n° 88 - octobre 2020

 

In memoriam Jean-Claude Farcy












Jean-Claude Farcy
(1945-2020)

 

 

Jean-Claude Farcy est décédé le 2 août 2020. Nous ne l’avons appris qu’un mois après. Il est mort aussi discrètement qu’il a vécu.

Normalien (ENS de Saint-Cloud) et agrégé d’histoire, il avait commencé sa carrière comme professeur au lycée Marceau à Chartres, au coeur de cette Beauce dont il était originaire (son père était ouvrier agricole) et où il a toujours conservé son domicile, d’abord à Chartres même, à quelques mètres du bâtiment des Archives départementales d’Eure-et-Loir, puis dans sa petite maison de famille à La Bazoche-Gouet. Après quelques années d’enseignement, il a rapidement été recruté au CNRS comme chargé de recherche, rattaché d’abord à l’université Paris-10, puis à l’université de Bourgogne dans le cadre du Centre Georges Chevrier. Il n’est jamais devenu directeur de recherche : recalé une première fois, ce qui l’avait profondément marqué, il n’a pas voulu présenter de nouveau sa candidature. On peut pourtant penser qu’il l’aurait cette fois emporté. Quoi qu’il en soit, il aurait mérité une reconnaissance universitaire éclatante, mais si lui ont manqué les titres académiques les plus prestigieux, son œuvre, elle, parle pour lui, et elle parle fort.

Jean-Claude Farcy laisse en effet une œuvre considérable : une douzaine de recueils de documents (élaborés alors qu’il était responsable du service éducatif des Archives départementales d’Eure-et-Loir, avant son recrutement au CNRS), une centaine d’articles et de contributions à diverses publications collectives, et une vingtaine d’ouvrages (dont plusieurs publiés « en ligne »). D’abord passionné par l’histoire rurale du XIXe siècle, avec sa grande thèse sur les paysans beaucerons, il s’est ensuite tourné vers l’histoire de la justice, où il a alterné la publication d’instruments de recherche (notamment sur les sources judiciaires, un ouvrage qui lui a valu le prix Malesherbes, décerné cette fois-là judicieusement par l’Association pour l’histoire de la justice), celle de documents (comme les discours de rentrée des magistrats) et d’ouvrages de référence (sur la peine de mort, sur l’histoire de la justice, etc.).

J’ai connu Jean-Claude Farcy à Chartres, il y a près d’un demi-siècle, et je l’ai retrouvé un peu plus tard à Dijon, nos carrières ayant suivi géographiquement des routes parallèles. Nous avons publié ensemble deux ou trois livres et il a toujours participé activement aux colloques, consacrés à divers aspects de l’histoire de la justice, que j’ai organisés pendant près d’une trentaine d’année à l’université de Bourgogne. Je peux témoigner, comme le feraient certainement tous ceux qui l’ont vu à l’œuvre, de son extraordinaire puissance de travail (le côtoyer dans la salle de lecture des Archives départementales d’Eure-et-Loir, accumulant les archives et les notes, était une leçon d’humilité…), de sa compétence extrême (qui oserait la mettre en doute ?), mais aussi de son extrême gentillesse et de sa profonde modestie, des qualités plutôt rares chez les chercheurs et les universitaires.

Comme l’avait affirmé Frédéric Chauvaud lors d’un colloque tenu il y a une bonne vingtaine d’années à l’université de Poitiers, Jean-Claude Farcy était « le meilleur d’entre nous ».

Benoît Garnot,
Professeur honoraire d’histoire moderne
à l’université de Bourgogne

 

 

C’est avec une immense tristesse que les membres du laboratoire LIR3S ont appris la disparition récente de Jean-Claude Farcy.

Longtemps chargé de recherche au CNRS, rattaché au centre Georges Chevrier de l'université de Bourgogne où il a mené une partie de sa carrière, Jean-Claude Farcy a travaillé sur l’histoire rurale et l’histoire de la justice à l'époque contemporaine et laisse une œuvre personnelle riche et foisonnante, ainsi que de nombreux travaux collectifs et outils mis au service de la communauté des chercheurs. Ses recherches et bases de données ont nourri et alimentent encore et pour longtemps les travaux des juristes, des historiens, des politistes et des sociologues.

D’abord ruraliste, il avait soutenu en 1985 sa thèse d’État sur Les paysans beaucerons : de la fin de l’Ancien Régime au lendemain de la Première Guerre mondiale (thèse publiée en 1989 à Chartres par la Société Archéologique d'Eure-et-Loir, 1989, 2 vol., 1 229 p.). Maurice Agulhon considérait cette thèse immense comme « tout à fait comparable à ce qui s'est fait de mieux depuis un quart de siècle dans la grande tradition des thèses d’histoire sociale ». Au cœur de la démonstration minutieuse de Jean-Claude Farcy se trouvaient les enjeux du capitalisme agraire et du monde des ouvriers agricoles, des journaliers et domestiques. Il soulignait avec force et vigueur comment ce prolétariat rural, qui n’avait pas acquis une conscience de classe ni développé une conflictualité particulière, est resté totalement dominé par des grands fermiers exploitants. Ces derniers avaient mis en place un système de contrôle fondé essentiellement sur l’octroi aux domestiques et ouvriers agricoles d’une partie de la terre, comme exploitants indépendants… Jean-Claude Farcy a pu ainsi contribuer à déconstruire le mythe ou le mirage de la petite exploitation, en permettant de comprendre les mécanismes de la stabilité du système – même si la propriété est passée de la noblesse à la bourgeoisie – bien après la Première Guerre mondiale.

Marqué par ce monde souvent oublié de l’historiographie rurale, celui du prolétariat agricole, Jean-Claude Farcy s’est intéressé aux migrations au sein du monde rural et à la jeunesse. Citons entre autres, l’ouvrage qu’il a codirigé avec Ronald Hubscher, La moisson des autres. Les salariés agricoles aux XIXe-XXe siècles (actes du colloque international de Royaumont, 13-14 novembre 1992, Rencontres à Royaumont, Paris, Éditions Créaphis, 1996). Il s’agissait de faire connaître ces obscurs ou anonymes en soulignant avec force l’existence de paysanneries plurielles et diverses, loin de la vision agrarienne sur l’unité paysanne. L’apport de l’histoire sociale et quantitative permettait aussi de comprendre que la condition du salariat était souvent une condition « transitoire » : le temps de la jeunesse ou d’une migration temporaire, voire d’un remboursement de dette. Dès lors, ces travaux essentiels permettaient d’envisager les logiques de mobilité sociale au sein des sociétés rurales. Surtout dans cet ouvrage, Jean-Claude Farcy proposait une étude pionnière sur les grèves, longtemps délaissées face à une histoire du prolétariat urbain, des ouvriers agricoles en 1936-1937.

Par la suite, son travail s'est réorienté vers l’histoire de la justice et du crime à l’époque contemporaine, d’abord sous la forme de la réalisation d’instruments de recherches extrêmement précieux mis au service de la communauté savante (Guide des archives judiciaires, Bibliographie de l’histoire de la Justice, étude historiographique), mais aussi via des publications de sources sur les discours de rentrée des magistrats aux deux derniers siècles ou leurs rapports périodiques sous le Second Empire.

Il a publié de nombreux articles et ouvrages consacrés aux sources judiciaires, au fonctionnement de la justice, à la délinquance juvénile et à la criminalité parisienne, citons quelques-uns de ses livres les plus marquants comme La Jeunesse rurale dans la France du XIXe siècle (Christian, 2004), Meurtre au bocage. L’affaire Poirier, 1871-1874 (Société archéologique d’Eure-et-Loir, 2012) ou encore sa synthèse sur l'Histoire de la justice en France de 1789 à nos jours (La Découverte, 2015).

Ses dernières années ont notamment été consacrées à la réalisation de bases de données nominatives – mises en ligne sur le site du LIR3S – sur le personnel judiciaire (Annuaire rétrospectif de la magistrature, XIXe-XXe siècles), ou sur les victimes des répressions politiques du XIXe siècle (inculpés de juin 1848, poursuivis suite au coup d’État du 2 décembre 1851, et répression judiciaire de la Commune de Paris). Il venait d’achever pour la Revue d’histoire du XIXe siècle un article consacré à la base de données sur la répression judiciaire de la Commune de Paris, immense travail (41 375 inculpés) qui permet d’entrer dans la logique de la répression politique la plus massive de tout le XIXe siècle.

Historien passionné et passionnant, qui se mit largement au service des autres contre toute velléité carriériste, Jean-Claude Farcy fut un véritable savant, nourri par la curiosité et la volonté de comprendre. Nous lui répétons nos plus sincères remerciements et adressons nos plus vives condoléance à sa famille et à ses proches.

La liste de ses publications disponible ici est la version complétée de celle qu'il avait rédigée pour le site Criminocorpus, indispensable à tous les historiens qui croisent la justice et les peines. Membre du comité de rédaction, il en a été l’un des piliers, en particulier en tant que rédacteur en chef entre 2011 et 2013 et maître d’œuvre de plusieurs de ses bases de données.

LIR3S

 


 

 

 


La lettre du LIR3S - UMR 7366 CNRS-uBFC
Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche "Sociétés, Sensibilités, Soin"
(ex Centre Georges Chevrier)

n° 88 - octobre 2020

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