Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-uB |
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Territoires contemporains | |
Varia | ||||||||||||
Besançon à l’heure de la décolonisation. Le processus de décolonisation vu d’une ville moyenne de province de 1945 aux années 1960 | ||||||||||||
Bénédicte Ponçot | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Annexes | Notes | Références | Outils | |||||||||||
MOTS-CLÉS
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SOMMAIRE
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Cet écrit reprend l’exposé de la soutenance de ma thèse, « Besançon à l'heure de la décolonisation. Le processus de décolonisation vu d'une ville moyenne de province de 1945 aux années 1960 ». Cette soutenance s’est déroulée à l’université de Bourgogne le 1ᵉʳ juillet 2016. Le jury était composé de Mmes Raphaëlle Branche, université de Rouen-Normandie et Jenny Raflik (rapporteure), université de Cergy-Pontoise, et de MM. Jean-Paul Barrière (président), université de Franche-Comté, Frédéric Monier (rapporteur), université d’Avignon et des pays de Vaucluse, Xavier Vigna, université de Bourgogne et Jean Vigreux (directeur), université de Bourgogne. Ce travail a obtenu la mention « très honorable » avec les félicitations à l’unanimité du jury et autorisation de publication. I. Introduction : motivations L’objectif de cette thèse est de mesurer combien et comment la communauté bisontine a été touchée par le processus de décolonisation. Avant de présenter les sources consultées, les difficultés rencontrées, la démarche employée et enfin les conclusions auxquelles je suis parvenue, je souhaite expliquer brièvement les raisons du choix de ce sujet. Celles-ci doivent beaucoup à ma formation initiale ainsi qu’à mon activité professionnelle. Ma formation d’historienne s’est dès l’origine nourrie de l’apport d’une licence de sociologie, qui fut une première sensibilisation à une approche « vue d’en bas ». L’intérêt pour les changements d’échelle, l’imbrication entre espaces s’est approfondi lors d’un magistère de relations internationales et grâce à une meilleure compréhension de la démarche du géographe. C’est donc tout naturellement que mon premier travail de recherche, en DEA d’histoire contemporaine, a reposé sur une approche multiscalaire. L’objectif était de proposer une méthodologie afin de déterminer comment la construction européenne se vivait, prenait vie dans un espace local, à savoir la région Franche-Comté. Mes recherches sur la décolonisation me laissent à penser qu’il y a là matière à poursuivre. Pour autant, je n’ai pas choisi ce thème comme sujet de recherche pour mon doctorat et ce pour différentes raisons. D’une part, le laps de temps écoulé entre l’obtention de mon DEA et ma volonté de m’engager sur un chemin de recherche plus conséquent a été suffisamment long pour que la dynamique liée à l’intérêt européen se soit estompée. D’autre part, une certaine curiosité tournée vers les questions de colonisation et décolonisation en lien avec ma vie professionnelle s’est affirmée. Les programmes du secondaire accordent finalement une place marginale à ces thèmes. L’histoire nationale est présentée essentiellement comme une histoire métropolitaine détachée de sa dimension coloniale. Or, l’histoire familiale me laissait présumer que pour une partie au moins des Français la période de la décolonisation avait constitué un enjeu non négligeable. Dès lors, ma curiosité ne me poussait pas tant à vérifier le poids du passé dans la société actuelle dans une optique d’héritage post-colonial que le poids dans le passé, envisagé comme un présent, de ce temps de la décolonisation. II. Apport dans le champ de recherche Dans le cadre de cette histoire vue d’en bas, nous avons donc cherché à comprendre comment les habitants vivent, comprennent, interprètent la décolonisation et à mesurer l’intensité de ce vécu. Le mariage entre un temps comprenant l’ensemble du processus de décolonisation et une échelle méso permettait de proposer une voie encore peu explorée. Si les études sur la guerre d’Algérie à différentes échelles sont conséquentes, celles comprenant la période qui court de 1945 aux années 1960 sont plus rares. De plus, choisir comme terrain d’enquête une ville de province, qui semble a priori plutôt périphérique au phénomène, laissait le champ des possibles ouvert. III. Sources Cette thèse s’appuie donc naturellement sur un corpus comprenant essentiellement des sources locales. Les ADD en constituent le gisement principal. Le lieu offre en soi une grande diversité de natures de sources. Les sources officielles (RG, police, préfecture, justice) côtoient celles des groupes constitués (partis, syndicats, associations) ainsi que la presse locale (quotidiens, hebdomadaires, mais aussi presse clairement partisane). Nous les avons complétées par les dépôts des archives municipales et les archives diocésaines. Par exemple, le dépouillement de bulletins paroissiaux s’imposait dans cette ville où le catholicisme est encore puissant dans l’après-guerre. Nous avons pu enfin avoir accès à la quasi totalité des rapports du préfet aux ministres de l’Intérieur en nous rendant aux archives nationales. Ces sources écrites ont été étoffées par une série d’entretiens. Ces derniers, outre l’enrichissement personnel qu’ils ont pu nous apporter, constituent un matériau important dans notre recherche et ce à plus d’un titre. Nous nous étions fixé un double objectif. Nous avons parfois cherché à travers ces entretiens à combler des lacunes, à vérifier des hypothèses. Mais ces entretiens ont été menés de manière suffisamment libres pour laisser émerger des réflexions, des agissements auxquels nous ne nous attendions pas. Ces entretiens ont donc constitué des outils de production de données et des éléments déclencheurs d’une construction plus compréhensive de cette histoire locale. Se posait enfin la question de la confrontation de ces sources locales à d’autres. Nous avons utilisé des sources directes, telles que des articles issus de la presse nationale et nous sommes référés également aux travaux réalisés par d’autres historiens et historiennes qu’ils le soient à l’échelon national ou infra-national. Chacune de ces sources nous a apporté en soi des informations précieuses. Mais c’est leur confrontation, confrontation des natures, des émetteurs, des échelles, qui nous a évité un regard trop partiel et partial. Nous avons été cependant confrontés à certaines difficultés dues à des sources parfois lacunaires. À titre d’exemple, l’année 1959 est moins bien représentée que d’autres et certains acteurs ont laissé moins de traces, ce qui a constitué un obstacle à la construction plus systématique d’une démarche compréhensive. IV. Méthode Plus généralement, notre travail s’inscrit dans la démarche d’une histoire vue d’en bas. Cette étude d’une communauté urbaine est à la confluence de plusieurs champs historiographiques dont l’histoire politique, celle de la colonisation et décolonisation, culturelle, voire celle des relations internationales, le contexte de Guerre froide étant très prégnant. Parmi ces différents champs nous avons privilégié l’approche politique car elle est la plus pertinente pour notre sujet. Le processus de décolonisation revêt, avant tout, une expression politique : il prend vie lors de débats au moment des élections, le discours produit l’est principalement par les partis politiques, les syndicats ou des structures leur étant associés, les manifestations dans l’espace public, affichages, défilés, se font en leur nom. Cette dimension politique s’est enrichie d’un travail sur les réseaux de sociabilité et sur les motivations des acteurs. Le curseur de notre recherche s’est ainsi quelque peu déplacé. Notre démarche a toujours été double : mesurer d’une part les décalages entre national et local et d’autre part explorer le local pour lui-même. Nous pensions au départ privilégier plutôt le premier axe, mais chemin faisant le second s’est avéré très riche. Ainsi, cette reconstitution pour modeste qu’elle soit en terme géographique ne s’en est pas moins voulue globale à cette échelle. Nous restons consciente que l’entreprise reste en partie incomplète. Pour autant, différents enseignements peuvent être tirés de cette étude. V. Résultats Conformément à notre double démarche, deux grands axes de réponses s’affirment. Premièrement, notre travail nous permet de démontrer par l’exemple bisontin que le processus de décolonisation a bien concerné la société française, y compris dans un espace qui pouvait apparaître périphérique. Il s’agit moins d’une reproduction d’un vécu national sous direction parisienne que d’un partage d’expériences communes au territoire métropolitain. Cette similitude des vécus métropolitains prend différents aspects. Tout d’abord, les représentations véhiculées par les élites (au sens politique) bisontines sont proches de celles des élites nationales. Celles-ci défendent l’existence de l’empire tout en prônant des réformes dont le contenu reste vague. Que cet espace porte le nom d’Union française ou de Communauté française, il ne se définit pas moins comme une entité dont la direction revient naturellement à la France. C’est bien le maintien d’un empire, compris comme un espace qui regroupe différents pays soumis à une même autorité, qu’envisagent ces élites politiques. Cette domination de la métropole est légitime à leurs yeux, fondée qu’elle est sur leur croyance en la mission civilisatrice et leur assimilation entre Grande France et puissance. À travers leur presse ou leur vote, les élus francs-comtois du PRL à la SFIO participent activement et de façon consensuelle à l’affirmation de la légitime présence française outre-mer. Ensuite, l’appropriation du phénomène de décolonisation par la communauté bisontine ne montre pas d’originalité particulière. L’élément déclencheur de celle-ci correspond avant tout aux aspects guerriers du processus. C’est par les armes que la décolonisation s’impose à la communauté bisontine de l’Indochine à l’Algérie en passant par les protectorats. On retrouve à Besançon la différence classique entre les deux conflits indochinois et algérien. Ce dernier constitue bien le phénomène qui touche en profondeur la société bisontine. Lui seul entre dans les pages régionales des quotidiens, dans le prétoire du TGI, dans la rue et dans l’intimité des familles avec l’envoi du contingent. De plus, la présence d’ouvriers algériens à Besançon induit qu’une partie de la communauté urbaine participe directement au conflit par le système des collectes. Enfin, l’opposition aux guerres coloniales est plus forte au temps du conflit algérien et connaît une réelle massification au début des années 1960. Cette dernière exprime plus une défense des institutions républicaines menacées qu’un refus d’une colonisation qui suscite peu d’intérêt. Cependant, cette étude à un niveau local permet d’affiner le ressenti de la population et la chronologie de la prise de conscience de l’importance du processus de décolonisation. Pour reprendre la terminologie des RG, l’opinion publique, définie comme la part de la population non engagée, se révèle plus sceptique qu’indifférente. La voie de la négociation lui semble toujours préférable et si le choix d’une réplique armée des gouvernements n’entraîne pas de mouvements contestataires de rue, il n’obtient pas non plus l’adhésion. Sans remettre en cause la portée du départ des appelés en AFN, il semble qu’il faille situer un peu en amont le début de cette prise de conscience. Différents signes nous font choisir le printemps 1955. La guerre d’Algérie n’agit pas seule, le continuum avec la fin de la guerre d’Indochine et les violences dans les protectorats jouent également un rôle dans cette appropriation par la communauté bisontine du mouvement de décolonisation. Deuxièmement, ces similitudes entre niveau national et local n’empêchent pas des variations locales, qui ne sont sans doute pas exclusives à l’espace bisontin, mais qui en reflètent certaines caractéristiques. Ainsi le catholicisme social diffuse ses analyses à droite comme à gauche de l’échiquier tout comme au sein de l’évêché. Parmi les défenseurs de l’empire, très peu prennent des voies extrêmes et on ne rencontre pas de réelles forces favorables à l’OAS à Besançon. En revanche, la vision réformatrice est très largement partagée parmi le personnel politique comme parmi les prêtres. Le catholicisme social s’impose également comme l’une des sources de la contestation de la colonisation et de la guerre d’Algérie. Parmi les militants syndicaux, il entraîne une réflexion conduisant au passage à l’action politique. Parmi les jeunes soldats partis en AFN, il favorise une mise en retrait de la guerre. Parmi les étudiants, il conduit parfois à des choix très tranchés. D’autres groupes font preuve d’originalité. Bien que le PC bisontin suive le plus souvent avec fidélité les directives du comité central, il montre, malgré sa faiblesse locale, une forte réactivité sur les questions coloniales. Il montre même une certaine autonomie face aux choix nationaux. De plus, chez les enseignants, la FEN du Doubs est dirigée par le courant École Émancipée. Ces militants anarcho-syndicalistes alliés aux communistes entraînent la section sur des positions anticolonialistes. Ces dernières s’avèrent éloignées de la neutralité syndicale nationale qui cautionne les politiques gouvernementales. Mais cette précocité partielle bisontine se lit surtout à l’université. Dès sa création, l’Association générale des étudiants de Besançon (AGEB) est dirigée par ceux que l’on appelle les minoritaires et qui sont à l’université bisontine majoritaire tout au long de notre période sauf lors de l’année 1955-1956. L’AGEB pour l’essentiel est animée par des étudiants issus du catholicisme social, notamment de la JEC. Mais les élections montrent qu’au-delà de ce noyau militant la majorité des étudiants se retrouve sur les positions des « minos », et ce avant la question des sursis. Le monde étudiant dévoile également un engagement plus intense que le reste de la communauté urbaine. Jeunes catholiques et jeunes communistes, malgré certaines tensions, s’allient dans le combat anticolonial. Enfin, l’université constitue le seul espace où métropolitains et ressortissants des colonies échangent d’égaux à égaux et construisent des stratégies communes de lutte qui donnent naissance à de réelles amitiés. Le combat anticolonialiste est marqué par deux épisodes qui montrent également l’autonomie et l’intensité du vécu bisontin. À souligner également que ces deux épisodes ne se produisent pas en réaction à des événements se déroulant à Alger. Le premier se déroule de mars à avril 1958 et comprend deux temps. Le procès dit Mathiot-Rapiné est le premier procès en métropole contre des Français ayant apporté une aide directe au FLN. La ville apparaît comme fortement impliquée. D’une part, Francine Rapiné est étudiante à la faculté des Lettres de Besançon et très proche de ces étudiants catholiques, communistes et bien sûr maghrébins, engagés dans la lutte contre la guerre d’Algérie. Son choix radical s’explique par des motivations personnelles qui échappent pour une part à l’historien, mais aussi par le contexte même de cette université. D’autre part, le procès connaît un fort retentissement dans la cité : il fait la une des journaux locaux et de nombreux Bisontins se déplacent au tribunal. C’est enfin l’un des seuls événements bisontins qui connaît un réel retentissement national. Ce procès participe à la prise de conscience bisontine de l’enjeu que représente la décolonisation. Si le choix de Francine Rapiné est en lien avec l’atmosphère universitaire, son procès a des répercussions sur le vécu de la cité. Il conforte les options prises par les opposants. Les élections cantonales qui suivent voient le bon score réalisé par l’UGS dont le programme se prononce clairement pour l’indépendance de l’Algérie. Le second épisode correspond à la manifestation du 27 octobre 1960. Alors qu’à Paris les divisions s’affichent, le mouvement est unitaire à Besançon. Il rassemble PCF et PSU ainsi que l’intersyndicale au grand complet : l’AGEB, la CGT, la FEN, la CFTC et la CGT-FO. Alors que l’interdiction de manifester conduit les organisateurs parisiens à remplacer le défilé initialement prévu par un meeting à la Mutualité, les Bisontins maintiennent leur cortège. Environ 2 000 Bisontins investissent les rues pour demander la réalisation sans condition du principe d’autodétermination. VI. Conclusion Le changement d’échelle permet ainsi de mettre en lumière une histoire des réseaux qui éclaire le phénomène contestataire. L’histoire vue d’en bas dévoile des parcours relevant de la transgression et construisant de nouvelles solidarités. Les rapports de confiance, voire d’amitié tissés entre les mondes communiste et catholique de gauche depuis l’opposition à la guerre d’Indochine, entre Bisontins et ressortissants des colonies, autorisent les uns et les autres à dépasser la méfiance et les interdits qui existent au niveau national. À plus long terme la guerre d’Algérie a également marqué l’histoire de la ville par les nouvelles populations qu’elle a accueillies, Algériens et Pieds-Noirs, par la formation d’une élite militante syndicale et politique, qui parfois est devenue élite dirigeante. Cette évocation du temps long est également une invitation à poursuivre cette histoire vue d’en bas de la décolonisation, notamment en approfondissant la réflexion en amont sur l’expression du phénomène colonial, en aval sur les mémoires concurrentes ou encore sur le rôle de la lutte contre la guerre d’Algérie dans l’affirmation des femmes dans l’espace politique. L’imbrication des espaces et le jeu d’échelle fécondent sans conteste le travail de l’historien et ouvrent la voie à une histoire des possibles. |
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AUTEUR Bénédicte Ponçot Docteure de l'université de Bourgogne Franche-Comté Professeure agrégée d'histoire-géographie au lycée Pergaud, Besançon |
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ANNEXES |
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NOTES |
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RÉFÉRENCES Pour citer cet article : Bénédicte Ponçot, « Besançon à l’heure de la décolonisation. Le processus de décolonisation vu d’une ville moyenne de province de 1945 aux années 1960 », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 15 novembre 2016, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html. Auteur : Bénédicte Ponçot. Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html ISSN : 1961-9944 |
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