Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Territoires contemporains


Historiens et romanciers
Historiens et romanciers. Introduction
Dominique Le Page
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RÉSUMÉ
MOTS-CLÉS
Mots-clés : histoire ; littérature ; écriture de l’histoire ; roman historique
Index géographique :
Index historique :
SOMMAIRE

TEXTE

Les publications récentes d’Ivan Jablonka ont suscité un grand émoi dans la communauté historienne. En faisant paraître successivement, Histoire des grands parents que je n’ai pas eus. Une enquête (Le Seuil, 2012), L’histoire est une littérature contemporaine. manifeste pour les sciences sociales (Le Seuil, 2014) et Laëtitia ou la fin des hommes (Le Seuil 2016), il a provoqué une petite tempête : ainsi la Revue d’Histoire moderne et contemporaine lui a-t-elle consacré pas moins de deux articles – l’un d’Élie Haddad et de Vincent Meyzie qui a procédé à une critique en règle du deuxième livre [1] et un autre de Léonore Le Caisne qui s’en est pris à l’ouvrage Laëtitia ou la fin des hommes [2] et un numéro spécial avec un dossier consacré au thème de l’écriture de l’histoire [3].

La vigueur de cette réaction rappelle celle qui avait suivi la parution coup sur coup des Bienveillantes de Jonathan Littell (Gallimard, 2006), de Jan Karski de Yannick Haenel (Gallimard, 2009), HHhH de Laurent Binet (Grasset, 2010). Les Annales Histoire, Sciences sociales avaient consacré un numéro spécial en 2010 aux « Savoirs de la littérature » [4] et la revue Le Débat avait fait de même en 2011 [5]. On retrouvait dans cette dernière revue notamment des articles de Pierre Nora qui s’interrogeait sur les frontières entre histoire et roman, de Mona Ozouf qui comparait le récit des romanciers et celui des historiens et d’Alain Corbin qui analysait les relations entre les historiens et la fiction (les usages, la tentation, et la nécessité)... Ce dernier reconnaissait que la passion de nombre d’historiens pour l’histoire était née bien souvent de la lecture des œuvres d’Alexandre Dumas, de Walter Scott ou de Victor Hugo, qu’ils avaient utilisé les romans comme sources pour leurs études, parfois sans précaution, jusqu’à ce que, dans les années 1970, les spécialistes de l’analyse littéraire ne viennent inciter à la prudence. Il admettait que l’historien pouvait avoir la tentation de recourir à la forme romanesque dans deux cas, lorsqu’il se trouvait confronté à l’absence de sources, par exemple, pour restituer les émotions, les sentiments, les représentations d’un individu ou d’un groupe qui n’ont laissé aucun témoignage ou à l’inverse quand il voulait donner à comprendre un comportement paroxystique ou l’horreur.

Il n’en faisait pas moins observer qu’« emprunter la voie de la fiction, c’est soumettre l’écriture à un projet esthétique qui ne correspond pas à la visée de l’historien. Le romancier ne doit pas se sentir tenu aux précautions qui sont celles de ce dernier, aux mises en garde que celui-ci se doit d’adresser à son lecteur. L’initiation à l’exotisme du passé nécessite un long travail qui déborde celui que l’on peut attendre de l’auteur du roman historique » (Le Débat, p. 60) et concluait « que tout compte fait, il est sans doute, pour l’historien, une manière de faciliter à son lecteur le grand voyage dans le passé, de se faire son mentor, de lui dévoiler les logiques de la différence, de lui expliquer ce qui constitue spontanément à ses yeux de l’étrangeté, de le mettre en garde contre l’indignation sans, pour autant, s’abandonner à la fiction » (p. 61).

Le choc provoqué par Ivan Jablonka s’explique sans doute parce qu’il remet en cause cette conclusion, qu’il n’est pas lui-même un romancier professionnel [6] et qu’il parle du cœur même du monde des historiens-sociologues dont il remet en cause les pratiques. Il prône en effet une réconciliation des sciences sociales avec la littérature, et souhaite que l’histoire réintègre non seulement sa dimension littéraire [7] mais qu’elle s’ouvre de façon assumée à la modernité littéraire [8] symbolisée par toute une série d’auteurs qu’il prend pour références – John Dos Passos, Arthur Koestler, etc. – et tous les « écrivains du réel » comme Truman Capote, Annie Ernaux ou Emmanuel Carrère. Reprenant à son compte le narrativisme de Paul Veyne, de Michel de Certeau et de Paul Ricœur, il propose d’aller plus loin. Pour lui l’historien doit retrouver tout ce qu’il a abandonné aux lettres – « l’engagement du moi, les défis de l’enquête, les incertitudes du savoir, les potentialités de la forme, l’émotion » – et renouer avec l’esprit du xixe siècle qui aurait été, selon lui, le seul moment où l’on aurait cherché à jeter des passerelles entre histoire, science et littérature [9]. Il suggère des moyens pour renouveler l’écriture des travaux historiques comme « la mise en intrigue, le recours à l’effet de suspense, à l’ironie, la multiplication des points de vue, l’instauration d’une complicité avec le lecteur, l’emploi du monologue intérieur » mais aussi pour en moderniser la forme comme le fait de raconter une histoire de manière régressive, de suivre un personnage une caméra à l’épaule en explorant les possibles qui s’ouvrent à lui, de faire l’histoire d’une incohérence... ». Il conseille aux chercheurs d’avoir le souci du lecteur avec l’idée que les sciences sociales doivent procurer du plaisir à ceux qui les lisent et à ceux qui les écrivent ; à cette fin, ces derniers ne doivent pas hésiter à embrasser un sujet qui les touche directement, à entreprendre une recherche motivée par un événement personnel, à mener une quête identitaire » [10]. Selon lui, l’auteur doit affirmer sa présence dans son texte et il en a donné l’exemple dans son livre  Laëtitia ou la fin des hommes où il se justifie en écrivant : « romancier, il y a dix ans, j’ai écrit du non-vrai ; thésard à la même époque, j’ai non écrit du vrai. Aujourd’hui, je voudrais écrire du vrai. Voilà le cadeau que Laëtitia m’a offert » [11].

Malgré l’écho qu’il a rencontré dans le grand public et dans le monde littéraire, il s’est heurté aux fortes réticences de ses pairs, au moins en France [12] et il a, pour le moment peu fait école [13], et l’on peut se demander, au-delà des critiques de fond qu’on peut lui faire, si sa méthode est applicable à d’autres périodes de l’histoire que la contemporaine et à des histoires « ordinaires » puisque il s’est intéressé, pour le moment, à des événements hors du commun comme le génocide ou le fait divers constitué par le meurtre horrible d’une adolescente dont toute la vie a été placée sous le sceau du tragique. Son mérite aura été cependant de susciter le débat. On note en effet, coïncidence ou fait révélateur d’une tendance de fond, la multiplication ces derniers temps, de rencontres scientifiques se donnant pour but de réfléchir aux liens entre histoire et littérature et, plus largement, avec tous les médias permettant de transmettre une connaissance, une vision du passé. Est-ce à mettre sur le compte de la crise de l’histoire décrite par Gérard Noiriel [14] ; d’un changement en profondeur des mentalités des nouvelles générations de chercheurs qui auraient une culture moins académique que leurs devanciers ; d’un brouillage des frontières entre les disciplines et les genres alors que beaucoup d’auteurs baptisent romans des livres qui n’en sont pas vraiment (cf. autofiction) ou s’inspirent de plus en plus d’épisodes ou de personnages historiques [15] et que des historiens élargissent leurs préoccupations à tel point que certains peuvent considérer qu’ils ne font plus de l’histoire ? Il est encore trop tôt pour le dire.

On peut citer ainsi [16] le colloque sur « la Révolution en 3D » qui a été organisé à Paris du 14 au 16 mars 2019, dont les promoteurs, parmi lesquels Pierre Serna, partent du constat que le théâtre, le cinéma, la musique, le roman, la bande dessinée s’emparent de plus en plus de l’histoire de la Révolution française, et que cela constitue un défi pour les historiens, celui de savoir si ce qu’ils écrivent n’est plus qu’un récit parmi d’autres. De cette inquiétude, ils ont souhaité faire une question pour connaître la façon dont un artiste se documente, pour se demander aussi si un historien peut revendiquer un droit à l’imagination, et si oui dans quels cas. Prenant en compte une large période de 1787 à 2440 (en s’appuyant sur l’uchronie de Louis-Sébastien Mercier), une grande place est faite au roman avec des communications sur Claude Simon, Madame de Staël et Sade, Dickens (entre Paris et Londres), sur la série Le Mouron Rouge écrite par la baronne Orczy de 1905 à 1936, sur Robert Margerit (Peut-on écrire le roman vrai de la Révolution ?), etc.

Le 15 novembre 2019 s’est tenue à l’université de Paris-Est Marne-la-Vallée une journée d’études portant sur « le matériau historique dans les productions grand public (Espagne et Amérique) ». Ses initiateurs partent également du constat que de plus en plus de productions grand public sont consacrées à l’histoire de l’Espagne et/ou de l’Amérique Latine, qu’il s’agisse de revues, de bandes dessinées, de jeux vidéo, de fresques historiques, de biopics ou, plus récemment, de séries télévisées. La multiplication de ces productions participerait d’un regain d’intérêt pour l’histoire, lié aux questions mémorielles, et procèderait d’un phénomène de « dédisciplinarisation ». Les promoteurs de cette journée constatent que si les sociologues s’emparent de ces créations comme d’un nouvel objet d’étude, les historiens se montrent encore très frileux, non seulement à cause du contentieux épistémologique qui oppose depuis longtemps histoire et fiction mais aussi parce qu’ils s'avouent parfois décontenancés face à de telles productions et tendent à se réfugier dans une analyse de leur rigueur historique. Cette attitude serait regrettable car le succès de ces productions constitue un véritable enjeu en questionnant à la fois la conception et la façon d’écrire l’histoire, mais aussi, plus largement le statut du discours des historiens et sa réception dans la société.  D’où la nécessité selon eux – et c’est l’objet de la journée d’études – de mener une réflexion sur la façon d’envisager ces productions, sur leur traitement du matériau historique, sur l’usage qu’il est possible d’en faire et plus largement de se positionner face au traitement médiatique de la discipline historique.

Dans l’organisation de ces journées, on voit que l’attitude de ceux qui en ont l’initiative hésite entre le souci de dialoguer avec tous ceux qui utilisent le matériau historique et la peur d’être débordés, de se voir concurrencés par d’autres médias dans la diffusion des connaissances sur les siècles passés, de n’être plus dans « le vent » ou de ne pas avoir d’écho en dehors des murs clos de leurs séminaires. Si leurs promoteurs cherchent ainsi à explorer de nouveaux champs, ils subissent aussi très certainement la pression du grand public et des médias. Deux exemples de critiques prises au hasard dans la presse éclairent le discours que ceux-ci tiennent le plus souvent : dans l’hebdomadaire Marianne du 23 au 29 novembre 2018, la critique de Julie Warens du dernier livre d’Arturo Pérez-Reverte, Falco, se termine ainsi : « Pérez-Reverte, le plus grand écrivain espagnol contemporain, construit un paysage plus rigoureux que tous les livres d’histoire. La guerre civile, comme si vous y étiez : seul un romancier sait le faire, tout comme Jean Échenoz, avec les 120 pages de 14, en dit bien plus sur 14-18 que toutes les thèses universitaires » ou cette autre critique parue dans le Figaro le 6 décembre 2018 sous la plume de Jean-Marc Bastière à propos d’une biographie de Jean sans Terre publiée par Frédérique Lachaud aux éditions Perrin où l’on peut lire qu’il s’agit d’une « biographie soignée d’universitaire et qui, soyons honnêtes, intéressera surtout les universitaires... ». La messe est dite et les romanciers sont perçus comme plus aptes à transmettre la connaissance des siècles passés au grand public que les historiens réputés arides et élitistes.

Un jugement que partageait, semble-t-il, Umberto Eco. Dans l’apostille au Nom de la rose, il distingue trois façons de raconter le passé, le romance représenté par le cycle breton, le « Gothic novel » et Le seigneur des anneaux de Tolkien où les auteurs donnent libre cours à leur imagination ; le roman de cape et d’épée à la Dumas qui se choisit un passé réel où il mêle des personnages ayant existé – à qui il est prêté parfois des actions imaginaires – et des personnages de fiction qui « manifestent toutefois des sentiments qui pourraient être attribués à des personnages d’autres époques » ; le roman historique à proprement parler enfin dont l’archétype serait Les Fiancés d’Alessandro Manzoni dont les personnages sont, pour la plupart d’entre eux, imaginaires mais dont les agissements servent à faire mieux comprendre l’histoire. Manifestant une préférence pour cet ouvrage, Eco conclut que les personnages qui y sont mis en scène bien qu’ils soient inventés, « en disent plus, et avec une clarté sans pareille, sur l’Italie de l’époque, que les livres d’histoire consacrés » [17]. Le romancier se montrerait dans ce cas là aussi supérieur à l’historien.

Ces jugements ont contribué à entretenir un certain complexe d’infériorité des historiens par rapport aux romanciers. Dans le numéro du Débat précédemment cité, Alain Corbin reconnaissait, avec un peu de mélancolie, qu’aucun d’entre eux ne pourrait sans doute exprimer certaines réalités comme un romancier et il citait à titre d’exemple l’évocation des bombardements par Céline dans Rigodon. Mona Ozouf dans Composition française rapporte la remarque que lui a faite l’écrivain Louis Guilloux après la lecture de l’un de ses devoirs de français où elle avait imité les Mémoires d’Outre-Tombe : « Tu vois, si on n’est pas capable d’écrire un roman [et elle note, « prémonitoire cet avis », ce qui suggère qu’elle aussi a été tentée par l’aventure littéraire], on peut devenir celui qui sait le plus de choses sur Châteaubriand. Pour moi, toute ligne imprimée avait valeur d’oracle, je n’aurais jamais imaginé pouvoir écrire, fût-ce quelques lignes dans Le petit Bleu des Côtes-du-Nord ; je n’en avais pas moins retenu que même dénué de talent romanesque on pouvait écrire » [18]. Le choix du métier d’historien peut être une manière de faire son deuil de ne pas avoir réussi à devenir romancier [19].

Tous n’ont pourtant pas fait ce deuil et force est de constater que de plus en plus d’historien(ne)s, spécialistes reconnus de différentes périodes publient – ou ont publié – des romans. Pour ne citer que quelques noms dans cette dernière catégorie, on peut mentionner Bartolomé Bennassar [20], Yves-Marie Bercé [21], Christophe Blanquie [22], Thomas Bouchet [23], Laëtitia Bourgeois [24], Sophie Cassagnes-Brouquet [25], François Cusset [26], Antoine de Baecque [27], Jean-Claude Diedler [28], Janine Garrisson [29], Ivan Jablonka [30], Marcel Lachiver [31], Bertrand Lançon [32], Jean-François et Lucie Muracciole [33], Morgan Poggioli [34], Philippe Papin [35], Jean-François Soulet [36], Jean-Frédéric Schaub [37], voire, si on se permet de l’intégrer à cet échantillon, le spécialiste de la littérature médiévale Michel Zink [38] ou Patrick Boucheron [39]. La plupart n’en ont publié qu’un seul en s’excusant presque parfois de l’avoir fait ; d’autres ont écrit un livre sous une forme romancée puis en tant qu’ouvrage d’histoire à l’instar de Benoît Garnot avec l’affaire des possédées d’Auxonne [40] ; quelques-uns ont publié plusieurs romans, notamment Janine Garrisson ou Bartolomé Bennassar, donnant ainsi l’impression que leurs publications scientifiques n’étaient qu’un moyen parmi d’autres de s’exprimer, un mode d’écriture dans une palette plus riche et variée. Certains ont renoncé à leurs travaux historiques pour se consacrer au roman comme la médiéviste Laëtitia Bourgeois voire Fred Vargas dont le succès éditorial de ses livres policiers a fait presque oublier qu’elle était historienne de formation [41]. D’autres enfin, peut-être plus nombreux encore, ont eu la tentation d’écrire un roman sans mener leur projet à bien et il est impossible d’en faire un inventaire complet ; ainsi l’ouvrage de Stefan Lemny consacré à Emmanuel Le Roy Ladurie apprend-il que parmi des centaines de lettres, de milliers de notes éparpillées sur des bouts de papier figurent aussi des bouts de romans [42].

Parmi ceux qui sont passés à l’acte, certains l’ont fait sous leur véritable nom, d’autres sous pseudonyme (et parfois ensuite sous leur véritable nom, une fois le succès venu comme Ivan Jablonka) ; la plupart ont confié leur roman à une petite maison d’édition comme s’ils voulaient atténuer la portée de la transgression qu’ils effectuaient. Ils ont opté pour des genres différents : romans « classiques » comme Bartolomé Bennassar ou Jean-Frédéric Schaub qui, dans Le Référendum, fait le récit d’une déambulation pédestre dans Paris au moment du référendum de 2005 sur la constitution européenne ; romans épistolaires comme Thomas Bouchet qui dans De colère et d’ennui donne la parole à quatre femmes dans le Paris de 1832 frappé par l’épidémie de choléra (une bourgeoise, Adélaïde, une Saint-Simonienne, Émilie, une religieuse, Lucie, une marchande des quatre saisons, Louise, arrêtée par la police lors des émeutes de juin) ou Christophe Blanquie (Deux ou deux font deux). Le plus souvent, ils ont privilégié de publier des romans historiques soit sous une forme là encore classique comme Marcel Lachiver qui, dans La fille perdue, en s’appuyant sur la connaissance érudite qu’il avait des campagnes de l’Île-de-France, reconstitue le destin tragique d’une vigneronne de la région de Meulan, Catherine Ozanne, condamnée à mort en 1773 pour infanticide, soit en privilégiant le genre du policier historique [43] voire le roman fantastique à l’instar d’Antoine de Baecque qui met en scène dans Les talons rouges une famille d’aristocrates vampires sous la Révolution française. Ils ont choisi généralement comme cadre temporel de leurs livres la période dont ils étaient les spécialistes (Marcel Lachiver, Janine Garrisson, Yves-Marie Bercé, Antoine de Baecque, Bertrand Lançon, etc.) mais sans que cela soit systématique comme Christophe Blanquie, Jean Frédéric Schaub ou Michel Zink qui a publié un Arsène Lupin au temps de l’affaire Dreyfus [44] et deux romans situés dans l’après-guerre, respectivement à Toulouse et à Lyon [45].

Quels que soient les choix opérés, ces historiens ont franchi une sorte de Rubicon. Les préventions de la communauté scientifique à l’égard des chercheurs qui écrivent des romans ne sont pas loin d’égaler celles qui sont éprouvées à l’égard de ceux qui veulent remettre en cause les techniques d’écriture de l’histoire. Quand on ne fait pas silence sur cet aspect de leur production [46], que l’on ne découvre ainsi que par hasard à la lecture d’une fiche Wikipédia ou d’une notice nécrologique [47], ou quand l’on ne s’en moque pas, on le condamne. La réaction peut être virulente : ainsi dans une récente émission littéraire à la télévision, le paléontologue Yves Coppens avouait-il avoir été frappé, presque choqué par le fait que le professeur de médecine Jean Hamburger, « un grand médecin, un grand scientifique », ait écrit un roman historique sur la vie de William Harvey et qu’il se soit permis d’inventer « beaucoup de choses, des échanges, des conversations ». L’écriture de romans par des historiens constitue en effet une rupture [48] avec une tradition qui veut depuis le xixe siècle, à la suite des tenants de l’école méthodiste mais aussi de ceux de l’école des Annales, qu’histoire et littérature relèvent de domaines séparés, que la première seule est scientifique et productrice de connaissances alors que la seconde parce qu’elle privilégie le travail sur l’écriture est dans l’incapacité de produire de la vérité et dénuée de toute aptitude historique, sociologique ou anthropologique. Pour accéder au statut de science, l’histoire s’est arrachée aux belles-lettres et pour conserver sa position face aux autres sciences sociales, elle n’entendrait pas y retomber.

Le passage au roman pour un historien peut être vu par ses pairs comme un renoncement aux règles du métier [49], une manière de céder aux impératifs du temps, de donner du crédit aux critiques portées contre la discipline historique, notamment celle d’être incapable de faire revivre le passé. Le roman de Thomas Bouchet est ainsi jugé sévèrement dans le journal littéraire En attendant Nadeau par Maïté Bouyssy qui se demande ce qui pousse un historien compétent qui a surtout réfléchi sur les luttes et les hommes au combat ou dans l’invective [50] « à se faire bonne femme ? La volonté de tout embrasser, le remords de n’avoir vu que des hommes, au combat ou dans l’invective, rend sensible aux questions du genre, et la mode invite aux dérives de l’imagination depuis que les historiens sont devenus honteux de leur pratique, irrités de ce qu’ils doivent au positivisme et complexés de ne pas appartenir au monde des créateurs, les vrais, ceux qui font rêver et se croient en prise sur le devenir commun » [51].

Du fait de ces préventions encore vivaces [52], il est permis de se demander ce qui incite des historien-ne-s à publier des romans. Le font-ils par esprit de franc-tireur, par simple fantaisie, pour échapper, ne serait-ce qu’un temps, au lourd appareil critique des livres d’histoire et aux règles que leur composition impose ; cherchent-ils à laisser libre cours à leur imagination, à raconter des histoires [53] et ce faisant à toucher un plus large public, en sortant du cadre étroit de leur corporation, voire à atteindre – éventuellement sous la pression de leurs éditeurs – les tirages impressionnants d’Umberto Eco avec le Nom de la Rose ou de Robert Merle avec Fortune de France ; veulent-ils, grâce aux connaissances accumulées, restituer l’atmosphère d’une époque, dépeindre un groupe social, un parcours individuel, provoquer des rencontres imprévisibles, combler les lacunes des sources, capter un instant du réel voire tester des hypothèses ?

Ce passage à la littérature correspond-il avec un temps de distraction en marge de leurs travaux ordinaires, avec un moment de leur carrière – au début quand les tentations sont encore nombreuses [54] ou à la fin, à l’heure de la retraite, quand une fois leurs travaux académiques achevés, leurs preuves faites, ils veulent libérer leur plume, un peu à la manière des historiens se réclamant de l’école des Annales qui se sont permis, avec prudence, d’écrire des biographies une fois leur carrière accomplie [55] ? Ou s’agit-il comme le suggère Ivan Jablonka, du moyen d’affirmation d’une nouvelle génération qui, en lien avec le monde des éditeurs, des journalistes, des écrivains, tente de se réinventer en renouvelant la réflexion sur les sciences sociales, les formes de la recherche et l’écriture du monde, à faire aussi œuvre citoyenne ? N’est-ce qu’un signe supplémentaire du retour de la biographie, du récit, de l’événement ou le révélateur d’une volonté d’explorer des domaines nouveaux – l’intime, la vie intérieure, la sexualité, le monde du quotidien, et celui des marges... – en laissant la personnalité de l’auteur davantage s’exprimer, en permettant aussi de mettre en évidence la relativité des choses humaines et l’absence de vérité définitive.

Selon la réponse qu’ils apportent à ces questions [56], on peut s’interroger sur les relations que ces chercheurs entretiennent avec la littérature et sur les parallèles qu’ils peuvent établir ou non avec l’écriture de l’histoire, sur les auteurs qui les influencent, les genres qui les inspirent (cape et d’épée, fantastique, policier, autofiction ?), sur leurs ambitions. Veulent-ils, forts de leur savoir, écrire de simples romans, historiques ou non, et rivaliser avec les romanciers professionnels ou aspirent-ils à aller plus loin, à diversifier les modes de description du réel et élargir ainsi la palette du métier d’historien ? Réservent-ils l’écriture de romans à la restitution de parcours exceptionnels – qui de ce fait semblent relever de la fiction – ou est-elle l’occasion de donner la parole au monde des sans-voix, à ceux que les archives ne permettent que rarement de saisir ?

Six historiens-romanciers ont accepté de répondre à ces questions et de témoigner de leur expérience personnelle. Il s’agit en premier lieu de Bertrand Lançon, professeur émérite d’histoire ancienne à l’université de Limoges. Spécialiste d’histoire romaine [57], il a publié à partir de 2006 Les Enquêtes de Festus, trois romans policiers historiques se déroulant au Bas-Empire [58], sa période de prédilection. Il s’agit ensuite d’Yves-Marie Bercé, membre de l’Institut, de Christophe Blanquie et de Christian Jouhaud, historiens modernistes tous trois. Connu notamment pour ses recherches sur les révoltes populaires au xviie siècle [59], le premier a fait paraître un roman que l’on pourrait qualifier de cape et d’épée, César de Barberaste. Vraies chroniques romaines en 2017. Concrétisation d’un projet conçu dès sa jeunesse, cet ouvrage a pour cadre la Rome baroque de 1655 alors que Français et Espagnols luttent pour imposer leur influence dans la péninsule italienne. Le second, après des travaux sur les offices et les officiers [60] ainsi que sur les mémorialistes français du xviie siècle [61] a publié coup sur coup trois romans aux éditions Abordables, L’exil illuminé (2017) qui met en scène Bussy-Rabutin dont il est l’un des grands spécialistes et sur lequel porte sa contribution, ainsi quePour une couchée de fougères (2018) et Deux ou deux font deux (2018). Le troisième, Christian Jouhaud, directeur d’études à l’EHESS et directeur de recherches au CNRS, animateur du Grihl (Groupe de recherches interdisciplinaires sur l’histoire du littéraire) interroge depuis son étude sur les mazarinades [62] les liens entre politique et littérature au xviie siècle [63]. Il n’a pas écrit de roman à proprement parler mais a fait paraître récemment deux livres : La Folie Dartigaud (Éditions de l’Olivier, 2015) où en usant de certains procédés romanesques (invention de personnages, intrigue policière) mais aussi poétiques, il livre une réflexion sur le métier d’historien et Une femme a passé. Méditation sur la Gradiva (Gallimard, 2019) dans lequel il s’interroge sur la façon dont Sigmund Freud a construit une partie de sa théorie en se fondant sur les personnages du roman de Wilhem Jensen, Gradiva, une fantaisie pompéienne (1903). Dans sa contribution, il explique le sens de sa démarche.

Ce dossier se clôt par deux textes d’historiens contemporanéistes : Morgan Poggioli tout d’abord, chercheur à l’université de Bourgogne, spécialiste du syndicalisme en France durant l’entre-deux-guerres, a publié un roman Je m’appelle Herschel Grynszpan (Éditions Le Murmure, 2017) où il retrace le parcours de ce jeune juif polonais réfugié en France dans les années Trente et qui a abattu le secrétaire d’ambassade nazi à Paris Ernst vom Rath en 1938. Confronté à l’absence d’archives, il explique pourquoi, malgré de nombreux doutes mais stimulé par la lecture des livres des romanciers Laurent Binet, Jonathan Littell, Romain Slocombe, il a fait le pari de faire appel à l’imagination pour reconstituer ce destin tragique. Ivan Jablonka, ensuite, qui a aimablement autorisé la reproduction de la postface qu’il a rédigée pour son roman Âme sœur à l’occasion de sa réédition en Points Seuil en 2018 et où il retrace son parcours d’écriture, entre roman et histoire. Il termine ce texte par ces phrases qui peuvent trouver un écho chez de nombreux historiens : « Je ne suis jamais devenu “écrivain”. Historien, oui : j’ai voulu l’être et je le suis. C’est pourquoi, aujourd’hui encore, j’écris. Entré en littérature avec le roman, j’ai continué sans lui. Si je lis des romans, je n’en écris plus ; j’y reviendrai peut-être. Je suis en paix avec le roman, avec les morts – et avec moi » [64].

 

Un mot de remerciement pour finir aux chercheurs qui ont accepté de participer à ce dossier, à ceux aussi - Patrick Boucheron, Antoine de Baecque, Jean-Frédéric Schaub, Michel Zink - qui ont témoigné de l’intérêt pour la problématique qui y est traitée mais qui n’ont pu y contribuer, ayant d’autres obligations. Merci aussi au LIR3S (ex Centre Georges Chevrier) et à la MSH de Dijon qui ont soutenu la journée d’études du 15 mars 2019 dont cette publication constitue les actes.

AUTEUR
Dominique Le Page
Professeur d’histoire moderne
Université de Bourgogne-Franche-Comté, LIR3S-UMR 7366

ANNEXES

NOTES
[1] Élie Haddad et Vincent Meyzie, « La littérature est-elle l’avenir de l’histoire ? Histoire, méthode, écriture », RHMC, vol. 62, n° 4, 2015, p. 132-154.
[2] Léonore Le Caine, « Laëtitia ou la fin de l’enquête. À propos de : Ivan Jablonka ou la fin des hommes », Seuil, 2016 », RHMC, 2017, vol. 64, n° 1, p. 175-185. Philippe Artières a publié lui-aussi une critique sévère de ce livre dans un numéro du journal Libération du 6 novembre 2016 sous le titre « L’histoire n’est pas une littérature contemporaine ».
[3] Sciences sociales et récit littéraire, RHMC, 2018, vol. 65, n° 2.
[4] Les Annales, Histoire, sciences sociales, 2010, vol. 65e année, n° 2.
[5] Le Débat, 2011, vol. 3, n° 165.
[6] Bien qu’il en ait écrit un.
[7] Selon lui « l’histoire est d’autant plus scientifique qu’elle est littéraire », L’histoire..., op.cit., p. 307.
[8] Il considère que les Annales auraient raté le rendez-vous avec la modernité romanesque de l’entre-deux-guerres bien que le premier numéro de la revue soit contemporain du Procès de Kafka (1925), du Bruit et de la fureur de Faulkner (1929), de L’homme sans qualités de Musil (1930-1932), du Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline (1932).
[9] Dans l’Histoire des grands-parents, il affirme sa volonté d’inscrire les sciences sociales dans une forme qui tient à la fois de l’enquête, du témoignage, de l’autobiographie, du récit, de concilier « l’histoire en tant qu’elle met en œuvre un raisonnement et la littérature en tant qu’elle fait vivre un texte ».
[10] « Chercheur n’aie pas peur de ta blessure. Écris le livre de ta vie, celui qui t’aidera à comprendre qui tu es. Le reste suivra : rigueur, honnêteté, excitation, rythme », L’histoire..., op.cit., p. 282.
[11] Laëtitia..., p. 348.
[12] Dans le monde anglo-saxon, l’accueil semble avoir été plus favorable, Cf. French Politics, Culture & Society, vol. 36, n° 3. Writing History and the Social Sciences with Ivan Jablonka. Il en a été de même chez les spécialistes de la littérature, cf. la revue d’Anna Saignes parue dans la revue électronique Recherches et Travaux de l’université de Grenoble, 2015, n° 87, p. 152-153.
[13] Grégoire Kauffmann reprend toutefois la même méthode que lui dans son livre Hôtel de Bretagne, Paris, Flammarion, 2019 où il mène une enquête pour dégager la responsabilité de son grand-père Pierre Brunerie, chef de la Résistance, lors des débordements de l’épuration dans la région de Quimperlé en Bretagne en 1945.
[14] Gérard Noiriel, Sur la « crise » de l’histoire, Paris, Belin, 1996.
[15] Parmi les romans récents, on peut citer, dans des genres différents, La conquête des îles de la Terre Ferme d’Alexis Jenni (Gallimard, 2017) sur la prise de contrôle de l’empire aztèque par Hernan Cortès ; La disparition de Joseph Mengele d’Olivier Guez (Grasset, 2017) qui cherche à reconstituer la vie de l’ancien médecin tortionnaire d’Auschwitz en Amérique latine après la Seconde Guerre mondiale ; le roman policier d’Hervé Le Corre Dans l’ombre du brasier (Rivages, 2019) qui prend pour cadre la Commune de Paris ; voire l’uchronie de Laurent Binet Civilizations (Grasset, 2019) où il imagine l’Europe envahie par les Incas au xvie siècle. Il faut citer aussi l’expérience originale menée en 2014 par Luciana Castellina et Milenas Agus dans un livre paru aux éditions Nottetempo intitulé Prends garde et qui consistait en deux versions du récit du massacre des sœurs Luisa et Carolina Porro le 7 mars 1946 à Andria dans les Pouilles, la première de façon historique, la seconde de façon romancée (traduction française en 2015 aux éditions Liana Levi). Il faut remarquer au passage que si les historiens cherchent à alléger l’appareil critique dans leurs ouvrages, les romanciers ont recours, à l’inverse, aux notes de bas de page et indiquent de plus en plus souvent leur bibliographie.
[16] Parmi ces initiatives, on peut citer aussi le colloque international qui s’est tenu à Bordeaux les 24 et 25 mai 2018, organisé par le Centre de recherche sur l’Europe classique (CEREC) et qui a voulu interroger les modes d’appropriation de l’histoire et des cultures des xviie et xviiie siècles par les fictions de ce début du xxie siècle.
[17] Umberto Eco, Apostille au Nom de la Rose, LGF, 2010 (Le Livre de poche. Biblio essais, no 4068), p. 752-753.
[18] Mona Ozouf, Composition française, Gallimard, 2009, p. 165.
[19] Michelle Perrot a fait le même aveu dans une émission télévisée en 2020.
[20] Le baptême du mort, Julliard, 1962 ; Une fille en janvier, Julliard, 1968 ; Les tribulations de Mustafa des Six-fours, 1995.
[21] César de Barberaste, Vraies chroniques romaines, éd. SPM, 2017.
[22] L’exil illuminé, Éditions Abordables, 2018 ; Pour une couchée de fougères, Éditions Abordables, 2018 ; Deux ou deux font deux, Éditions Abordables, 2018.
[23] De colère et d’ennui, Paris, chronique de 1832, Éditions Anamosa, 2018.
[24] Elle a publié aux éditions Privat à partir de 2005 des romans policiers historiques (série Barthélemy et Ysabellis) qui ont été repris chez 10/18 dans la collection Grands Détectives.
[25] On lui doit notamment L’anonyme d’Avignon (1992), Les feux barbares (1995), L’alchimiste errant (2007).
[26] À l’abri du déclin du monde, POL, 2012 ; Les jours et les jours, POL, 2015.
[27] Les talons rouges, Stock, 2018.
[28] Les cendres du bûcher, Éditions Serpenoise, 1998.
[29] Janine Garrisson, Le comte et le Manant, Payot, 1990 ; Ravaillac, le fou de Dieu, Payot, 1993 ; Meurtres à la cour de François 1er, Calmann Lévy, 1995 ; Meurtres à la cour de Henri IV, Calmann-Lévy, 2001 ; Par l’inconstance des mauvais anges, Stock, 2002.
[30] Âme sœur, paru en 2005 sous le pseudonyme de Jean Amery et réédité en 2018 au Seuil sous le nom de l’auteur avec une préface.
[31] Une fille perdue, Fayard, 1999.
[32] Les enquêtes de Festus (à partir de 2006).
[33] Le dernier compagnon, Odile Jacob, 2018.
[34] Je m’appelle Herschel Grynszpan, Éditions le Murmure, 2017.
[35] Spécialiste du Vietnam, il a publié deux romans sous le nom de Pierre d’Étanges : Une belle immobile, Paris, Les Indes savantes, 2010 ; Confessions cannibales, Paris, Flammarion, 2013.
[36] Soleil d’hiver, Pyrégraph, 2005 ; Les tourments de l’abbé Combes, Éditions Cairn, 2011 ; Le Fouga magister piloté par votre fils s’est abîmé en mer ce matin , Éditions Cairn, 2015.
[37] Le référendum, Le Seuil, 2007.
[38] Arsène Lupin et le mystère d’Arsonval, Éditions de Fallois, 2004 (Livre de poche, 2006) ; Un portefeuille toulousain, 2007 (Livre de poche, 2009) ; Bérets noirs, bérets rouges, Éditions de Fallois, 2018. Deux autres membres du Collège de France ont publié des romans historiques. Il s’agit des archéologues Jean Guilaine et Christian Goudineau. Le premier est l’auteur de Pourquoi j’ai construit une maison carrée, Actes Sud, 2006 et L’Ermite du paradis, Totem, Poullaouen, 2016 ; le second a publié Le Procès de Valérius Asiaticus, Actes Sud, 2011.
[39] Patrick Boucheron, Léonard et Machiavel, Verdier 2008. Invité à cette journée d’études, Patrick Boucheron a aimablement répondu qu’il ne croyait pas que Léonard et Machiavel pût être considéré comme un roman, et a ajouté qu’il n’avait pas lui-même grand chose à dire sur le genre romanesque.
[40] Benoît Garnot, Le diable au couvent. Les possédées d’Auxonne (1558-1663), Paris, Imago, 1995 et Une affaire de possession au xviie siècle. Les religieuses d’Auxonne, Paris, Imago, 2018. Le grand romancier américain Shelby Foote (1916-2005) avait de fait de même en publiant en 1952 un roman sur la guerre de Sécession – Shiloh  – avant de devenir ensuite un historien de cette période, Shelby Foote, Shiloh, Paris, Rivages, 2019 [1952].
[41] Parmi ses ouvrages historiques les plus récents : Les Chemins de la peste, le rat, la puce et l’homme, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003 (réédition en 2007).
[42] Stefan Lemny, Emmanuel Le Roy Ladurie : une vie face à l’Histoire, Paris, Hermann, 2018. Dans un portrait que lui consacre Antoine de Baeque le 24 mai 2018 dans Le Monde des livres, Emmanuel Le Roy Ladurie reconnaît lui-même : « Ma raison d’exister, c’est écrire. Je crois que je n’ai fait que ça, finalement, une graphomanie qui se déversait en livres, études, essais, articles scientifiques, articles de journaux, mais aussi des bouts de romans, des billets, des centaines de lettres, des milliers de notes éparpillées sur des bouts de papier… ».
[43] C’est le cas de Janine Garrisson qui a publié deux romans policiers dans la collection « Les lieux du crime » aux éditions Calmann-Lévy où l’on trouve aussi des livres d’Arlette Lebigre, de Claude Mossé et de Nicolas Weill.
[44] Michel Zink, Arsène Lupin et le mystère d’Arsonval, Paris, Éditions de Fallois, 2004.
[45] Michel Zink, Bérets noirs, bérets rouges, Paris, Éditions de Fallois, 2018 ; Un portefeuille toulousain, Paris, Éditions de Fallois, 2007.
[46] Le dossier consacré récemment à Bartolomé Bennassar par les Cahiers du Framespa (hors série, 01/2020) de l’université de Toulouse en collaboration avec la Casa de Velazquez sous le titre « Le parcours d’un historien hispaniste à l’université de Toulouse : Bartolomé Bennassar (1929-2018) » (dir. Michel Bertrand et Guillaume Gaudin) ne consacre significativement aucun article à son activité de romancier.
[47] Dans celle qu’il consacre à Janine Garrisson dans le numéro du journal Le Monde du 1er février 2019, Philippe-Jean Catinchi souligne en fin de notice l’envie de l’historienne de toucher d’autres publics, ce qui l’a conduite « en grande lectrice de “Série noire” et admiratrice de Marguerite Yourcenar, à publier des romans policiers où sa verve et son énergie, sa connaissance de l’époque et son plaidoyer pour une éthique qu’elle craint menacée font mouche ».
[48] Il n’en était pas de même en Allemagne dans la seconde moitié duxixe siècle où existait un genre littéraire spécifique : « der Professorenroman », le roman de professeur d’université. S’y sont notamment illustrés l’égyptologue Georg Ebers (1837-1898), le philologue Gustav Freytag, le juriste Felix Dahn (1834-1912), Michel Zink, « Un médiéviste dans la forêt du roman », dans Le savant dans les lettres (sous la direction de Valérie Cangemi, Alain Corbellari et Ursula Bähler), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 15-24.
[49] Il peut être considéré à l’inverse comme un travail laborieux révélant l’incapacité de l’historien à devenir vraiment un romancier. Claude Michaud juge ainsi que La fille perdue de Marcel Lachiver « fait un peu travaux dirigés pour les études d’histoire ou exercice d’application de l’excellent Dictionnaire du monde rural que l’auteur a publié en 1997 chez le même éditeur », Claude Michaud, Dix-huitième siècle, 2000, n° 32, p. 617.
[50] Thomas Bouchet, Noms d’oiseaux. L’insulte en politique de la Restauration à nos jours, Paris, Stock, 2011.
[51] Maïté Bouyssy, « Jours d’ennui », En attendant Nadeau [en ligne], 27 mars 2018, disponible sur : https://www.en-attendant-nadeau.fr/2018/03/27/jours-ennui-bouchet/.
[52] Arlette Farge bien qu’elle reconnaisse qu’avec les archives, « on puisse faire des milliers de romans », affirme qu’elle ne veut pas recourir à la fiction et qu’elle veut avant tout « être une véritable historienne, la plus rigoureuse possible, cherchant du sens et du lien avec le présent ». Mais c’est sans même s’en rendre compte elle-même de prime abord qu’elle crée un personnage de fiction dans La Nuit Blanche (Le Seuil, 2002), ce qui montre qu’une très grande connaissance des archives peut amener à faire naître « naturellement » des personnages de fiction, Arlette Farge, « entretien (avec Sylvain Parent) », Tracés. Revue de Sciences humaines, 2004, n° 5, « La Rue », p. 143-148. De son livre La Révolte de Mme Montjean. L’histoire d’un couple d’artisans au siècle des Lumières Paris, Albin Michel, 2016, il est écrit dans Le Monde des livres du 8 septembre 2016 « bien sûr c’est un livre d’histoire mais ce document offre aussi un plaisir purement romanesque » (Julie Clarini).
[53] Selon Umberto Eco, « l’homme est un animal fabulateur par nature », Apostille au Nom de la Rose, op.cit., p. 719.
[54] Bartolomé Bennassar publie son premier roman Le Baptême du mort en 1962, bien avant donc sa soutenance de thèse sur Valladolid (1967). Seul le portrait du policier Marc Jauran permet de tisser un lien ténu avec son domaine de recherche de prédilection, l’Espagne. Il le dépeint « le menton en voie de dédoublement, les yeux éteints, enfouis dans le visage, la lèvre inférieure au géotropisme déjà accusé, genre Philippe IV peint par Velasquez, comme sur la carte qu’Alain [le fils du commissaire] leur avait envoyée de Madrid quelques jours auparavant », Le baptême du mort, op.cit., p. 131.
[55] Biographie et roman recourent parfois aux mêmes procédés. Ainsi Daniel Dessert commence-t-il sa biographie de Nicolas Fouquet en imaginant que celui-ci, quand il descend le cours de la Loire en 1661 pour retrouver le roi Louis XIV à Nantes, songe aux origines angevines et bretonnes de sa famille, aux carrières menées par les membres de celle-ci depuis la fin du xvie siècle, aux projets maritimes que lui-même a conçus dans le golfe du Morbihan. Ces pensées prêtées au surintendant des finances, ce retour vers le passé de ses parents et le sien – et en ce sens son passage en Anjou est montré comme un retour aux sources – créent d’emblée un effet dramatique puisque le lecteur sait que la province qui a vu les débuts de son ascension exceptionnelle sert aussi de cadre, quelques temps après, à sa chute brutale. Gloire et déclin se déploient ainsi sur une même scène, dans un même décor, suggérant, en un effet digne d’un roman, la fragilité du destin des financiers du xvie siècle que l’historien étudie ensuite de façon scientifique, Daniel Dessert, Fouquet, Fayard, 1987, p. 17.
[56] Michel Zink a indiqué les siennes dans le texte cité dans la note 46.
[57] Son dernier ouvrage est consacré à La chute de l’Empire romain, Paris, Perrin, 2017.
[58] Les trois tomes sont parus chez Alvik (Paris) : Le complot des Parthiques (2006) ; Le prix des chiens (2006) ; Le rire des Luperques (2007).
[59] Voir notamment Histoire des Croquants : étude des soulèvements populaires au xviie siècle dans le Sud-Ouest de la France, Genève/Paris, Droz, 1974 ; Croquants et Nu-pieds : les soulèvements paysans en France du xviie au xixe siècle, Paris, Gallimard, 1974.
[60] Avec notamment Les présidiaux de Richelieu. Justice et vénalité (1630-1642), Paris, Éditions Christian, 2000.
[61] On peut citer Saint-Simon ou la politique des mémoires, Paris, Garnier, 2014 ; Au cœur d’un grand siècle de l’érudition. Tamizey de Larroque, « l’érudit des érudits », 1828-1898, Saint-Quentin-de-Baron, Éditions de l’Entre-deux-Mers, 2017.
[62] La Fronde des mots, Paris, 1985 (réédition en 2009).
[63] On lui doit notamment : Les pouvoirs de la littérature. Histoire d’un paradoxe, Paris, Gallimard, 2000 ; Histoire, littérature, témoignage. Écrire les malheurs du temps (avec Dinah Ribard et Nicolas Schapira), Paris, Folio histoire, 2009 ; Richelieu et l’écriture du pouvoir. Autour de la Journée des Dupes, Paris, Gallimard, 2015.
[64] Ivan Jablonka, Âme sœur, Le Seuil, 2018, p. 152.

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Dominique Le Page, « Historiens et romanciers. Introduction », dans Historiens et romanciers, Dominique Le Page et Philippe Poirrier [dir.], Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 18 juin 2020, n° 12, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteur : Dominique Le Page.
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944

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