Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-uB |
|
Territoires contemporains | |
L’Internationale communiste 1919-1943. Approches transnationales | ||||
Introduction. L’Internationale communiste et l’histoire globale | ||||
Serge Wolikow | Résumé | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Annexes | Notes | Références | Outils | |||
RÉSUMÉ
|
||||
MOTS-CLÉS
|
||||
SOMMAIRE |
||||
TEXTE | ||||
Du 2 au 6 mars 1919, se tint à Moscou le congrès fondateur de l’Internationale communiste. Aujourd’hui son souvenir s’est estompé, pourtant elle a joué un rôle important non seulement dans l’histoire du communisme international mais également dans l’histoire politique mondiale. La crise majeure qui secoua l’Europe et par contrecoup le monde au moment du premier conflit mondial constitua tout à la fois un premier ébranlement du système international dominé par les grandes puissances européennes et le moment où émergèrent au cœur de la tourmente et des destructions des aspirations nouvelles à l’émancipation sociale. Le communisme, en écho à la révolution russe, en deviendra l’un des vecteurs essentiels. S’ouvrit alors une période d’instabilité politique et sociale forte dans de nombreuses régions du monde et pas seulement en Europe, ce fut le cas notamment du Moyen-Orient et de l’Extrême-Orient. L’expansion du communisme fut très inégale et beaucoup moins fulgurante que ses initiateurs ne l’avaient prévue, mais elle s’appuyait sur une organisation dont le projet, la structuration et même l’activité constituaient une ressource exceptionnelle. Associée au projet de la révolution mondiale prochaine déduite de la crise générée par la Guerre mondiale, l’Internationale communiste (IC) – le Komintern – connut un destin paradoxal en puisant sa force dans l’exemple révolutionnaire russe, avant que la défense politique de l’État soviétique ne lui fasse perdre sa raison d’être. Même si l’existence de l’Internationale communiste fut courte, de 1919 à 1943, son rôle a été essentiel dans l’histoire globale du communisme au cours du xxe siècle. Elle n’a pas été simplement un vecteur de propagande et d’action en faveur de l’URSS. Conçue à l’origine comme un parti mondial construit à la mesure de la révolution mondiale en gestation, elle se dota d’institutions ramifiées destinées à appuyer et relayer son action. Inspirée davantage par l’expérience de la social-démocratie allemande que par l’activité de l’Internationale socialiste d’avant 1914, elle mit en place une série de structures destinées à former, à encadrer des militants et des permanents dévoués à l’organisation. Ces derniers étaient également dotés d’une formation idéologique théorique solide. En ce sens, elle devint à la fois un lieu d’éducation et d’organisation de la propagande, par le biais d’une presse et d’une politique éditoriale pensées dès l’origine d’une manière multilingue et internationale. En transposant le modèle russe par la bolchevisation, puis en étant un vecteur de la stalinisation des partis et de tout le mouvement communiste, elle a contribué à façonner des organisations et des militants dont les références ont perduré bien au-delà de son existence. La culture communiste, qui a marqué l’espace politique international au long du dernier siècle, s’est constituée dans cette période autour de l’analyse du capitalisme, de l’État, de la nation, ou du parti révolutionnaire. La culture des partis communistes après la Seconde Guerre mondiale, alors que l’expansion géographique du communisme s’accélère, a été forgée dans l’entre-deux-guerres, de telle sorte qu’on peut parler d’une culture kominternienne qui a durablement survécu à l’organisation internationale en étant fortement intériorisée par les organisations nationales et leurs cadres. La méconnaissance très répandue de cette histoire internationale a une dimension politique : elle tient en grande partie à l’évolution même du mouvement communiste international après la Seconde Guerre mondiale. L’exaltation de l’URSS d’un côté, la nationalisation des partis communistes de l’autre, la diversité croissante des situations nationales mais aussi le repli de l’URSS sur ses propres intérêts géopolitiques, ont favorisé un oubli systématique du rôle de l’Internationale communiste de la part du mouvement communiste international après 1945. En France, le lien organique avec le Parti communiste de l’URSS proclamé par le PCF jusqu’au milieu des années 1960 ne l’empêche pas d’affirmer la dimension principalement française de toute son histoire, gommant notamment les multiples interventions et l’omniprésence de l’Internationale communiste dans la genèse comme dans la construction de sa politique et de son organisation. Les hommes ayant dirigé l’Internationale communiste à sa naissance, puis ayant accompagné son œuvre organisationnelle, Zinoviev puis Boukharine, au cours des années 1920, comptèrent parmi les figures majeures des grands procès staliniens et les victimes emblématiques d’une répression qui toucha en particulier tous ceux que l’on accusait de pactiser avec l’étranger. Leur stigmatisation atteignit par contrecoup une Internationale communiste qu’ils avaient incarnée. Dès lors, une large partie de son histoire fut dévalorisée et discréditée par le discours stalinien. Il n’est pas étonnant que le nom même de l’Internationale communiste soit tombé dans les oubliettes de l’histoire officielle des partis communistes. Aujourd’hui, trois décennies après l’ouverture des archives russes et un réel essor de la recherche historique, il a semblé pertinent de revisiter une histoire qui, par de nombreux côtés, n’est pas sans implications contemporaines. Les différents textes de ce volume [1] constituent explicitement des approches transnationales inscrites dans une démarche d’histoire globale qui mérite d’être précisée. Depuis une dizaine d’année l’historiographie de l’Internationale connaît d’autres modifications substantielles sous l’effet des problématiques de recherche qui traversent l’histoire contemporaine. La première dimension est celle de la globalité du monde, devenue l’échelle de référence. L’histoire globale et l’histoire mondiale s’affirment au cours des années 2000 comme des références essentielles dans de nombreux travaux d’histoire sociale et politique. Cette préoccupation se retrouve dans de nombreux ouvrages et articles sur le mouvement communiste mondial publiés cette dernière décennie. Elle n’est pas déclinée nécessairement de manière identique, puisque certaines publications juxtaposent approches nationales et mondiales tandis que d’autres insistent sur la transnationalisation des activités communistes. Il reste que l’élargissement de l’analyse au plan mondial permet de repenser l’analyse comparée mais également de se risquer à interroger la dimension mondiale du phénomène communiste aussi bien tout au long du xxe siècle que pour un temps plus court comme celui des premières décennies du communisme. Le projet de ce numéro est d’affronter ce paradoxe au terme duquel l’on a parfois tendance à confondre l’approche globale et le processus lui-même. Dans l’histoire globale, telle qu’elle s’est développée ces dernières années, il y avait essentiellement la préoccupation de montrer la dimension mondiale de phénomènes jusqu’alors considérés à une échelle surtout nationale ou locale. Or, avec l’Internationale communiste il s’agit de l’histoire d’un projet politique qui se veut explicitement global et mondial. Dès lors que signifie appliquer une approche globale à un objet qui se veut en tant que tel global ? Pour aller au-delà de ce paradoxe et de cette apparente redondance, on ne peut rester seulement au niveau du discours, il faut tenter de mesurer et d’analyser le processus de globalisation effective. Ainsi le projet de parti mondial de la révolution doit être pris au sérieux en s’attachant à le caractériser en évaluant sa réalisation effective dans ses différentes composantes et dimensions. Il s’agit avec ce numéro consacré à l’Internationale communiste de présenter une histoire que nous appelons transnationale parce qu’elle affiche son objectif de considérer la réalisation d’un certain nombre des projets politiques du Komintern, à une échelle qui dépasse le niveau national et même ambitionne de se situer au niveau mondial. Dans un certain nombre de domaines il y eut des réalisations effectives, même si dans le temps bref des deux premières décennies de l’Internationale communiste cela tourna court. Au vu des domaines étudiés dans ce volume, les résultats apparaissent très inégaux avec un impact très variable sur l’histoire politique mondiale. Il reste que l’espéranto comme projet de langue internationale étudié par Jean-François Fayet, l’égalité entre femmes et hommes scrutée par Darya Dyakonova, la construction d’une internationale paysanne évoquée par Jean Vigreux, l’analyse boukharinienne du capitalisme présentée par Maurice Andreu ou encore la mobilisation internationale autour de l’Espagne républicaine restituée par Édouard Sill n’ont pas été sans marquer l’histoire politique globale du siècle dernier et continuent de résonner dans le siècle actuel. Il en va en particulier de la dialectique du national, du transnational et du global dont l’étude vient clore ce volume comme une manière de revisiter l’histoire d’une aventure politique inachevée. Quelques repères historiographique et bibliographiques Les recherches et les publications auxquelles l’Internationale communiste a donné lieu ont une histoire qu’on ne peut détailler ici mais qu’on souhaite restituer dans ses grandes lignes pour situer les études rassemblées dans ce volume. Longtemps, les travaux sur l’histoire du Komintern ont principalement porté sur les orientations, les débats qu’elle a suscités, en prenant appui sur les publications des instances dirigeantes dont les textes étaient repris et diffusés dans les revues hebdomadaires ou mensuelles qui traduisaient au moins en quatre langues les documents officiels. L’histoire générale du Komintern étudiée à partir de cette documentation faisait donc une place essentielle à la stratégie et à la tactique, analysées à travers les prises de positions et interventions lors des événements qui impliquaient les partis communistes, de la révolution chinoise à la grève générale anglaise, de la guerre d’Espagne à la tactique électorale des partis communistes européens. Ces ouvrages, dont certains étaient écrits par d’anciens dirigeants communistes souvent dissidents, s’inscrivaient dans les affrontements de la Guerre froide. Cette riche historiographie a été largement étudiée dans des ouvrages et des articles auxquels le lecteur pourra se reporter [2]. Dès les années 1970-1990, plusieurs ouvrages attestent du renouvellement des recherches portant sur le fonctionnement des organes de décision selon un champ géographique élargi avec une mise en contexte. Ainsi :
Avec l’ouverture des archives russes c’est toute l’histoire de l’organisation du Komintern qui a commencé d’être revisitée dans le cadre d’études, de colloques et de publications associant réflexions méthodologiques et nouvelles hypothèses rendues possibles grâce à l’accès à une documentation jusque-là méconnue. Les interactions ont ainsi pu être mises en lumière entre centre et périphérie ainsi que les modalités de l’approche mondialisée de l’Internationale communiste. On peut dans ce cadre signaler les livres suivants :
Au cours des décennies 1990 et 2000 de nombreuses publications se sont centrées sur le fonctionnement des organismes dirigeants de l’Internationale communiste en analysant de manière plus précise l’activité interne de l’organisation centrale et ses rapports avec les sections nationales mais aussi la politique de l’URSS :
Enfin, l’accès aux archives Staline a permis de développer et renouveler l’analyse des liens entre la politique de l’URSS et celle du Komintern, en intégrant l’histoire des relations internationales et celle du communisme. L’histoire de la répression stalinienne a fait l’objet de travaux qui révèlent et attestent comment et combien le Komintern fut frappé et profondément affaibli par cette répression :
L’histoire globale du communisme a pu ainsi prendre son essor à travers de nouveaux ouvrages publiés au début des années 2010. Désormais l’histoire du Komintern peut être inscrite dans l’histoire du communisme au cours du xxe siècle :
Le lecteur a par ailleurs la possibilité de consulter en ligne des sources documentaires numérisées, résultat d’un travail conduit durant plusieurs décennies à l’université de Bourgogne, dans le cadre du Centre Georges Chevrier (devenu depuis le LIR3S) et de la MSH de Dijon dont le portail Pandor rassemble une documentation qui regroupe des archives du Komintern et des publications, revues et brochures : https://pandor.u-bourgogne.fr/ |
||||
AUTEUR Serge Wolikow Professeur émérite d’histoire contemporaine Université de Bourgogne-Franche-Comté, LIR3S-UMR 7366 |
||||
ANNEXES |
||||
NOTES
[1]
Ils sont issus d’une journée d’études
organisée par la Fondation Gabriel Péri en association
avec la MSH de Dijon et le LIR3S.
[2]
Aldo Agosti, « La storiografia sulla Terza
Internazionale », Studi Storici, 1977, n° 1, et
en français dans les
Cahiers d’histoire de l’Institut de recherches
marxistes, 1980, n° 2.
|
||||
RÉFÉRENCES Pour citer cet article : Serge Wolikow, « Introduction. L’Internationale communiste et l’histoire globale », dans L’Internationale communiste 1919-1943. Approches transnationales, Serge Wolikow [dir.], Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 17 décembre 2020, n° 13, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html. Auteur : Serge Wolikow. Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html ISSN : 1961-9944 |
||||
OUTILS |