Introduction
La pratique de l’histoire de l’art relève en partie
du statut complexe de l’image : d’une part, celle de l’œuvre elle-même que
perturbe ou modifie à des degrés divers l’analyse critique, et qui reste
largement tributaire des conditions de son apparition ou de son mode de
présentation ; d’autre part, celle de l’artiste, plus ou moins
volontairement déterminée par lui, son entourage, ses contemporains, ou, au
contraire, négligée et déléguée à d’autres, devenus des héritiers, des
disciples, voire dans certains cas des gardiens du temple. Ces configurations
d’images établissent un dialogue, plus ou moins inégal, avec la société, grâce
auquel des informations sont transmises, démenties, complétées, révisées,
transformées.
S’agit-il seulement d’apparences ? Que signifie
historiquement le terme d’artiste du point de vue de l’apparence ? A quoi
répond le besoin de se définir soi-même ? Peut-on y parvenir par le
truchement de l’œuvre seule, c’est-à-dire sans image, sans la médiation de la
représentation, sans la possibilité même d’un nom, d’une une identité ou d’un
concept ? C’est à quelques-unes de ces questions, dans la perspective
d’une histoire culturelle et sociale de l’art, qu’a voulu répondre le colloque
organisé à l’Institut national d’histoire de l’art, les 17 et 18 juin 2010, par
Eric Darragon (HiCSa, Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne) et Bertrand Tillier
(Centre Georges Chevrier, Université de Bourgogne), dont les actes sont ici
publiés.
L’image de l’artiste tient une place particulière
pour la période contemporaine, pour l’histoire de la modernité et des
avant-gardes, mais aussi pour une histoire plus normative, dont les
caractéristiques multiples doivent être prises en compte pour appréhender la
dimension même d’une image engagée dans le débat esthétique. L’artiste paraît
dans des œuvres et des textes, dans des autoportraits, des documents, des
monuments, jusque dans les hagiographies ou les fictions qu’il a pu inspirer,
dans des fonctions et des rôles historiques aussi. L’artiste est une
personnalité ; il peut devenir un personnage, un modèle, un héros, une
légende ou au contraire un banni, un réprouvé, un oublié. Ses poses intéressent
l’étude des mythologies, des imaginaires et des comportements sociaux. Ses modes
de vie et ses apparences physiques sont significatifs de
représentations multiformes : le comportement du dandy, le négligé du
rapin, l’allure bourgeoise ou intempestive, conventionnelle ou hors norme sont
autant de constructions, de même que le travestissement et l’art de vivre
constituent des indices qui, au-delà d’une dimension documentaire, peuvent
avoir une portée symbolique et relever parfois de l’emblématique.
L’image de l’artiste procède aussi d’une volonté de
représentation et d’analyse de soi, recourant à des pratiques ou des
formulations diverses (portrait, propos d’artiste, autobiographie, scènes de la
vie privée, sociabilité, atelier, villégiature) qui s’apparentent à des
déclarations. L’artiste inscrit parfois son image dans une stratégie de
carrière ou une quête de reconnaissance qui lui sert à promouvoir ses idées,
affirmer ses principes, déclarer ses sentiments et ses humeurs, établir sa
place dans le marché. À coups d’apparitions, de déclarations ou de provocations,
cette figure tend alors vers le manifeste. À l’inverse, par les voies de
la convention (qui peuvent prendre l’apparence de la modernité), par les
marques du sérieux, de la modestie et de la pondération, elle vise à s’inscrire
éventuellement dans une tradition jugée menacée ou revendiquée. L’image de
l’artiste implique une cohérence plus ou moins délibérée, une maîtrise de la
parole et de sa transmission, sollicitant le public, l’amateur, le critique ou
le biographe, une communauté plus ou moins dispersée selon les époques avec
laquelle le dialogue passe par des voies que chacun croit inventer pour une
part.
Les images de l’artiste sont donc des lieux
d’invention et d’écriture, entre histoire et fiction, légende et hommage, qui
façonnent la réception et la postérité d’une personnalité. Dans quelle mesure
échappe-t-elle à tout contrôle ? Selon les moments et les lieux, aux XIXe et XXe siècles, depuis les romantiques jusqu’aux stars du marché, on
interrogera des œuvres et des documents – tableaux, monuments,
portraits, films, photographies, récits, etc. – par lesquels
s’établit, se diffuse, se transforme la figure de l’artiste dans sa relation
avec l’histoire et l’histoire de l’art.
Éric Darragon (HiCSA, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne)
et Bertrand Tillier (Centre Georges Chevrier, Université de Bourgogne)
Pour citer cet article :
Eric Darragon et Bertrand Tillier « Introduction » in Image de l'artiste, sous la direction d'Éric Darragon et Bertrand Tillier, Territoires contemporains, nouvelle série - 4 - mis en ligne le 3 avril 2012.
URL : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/image_artiste/Introduction.html
Auteur : Eric Darragon et Bertrand Tillier
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