Hommage à Maryvonne Perrot
Maryvonne Perrot (1943 - 2016)
|
C’est tout de même curieux que l’on puisse percevoir comme une réalité tangible l’absence d’une personne que l’on s’attend à rencontrer : « J’ai tout de suite vu qu’elle n’était pas là ». Cette perception du vide ou du néant au cœur même de l’être est sans doute ce qui nous affecte et attriste lorsque l’on sait que l’absence est définitive et qu’aucun futur ne viendra restituer une présence désormais abolie, devenue souvenir dans notre mémoire. Une absence qui dure toujours, voilà ce qui est tellement difficile à réaliser lorsque l’on apprend la disparition d’un être au visage familier, comme l’était pour moi ma collègue et amie Maryvonne Perrot, décédée dans des circonstances tragiques le 18 décembre, à Rio de Janeiro, loin de chez elle. Il m’est difficile de me faire à l’idée qu’une personne dont la présence était aussi forte que la sienne n’est plus. Paradoxale présence que la sienne : évidente, incontournable, empathique mais pourtant discrète et comme en retrait par rapport à ceux qui cherchent à occuper les premiers rangs, à être « en vue » comme on dit. Elle, ne voulait pas paraître, sans doute parce qu’elle partageait avec Pascal, l’un de ses philosophes favoris, le sentiment de la vanité du monde. Lucide, toujours, mais jamais désabusée, elle avait des jugements tranchés, et même tranchants, vifs, acérés comme une lame d’acier, qui tombaient comme des arrêts de justice. Mais c’était la bienveillance et la générosité qui faisaient le fond de son être, sans doute trop sensible et trop bon pour ne pas chercher à se cacher parfois derrière l’ironie et la rudesse des propos. Elle débusquait avec malice et bonne humeur les ruses dont se pare l’esprit de sérieux, dont les universitaires ne sont pas exempts, elle perçait comme en se jouant les artifices et grosses ficelles des « grandeurs d’établissement », mais elle était toujours disponible pour rendre un service et sans qu’on le lui demande, d’un dévouement exemplaire envers les personnes qui se trouvaient, par leur histoire ou leur géographie, en situation difficile. Irrévérencieuse envers les « puissants », mais charitable à l’égard de tous, y compris des puissants vis-à-vis desquels elle gardait, comme Pascal nous recommande d’avoir, « une pensée de derrière ». Elle était à sa manière agnostique, au moins en philosophie, préférant et de loin à la grandeur imposante des systèmes philosophiques les pensées en apparence simples mais percutantes et ironiques de Socrate, d’Épicure, et surtout de Pascal, de Kierkegaard, de Schopenhauer. Mais elle ne mettait jamais en avant le savoir, pourtant grand, qu’elle avait de ces philosophes dont elle a parcouru les œuvres dans tous les sens. Parce qu’elle avait fait sien ce savoir, parce qu’il était elle-même, et non un instrument dont on joue avec adresse et talent, ce dont elle était aussi capable, bien évidemment. Son intelligence aussi vive que claire fonçait droit à l’essentiel sans se perdre dans les détails, qu’il s’agisse de la lecture d’un mémoire, d’une thèse ou de la compréhension de problèmes complexes. La rareté de ces qualités et la singularité de la personne qui les possédait d’une façon aussi discrète que véritable font que sa disparition fait l’effet d’un grand vide dans le cours des habitudes et des attentes. Vide, désormais, le fauteuil qu’elle occupait dans le bureau de Gaël Cloitre, silencieuse cette voix reconnaissable entre toutes au téléphone qui s’excusait de déranger, seulement pour quelques minutes (souvent renouvelables), vacante la place d’éditrice et d’inspiratrice des Cahiers Bachelard auxquels elle consacrait une grande partie de sa vie si active de retraitée. Je suis certain d’exprimer la pensée et les sentiments de tous ses collègues, anciens et actuels, surpris et attristés, en évoquant ce vide causé par la disparition brutale de Maryvonne, mais aussi en témoignant du plaisir de l’avoir connue, d’avoir toujours bien travaillé ensemble, d’avoir fait à ses côtés une partie de ce voyage en bonne compagnie auquel à ses yeux de grande voyageuse la vie devait ressembler pour être réussie. Pierre Guenancia, |
Doyenne de l’UFR Lettres et Philosophie,
Principales publications : |
La lettre du Centre Georges Chevrier - n° 52 - février 2017
Consultez la lettre en ligne en cliquant ici
Consultez les numéros précédents en cliquant ici
Vous souhaitez,
- vous abonner à La lettre du CGC, cliquez ici ;
- vous désabonner de La lettre du CGC, cliquez ici ;
- nous faire part de vos remarques, cliquez ici.
© Centre Georges Chevrier
Directeurs de la publication : Jean-Louis Tornatore et Vincent Chambarlhac
Secrétaire de rédaction : Lilian Vincendeau