n° 54 - avril 2017

Mathieu Beaud lauréat du prix Marc de Montalembert 2017




 

C’est avec un plaisir certain, et un grand honneur, que j’ai accepté de remettre le Prix décerné par la Fondation Marc de Montalembert à M. Mathieu Beaud, en ma qualité de Directeur de la thèse soutenue à Dijon, à l’Université de Bourgogne, et que je suis invité à prendre la parole pour retracer sa personnalité, son parcours de chercheur et ses principales orientations. Celui-ci a accompli son cursus universitaire à l’Université Pierre Mendès-France Grenoble Alpes jusqu’aux années de Master, qu’il a soutenu avec Madame Martine Jullian au départ, pour ainsi dire, de ses choix privilégiés. C’est sur ses conseils qu’il vint me trouver à Dijon et que nous commençâmes à réfléchir, ensemble, durant une année, au sujet possible d’une thèse qui fut brillamment soutenue, le 10 décembre 2012, sur l’argument ainsi défini : Iconographie et art monumental dans l’espace féodal du XIe au XIIe siècle. Le thème des Rois mages et sa diffusion [volume de texte, 457 pages ; volume de 183 figs. réunies en un seul corpus]. Ayant obtenu la plus haute mention avec les félicitations du jury, M. Mathieu Beaud parvenait à montrer que le concept de la « royauté » n’allait décidément pas de soi dans la société féodale, ainsi qu’elle avait été étudiée dans les travaux des historiens [Marc Bloch, puis Ernst Kantorowicz, enfin Robert Fossier et sa thèse sur « l’encellulement »], et qu’il passait aussi, dans ses différentes affirmations comme dans ses reconnaissances historiques, par l’affichage monumental [le thème du portail à protiro].

Je m’arrête au présent projet, déposé auprès de la Fondation Marc de Montalembert, Iconographie et scénographie urbaine, « culture visuelle » et « religion civique », à Vérone, au cours du XIIe siècle. S’ouvrait un espace d’observations, un espace méditerranéen, en l’occurrence l’espace « médio-padouan » [Arturo Quintavalle] en Italie septentrionale, plus dense peut-être, plus riche aussi que d’autres aires géographiques, à l’observation répétée de l’historien de l’art méditerranéen qu’est devenu M. Mathieu Beaud, bien formé à ses modes d’approches par des séjours assidus à l’École française de Rome où il put bénéficier des conseils de l’équipe directoriale, tout particulièrement ceux du directeur des études médiévales de l’époque, M. Stéphane Gioanni. Le travail s’annonçait, il est vrai, passionnant, puisqu’il s’agissait de « conjoindre », en un seul et même projet de recherche, iconographie chrétienne, art monumental, scénographie urbaine, religion civique sur un site bien documenté, celui de Vérone, cité communale et entité d’un pouvoir ecclésiastique reconnu, au carrefour des voies du commerce remontant des « deux » Méditerranées, la mer du milieu des terres et l’Adriatique. L’étude se développe alors à partir de deux « images » monumentales, dans la ville et de la ville, deux façades, deux écrans dans la cité, l’abbaye de San Zeno et le dôme, aujourd’hui Santa Maria Assunta, toujours saisis dans les espaces de circulation tissés entre eux et du triple point de vue, du figuratif, de l’ornemental, et de l’épigraphique, dans l’écriture des sources textuelles comme dans les ressources visuelles découvertes. Le point de visée est fixé avec une rigueur toute mathématique : comprendre la production d’un « espace civique », en cours d’appropriation par les laïcs à l’issue d’un certain nombre de phases en concertation avec l’évêque et le clergé diocésain, puis l’utilisation du don dans le processus social ainsi engagé, enfin la construction de la commune urbaine comme pôle stabilisateur des codes et des normes de la vie en communauté : ceci, dans les formes visuelles adoptées, dans les expressions plastiques et dans la mise en forme des dévotions civiques, le tout de plus en plus mêlé au cœur d’une expérience sociale partagée [Clifford Geertz ; Richard C. Trexler]. Le projet élaboré par M. Mathieu Beaud rencontre, et c’est tant mieux, les axes de recherches tracés au sein de l’École française de Rome et de la section des Études médiévales, aujourd’hui sous la responsabilité de M. Pierre Savy, ainsi que ceux de l’Institut national d’Histoire de l’Art avec le projet porté par Madame Isabelle Marchesin sur « l’ontologie de l’image chrétienne » et le projet Imago-Eikôn. « Regards croisés sur l’image chrétienne médiévale entre Orient et Occident », mené par Mesdames Sulamith Brodbeck et Anne-Orange Poilpré.

M. Mathieu Beaud est résident auprès de l’École biblique et archéologique française, à Jérusalem, et continue, de la sorte, ses enquêtes en les enrichissant des connaissances indispensables ouvertes vers l’Orient, le Proche et le Moyen, et c’est aussi l’arrière-plan méditerranéen donné à la recherche qu’il a annoncée. Outre tous ces apports nouveaux, qu’il me soit permis de souligner que son travail repose sur les acquis de sa thèse de Doctorat qu’il approfondit et précise de manière décisive, en les dépassant : d’abord dans le cadre géographique retenu, puis dans la méthode d’analyse utilisée. En effet, l’étude des façades de San Zeno et du dôme de Vérone, commune urbaine de l’Italie du nord, ne peut être menée à son terme que dans un souci de comparaisons avec la même aire géographique bien marquée par le développement des façades à protiri, de l’abbatiale de Nonantola (après 1121) aux dômes de Piacenza (1122-1141) et de Ferrara (1135-1141), par rapport auxquels « se mesurent », selon un idéal bien civique, les façades de San Zeno et du dôme. Plus encore que le cadre spatial, la dynamique heuristique du modèle d’analyse forgé par M. Mathieu Beaud livre, dans ce champ bien balisé, toute sa fécondité : dès lors, il concentre son attention sur un objet qu’il saisit comme s’il s’agissait d’un « objet fractal », sous ses différentes facettes, brisé, certes, mais qu’il faut recomposer, pour atteindre un premier noyau dur. Les autres facettes explorées, il retrouve le noyau dur changé, parce qu’accru – ajouté – d’autres éléments venus de champs d’expression voisins et ayant gagné le centre qu’ils contribuent à transformer. Il écrivait ainsi, à propos des « glissements iconographiques » observés dans l’expression iconique des mages, que

« Nous partons donc du principe que cet espace est profondément hiérarchisé et composé d’un centre et d’une périphérie. La syntaxe iconographique, c’est-à-dire l’agencement des différents éléments signifiants dans la construction d’un message unique, obéit à cette règle, que nous pensons animée par une conception sacrée de l’espace iconique. Aussi, avant de nous attarder sur le centre de l’image, à savoir la Vierge à l’Enfant, nous aborderons l’image par sa périphérie. »
(Thèse, 2012, vol. I, p. 142-143).

L’étude de l’art monumental et civique véronais, comme l’étude d’un « objet fractal », est alors saisie dans toutes ses implications : d’histoire de l’art, d’archéologie monumentale, d’histoire sociale, d’histoire urbaine, mais aussi d’une philosophie bien méditerranéenne de la « vie en commun » ; en bref, donc, comme un problème relevant, au sens large, de la « société civile » dans le long terme de l’histoire des hommes.

Daniel Russo,
Professeur à l’Université de Bourgogne,
Centre Georges Chevrier (UMR 7366),
Membre senior de l’IUF

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




Discours de Daniel Russo lors de la remise
du prix Marc de Montalembert,
en présence de
Monsieur le Directeur général de l’Institut national
d’histoire de l’art,
Monsieur et Madame Marc-René de Montalembert,
Madame Joanne Lamoureux,
Monsieur Mathieu Beaud.



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