Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Territoires contemporains


L’Internationale communiste 1919-1943. Approches transnationales
De Bakou à Bruxelles. L’Internationale communiste face au monde colonial (1920-1940)
Habib Kazdaghli
Résumé | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Annexes | Notes | Références | Outils
RÉSUMÉ
Comparée aux attitudes et positions des deux internationales qui l’avaient précédé [1], l’action du Komintern face au monde colonial fut bien différente. Durant les deux décennies de son existence (1919-1943), l’Internationale communiste mit en place les bases d’une alliance internationale entre les forces du progrès et des libertés dans les pays capitalistes et les mouvements de libération nationale dans les pays colonisés. Le départ de cette recherche d’alliance fut annoncé, en juillet 1920, par l’adoption des 21 conditions d’adhésions à l’Internationale, parmi lesquelles figurait la huitième condition relative au soutien à réserver à la lutte des peuples opprimés. La concrétisation de cette démarche anti-coloniale et pour l’indépendance se traduisit par la tenue deux grands congrès mondiaux : le premier se tint à Bakou (Azerbaïdjan) en septembre 1920 et le second à Bruxelles en février 1927.
MOTS-CLÉS
Mots-clés : Internationale communiste ; Komintern ; Willy Münzenberg  ; oppression coloniale  ; impérialisme  ; antifascisme  ; congrès de Bakou  ; congrès de Bruxelles  ; congrès de Bandeong
Index géographique : monde ; empires coloniaux ; Europe
Index historique : xxe siècle ; 1919-1943
SOMMAIRE
I. Congrès des peuples d’Orient (septembre 1920) : nouveautés et limites
II. Le congrès de Bruxelles 1927 : naissance d’un front mondial contre l’impérialisme et l’oppression coloniale
III. Portée de l’action de la Ligue de la lutte contre l’impérialisme et l’oppression coloniale (1927-1940)
IV. Conclusion

TEXTE

L’élaboration de positions claires par l’Internationale communiste (IC) sur l’émancipation des peuples colonisés prit du temps. Ce fut un travail de construction opéré successivement par l’évocation des répressions menées par les puissances européennes dans les empires coloniaux de l’époque et l’émergence de leaders issus du monde colonial. Cela incita les chefs de l’IC à donner à cette question toute la place qui lui revenait [2]. Faut-il rappeler que la majorité des partis ouvriers ainsi que leurs dirigeants étaient issus de partis révolutionnaires qui agissaient en Europe et n’avaient pas toujours accès aux informations relatives aux désastres commis dans le monde colonial ? Le IIe congrès de l’IC, tenu à Moscou du 17 juillet au 7 août 1920, qui avait adopté les 21 points d’adhésion à la nouvelle organisation mondiale, avait consacré le point 8 à la question des peuples opprimés. Il faut préciser qu’à la date de ce congrès, malgré l’échec des révolutions en Allemagne et en Hongrie, on pensait que la prise du pouvoir par les partis révolutionnaires était encore à l’ordre du jour en Europe. Cependant, force est de constater que, contrairement au premier congrès de l’IC tenu en mars 1919, où les délégués étaient venus exclusivement de pays « évolués », le deuxième congrès comptait parmi les présents plusieurs délégués venus de pays colonisés ou en situation de protectorat, présence qui allait rendre inévitable l’insertion de la question coloniale dans l’ordre du jour. Faut-il rappeler la présence du représentant de l’Inde Manabendra Roy [3], qui allait jouer pour un temps un rôle décisif dans la nouvelle organisation en ce qui concerne particulièrement la question coloniale. En effet, c’est à lui que reviendra l’évocation de la situation endurée par les peuples colonisés. Le procès-verbal de la séance du 26 juillet 1920 signale que Lénine en personne présenta le rapport relatif aux pays colonisés. C’est dans la discussion de ce point qu’intervint le délégué Roy pour nuancer l’appréciation du chef de la révolution russe « sur l’ambivalence des forces nationalistes pouvant s’engager dans la lutte anti-coloniale », c’est à partir de cette date que la question coloniale fit son entrée et devint un sujet constant dans les discussions et délibérations de l’IC. Un congrès serait réservé à ce sujet moins d’un mois après la fin du IIe congrès, à Bakou le 1er septembre 1920.

I. Congrès des peuples d’Orient (septembre 1920) : nouveautés et limites

C’est Zinoviev qui fut dépêché par l’Internationale communiste pour veiller au bon déroulement de cette action en direction des peuples opprimés qui eut lieu non à Moscou, mais à Bakou, capitale d’une ancienne colonie tsariste, manière de signaler que depuis la révolution d’Octobre, les rapports avaient bien changé entre la métropole russe et les anciennes colonies de l’Asie centrale. À cet effet, un nombre important de délégués furent invités et leur nombre atteint 1 890 personnes, donnant à la rencontre la forme d’un meeting de mobilisation des représentants des peuples opprimés. Le congrès fut consacré à la signification du point 8 des 21 conditions d’adhésion à l’Internationale communiste, exigeant que « les partis communistes dont les gouvernements occupent des pays ou oppriment des peuples doivent dénoncer, par des actions concrètes et non par des paroles, la lutte de ces peuples pour se libérer de la domination étrangère ».

Le congrès de Bakou eut surtout une portée symbolique. En effet, la majorité des délégués étaient venus des anciennes colonies tsaristes, mais il eut des prolongements concrets dans plusieurs pays colonisés, puisqu’à partir de cette date, des partis communistes furent créés en Palestine et en Égypte, et que des sections dépendant des partis communistes européens virent le jour dans les colonies françaises et anglaises, avec un engagement de plus en plus marqué dans la lutte anti-coloniale. Cependant, un certain esprit européocentriste persistait parmi les militants de quelques-unes des nouvelles organisations, comme ce fut le cas pour la Section communiste de Sidi Bel Abbès en Algérie [4].

Au cours du IVe congrès de l’IC, à Moscou en 1922, une forte critique fut adressée à la Section communiste de Sidi Bel Abbès en Algérie, une critique qui visait en fait le travail du parti communiste de France dans les colonies françaises. Quoi qu’il en soit, la discussion fit prendre conscience des lacunes et des faiblesses du travail de soutien apporté aux peuples opprimés dans les colonies. Pour parer aux défaillances constatées, le congrès décida de confier la tâche de superviser le travail communiste dans les colonies à chaque parti communiste dont le gouvernement avait des possessions coloniales. C’est ainsi qu’une commission coloniale fut mise sur pieds au sein du parti communiste français. À partir de cette date, plusieurs actions furent menées par les communistes français contre les guerres coloniales et les interventions militaires des puissances européennes, comme ce fut le cas en Syrie ou dans le Rif (Nord du Maroc). Afin de rendre plus efficace et efficiente l’action communiste dans les colonies, l’IC, instance mondiale du communisme, confia au Secours rouge international, organisation de masse qui dépendait de l’Internationale communiste, la tâche de tenir une conférence mondiale contre l’oppression coloniale qui se tint à Bruxelles au mois de février 1927.

II. Le congrès de Bruxelles 1927 : naissance d’un front mondial contre l’impérialisme et l’oppression coloniale

C’était la première fois qu’un congrès international d’une telle envergure, consacré exclusivement à la lutte contre l’oppression coloniale, se tenait dans un pays d’Europe occidentale : la Belgique, qui détenait à l’époque un vaste empire colonial en Afrique. Il semble que le gouvernement belge ait autorisé la tenue de ce congrès sur son territoire « à la condition que la conférence ne formule aucune critique à l’encontre de la politique belge au Congo » [5]. Ayant obtenu cette garantie, Émile Vandervelde [6], dirigeant socialiste et à l’époque ministre des Affaires étrangères, lui-même favorable à la tenue du congrès, donna son accord pour que les assises du congrès se tiennent dans la prestigieuse salle d’Egmond à Bruxelles. Le Drapeau rouge, quotidien du Parti communiste de Belgique, se fit l’écho, d’une manière insidieuse, de ces tractations. Dans un article paru au lendemain de la séance inaugurale, l’auteur interprétait la mise à disposition des vastes locaux du Palais d’Egmont par les autorités communales de Bruxelles comme une manière de rappeler que la Belgique avait, elle aussi, souffert des déplorables répercussions de la colonisation, puisque le palais où se déroulaient les assises du congrès portait le nom d’« un symbole de la résistance à l’oppression espagnole » [7]. Le journal communiste rappelle qu’en juin 1568, le comte d’Egmont [8] résistant à l’occupation étrangère, avait vu son sang couler, ainsi que celui du comte de Hornes [9], suite à une sentence inique du duc d’Albe » [10]. De son côté, le Dr. Marteaux [11], socialiste belge, après avoir présidé la séance inaugurale du congrès, le 10 février 1927, revint à la charge, deux jours après, pour évoquer les pressions subies lors de la préparation de cette rencontre. En effet, au cours de la séance du 12 février, il réitèra sa détermination à vouloir « jeter les bases d’un ordre qui mettra fin à l’exploitation des peuples opprimés », cependant, il regretta l’interdiction officielle d’une manifestation populaire en dehors de la salle du congrès. Il alla jusqu’à confirmer que c’était la condition posée par le gouvernement pour permettre la tenue, à Bruxelles, de cette rencontre internationale [12].

Malgré les pressions et les chantages auxquels avait eu recours le gouvernement belge pour limiter la portée que pouvait avoir cette rencontre, le congrès avait bel et bien réuni 175 délégués, représentant des organisations politiques, syndicales, religieuses venus aussi bien des pays colonisés que des pays colonisateurs. Parmi eux il y avait 105 délégués originaires des pays opprimés et 70 venus des pays capitalistes. Initié à la suite d’une décision, prise au cours de l’été 1926, par le bureau exécutif élargi de l’IC, la préparation des assises du congrès fut confiée au Secours rouge international [13], animé par l’Allemand Willy Münzenberg [14]. Le journal belge Le Soir nota que « c’est la première fois que s’assemblent des représentants aussi divers des pays coloniaux avec des personnalités aussi représentatives » [15]. Il était placé sous la présidence d’honneur du député britannique George Lansbury [16], de l’homme de sciences Albert Einstein (Prix Nobel de physique en 1921) [17] et de Madame Sun Yat Sen [18] dont le mari, mort en 1925, avait été le président du parti nationaliste Guomindang et l’allié des communistes chinois à partir de 1923 pour combattre les interventions étrangères en Chine et notamment le danger japonais. Le congrès de Bruxelles réussit à attirer des militants de gauche de plusieurs pays : des socialistes indépendants, des pacifistes comme Réginald Orlando Bridegerneau (1884-1968), des dirigeants communistes de plusieurs pays européens dont les gouvernements avaient de vastes colonies comme le Français Pierre Semard [19], le vieux leader ouvrier japonais Sen Katamaya [20] qui « apporte son adhésion enthousiaste à la lutte contre l’impérialisme japonais et mondial » [21], des syndicalistes, des intellectuels et des journalistes comme Henri Barbusse [22]. Ce dernier déclara devant le congrès : « L’indépendance nationale est la première étape de l’indépendance humaine » [23]. le congrès attira des bourgeois anticolonialistes, comme Jawhar Lal Nehru [24], venu de l’Inde pour représenter le congrès national de l’Inde, Hafiz Ramadan Bey, député et bâtonnier des avocats du Caire, venu représenter le Wafd, le plus grand parti nationaliste égyptien. L’Afrique Noire était représentée par Daniel Colraine, de la Confédération du Travail sud-africaine [25], J. T. Gumede, du Congrès national de l’Afrique du Sud, La Guma Zoulou, du Parti communiste d’Afrique du Sud et par Lamine Senghor [26], président du Comité de défense de la race noire. Ce dernier se distingua par son discours devant le congrès en faisant appel au principe du droit des peuples colonisés à disposer d’eux-mêmes par un rappel : « Qu’est-ce que la colonisation ? C’est la violation du droit d’un peuple à disposer de lui-même comme il l’entend » [27]. Mohamed Hatta [28], quant à lui, venait d’Indonésie, sous domination hollandaise. L’Afrique du Nord, sous domination française, était présente à travers l’Algérien Messali Haj [29] et le Tunisien Chedly Khairallah [30], tous deux faisant partie, à l’époque, de la direction de l’Étoile nord-africaine, organisation « révolutionnaire et anticoloniale » créée en 1926 à Paris, à l’initiative du parti communiste français. Elle s’était donné pour mission de rassembler, dans un même cadre de lutte, militants nationalistes et communistes, des trois pays nord-africains : Tunisie, Algérie et Maroc. Même s’il n’y eut pas de délégués venus directement de Tunisie, Ahmed Essafi [31], dirigeant du Destour, principal parti nationaliste tunisien, adressa une lettre [32] qui fut lue devant le congrès par Chedly Khairallah.

Grâce au nombre important de délégués venus tant des pays colonisés que des pays capitalistes, le congrès de Bruxelles fut une belle occasion pour « favoriser le contact entre les différents mouvements de libération nationale et de mettre ces mouvements en liaison avec le prolétariat des pays impérialistes » [33]. De même, il donna lieu à la création d’une structure internationale garantissant solidarité et lien entre les militants anticolonialistes en vue de coordonner leur lutte pour l’indépendance nationale de leurs pays respectifs. Le 13 février 1927, au cours de la séance de clôture du congrès par Willy Münzenberg, celui-ci annonça solennellement : « Notre congrès n’a pas besoin d’un guide. Tous les partis et organisations présents, par la voix de leurs délégations et leurs représentants ont décidé de fonder la Ligue mondiale contre l’impérialisme et l’oppression coloniale ».

III. Portée de l’action de la Ligue de la lutte contre l’impérialisme et l’oppression coloniale (1927-1940)

La nouvelle Ligue internationale contre l’impérialisme et l’oppression coloniale eut Berlin pour siège de 1927 jusqu’à 1933, avant d’élire domicile à Paris jusqu’à la disparition, en 1940, de son principal animateur Willy Münzenberg.

Durant sa période berlinoise, la ligue mena une activité intense contre le colonialisme sur les cinq continents. Comme pour toutes les structures créées, à l’époque, par l’Internationale communiste, des sections nationales virent le jour dans plusieurs pays. Au lendemain du congrès de Bruxelles, des actions importantes furent menées dans les pays européens, prenant la forme de meetings de solidarité avec les peuples coloniaux. À Paris, un meeting rassembla 600 personnes le 26 avril 1927, afin de les informer des principales décisions du congrès de Bruxelles qui venait de se tenir. Parmi les principaux orateurs qui prirent la parole : Félicien Challaye, Paul Vaillant Couturier ainsi que des représentants des pays colonisés : le tunisien Chedly Khairallah et le sénégalais Lamine Senghor. Au cours de ce meeting, on annonça la formation de la Section française de la Ligue contre l’oppression coloniale [34]. Un document précieux, datant du mois décembre 1927, fait le point sur les activités de la Ligue durant la première année de son existence [35]. Dans le rapport présenté au conseil général de la Ligue nous apprenons qu’elle avait réussi à constituer 36 sections nationales couvrant les cinq continents. Outre les noms des sections, le rapport nous donne la liste des responsables de chaque bureau national. Nous remarquons que le nombre des responsables varie selon les pays et que, paradoxalement, le nombre est plus réduit parmi certains des pays colonisés [36], en revanche dans les métropoles européennes [37] ce nombre parait important et traduit une volonté de plus en plus forte, chez des militants de gauche ou démocrates aux côtés des communistes, de contribuer à la lutte contre l’oppression coloniale. La raison est à rechercher dans les conditions spécifiques des colonies, dont les élites politiques et syndicales subissaient un dur contrôle policier ainsi que des mesures répressives ; sans négliger que cette faiblesse pourrait exprimer des différences de degré dans la prise de conscience du phénomène colonial ? Ainsi nous observons que la majeure partie des pays de l’Amérique Latine semblent très peu intéressés par cette question de la lutte contre l’impérialisme [38].

Malgré les actions menées en faveur des peuples colonisés, la Ligue entra dans une période de difficultés à la suite de la rupture de la coopération entre le Parti communiste chinois et le parti nationaliste du Guomindang, intervenue à la suite du massacre des ouvriers de la ville de Shanghai (avril 1927). Désormais, les rapports entre communistes et nationalistes furent partout en Chine marqués par la méfiance. Nous trouvons un écho de ces événements dans le rapport cité ci-dessus de la réunion du conseil général de la Ligue tenue à Bruxelles au mois de décembre 1927. En effet, le rapport parle d’une résolution votée par le conseil sur « le règne de la terreur en Chine » [39]. Si le conseil général de décembre condamna les massacres de Shanghai sans pourtant prendre de décision quant aux rapports futurs entre la Ligue anti-impérialiste et le parti nationaliste chinois accusé d’avoir fomenté les massacres, néanmoins, les relations entre les deux partis rentrèrent dans une phase de suspicions réciproques. Les tensions et les méfiances entre communistes et nationalistes débouchèrent sur l’adoption par le 6e congrès de l’IC tenu au cours de l’été 1928 de la politique dite de « classe contre classe ». Selon les nouvelles thèses adoptées par ce congrès, tous les partis nationalistes seraient désormais qualifié de partis « traîtres » pratiquant une politique de « compromission » avec l’impérialisme. Une telle analyse ne manqua pas d’avoir ses prolongements dans les mouvements de masses liés ou inféodées à l’IC. En effet, la ligne politique de la Ligue subit des réajustements, validés par le congrès de Frankfurt tenu du 20 au 30 juillet 1929. C’est ainsi que Nehru fut exclu de la Ligue en 1931 en raison du pacte qu’il avait conclu avec le gouvernement britannique [40]. En 1931, la session du bureau exécutif de Ligue tenue à Berlin du 30 mai au 2 juin fit le reste du travail d’épuration des nationalistes « traîtres ». L’heure n’était plus à l’alliance entre les communistes et les nationalistes, mais à la formation de « partis nationaux révolutionnaires » qui devraient  naître de la « fusion entre les partis communistes et les éléments nationalistes non compromis avec l’impérialisme ». Le mot d’ordre auquel étaient conviés les communistes dans les pays colonisés consistait à transformer leurs partis communistes locaux en partis « nationaux révolutionnaires ».

Aux difficultés rencontrées par la Ligue dans ses rapports avec les nationalistes vinrent s’ajouter les répercussions de la prise du pouvoir par les nazis en 1933, ce qui rendit impossible son action à partir du sol allemand. Willy Muzenburg fut obligé de se refugier en France et d’y mener son travail à partir de Paris, l’heure n’étant plus à la lutte anti-impérialiste, mais à l’antifascisme. Au cours des années 1930, le mouvement anti-impérialiste allait lui aussi subir les contrecoups de la nécessité de la lutte contre le fascisme et la guerre. Le congrès tenu en août 1932 à Amsterdam pour protester contre les dangers de la guerre et du fascisme représente l’initiative la plus visible sur ce plan. Comme pour l’ensemble des mouvements liés à l’Internationale communiste, la lutte contre le fascisme et la guerre y prit le pas sur la lutte anti-coloniale. Willy Münzenberg, fut en désaccord avec le Komintern à partir de 1936. Il s’opposa aux procès de Moscou, en 1939, il rompit avec l’Internationale communiste et le Parti communiste allemand (DKP) et mourut en 1940 dans des conditions encore non élucidées.

IV. Conclusion

Quoi qu’il en soit, même s’il marqua un temps d’arrêt, lié aux aléas de la lutte contre le fascisme et à la tourmente de la Seconde Guerre mondiale, l’intérêt des partis communistes européens pour les pays colonisés se poursuivit au cours des années 1950, apportant sa contribution aux débuts des indépendances des pays jadis sous domination coloniale. Une nouvelle ère de solidarité se mit en place entre les peuples anciennement colonisés. Les chefs des nouveaux pays se réunirent dans un congrès historique à Bandoeng en avril 1955 pour marquer cette nouvelle aspiration pour un monde plus égalitaire et plus juste. Il ne fait pas de doute que les congrès de Bakou et Bruxelles ont été des terrains d’expérimentation pour l’aboutissement des luttes autour des idéaux de justice, de solidarité et de liberté.

AUTEUR
Habib Kazdaghli
Université de Manouba, Tunis

ANNEXES

NOTES
[1] Association internationale des travailleurs (1864-1873) et Seconde Internationale (1889-1914).
[2] Habib Kazdaghli, « La révolution d’Octobre a été décisive pour les luttes anticoloniales », Humanité Dimanche, du 2 au 8 novembre 2017.
[3] Manabendra Nath Roy (21 mars 1887-25 janvier 1954), dit M. N. Roy, homme politique et philosophe indien. Au cours des années 1920, il fut un important cadre du mouvement communiste international, jusqu’à sa rupture avec le marxisme en 1936.
[4] Malgré leur adhésion à l’Internationale communiste et leur acceptation des conditions d’adhésion, les militants de la section de Sidi Bel Abbès se montrèrent très réticents et refusèrent  la huitième condition qui accordait le droit des peuples colonisés  à l’indépendance. Ils signèrent une motion de refus de ce point,  motion devenue très célèbre puisqu’elle fut au centre des débats au IVe congrès de l’Internationale communiste au mois de décembre 1922.
[5] Entretien avec Luck Vervaet, réalisé par Mohamed Benzaouia et Axel Claes (20 novembre 2018), « Bruxelles 1927  : une conférence anticoloniale ».
[6] Émile Vandervelde (25 janvier 1866-27 décembre 1938), homme politique socialiste belge. Vandervelde était une figure de proue du Parti ouvrier belge (POB-BWP) et du socialisme international. De 1925 à 1927, il fut ministre des Affaires étrangères.
[7] Drapeau Rouge, n° 42 du 11 février 1927, publia un article faisant le compte rendu de la première journée du congrès sous le titre « Le congrès contre l’oppression coloniale ».
[8] Lamoral, comte d’Egmont, prince de Gavre, né le 18 novembre 1522 à Lahamaide en Hainaut, décapité le 5 juin 1568 à Bruxelles, est un général et un homme d’État des anciens Pays-Bas. Il est, sous le règne de Philippe II d’Espagne, gouverneur de la Flandre et de l’Artois et membre du conseil d’État des Pays-Bas. Son exécution publique sur la grande place de Bruxelles est l’une des dates clés du déclenchement de la guerre de Quatre-Vingts Ans (guerre de soulèvement contre le roi d’Espagne).
[9] Le 5 juin 1568, sur la Grand-Place de Bruxelles,  Philippe de Montmorency, comte de Hornes,  tout comme  Lamoral, comte d’Egmont, a la tête tranchée, sous l’ordre de Philippe II, roi d’Espagne.
[10] Duc d’Albe,  gouverneur espagnol des Flandres, il mena une politique tyrannique de 1567 à 1573, c’est lui qui ordonna la décapitation des comtes d’Egmont et de Hornes à Bruxelles le 5 juin 1568.
[11] Albert Marteaux (1886-1949), médecin antimilitariste, en 1927 au moment de la tenue du congrès, il était militant socialiste. Il avait été conseiller communal de la ville de Bruxelles en 1921. À partir de 1926, il fut député socialiste et membre du bureau permanent de la commission d’assistance publique de la capitale. Il adhère au Parti communiste de Belgique. « Albert Marteaux, Mémoires de la gauche », dans Cahiers marxistes, n° 213, octobre-novembre 1999, cité par Florence de Radiguès, Le Congo dans l’entre-deux-guerres : le congrès de Bruxelles contre l’oppression coloniale et l’impérialisme, mémoire du séminaire d’histoire contemporaine à l’ULB,  sous la direction de José Gotovitch, année universitaire 2004-2005.
[12] Drapeau Rouge, samedi 12 février 1927.
[13] Le Secours rouge international, fondé en 1922 en Russie,  est une organisation caritative internationale liée à l’époque à  l’Internationale communiste. Le SRI était organisé en sections nationales qui relayaient, de façon spécifique, l’activité de soutien et de solidarité aux emprisonnés et aux victimes de répression politique.
[14] Willy Münzenberg (né le 14 août à Erfurt – mort en 1940 à Saint-Marcellin dans le département de l’Isère). Militant communiste allemand, cadre de l’Internationale communiste, il fut le principal animateur de l’action anticoloniale du mouvement communiste. Münzenberg finit néanmoins par rompre avec le communisme en raison des grandes purges de Staline durant les années 1930 et mourut de manière non élucidée en 1940. Voir José Gotovitch et Mikhaïl Narinski (dir.), Le Komintern : l’histoire et les hommes. Dictionnaire biographique de l’Internationale communiste en France, à Moscou, en Belgique, au Luxembourg et en Suisse (1919-1943), Ivry-sur-Seine, Édition de l’Atelier, cité par Radiguès (de), op. cit.
[15] « Le congrès contre l’impérialisme », Le Soir, 12 février 1927.
[16] George Lansbury (né le 22 février 1859 près de Lowestoft, Suffolk – mort le 7 mai 1940 à Londres), leader travailliste, pacifiste. http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article75689.
[17] Albert Einstein (né le 14 mars 1879 à Ulm, dans le Wurtemberg, et mort le 18 avril 1955 à Princeton). Il reçut le prix Nobel de physique en 1921 et fut nommé en 1928 président de la Ligue des Droits de l’Homme en Allemagne.
[18] Sun Yat Sen (né en 1866 – mort le 12 mars 1925) fut un grand dirigeant nationaliste chinois, il fonda en 1912  le parti nationaliste Guomindang et scella une alliance avec les communistes chinois en 1923.
[19] Pierre Semard, né  le 15 février 1887 à Bragny-sur-Saône (Saône-et-Loire), fusillé comme otage le 7 mars 1942 à la prison d’Évreux (Eure) ; secrétaire général de la Fédération des cheminots ; secrétaire général du parti communiste français (1924-1928).
[20] Katayama Sen, né  26 décembre 1859 sous le nom de Sugataro Yabuki, est un homme politique japonais qui fut l’un des premiers membres du Parti communiste américain et l’un des fondateurs du Parti communiste japonais. Il décéda à Moscou le 5 novembre 1933.
[21] Drapeau rouge, samedi 12 février 1927.
[22] Henri Barbusse (1873-1935), journaliste, écrivain, pacifiste, il fut un personnage important de la scène littéraire et politique du premier tiers du xxe siècle. Il obtint le prix Goncourt en 1917 pour Le Feu, un témoignage sur la vie des tranchées. Il se rallia dès 1919 à la IIIe Internationale et   adhéra, en 1923,  au parti communiste français, mêlant carrière littéraire  et engagement politique. Il participa  à plusieurs campagnes de défense des causes  humanistes et anticoloniales  : défense de Sacco et Vanzetti, Comité de défense de la race nègre et en 1927, prit une part active au congrès de Bruxelles. Voir José Gotovitch et Mikhaïl Narinski (dir.), Le Komintern  : l’histoire et les hommes. Dictionnaire biographique de l’Internationale communiste en France, à Moscou, en Belgique, au Luxembourg et en Suisse (1919-1943), cité par cité par Radiguès (de), op. cit., p. 8.
[23] « Le congrès contre l’oppression coloniale et impérialiste », La Métropole, 12 février 1927, cité par Radiguès (de), op. cit., p. 10.
[24] Drapeau Rouge, 12 février 1927. Contient un article consacré à la couverture des activités de la seconde journée du congrès. Dans cet article, il est noté  que « Nehru apporta au nom du congrès national hindou le salut  du peuple hindou. Il expose comment l’impérialisme britannique, exploite et opprime le peuple hindou… ce dernier s’unira avec les autres peuples en lutte pour leur indépendance ».
[25] John D. Hargreaves, « The Comintern and anti-colonialism: New research opportunities », Africain Affairs, vol. 92, n° 367, avril 1993, p. 255-261.
[26] Lamine Senghor (né le 15 septembre 1889 à Joal et mort le 25 novembre 1927 à Fréjus, France). Militant politique sénégalais. Ancien tirailleur de la Grande guerre, il resta en France comme travailleur immigré, milita au parti communiste français, il fut chargé de la création du Comité de libération de la race noire.
[27] La Métropole, 11 février 1927, « Un congrès contre l’oppression coloniale et l’impérialisme », cité par Radiguès (de), op. cit.
[28] Mohammad Hatta (1902-1980),  homme politique indonésien. Il naquit en 1902, dans l’ancienne colonie des Pays-Bas, à Bukittinggi dans la région ouest de Sumatra. Le territoire se nomme alors « Indes Néerlandaises ». Suite à des études à  Rotterdam en 1921, Mohammad Hatta devint un acteur décisif de la lutte pour l’indépendance de son pays. Capturé par les Néerlandais, il séjourna  en prison de 1927 à 1928. Il joua plus tard un rôle décisif aux côtés d’Ahmed Sokarno dans  l’avènement de son pays à l’indépendance.
[29] Messali Hadj (1898-1974), né à Tlemcen  (Algérie), participa à la Grande guerre en 1918. Démobilisé, il revint à Paris en 1923. Il travailla comme ouvrier, noua des contacts avec des immigrés algériens, membres du parti communiste français ; ensemble ils créèrent en 1926 l’Étoile nord-africaine, un parti proche des mouvements prolétaires européens, dont l’objectif était de lutter pour l’indépendance totale des trois pays : Tunisie, Algérie Maroc.
[30] Chedly Khairallah (1898-1972), journaliste et nationaliste tunisien. Après des études à Lyon, de retour à Tunis il adhéra au parti du Destour en 1924. Il fonda par ailleurs le journal Le Libéral en 1925. De nouveau à Paris, il participa aux côtés de Messali Hadj à la création de L’Étoile nord-africaine en 1926. Revenu à Tunis en 1929, il créa les journaux L’Étendard tunisien et La Voix du Tunisien, organes du parti Destour.
[31] Avocat, militant nationaliste tunisien, un des principaux dirigeants du parti nationaliste Destour.
[32] Le texte de la lettre a été publié par le journal l’Humanité en date du 22 février 1927.
[33] Drapeau Rouge, 11 février 1927.
[34] D’après les archives de la commission coloniale du parti  communiste français, le bureau de la section française de la Ligue contre l’impérialisme et l’oppression coloniale  fut  composé de 9 communistes, 5 compagnons des communistes, 8 démocrates ainsi que de représentants de pays colonisés qui vivaient en France. Procès-verbal de la réunion de la commission coloniale, juin 1927, bobine 35, série 242 (selon les références de l’ancien Institut de recherches marxistes). Cote 517 1 563. Disponible sur  : https://pandor.u-bourgogne.fr.
[35] « Rapport dactylographié sur les activités du conseil général de la Ligue contre l’impérialisme et l’oppression tenu à Bruxelles, les 9, 10 et 11 décembre 1927 ». Centre des Archives du communisme en Belgique (CArCob).
[36] « Rapport dactylographié… », op. cit. Le bureau est composé de 4 membres en Égypte, 3 dans les Indes anglaises, 4 en Afrique du Sud 4, 3 en Syrie, etc.
[37] « Rapport dactylographié… », op. cit. Le bureau est composé de 12 membres en Allemagne, 7 en Belgique, 11 en France, 10 en Angleterre et 6 en Hollande.
[38] « Rapport dactylographié… », op. cit. En Uruguay 1, Brésil 1, Cuba 2, Porto Rico 1, Panama 1, Nicaragua 1.
[39] « Rapport dactylographié… », op. cit.
[40] Michel Dreyfus, « La Ligue contre l’Impérialisme et l’oppression coloniale », Communisme, n° 2, 1982.

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Habib Kazdaghli, « De Bakou à Bruxelles. L’Internationale communiste face au monde colonial (1920-1940) », dans L’Internationale communiste 1919-1943. Approches transnationales, Serge Wolikow [dir.], Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 17 décembre 2020, n° 13, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteur : Habib Kazdaghli.
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944

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