Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Territoires contemporains


Varia
Philippe Quantin et la peinture à Dijon dans la première moitié du xviie siècle
Pauline Gomont
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MOTS-CLÉS
Mots-clés : Philippe Quantin ; histoire de l’art ; peinture
Index géographique : France ; Bourgogne ; Dijon
Index historique : xviie siècle ; 1595-1648
SOMMAIRE

TEXTE

Ce texte reprend celui de la soutenance de la thèse Philippe Quantin et la peinture à Dijon dans la première moitié du xviie siècle, qui s’est déroulée à l’université de Bourgogne le 26 mai 2020.

Le jury était composé de Véronique Meyer (professeure d’histoire de l’art moderne à l’université de Poitiers – rapporteure et présidente du jury), Marianne Cojannot-Le Blanc, (professeure d’histoire de l’art moderne à l’université de Paris Nanterre – rapporteure), Catherine Chédeau (maîtresse de conférences en histoire de l’art moderne à l’université de Franche-Comté – examinatrice), Sylvain Laveissière (conservateur général du Patrimoine émérite du Musée du Louvre – examinateur), Michaël Vottero (conservateur des Monuments historiques à la DRAC Bourgogne-Franche-Comté – examinateur) et Olivier Bonfait (professeur d’histoire de l’art moderne à l’université de Bourgogne – directeur de thèse).

Il convient d’abord de rappeler ce qui m’a poussée à travailler sur la peinture à Dijon. En 2012, mes recherches portaient au départ sur Philippe Quantin, m’offrant ainsi la possibilité de prolonger et d’approfondir une réflexion sur la peinture caravagesque amorcée au cours de mon Master dédié à Jean Le Clerc. Les premières lectures soulignaient le contraste qui existe entre les villes de Nancy et de Dijon. La première est le siège d’une cour ducale indépendante profitant du large mécénat de la famille de Lorraine et abondamment pourvue d’archives et de commandes. La seconde est l’ancienne capitale d’un puissant et vaste duché qui a perdu de sa superbe, sans siège épiscopal (comme Nancy), mais qui renferme en son sein trois cours souveraines (Parlement, Chambre des Comptes, et Bureau des Finances). Retracer le parcours de Quantin au cœur de cette cité dans laquelle prédomine donc une noblesse de robe s’avérait d’autant plus stimulant. Comme je l’ai écrit en avant-propos, les premiers mois de travail ont entretenu le sentiment d’un sujet prometteur malgré les publications antérieures consacrées à cet artiste, notamment celles de Marguerite Guillaume. Les mois suivants sont venus contrarier cette première impression. Aussi, le sujet a connu plusieurs évolutions : d’abord avec une ouverture aux contemporains de Philippe Quantin (Luc Despesches, Éléonore de Recouvrance, Jacques Gautheron) pour finalement aboutir sur l’étude de la peinture à Dijon au cours de la première du xviie siècle. Ma thèse s’inscrit alors dans cette tendance qui propose de poser un nouveau regard sur les « foyers » provinciaux à l’époque moderne sans revenir pour autant à l’approche biographique et locale de Chennevières.

L’étude s’est heurtée à des difficultés de diverses natures. Le xviiie siècle bourguignon profite d’une bibliographie spécialisée grâce aux travaux menés par Christine Lamarre et à son initiative, dont la thèse soutenue en 2007 par François Seichepine sur les bibliothèques religieuses de Bourgogne ou encore celle de Sylvie Dubois publiée en 2011 sur les artistes et artisans d’art. On peut également citer les nombreux travaux d’Yves Beauvalot sur le Palais des États ou plus récemment la thèse de Stéphane Pannekoucke sur le gouvernement des Condé.

Concernant la première moitié du xviie siècle, l’abbé Courtépée dans sa Description générale et particulière du Duché de Bourgogne émet un avis sévère en écrivant qu’entre l’exécution du duc de Biron en 1602 et l’entrée de Louis XIII à Dijon en 1629 « l’histoire ne fournit plus d’événements assez remarquables en Bourgogne ». L’historiographe a depuis été fort heureusement contredit, cependant la période, à Dijon, souffre d’une bibliographie restreinte et parfois ancienne. Par exemple, l’ouvrage de Gaston Roupnel sur la population dijonnaise au xviie siècle publié en 1922, bien qu’obsolète dans sa méthode et son analyse, est la seule étude généraliste sur le sujet. Aussi, certaines lectures ont été décisives. Par exemple, l’analyse de James Farr du monde des artisans dijonnais entre 1550 et 1650 fut primordiale pour replacer la population des peintres dans la ville. La thèse de Catherine Chédeau sur les arts à Dijon au xvie siècle, les travaux de Henri-Stéphane Gulczinsky et d’Agnès Botté sur l’architecture ont été plus qu’utiles pour approcher le métier du peintre, le contexte de création et cerner la personnalité des grands magistrats reconnus pour leurs bibliothèques. En outre, je bénéficiais naturellement du fichier Prost-Brune et du dictionnaire de Sylvain Laveissière pour un premier dépouillement documentaire.

La redéfinition du sujet s’est accompagnée de celle de la méthode, puisque le champ de mon investigation concernait dorénavant une période plus large et une population beaucoup plus importante. Il a donc fallu opérer des choix dans les archives à exploiter. Le but de cette phase de recherche était d’apporter des réponses à deux questions d’histoire sociale de l’art : qui sont les peintres ? qui sont les plus susceptibles de commander des œuvres ?

Certains fonds connus, mais incontournables, comme les registres paroissiaux, les comptes et délibérations de la ville ou encore les rôles de la taille ont été consultés avec une attention particulière. Je viens de le dire, Dijon accueillait trois cours souveraines, dont le parlement situé dans l’actuelle Cour d’appel. L’attention portée aux décors de la salle de l’Audience soulignée par Xaintonge et Picardet dans leurs mercuriales suppose la présence régulière d’artistes. Cependant, les archives concernant ces puissantes administrations représentent un corpus documentaire colossal, exception faite de celles du Bureau des Finances, détruites en grande partie à la Révolution. Ainsi, la liasse concernant le Logis du Roy est décevante, moins d’une dizaine de pièces concernent la période étudiée et les aménagements des nouveaux appartements de Henri II de Bourbon-Condé sont passés sous silence. Les archives du clergé régulier dijonnais sont particulièrement délicates à aborder, car elles font l’objet d’un reclassement initié en 1935. La rédaction de l’inventaire de cette série est en cours, mais en attendant il faut se référer au « placier » extrêmement sommaire. Pour chaque communauté, les documents sont rassemblés sous les désignations de plans, registres et liasses et le contenu de chaque cote est décrit par quelques mots. La liste des archives consultées par Dominique Dinet dans son étude publiée en 1999 des diocèses d’Auxerre, de Langres et de Dijon fut d’un grand secours pour orienter les recherches. Enfin, le fonds des notaires de Dijon, exploité très partiellement dans le domaine de la peinture, s’est imposé de lui-même. Le moteur de recherches des archives départementales de la Côte-d’Or parcourt depuis peu les fonds notariés, mais cet outil concerne une minorité d’études. Toutefois, de nombreux notaires ont conservé les répertoires de leurs prédécesseurs, si bien que leur seule consultation s’est révélée insuffisante et qu’il fallut se lancer dans une lecture exhaustive des fonds. Cette investigation indispensable et incontournable fut longue, parfois même éprouvante. Elle fut cependant récompensée par de belles découvertes.

À la première question, qui sont les peintres, les mille mentions qui composent le répertoire d’artistes ont fourni plusieurs éléments de réponse. Ainsi la population des peintres et vitriers a pu être étudiée sur différents aspects. J’ai rassemblé toutes ces informations dans une base de données, que je voulais joindre en annexe, mais ce projet s’est finalement révélé trop compliqué à mettre en œuvre. Cet outil fut un atout précieux puisqu’en plus de centraliser les informations, il m’a permis de les mettre en relation plus facilement. Au cours de mon master, j’avais ébauché à la main un sociogramme afin d’étudier les relations de Jean Le Clerc qui m’avait été d’une grande aide. Assez rapidement, j’ai pensé qu’il pourrait être tout autant utile à l’échelle d’une population. Avec près de 700 personnes recensées notamment dans les registres paroissiaux à prendre en compte, j’ai dû me familiariser avec un nouveau langage (plage de degré, classe de modularité) afin de pouvoir exploiter les algorithmes et analyser les résultats obtenus. L’élaboration de la modélisation placée en annexe a monopolisé plusieurs semaines. Mais une fois les données enregistrées, le traitement informatique apporte des réponses assez rapidement. Ce travail m’a permis d’identifier des dynamiques de groupe, mais également des stratégies personnelles. Il a également confirmé l’existence d’une hiérarchie entre les peintres constatée lors de l’examen des autres sources. Cette étude poussée des liens entre les peintres s’est justifiée également par l’absence de sources sur la corporation et la confrérie.

La deuxième question, celle des commanditaires et des œuvres, fut plus délicate à aborder. L’enquête menée aux archives n’a pas apporté autant de réponses que j’en attendais. Elle n’a pu que trop rarement être mise en relation avec des œuvres et tirer de l’anonymat les tableaux dijonnais. La constitution du répertoire d’œuvres répond à plusieurs critères. J’ai réuni les œuvres connues des peintres dijonnais ainsi que des peintures dont la présence à Dijon est attestée depuis au moins la Révolution. Ce répertoire se compose de 94 tableaux, dont 43 anonymes. Les rares exemples de peintures monumentales conservées sont placés à la suite. Puis sont répertoriés les dessins et gravures. Un chapitre est consacré aux décors éphémères. Enfin, le répertoire se termine avec les 22 œuvres connues par des mentions et une description. À la suite du répertoire est placé le catalogue des œuvres de Philippe Quantin qui vient compléter celui établi par Marguerite Guillaume. L’ensemble très problématique de dessins attribués à Philippe Quantin par Louis-Bénigne Baudot au xviiie siècle a été exclu de l’étude. Le répertoire d’œuvres est dominé par la peinture religieuse, il faut noter la faible présence de l’Ancien Testament qui apparait seulement dans trois tableaux des premières années du siècle empreints d’un maniérisme nordique. Elles laissent place à des représentations du Christ dans son enfance et sa Passion, mais également de la Vierge. La concernant, il se dessine une préférence pour son éducation, la Visitation et l’Annonciation. Les autres tableaux concernent des saints et des saintes. Si cet ensemble permet de se représenter l’intérieur des églises dijonnaises, il en est tout autre pour celui des hôtels particuliers dont les décors ont été remaniés au cours des siècles suivants.

Il apparaît que le recours à des peintres locaux semble être privilégié. La démarche des jésuites du Collège des Godrans qui s’adressent à Jean Boucher en 1618 est le seul exemple connu. Le tableau anonyme du musée de Dijon représentant le Prince de Condé, sous les traits d’Hercule, terrassant les ennemis de la France, se démarque dans sa manière proche de la seconde école de Fontainebleau. Il est difficile de le replacer parmi le corpus d’œuvres réunies, aussi n’est-il impossible pas que le Prince de Condé soit venu à Dijon avec ce tableau pour l’installer au Logis du Roy. Il faut également souligner la présence du Crucifiement de saint André, attribué à Louis Finson dont la présence à Dijon dès le xviie siècle est incertaine.

L’atelier des Tassel de Langres, sollicité à plusieurs reprises par des commanditaires dijonnais, fait exception. D’abord entre 1618 et 1624 au collège des Godrans, et dans la salle de l’Audience du Parlement de Dijon puis à partir de 1648, au couvent des Ursulines. La peinture de Richard Tassel teintée d’un maniérisme tardif renouvelle les formules de Nicolas de Hoey. En se référant à l’iconologie de Cesare Ripa, le peintre offre de nouveaux modèles de représentation. Le langage décoratif qu’il déploie sur les voutes du collège des Godrans et du couvent des Ursulines témoigne d’une culture visuelle élargie. Éloigné du portait établi par Henry Ronot, Richard Tassel apparaîtrait comme un peintre savant et un artiste accompli qui devait occuper la place de figure tutélaire au cœur de l’atelier et non celle d’un collaborateur ponctuel de son fils. De nouvelles recherches sont en cours sur les Tassel qui pourront préciser les relations entre le père et son fils.

La venue d’artistes extérieurs est bien souvent motivée par la présence de personnages puissants. Pour Dijon, la figure toute désignée du grand mécène était celle de Henri II de Bourbon-Condé, gouverneur de Bourgogne à partir de 1632. Il apparaît qu’il n’occupe pas ce rôle à Dijon. Ses armes n’apparaissent pas sur les tableaux dijonnais à l’exception du tableau allégorique mentionné plus tôt. La collection du prince de Condé au Logis du Roy paraît faible par rapport à la galerie de Hugues Picardet. Cependant, la découverte du marché des décors de la bibliothèque passé en 1634 avec Philippe Quantin et Luc Despesches montre que le gouverneur n’a pas été inactif. Il est également probable que Henri II de Bourbon-Condé ait fait appel à des peintres dijonnais pour son château d’Arnay-le-Duc, mais dont il ne reste aucun témoignage. Il en est de même avec l’évêque de Langres, Sébastien Zamet, une autre grande figure du royaume. Dès son arrivée à Langres en 1615, Zamet incarne la figure du réformateur en favorisant l’installation de communautés, et en s’impliquant dans la réforme des ordres. Tout comme celui du prince de Condé, le mécénat personnel de l’évêque n’aurait pas profité aux peintres dijonnais.

Des comparaisons avec d’autres villes comme Moulins, Rennes ou encore Aix ont été rendues difficiles par la connaissance finalement limitée des commanditaires locaux et d’une grande partie des œuvres, qui prive l’analyse d’une partie importante des mécanismes de la commande. Aussi, pour étudier la peinture à Dijon, j’ai choisi comme point de départ le lieu et le contexte d’exposition. Ce parti pris a été motivé par certaines lectures, dont la publication des conférences données par Tonio Hölscher au Musée du Louvre en 2015 sur la vie des images grecques. Sa réflexion menée sur les interactions entre les images et les hommes au cœur de la cité a fortement inspiré celle menée dans la deuxième partie. Cette démarche originale et pluridisciplinaire qui a pu défavoriser parfois l’analyse des œuvres a cependant permis d’interroger la perception des images par ceux qui sont les plus susceptibles de commander, et lorsque cela fut possible de la confronter aux œuvres.  L’étude de l’espace urbain s’est faite à travers celles des entrées royales, souvent délaissées, celles des processions religieuses. Les mercuriales de Xaintonge et de Picardet, tout comme le sermon d’Adrien Nardot sont de précieux témoignages sur la diversité des perceptions des images. Ils s’entendent comme une introduction à l’analyse de l’intérieur de l’église puis celle de l’intimité de la demeure. La découverte du manuscrit de Florent Despesches sur les antiquités de Til-Châtel m’a poussée à consacrer toute une partie à la culture visuelle des peintres. Enfin, la dernière partie dédiée à Philippe Quantin m’a permis de retrouver le premier sujet de mes recherches. Il apparaissait surtout intéressant de replacer cet artiste, dont les œuvres sont les plus documentées, dans la réflexion menée au cours des trois premières parties.

Mon travail s’inscrit dans la mouvance qui apporte un regard actualisé sur la peinture en province dans la veine de ceux de Maud Hamoury pour la Bretagne, Guenola Thivolle pour le Bourbonnais. Il participe également à un renouvellement actif des connaissances des arts en Bourgogne qui s’observe notamment avec les récentes recherches menées sur le xvie siècle par Frédéric Elsig. Les nombreux résultats présentés lors de la journée d’études sur le patrimoine religieux organisée en 2018 en collaboration avec l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon et la Direction régionale des Affaires culturelles Bourgogne-Franche-Comté invitent à prolonger l’étude de la peinture Bourgogne à la période moderne.

AUTEUR
Pauline Gomont
Docteure en histoire de l’art de l’université de Bourgogne Franche-Comté

ANNEXES

NOTES

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Pauline Gomont, « Philippe Quantin et la peinture à Dijon dans la première moitié du xviie siècle », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 7 octobre 2020, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteur : Pauline Gomont.
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944

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