Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-uB |
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Territoires contemporains | |
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Les secrétaires régionaux du Parti communiste français, du tournant antifasciste à l’interdiction du parti (1934-1939) | ||||||
Dimitri Manessis | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Annexes | Notes | Références | Outils | |||||
MOTS-CLÉS
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SOMMAIRE
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TEXTE | ||||||
Ce texte reprend celui de la soutenance de la thèse Les secrétaires régionaux du Parti communiste français, du tournant antifasciste à l’interdiction du parti (1934-1939) qui s’est tenue à l’université de Bourgogne le 15 décembre 2020. Le jury était composé de : Frédéric Monier (université d’Avignon, président), Emmanuel Bellanger (CNRS) et Noëlline Castagnez (université d’Orléans) (pré-rapporteurs), Serge Wolikow (uBFC) et Jean Vigreux (uBFC, directeur de thèse).
Monsieur le Président, Madame et Messieurs les membres du jury, Je tiens tout d’abord à vous remercier pour l’intérêt que vous portez à mon travail, et pour avoir accepté de faire partie de ce jury. Merci en particulier à Noëlline Castagnez et Emmanuel Bellanger, pour avoir été les premiers lecteurs attentifs et critiques de mon travail. Merci à toutes et tous d’avoir accepté de participer à cette soutenance « en présentiel », comme le veut le vocabulaire de cette époque si particulière, m’accordant ainsi la possibilité de présenter mon travail dans les meilleures conditions. Je tiens à associer à ces remerciements Morgan Poggioli de l’École doctorale SEPT et Frédérique Poirot du laboratoire LIR3S qui ont rendu possible l’organisation de cette soutenance. Un grand merci, enfin, à Jean Vigreux, patient et attentif directeur de thèse, avec lequel j’ai pris beaucoup de plaisir à travailler, y compris sur d’autres sujets, durant ces dernières années. C’est à Johann Chapoutot que je dois, à l’issue de ma Licence d’histoire à l’université Pierre Mendès France de Grenoble, de m’être orienté vers l’étude scientifique du communisme en France. Celui-ci me proposa en effet de me pencher sur l’histoire de la fédération iséroise du Parti communiste français (PCF), dans le cadre d’un projet de recherche plus vaste sur l’expérience mendésiste en région grenobloise. Déjà un vif intérêt émergeait en moi, sur la politique des cadres du PCF, l’ancrage local du communisme, les possibles décalages entre orientation nationale et pratiques locales, et l’indispensable jeu d’échelle qui en découlait pour pouvoir atteindre une vision à mon avis pertinente du phénomène communiste, qui ne se contente ni d’une vision surplombante, ni des monographies, ni de « l’infra-politique », mais qui lie dynamiquement ces différents degrés d’analyse. Ce premier travail continua en deuxième année de Master, interrogeant cette fois les rapports des communistes isérois avec le processus de bolchevisation. Du local à l’international, ce fut l’occasion de me pencher pour la première fois sur les archives de l’Internationale communiste (IC) conservées par le RGASPI et consultables alors à l’université de Bourgogne. Jean Vigreux, qui encadrait ce second mémoire, me proposa ensuite de m’accompagner dans un travail de thèse. Celui-ci était conditionné par l’obtention d’un contrat doctoral, et je remercie ici les membres du laboratoire LIR3S et l’université de Bourgogne qui m’accordèrent leur confiance. I. Délimitation du sujet et méthode J’eus la chance de commencer cette thèse au moment où le programme Paprik@2F démarrait. Je fus donc, dès les premiers mois, en contact avec une équipe de chercheurs et d’archivistes, ce qui constitua une aide non négligeable dans la construction de mon sujet et dans la maîtrise du corpus archivistique. Une première réflexion sur les cadres locaux du PCF m’a conduit à affiner le sujet de cette thèse en la faisant porter sur les secrétaires régionaux de cette organisation. Groupe social relativement homogène à travers les prérogatives qui lui étaient confiées, les secrétaires régionaux permettaient d’analyser sur une base solide les problématiques de l’encadrement local du PCF. J’ai choisi de faire démarrer cette étude en 1934, année charnière de mise en place d’une nouvelle stratégie par les communistes, et de la terminer en 1939, c’est-à-dire jusqu’à l’interdiction du PCF à la fin septembre de cette année. Il m’apparaissait en effet qu’une même orientation guidait l’action des communistes jusqu’à cette époque : celle de l’alliance antifasciste, qui débute en 1934 puis prend de plus en plus de corps et évolue vers la stratégie de Front populaire, validée et officialisée par le VIIe congrès de l’Internationale communiste. En effet, la fin de l’expérience du Front populaire au printemps 1938 avec le revirement des radicaux ne signifie pas l’abandon de cette orientation par le PCF. À l’été 1939, il célèbre ainsi le 150e anniversaire de la Révolution française, exaltant la défense des valeurs patriotiques et démocratiques, et où l’antifascisme est vu comme la continuité de la lutte menée face à Coblentz et à la contre-révolution. Certes, la ligne est interrompue lors de la phase de la « guerre impérialiste ». Mais ce tournant à 180 degrés n’intervient dans les faits, concernant le PCF, qu’à la mi-octobre 1939, comme on peut le constater par exemple à travers la lecture des rapports d’André Marty à ce sujet ou encore des travaux de Roger Bourderon et de Serge Wolikow. Jusqu’à l’interdiction du PCF en septembre, il y a doute, confusion, et parfois quelques départs. Mais il n’y a pas de remise en cause de la ligne antifasciste en amont de l’interdiction. Si l’expérience Front populaire est belle et bien terminée, elle continue d’irriguer les discours et l’action des communistes. Et elle le fera encore pour de longues années. Ce travail s’appuie sur une recherche prosopographique menée sur un corpus – qu’il a fallu reconstituer – de 187 individus. Parmi les différentes sources mobilisées, les « bios », ces questionnaires remplis par les militants accédant aux responsabilités dans le parti, occupent une place centrale. Accompagnées de toutes les précautions d’usage, elles délivrent quantité d’informations sur les parcours des militants communistes, et pas seulement sur l’activité ou la politisation partisanes. Leur milieu, leur entourage, leurs lectures, leurs précédentes affiliations organisationnelles ou idéologiques, etc., sont interrogés. Il a fallu renoncer à certaines interrogations, comme celles concernant les responsabilités syndicales ou dans les organisations de masse, bien qu’apparaissent une claire tendance au cumul des responsabilités, rejoignant et éclairant la notion de surmenage militant. En revanche, d’autres questionnements ont surgi à mesure de l’avancée du travail, comme l’affiliation idéologique du conjoint, où la part prise par la prison (tableau à part) dans la formation militante. Une même interrogation – la formation militante, par exemple – devait être séquencée en plusieurs entrées – les différents niveaux d’écoles du parti suivis en l’occurrence – pour pouvoir être quantifiée. Ces « découpages », s’ils ont le mérite de permettre la quantification, peuvent sembler parfois arbitraires, et ne pas faire apparaître toutes les nuances des situations et de leurs évolutions. Je me suis attaché à les préciser du mieux possible à chaque fois que c’était réalisable et souhaitable, par exemple pour expliquer les affiliations idéologiques de la famille du militant, en mettant en avant les situations de cumuls, voire d’hybridations. II. Principaux apports De cette étude des secrétaires régionaux du PCF, je souhaite souligner quelques résultats. L’identité populaire, et surtout ouvrière, du parti communiste, s’avère ici confirmée. Même si la photographie socio-professionnelle de ces cadres intermédiaires pourrait être affinée, il apparaît qu’ils sont à près de 50 % directement issus de la classe ouvrière, un pourcentage qui s’élève à près de 70 % lorsque l’on se penche sur le corps des permanents. Mon travail a également montré la centralité du caractère autodidacte de la formation politique. Si le passage par les écoles du parti est important dans les parcours étudiés, inculquant au-delà des connaissances un « savoir-être » communiste, celui-ci reste minoritaire. Pouvant s’ajouter aux « écoles de la nuit », les héritages familiaux – 40 % de membres du corpus proviennent d’une famille politisée à des degrés divers – et les expériences antérieures à l’entrée en communisme, jouent ainsi à plein dans la construction idéologique des membres de ce corpus. Contrairement à ce qui avait pu être avancé dans certains travaux (par exemple dans ceux de Sylvain Boulouque [1]), ces cadres intermédiaires sont loin d’être tous des militants professionnels. Les secrétaires régionaux permanents représentent un tiers du corpus. C’est-à-dire que la grande majorité de ces militants doit cumuler son activité professionnelle avec son activité militante, activité dont on a vu l’ampleur et, parfois, les souffrances qu’elle peut produire. De plus, j’ai voulu exprimé le plus précisément possible la réalité de ce qui pouvait se dissimuler – ou se fantasmer – derrière le terme de « permanent » : des vies très modestes, soumises aux rudes impératifs militants et dont la rémunération s’avère variable selon les territoires. La question du genre s’est bien entendue posée lors de ce travail. On ne peut passer rapidement sur le fait que deux femmes appartiennent à ce corpus. Il m’est apparu important de resituer les parcours des deux seules femmes (co)secrétaires régionales dans le contexte plus large du rapport des communistes à la question du genre, et l’évolution de ses rapports aux combats des femmes, de sa fondation au Front populaire. Le PCF accorde une place aux militantes que très peu de partis leur accordaient à la même époque. Mais l’engagement féministe des origines s’est heurté progressivement à des oppositions puis à une forme de repli « conservateur », auquel s’ajoute les immenses difficultés que connaissent les femmes ouvrières pour militer (machisme de leurs camarades, double-journées, etc.). C’est dans ce contexte qu’il faut appréhender la place et l’action de Marguerite Buffard et de Martha Desrumeaux. Leurs parcours ne sont bien sûr pas identiques. L’une est une agrégée de philosophie, l’autre une ouvrière du textile, devenue permanente, ayant appris à lire et écrire dans le feu des luttes syndicales et politiques des années 1920. Martha Desrumeaux est célébrée en 1936 dans La Vie est à nous, tandis que Marguerite Buffard entretient des rapports pour le moins tendus avec la direction nationale du PCF. Poussées vers la sortie de leurs responsabilités partisanes, délibérément (Buffard) ou à cause des compromis nécessaires à la fragile unité syndicale (Desrumeaux), les rares femmes présentes dans ce corpus symbolisent les difficultés plus vastes d’intégration des femmes à l’appareil du parti communiste. Il m’est apparu important de souligner également l’extraordinaire capacité d’adaptation de ces cadres. Adaptation vis-à-vis de la nouvelle ligne, avec tout ce que cela implique dans la manière d’être un responsable communiste, dans l’organisation mais aussi face au dehors. La période étudiée offre en effet à ces cadres communistes une position et des responsabilités jusqu’alors inédites. Tenus d’incarner dans leur territoire (avec toute la dialectique unité/ spécificités que cela comporte) une organisation ouverte et respectable, ils doivent maintenir en permanence un équilibre face à ces injonctions et l’impatience d’une partie de leur base militante, particulièrement dans la période difficile de 1937 à 1939, période de contradictions, d’effritement, puis de délitement du Front populaire. La Guerre d’Espagne représente, au cœur de la période étudiée, un moment particulier, où le secrétaire régional est amené à travailler dans des conditions touchant à l’illégalité, au secret, voire à la clandestinité. C’est à mon avis une facette importante de l’activité communiste, trop souvent dissimulée par le volontariat international – qui est la partie la plus visible de la solidarité avec les républicains espagnols. Et cet aspect du travail des secrétaires régionaux montre leur faculté d’inscrire leur action au grand jour, dans une activité en permanence guidée par le souci du contact avec « les masses », et dans le même temps d’évoluer dans les marges de la légalité. La quête de respectabilité n’est ainsi pas toujours incompatible avec l’utilisation d’un répertoire d’actions illégales et donc plus dangereuses, aussi bien pour les cadres locaux eux-mêmes que pour l’image de leur organisation vis-à-vis d’un plus large public. III. Limites et perspectives Parmi les limites que connaît fatalement ce type de travail, celle des sources se pose. Il a fallu privilégier les sources internes au mouvement communiste, locales, nationales et internationales, avant de les croiser et de les compléter par des sources externes. J’aurais pu utiliser parmi elles la presse nationale, et les magazines illustrés et photographiques qui se développent à cette époque : dans l’orbite communiste je peux penser à Regards, qui vit un véritable renouveau à travers le photojournalisme et dont les numéros de 1934 à 1946 sont disponibles sur le portail Gallica. Mais aussi, évoluant dans le champ de l’antifascisme, Vu ; sans oublier les actualités filmées. Ces fonds, dont certains ont commencé à être dépouillés, pourront être utilisés dans des articles ou d’autres communications. Cependant, un sondage rapide depuis l’envoi de ma thèse, après la réception des pré-rapports, confirme certains des apports sur la mise en scène de soi, la respectabilité [2], les « beautés de la France [3] » mises en avant ; mais aussi les liens entre petite et grande patrie au temps de l’antifascisme, à travers par exemple cette archive British Pathé [4] où l’on voit notamment Maurice Thorez rendre hommage à Rouget de l’Isle en 1936 et ce plan si frappant (et peu remarqué et commenté jusqu’alors) sur des drapeaux « régionaux » ornant la Colonne de Juillet au cours de l’immense défilé antifasciste du 14 juillet 1936 [5]. L’absence d’éléments cartographiques peut également être soulignée. Mais le travail sur la base de données en ligne, qui doit être développée et enrichie dans les semaines à venir, permettra je l’espère de combler ce vide, permettant ainsi une visualisation du corpus des secrétaires régionaux à la fois géographique et dynamique, sur l’ensemble du territoire métropolitain. Il faut bien entendu conclure. Et conclure un exposé de soutenance de thèse n’est jamais aisé. Il faut penser l’après, les suites. Fort heureusement, d’autres travaux peuvent à mon avis rebondir sur cette première étude. Je pense bien entendu à une poursuite chronologique de ce travail, qui suivrait ces 187 militantes et militants à travers les années de guerre, et interrogerait la continuité ou non de leur engagement dans la seconde moitié du vingtième siècle. Ensuite, l’étude des secrétaires régionaux du PCF, de leurs trajectoires militantes, peut être éclairée par une tentative de prosopographie globale, établissant une jonction chronologique avec les études précédentes (notamment celles de Paul Boulland), et permettant d’embrasser un point de vue globalisant sur la politique des cadres et ses évolutions ; sans négliger bien entendu les sections du PCF qui évoluent dans le contexte des sociétés coloniales. Enfin, d’autres thématiques pourraient être élargies à d’autres formations politiques ou à d’autres époques. Je pense par exemple à la thématique de la prison comme lieu d’éducation politique. Une question qui croise d’ailleurs celle de l’instruction, ou du manque d’instruction, et donc de cette possibilité de « rattraper toute cette école absente » pour reprendre la belle expression de Sorj Chalandon consacrée au parcours du républicain irlandais Bobby Sands.
Madame, messieurs, Je vous remercie de votre attention. |
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AUTEUR Dimitri Manessis Docteur en histoire contemporaine de l’université de Bourgogne Franche-Comté |
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ANNEXES |
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NOTES
[1]
Sylvain Boulouque, « Et l’acier fut trempé. La
fabrication du cadre communiste dans le PC/SFIC des années
1930 », dans Stéphane Courtois (dir.), Les logiques totalitaires en Europe, Paris, Éditions du
Rocher, 2006, p. 510.
[2]
Sur ce thème, voir par exemple le numéro du 11 novembre
1935 de Regards, qui présente en Une des
« officiers républicains », des
hauts-gradés, des universitaires, des députés, etc.
[3]
Regards, 2 septembre 1937.
[5]
Voir également Regards du 16 juillet 1936, qui, tout en
faisant sa Une « tricolore », insère une
photographie des « bannières des
provinces ».
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RÉFÉRENCES Pour citer cet article : Dimitri Manessis, « Les secrétaires régionaux du Parti communiste français, du tournant antifasciste à l’interdiction du parti (1934-1939) », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 4 février 2021, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html. Auteur : Dimitri Manessis. Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html ISSN : 1961-9944 |
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