rameau d'un « laurier florissant [46] ». Puis elles lui inspirèrent un chant divin (théspin) « fait avec les mots des Dieux » pour évoquer le passé et l’avenir (32) [47].

Ces Muses possèdent la particularité d'être omniscientes, elles transmettent par le chant une connaissance du passé et de l'avenir. Par ce savoir inspiré, Hésiode devient un « Maître de Vérité », pour reprendre l'expression de Marcel Detienne [48]. Les Muses lui ordonnent de les célébrer, elles, mais aussi de glorifier « l'origine des Dieux ». La musique est au service d'un savoir que la Théogonie déploie à trois niveaux : d’abord, la manière dont le kosmos s'est constitué, puis, la façon par laquelle les Olympiens assirent leur pouvoir et, enfin, l’apparition de la condition humaine. Le chant d'Hésiode est laudatif, telle est la mission poétique que les Muses lui ont confié, il célèbre la gloire, les renoms. Hésiode se considère comme le thérapon, le serviteur, l'auxiliaire des Muses (100-101). De nombreux passages de la Théogonie montrent à quel point il se fait une haute idée de sa fonction. Il a bien conscience que sa proximité avec les puissances inspirantes le met à part de la société dans un rôle où sa parole est théologique. Ses chants racontent les mythes d'émergence, d'ordonnancement, les cosmogonies. Ces récits présupposent une connaissance du passé qui échappe au commun des mortels. D'où le pouvoir de l'aède, celui d'expliquer « ce qui est arrivé ». Hésiode doit « donner de la gloire (kléos) au passé et à l'avenir [49] ».

Cet élément laudatif est encore plus prononcé dans la tradition épique. C'est ici qu'il faut réintroduire ce que nous avons évoqué à propos du kléos. Le rôle du poète est de transformer les sons harmonieux que les Muses lui font entendre (cf. le verbe kléein) concernant certaines figures du passé, en renommée, en kléos doux à entendre pour l’homme privé d’inspiration. Il y a donc dans le travail poétique quelque chose de l’ordre de la transcription, de la translittération, de la traduction d’une musique divine seulement entendue des poètes en musique charmante pour l’homme. Il s’agit de transfigurer le langage commun. Cette transformation n'est possible qu'à travers le passage en mode musical. L'aède et la musique sont les opérateurs qui font d'un bruit, d'un son, une mélopée impérissable. L’opération de transfiguration des mots est décrite d’une manière imagée par Hésiode : « elles [les Muses] versent sur sa [roi/poète] langue une molle rosée, et les paroles découlent de sa bouche douces comme le miel [50] ». Cette molle rosée est précisément la tonalité musicale des mots. Une fois le passage en mode musical effectué, la mémorisation est facilitée et le kléos pourra être réactivé : « Et nous [les poètes] nous porterons votre gloire (kléos) partout où nous irons sur terre », est-il dit dans l'Hymne homérique à Apollon (174). L'aède est le fabricant et le promoteur de la gloire, d'où son rôle incontournable.

« Kléos lui-même trahit l'orgueil du poète grec à travers les âges […] le poète entend les Muses lui réciter le kléos […] cependant c'est bien lui qui chante devant son auditoire. Le message que le poète fait passer à son auditoire au sujet de sa propre personne est implicite […] le poète grec est le maître du kléos. “Ce qui s'entend”, kléos, en vient à signifier “la gloire” parce que c'est le poète lui-même qui utilise ce mot pour désigner ce qu'il a entendu de la bouche des Muses et qu'ensuite il raconte à son auditoire. La poésie confère la gloire », précise Gregory Nagy [51].

Ce kléos, si le poète le dit impérissable (aphthiton [52]), encore faut-il, pour qu’il en soit ainsi, que l’aède l’entretienne. La « molle rosée » dont parle Hésiode est l’opérateur, la substance, qui adoucit la voix, la rend claire et mélodieuse. L’adjectif qui exprime la charmante clarté de la voix, sa musicalité est ligus/liguros. Dans la tradition épique, ce terme s’applique au chant des Sirènes, des Muses, des oiseaux, au son de la lyre et au vent. On trouvera cet adjectif employé à propos du son de la phorminx qu'utilise Achille dans l'Iliade :

Ils arrivèrent aux baraques et aux vaisseaux des Myrmidons, et trouvèrent Achille (se grisant des sons d'une cithare) charmant son âme avec la lyre au son clair (ligeiè), belle, bien ouvrée, garnie en haut d'une traverse d'argent, qu'il avait prise parmi les dépouilles, quand il détruisit la ville d'Éétion. Avec cette lyre, il charmait son cœur (thumos) et chantait les exploits des guerriers (kléa andrôn). Patrocle seul était assis devant lui, en silence, attendant que l'Éacide eût fini de chanter [53].

Cette scène est pour le moins surprenante, car on y voit Achille, héros guerrier, viril, s'adonner à une activité fort éloignée du polemos, la musique, et y prendre plaisir. Rappelons qu'à cet instant de l'épopée, Achille est toujours, à l'écart, manifestant sa mauvaise humeur, suite à sa colère contre Agamemnon. On trouve dans ce passage tous les éléments traditionnels concernant le chant de l'aède, d'abord l'instrument, la lyre au son clair, ensuite le thème, les exploits des guerriers, et enfin l'effet, le charme qui envahit, prend possession du cœur (thumos). Ce passage reprend les paramètres de ce que nous avions considéré sous l'angle de l'idéalité de la musique. Cette idéalité est inscrite dans l'Iliade. Le silence admiratif de Patrocle est l'expression de l'efficacité séductrice de la musique d'Achille. Cette dernière a le pouvoir d'apaiser les douleurs. Hésiode partageait aussi la conviction que la musique produisait un oubli momentanée des souffrances [54]. Le pouvoir de la musique est donc celui d'un apaisant. L'Iliade reconnaît un autre pan de l'idéalité poétique à travers la place de l'inspiration et le pouvoir des Muses. Ainsi s'exprime le poète :

Et maintenant, dites-moi, Muses, habitantes de l'Olympe – car vous êtes, vous, des déesses : partout présentes, vous savez tout ; nous n'entendons qu'un bruit (kléos), nous, et nous ne savons rien –, dites-moi quels étaient les guides, les chefs des Danaens. La foule, je n'en puis parler, je n'y puis mettre de nom, eussé-je dix langues, dix bouches, une voix que rien ne brise, un cœur de bronze en ma poitrine, à moins que les filles de Zeus qui tient l'Égide, les Muses de l'Olympe ne “rappellent”(mnèsaiath') elles-mêmes ceux qui étaient venus sous Ilion [55].

III. L'Odyssée ou le détournement du pouvoir de la musique

À l'expression du pouvoir du chant que nous venons d'analyser, l'Odyssée joue un drôle de tour. Loin de l'ignorer, elle la pousse encore plus loin d'une part, et la détourne de l'autre. Pour qu’Égisthe parvienne à réaliser son plan maléfique, à savoir pousser Klytemnestre à trahir Agamemnon, il a dû en premier lieu se débarrasser de l’aède d’Argos. Si Klytemnestre cède à l'hubris c'est suite à la disparition, au piège qu'Égisthe a tendu à l'aède de l'oikos. L'art de ce dernier protégeait des mauvaises pensées. La tradition odysséenne emploie le verbe éruein, pour spécifier cette fonction du chant. Tant que l'aoidos chantait, Égisthe ne parvenait pas à ses fins, Klytemnestre restait sous le charme du chant : « elle, au commencement, repoussait l'œuvre infâme : divine Klytemnestre ! Elle n'avait au cœur qu'honnêtes sentiments et, près d'elle, restait l'aède » (III, 267). L'aède tirait à lui (éruein) l'attention de Klytemnestre, il ne la laissait pas errer. On trouve ici définie une des premières fonctions du chant, prendre au piège les mauvaises pensées en maintenant les thumoi (cœurs) sous le charme de la poésie. Le chant est captivant. Égisthe comprend qu'il est nécessaire de faire disparaître l'aède s'il veut attirer l'attention de Klytemnestre. Il élimine non seulement l’aède, mais aussi le charme de la musique. Le chant de ce dernier était un rempart contre les tentations que l’oubli du mari fait naître.

Dans l’Odyssée, nous voyons des aèdes à l’œuvre, Phémios et Démodokos. Tous les deux jouent de la cithare et produisent un son ligus, clair, aigu, en un mot une musicalité idéale [56]. L' Odyssée ajoute un élément supplémentaire allant dans le sens de l'idéalisation, elle surenchérit sur l'Iliade. En effet, au chant XXI, débute le tournoi de l'arc. Il est proposé par Pénélope avec comme objectif de départager les prétendants. Aucun d'entre eux ne parvenant à tendre la corde de l'arc, c'est alors qu'Ulysse, déguisé en mendiant, saisit l'arc :

Ulysse l’avisé finissait de tâter son grand arc, de tout voir. Comme un chanteur, qui sait manier la cithare (phorminx), tend aisément la corde neuve sur la clef et fixe à chaque boyau bien tordu, Ulysse alors tendit, sans effort le grand arc, puis sa main droite prit et fit vibrer la corde qui chanta bel (kalon) et clair, comme un cri d’hirondelle [57].

Homère emploie l'adjectif kalon, qui, dans les autres passages de l'épopée, fait à chaque fois référence à la musique, « l'aède chantait à belle voix (kalon[58] ». La corde de l’arc est une corde vocale (audèn), une fois tendue et relâchée, elle émet une musique, l'arc chante [59]. Le héros utilise l'arc comme un instrument de musique. La tension de la corde est aussi importante dans l'archerie que dans la musique. En faisant de l'arc un instrument de musique, le poète de l'Odyssée crée une comparaison que l'on ne trouvait pas dans l'Iliade. Dans l'Iliade, pour qu'Achille devienne un aède, il fallait des circonstances exceptionnelles, un écart, une bouderie qui éloignait le meilleur des guerriers du champ de bataille, de l'action [60]. Dans l'Odyssée, c'est dans l'action, dans l'épreuve qu'Ulysse devient musicien. Ce que l'Iliade ne considérait pas compatible, l'Odyssée le rend, à savoir l'action et la musique.

L'Odyssée surenchérit sur l'Iliade dans l'idéalisation de la musique aussi par l'introduction de descriptions de performances aèdiques. De ce point de vue, l'aède aveugle et divin Démodokos apparaît comme le point d'orgue narratif [61]. Ulysse va s'appuyer sur l'excellence de son pouvoir pour le détourner à son profit. Mais avant que ne s'effectue ce détournement, plusieurs signes indiquent que l'Odyssée propose à côté d'une idéalisation encore plus large de la musique, une contre-idéalité, une manière ironique de traiter son pouvoir. Examinons les choses en détail. En tout premier lieu l'efficacité thérapeutique apaisante de la musique trouve ses limites. Au chant I, la première anicroche survient avec une intervention de Pénélope. Elle est agacée par le chant de Phémios, alors que ce dernier est censé donner de la térpsis , du plaisir à son auditoire [62]. Son nom vient du terme phèmè, la parole qui célèbre la renommée. Elle lui reproche de faire un mauvais choix dans les kléa. Elle rompt son isolement pour conseiller à Phémios des chants qui mènent les convives à garder le silence. Selon elle, il existe « dans la geste des dieux et des héros des chants qui incitent au silence (siôpè) » (I, 339). Elle ne supporte plus d'entendre la bruyante réjouissance de ses Prétendants. S'en prendre à un aède est rare. La réaction de Pénélope prouve que le chant de Phémios n'apaise pas les soucis de tous : « Ne continue pas ce récit de malheurs », dit-elle à Phémios. Télémaque en est surpris, il reprend sa mère : « prends donc sur tes pensées et ton cœur de l’entendre » (353). Un passage plus tardif de l’Odyssée remettra sur le devant de la scène le thème de l’insatisfaction, de la peine causée par l’écoute du chant, ce qui est, je le rappelle, l’effet inverse de celui traditionnellement produit par un chant auquel rien ne résiste. Il se situe lors du banquet que les Phéaciens offrent en l’honneur d'Ulysse. C’est au cours de ce banquet qu’est décrite la prestation de l’aède Démodokos. « Tandis que chantait le glorieux aède, Ulysse faiblissait : les larmes inondaient ses joues sous ses paupières. La femme pleure ainsi prostrée sur le corps de son époux [63] ». La musique de Démodokos non seulement ne permet pas d’oublier les maux, mais en plus elle laisse apparaître la féminité d’Ulysse, en l’occurrence ses pleurs. Le charme de la musique n’a pas d’effet apaisant sur Ulysse, au contraire il le plonge dans la détresse. Le spectacle du désespoir d’Ulysse fait pitié à voir. Du point de vue de l’idéal musical tel que Platon le pense nous avons affaire à une antithèse, la musique, je le rappelle, devant raffermir, viriliser l’âme face aux soucis de l’existence et plus particulièrement face à la crainte de la mort. Présenter un Ulysse pleurant et ajouter ce que doit cette attitude aux femmes, c’est placer le héros de l’Odyssée dans un cadre épique qui subvertit celui de l’Iliade et ses valeurs viriles [64]. Ulysse est un perturbateur au plan narratif et symbolique. Lorsque dans l’Iliade, Achille chantait et jouait de la cithare pour oublier ses malheurs, qui vint le déranger et faire cesser un enchantement que partageait Patrocle ? Ulysse [65]. De même, il perturbe le bon déroulement de la performance de Démodokos dans l’Odyssée. Ce qui étonne son hôte, Alkinoos : « Dis-moi pourquoi ces pleurs ? Et pourquoi ce chagrin, qui remplissait ton âme en entendant le sort des héros danaens et des gens d’Ilion ? C’est l’ouvrage des dieux : s’ils ont filé la mort à tant de ces humains, c’est pour fournir des chants aux gens de l’avenir [66] ». Le seigneur de Phéacie, par ces mots, excède la conception idéalisée de la poésie et de la musique. D’après lui, si les dieux ont donné le malheur aux hommes c’est à des fins poétiques, afin que soient composés des airs musicaux où leur bravoure sera chantée. Alkinoos mise tout sur le pouvoir de la musique, faisant de lui la motivation des immortels lorsqu’il s’agit de statuer sur le devenir d’un mortel. L’idéalité de la musique en vient à gouverner la réalité. Le comportement d’Ulysse apporte un extraordinaire contrepoint. Non seulement le récit des malheurs de ses compagnons ne l’enchante mais, en plus, il va se permettre de scier les fondements du pouvoir transcendantal de la musique. Ainsi il fait la remarque suivante à Démodokos :

Ulysse fécond en ruses adressa ces paroles à Démodokos : “Démodokos, je t'estime bien au-dessus de tous les mortels : est-ce la Muse, fille de Zeus, qui t'enseigna tes chants, ou est-ce Apollon ? Car tu chantes avec une trop belle ordonnance le malheur des Achéens, tout ce qu'ils ont accompli, tout ce qu'ils ont souffert, tous leurs travaux ; on dirait que tu étais présent en personne, ou bien tu as entendu le récit d'un témoin [67]”.

Plusieurs éléments attirent l’attention dans le discours d’Ulysse. En premier lieu suite à l’éloge fait par le héros, ce dernier pose un certain de nombre d’alternatives dans sa manière de questionner l’aède. Il veut tout d’abord savoir qui l’inspire, les Muses ou Apollon ? Ulysse, en tant que témoin des faits chantés par Démodokos, est le seul à pouvoir poser cette question qui touche au cœur du pouvoir de l’aède, à savoir sa proximité avec les puissances inspirantes. Il demande à l’aède s’il était présent lorsque les événements se sont produits ou s’il en a entendu parler. Bien qu’élogieuse pour l’art de Démodokos, la remarque d’Ulysse introduit implicitement une interrogation concernant la pratique aèdique. L’alternative que propose Ulysse est étonnante du point de vue de la poétique, soit Démodokos était présent lors de l’expédition en Troade, soit il en a entendu parler. Le héros semble mettre à l’écart l’inspiration divine. Mettant temporairement de côté les Muses, il veut juger la route poétique. Est-elle fiable ou a-t-elle connu des écarts ? En réalité peu importe à Ulysse que Démodokos ait été présent à Troie, le héros met l’accent sur le présent de la performance. Il se dira convaincu par l’art de Démodokos si ce dernier arrive ici et maintenant à faire vivre le passé. Ulysse ne demande pas à être transporté dans le passé, il le connaît déjà. Il veut être convaincu que l’aède possède une habileté à la recréation. Suit l’étape que j’appellerai de détournement.

Allons, change de sujet, chante l'arrangement du cheval de bois, qu'Épéios construisit avec l'aide d'Athéné, et que par ruse l'illustre Ulysse introduisit dans l'acropole, après l'avoir rempli d'hommes, qui mirent Ilios à sac. Si tu me contes cette aventure dans un détail exact, je proclamerai aussitôt devant tous les hommes, que la faveur d'un dieu t'a octroyé ton chant divin [68].

En tant que rescapé, Ulysse peut juger de la réalité de l’inspiration de Démodokos, la poétique odysséenne apporte là un élément tout à fait nouveau dans la tradition épique. Astucieusement Homère ne remet pas en cause le pouvoir des Muses, il laisse seulement imaginer l’existence de faux-aèdes, de purs simulateurs. Ulysse veut des preuves. Le héros de l’ Odyssée met l’aède à l’épreuve. De plus, il ajoute que s’il le convainc, il ira vanter son talent. Les rôles sont totalement inversés. En effet, en général, ce sont les aèdes qui se chargent de véhiculer le renom d’un héros et non l’inverse comme le propose Ulysse, d’où une première étape du détournement. La seconde suit : Ulysse se sert du talent de Démodokos pour faire parler de lui, pour que l’assemblée phéacienne loue sa ruse, à travers le récit du Cheval de Troie dont il est la pièce maîtresse. Devant l’auditoire phéacien, Ulysse cherche à faire entendre indirectement l’efficacité de son esprit à travers la révélation de la ruse du cheval dont il est l’instigateur. Ulysse utilise le savoir-faire de Démodokos pour indirectement chercher la reconnaissance des Phéaciens. Ces derniers, après le récit de l’aède, seront au fait de son intelligence et lorsqu'il annoncera en IX, 19, son identité, les Phéaciens n'en seront que plus éblouis. Ulysse se sert de Démodokos pour promouvoir son propre kléos. Cet épisode n’est qu’un galop d’essai dans la manipulation et le détournement du pouvoir de l’aède. Au chant XXIII, il s’agira véritablement de se servir du pouvoir enchanteur de la musique pour tromper des adversaires. Dans ce passage, Ulysse craint la réaction des familles ithaquiennes au massacre des prétendants, il a peur que le bruit (phatis) de leur mort ne se répande trop vite. Il décide alors de détourner l’attention de ce monde des alentours, de ces anonymes qui circulent en ville et colportent les bruits, les rumeurs. Ulysse crée un leurre qui a la particularité d’être un contre-bruit, une contre-rumeur totalement artificielle dont la source est le chant de l'aède. L’objectif est de rendre sans écho le massacre des prétendants. « Que le divin aède, sur la lyre au chant clair, joue quelque danse alerte. À l’entendre au-dehors, soit qu’on passe en la rue, soit qu’on habite autour, on dira “C’est la noce [69] !” » Tout le monde obéit aux recommandations du héros, « le grand manoir résonnait sous les pas des hommes et des femmes ». Ulysse et ses complices tentent de faire croire que le remariage de Pénélope avec un prétendant est en train d'être célébré dans l’enceinte du palais. Ses complices et l’aède simulent les clameurs d’une réjouissance. Le bruit se répand, écoutons la réaction des passants : « Nul doute : c’est la reine tant briguée qui se marie… La cruelle (schetliè), qui n’a pas su garder le grand palais de son premier époux jusqu’à ce qu’il revînt » (149-151). Le poète ajoute : « et l’on parlait ainsi sans connaître l’affaire ». La ruse, le piège reposent sur la vraisemblance, utilisée comme écran. Le bruit doit dissimuler non seulement la mort des prétendants, dont la plupart sont les fils d’Ithaquiens, mais aussi la fuite d’Ulysse et de ses proches hors du palais. Par une manipulation des sens et des esprits, le mécanisme de fuite est protégé. Ulysse veut se mettre à l’abri de la vengeance des pères de prétendants. En restant au palais, il se trouverait, de fait, en état de siège. Il doit donc en sortir. La clameur, la musique, les bruits de réjouissance vont altérer les consciences des voisins du palais. Il faut donc faire plus de vacarme que lors des habituels banquets des prétendants. Ulysse compte qu’en entendant les clameurs, les Ithaquiens comprennent qu’il s’agit de la noce de Pénélope et d’un prétendant. Quelle est la pièce centrale de ce stratagème ? L’aède, c’est lui qui incite aux réjouissances, et c’est de lui que partent le leurre et la manipulation de l’akouè.

La mécanique du détournement est dans ce passage bien décrite, le but est pour Ulysse de parvenir à ce que la musique couvre ses mouvements. Elle est pensée, dans un autre passage, avec une perspective qui vise à produire une forme parallèle de pouvoir des mots indépendant de celui de la musique. À plusieurs reprises, Ulysse se lance dans des récits, ceux qu’il dit être de son errance. Sa narration produit un effet semblable à celui que produit la performance d’un aède, comme en témoigne d’abord la réaction des Phéaciens : « Il [Ulysse] dit, tous se taisaient dans l’ombre de la salle, et tenus sous le charme (klèsis), ils [les Phéaciens] gardaient le silence [70] ». Plus loin, Eumée raconte à Pénélope son expérience auditive du récit d’Ulysse de la manière suivante : « Ah ! Si nos achéens voulaient se taire ! Ses [Ulysse] façons de parler te charmeraient (thelgis) le cœur [71] ! » Dans le premier exemple, le poète utilise l’expression formulaire habituellement réservée à la performance musicale des aèdes. Dans le second le terme thelgis indique la puissance du charme, presque magique, de la parole d’Ulysse [72]. Il apparaît tel un storyteller [73]. Dans les deux cas, il s'agit bien de récits faits devant un auditoire et d'un effet : un silence admiratif décrit comme le passage d'un charme (terpsis ou klèsis[74]. Les aèdes sont inspirés tandis qu'Ulysse a à sa disposition non pas la vision des Muses, mais une imagination tournée vers la composition d'un récit de vie. La performance d'Ulysse dure toute la nuit, sans que l'attention de son auditoire ne baisse. Il joue sur les affects, les émotions que sa narration suscite. La longueur du récit vient de l'importance de ce qu'il espère obtenir en retour. Il cherche la reconnaissance de ses hôtes, afin qu'ils le ramènent à Ithaque, si possible accompagné d'un butin. Devant Eumée, au chant XIV (462-508), Ulysse fait un si beau récit, que ce dernier s’empressera de rapporter son expérience d’auditeur à Pénélope [75]. Les récits ulysséens font la joie d’Eumée, ils attirent ses faveurs [76]. En effet, suite à la belle narration que le héros fait d'une scène de l'expédition à Troie, Eumée lui donnera le manteau qu'il convoitait. Tous ces éléments constituent une sorte de socle sur lequel repose une forme traditionnelle de storytelling que les Anciens prenaient soin de différencier de la manière aèdique de produire un récit. Point d’inspiration, de vision chez Ulysse, juste le talent de faire coïncider un récit avec une situation présente. Le héros ne cesse de parler de lui-même, toutes les histoires qu'il raconte tournent autour de sa personne. Ce schéma intéressé, centré sur soi, nourri par l'expérience de la vie est terriblement efficace quant au gain qu'il obtient en jouant sur la sensibilité de son auditoire. En racontant son errance devant les Phéaciens tel un storyteller, il parvient à produire le même effet de plaisir sur son auditoire qu'un aède chantant et s’accompagnant de musique, ce qui est là encore très troublant si l’on considère que traditionnellement le charme de la poésie tient à sa musicalité.


Si la musique peut être un instrument de propagande ou de résistance à un pouvoir, il est un cas, évoqué dans les épopées homériques, où la subversion se situe à l’intérieur même du champ de la performance poétique et musicale. Nous avons montré en quoi la manière qu’a Ulysse de performer, devant les Phéaciens, le récit de ses pérégrinations apparaît comme un moyen d’établir une distance critique et ironique avec les pratiques poétiques mises en relief dans l’Iliade où une importance particulière est accordée à l’aspect musical de la prestation. Au-delà de l’intertextualité liant les deux épopées, se dessine une rivalité entre d’un côté, celui d’Achille et de l’Iliade où la musique est au-dessus des mots, de l’autre Ulysse et l’Odysssée qui tendent à prouver qu’un auditoire peut prendre autant de plaisir à écouter un récit non inspiré par les Muses, non accompagné par la phorminx, qu’au chant d’un véritable aède. Ce faisant, l’Odyssée remet en cause la figure et le statut de l’aède tel que l’Iliade le célèbre et à travers lui le pouvoir conféré par cette position si particulière au sein de l’oikos archaïque. Ulysse fait entendre une autre musicalité, celle d’une voix qui se refuse au chant. La tradition homérique se plaît donc à faire cohabiter deux manières de procéder pour faire acte de poésie, voire à instaurer un rapport critique, ironique entre les deux pratiques.

AUTEUR
François Dingremont
EHESS
ANNEXES
NOTES
[1] Voir Hésiode, Théogonie, 100.
[2] Voir Iliade, XVI, 634.
[3] Voir Jean-Pierre Vernant, François Frontisi-Ducroux, Dans l’œil du Miroir, Paris, Odile Jacob, 1997.
[4] Alert B. Lord, The Singer of Tales, Cambridge, Harvard University Press, 1960.
[5] En contrepoint, les Grecs garderont une distance, voire une méfiance, concernant l'écriture. N’étant pas l’apanage du seul Platon, la critique de l’écriture a perduré tout au long de l'antiquité grecque, voir sur ce sujet, la thèse de Mathilde Cambron-Goulet, Les critiques et les pratiques de l'oralité et de l'écriture dans la tradition philosophique grecque, Université de Montréal, thèse de philosophie, 2011. Le présent article n’ayant pas pour intention d’analyser les raisons de cette méfiance, je renvoie à l’étude précitée. Encore tardivement, la lecture se fait à voix haute et la mémoire continue de se transmettre de bouche à oreille. Voir Jesper Svenbro, Phrasikleia, Anthropologie de la lecture en Grèce ancienne, Paris, La Découverte, 1988.
[6] « Is Aural of Oral Composition the Cause of Homer's Formulaic Style ? », dans Benjamin A. Stolz et Richard Stoll Shannon [dir.], Oral Literature and the Formula, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1976, et « Homer’s Style : Nonformulaic Features of Oral Aesthetic », Oral Tradition, 1994, vol. 9, n° 2, p. 371-389.
[7] Florence Goyet, Penser sans concept, fonction de l'épopée guerrière, « Iliade », « Chanson de Roland », « Hôgen », et « Heiji monogatari », Paris, Champion, 2006, p. 561.
[8] Marcel Detienne, L'Invention de la mythologie, Paris, Gallimard, 1981, p. 84.
[9] L’institution conservatoire de « lieux de mémoire » et l’injonction morale du « devoir de mémoire » sont les indices de la distance de nos sociétés contemporaines occidentales vis-à-vis de la culture de l’oralité. Dans le monde épique, la mémoire n’est pas localisable, elle épouse la mobilité de récits recréés, recomposés pour des occasions spécifiques. La logique de cette mémoire n’est pas spatiale, topographique, mais performative. Sur cette question, voir Claude Calame, Pratiques poétiques de la mémoire, représentations de l’espace-temps en Grèce ancienne, Paris, La Découverte, 2006.
[10] Platon, dans La République, V, 475c sq., parle de manière péjorative des « amateurs de sons » qui courent les spectacles sans être capables d’apprécier le « Beau en-soi ».
[11] Sur le ouï-dire, voir Homère, Odyssée, II, 308 et IV, 701.
[12] Voir Pauline Schmidt-Pantell, La Cité au banquet, Histoire des repas publics dans les cités grecques, Rome, École Française de Rome, 1992.
[13] Voir Odyssée, IX, 7 et XIII, 9.
[14] Le bruit de ce dernier est désagréable au porcher Eumée, voir Odyssée, XVII, 513.
[15] Sur la sonorité du chant de l'aède, voir Gregory Nagy, La poésie en acte, Homère et autres chants, Jean Bouffartigue [trad.], Paris, Belin,  Coll. « L'antiquité au présent », 2000, p. 46-49.
[16] Odyssée, XVII, 382-388.
[17] Pour le sens de gloire, voir Odyssée, I, 344 et de rumeur, XVI, 461.
[18] Sur cette bipolarité, voir Anne-Gabrièle Wersinger, Platon et la dysharmonie, Recherches sur la forme musicale, Paris, Vrin, 2003.
[19] Je n'insisterai pas sur les deux derniers aspects, ils sont traités par Platon notamment dans le Phèdre.
[20] C'est dans le Phédon que les rapports entre musique et philosophie sont les plus clairement exposés, une place de choix est réservée dans ce texte au thème de l'harmonie. Pour une approche générale des rapports de Platon à la musique, voir Euaggélos Moutsopoulos, La musique dans l’œuvre de Platon, Paris, Presses Universitaires de France, 1959.
[21] Dans le Phèdre, 248d, le philosophe est rapproché du musicien.
[22] Anne-Gabrièle Wersinger, « Socrate, fais de la musique ! Le destin de la paideia entre musique et philosophie », dans Françoise Malhomme et Anne-Gabrièle Wersinger [dir.], Mousikè et aretè : la musique et l'éthique de l'antiquité à l'âge moderne, Paris, Vrin, 2007, p. 47.
[23] Nicole Loraux, L’invention d’Athènes, Paris, éd. de l’EHESS, 1981, p. 336-339.
[24] Sur l’homme raisonnable capable de maintenir en lui une harmonie, voir République, IX, 591c-d.
[25] Voir Phédon 61 a et 60 e 6-7. Il est dit dans ce même dialogue, 61 a, que « la philosophie est la musique suprême ».
[26] Hésiode, Théogonie, 54.
[27] C’est dans cette partie que se situe la distinction entre diégésis (discours indirect) et mimèsis (discours direct).
[28] Voir Platon, République, III, 398 b.
[29] Ibid., 398 e et Phédon, 64 a 7.
[30] Anne-Gabrièle Wersinger, « Socrate... », op. cit., p. 53.
[31] Ibid., p. 57.
[32] Voir Platon, Banquet, 210 a-211 c.
[33] Euaggélos Moutsopoulos, La musique..., op. cit., p. 48.
[34] L’harmonie est un principe universel et cosmique pour Platon, voir Théétète, 175 e.
[35] Voir Phédon, 100 a 3-7.
[36] Voir Euaggélos Moutsopoulos, La musique..., op. cit., p. 67.
[37] « L'harmonie de la cité signifie que ses classes partagent une même opinion au sujet du commandement et de l'obéissance (République, 431 d 10). L'harmonie y est la métaphore de l'identité des pensées (homonoia) (432 a 7). Les citoyens “chantent ensemble” (432 a 3), ils réalisent une consonance d'octave, de quarte ou de quinte (432 a 8) », écrit Anne-Gabrièle Wersinger, « Socrate... », op. cit., p. 49.
[38] Voir Lois IV, 719 c et Phédon, 60 e. L'inspiration en tant que possession est un thème majeur du dialogue Ion.
[39] Euaggélos Moustsopoulos, La musique..., op. cit., p. 21.
[40] Ibid.
[41] Voir Théogonie, 54.
[42] Pausanias, Periègèsis, IX, 29, 2-3. À la mémoire aussi était voué un culte, voir à ce propos, Jean-Pierre Vernant, « Aspect mythiques de la mémoire en Grèce », Journal de Psychologie, 1959, p. 1-30.
[43] « Cet Hésiode, c’est moi ! », Théogonie, 24.
[44] « Il y a bien une sursignification de ce moi ici fondé dans sa vocation, comme si Hésiode s'enorgueillissait de cette distinction le tirant de la masse des bergers à demi-sauvages », écrit Marie-Christine Leclerc, La Parole chez Hésiode. A la recherche d'une harmonie perdue, Paris, Les Belles Lettres, 1993,  p. 171.
[45] Jean Rudhardt, « Le préambule de la Théogonie. La vocation du poète. Le langage des Muses », dans Fabienne Blaise, Pierre Judet de la Combe et Philippe Rousseau [dir.], Le métier du mythe, Lectures d'Hésiode, Villeneuve d'Ascq, Presses du Septentrion, 1996, p. 27.
[46] Sur l'importance de l'aspect vivant du laurier, voir Marie-Christine Leclerc, La Parole…, op. cit., p. 179.
[47] Pour une analyse de l'ensemble du proème de la Théogonie, voir Jean Rudhardt, op. cit., p. 25-39.
[48] Marcel Detienne, Les Maîtres de Vérité dans la Grèce archaïque,  Paris, Maspéro, 1968.
[49] Hésiode, Théogonie, 32.
[50] Ibid., 83-84.
[51] Gregory Nagy, Le Meilleur des Achéens. La fabrique du héros dans la poésie grecque archaïque, Jeannie Carlier et Nicole Loraux [trad.], Paris, éditions du Seuil, 1994, p. 38.
[52] Kléos aphtiton en Iliade, IX, 413.
[53] Iliade, IX, 185-191, Paul Mazon [trad.] modifiée.
[54] Je fais ici allusion à une expression formulaire, « lesmosunè kakon meledôn », qui dit aussi bien chez Hésiode que dans les Hymnes homériques, que la musique adoucit les soucis inéluctables, voir Hésiode, Théogonie, 55, 102-103 et Hymne homérique à Hermès, 447.
[55] Iliade, II, 484-492.
[56] Pour Démodokos, l'aède de Phéacie, voir VIII, 62-71 et Phémios, l'aède d'Ithaque, voir XXII, 332.
[57] Odyssée, XXI, 404-411, Victor Bérard [trad.].
[58] I, 155, VIII, 266, X, 277 et  XIX, 519.
[59] Sur « l'arc-qui-chante », voir Ioanna Papadopoulo-Belmehdi, Le chant de Pénélope. Poétique du tissage féminin dans l'Odyssée, Paris, Belin, coll. « L'antiquité au présent », 1994, p. 133-135. Sur les enjeux de cette comparaison, voir Pierre Sauzeau, « À propos de l’arc d’Ulysse : des steppes à Ithaque », dans André Hurst et François Létoublon [dir.], La Mythologie et l’Odyssée, Hommage à Gabriel Germain, Genève, Droz,  coll. « Recherches et Rencontres 17 », 2002, p. 287-300.
[60] Sylvie Perceau, « L’un chante, l’autre pas. Retour sur la phominx d’Achille », Gaia, 2005, p. 67, parle d’une « distanciation par rapport à l’actualité hic et nunc, à la fois celle de la guerre de Troie et celle de ses propres actions ».
[61] Gregory Nagy, Le Meilleur..., op. cit., parle « d'une idéalisation pertinente de l'artiste »,  p. 40.
[62] Voir Odyssée, I, 347.
[63] Odyssée, VIII, 522-523.
[64] Sur l'absence du charme consolateur du chant de Démodokos et la relation ironique que l'Odyssée entretient avec les valeurs poétiques de l'Iliade, voir Pietro Pucci, Ulysse Polutropos, Lectures intertextuelles de l’Iliade et de l’Odyssée, Jeanine Routier-Pucci [trad.], Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion,  coll. « Cahiers de Philologie, apparat critique », 1995, p. 294-312 et Charles Segal, Singers, Heroes, and Gods in the Odyssey, Ithaca, Cornell University Press, 1994, p. 85-109.
[65] Iliade, IX, 192-193. Voir à ce propos, Sylvie Perceau, « L’un chante… », art. cit., p. 65-85. L’auteure va jusqu’à suggérer qu’Ulysse « méprise la poésie et la musique ».
[66] Odyssée, VIII, 579-580.
[67] Odyssée, VIII, 486-490.
[68] Odyssée, VIII, 490-499.
[69] XXIII, 133-136.
[70] Odyssée, XI, 334-335, XIII, 1-2.
[71] Odyssée, XVII, 513-514.
[72] Sur la thelgis, voir Pietro Pucci, op. cit., p. 263-296.
[73] Pour l’expression, Ulysse storyteller, voir Hilary Mackie, « Song and storytelling : an Odyssean perspective », Transactions of the American Philological Association, vol. 127, 1997, p. 77-95 ; Ruth Scodel, « Bardic performance and oral tradition in Homer », American Journal of  Philology, vol. 119, n° 2, 1998, p. 171-194 ; Deborah Beck, « Odysseus: Narrator, Storyteller, Poet ? », Classical Philology, vol. 100, n° 3, 2005, p. 213-227.
[74] VIII, 368 pour la terpsis produite par le chant de Démodokos. Klèsis est à rapprocher de kèlèthmos, adjectif employé pour désigner le charme de la musique d’Orphée, voir Platon, Protagoras, 315 a.
[75] XVII, 514, 518-521.
[76] Voir Gregory Nagy,  Le Meilleur..., op. cit., p. 279-283.
RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
François Dingremont, « Du pouvoir de la musique et de son détournement dans la tradition homérique » dans Musique, Pouvoirs, Politiques, Philippe Gonin et Philippe Poirrier [dir.], Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 05 février 2016, n°  6, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteur : François Dingremont.
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ISSN : 1961-9944
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