Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-uB |
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Territoires contemporains | |
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La politique publique du cinéma en France (1981-2012) | ||||||||||
Cao Shuai | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Annexes | Notes | Références | Outils | |||||||||
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SOMMAIRE
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Ce texte reprend celui de la soutenance de la thèse La politique publique du cinéma en France (1981-2012), soutenue par Cao Shuai à l’université internationale de Shanghai en Chine, le 22 mai 2019, sous la direction de Philippe Poirrier (université Bourgogne Franche-Comté) et Xiao Yunshan (université internationale de Shanghai). Le jury était composé de Chu Xiaoquan (président et rapporteur, université Fudan), Laurent Martin (rapporteur, université Sorbonne Nouvelle-Paris 3), Yuan Xiaoyi (examinatrice, université normale de la Chine de l’Est), Claude Patriat (examinateur, université Bourgogne Franche-Comté), Qian Peixin (examinateur, université des Études internationales de Shanghai) et Philippe Poirrier (co-directeur, université Bourgogne Franche-Comté). I. Introduction Monsieur le Président du jury, Madame, Messieurs les membres du jury, Bonjour. Je voudrais d’abord vous remercier pour avoir accepté d’être présents au sein du jury, et pour avoir lu et examiné ma thèse qui est assez volumineuse. J’exprime surtout mes remerciements à Monsieur Patriat et Monsieur Martin qui ont fait un long voyage depuis l’autre côté de la planète pour ma soutenance. Je tiens à remercier mes deux directeurs de thèse, Monsieur Xiao Yunshang, qui m’a amené dans l’univers des études sur la « politique culturelle » et m’a invité à travailler sur la politique publique du cinéma, et Monsieur Philippe Poirrier, qui a chaleureusement accepté de devenir mon co-directeur de thèse et m’a beaucoup inspiré quant à la précision du sujet de recherche, à l’accès aux sources et à l’enrichissement de mes connaissances en histoire. Je leur adresse toute ma reconnaissance pour leur grande patience, leurs conseils précieux et leur encouragement constant. II. Choix et délimitation du sujet La genèse de ma thèse remonte à mes années de recherche en Master. Mon mémoire de Master portait sur l’histoire des musées publics en France, et plus précisément, l’histoire de la politique muséale française. Dès que j’ai continué mes études en doctorat, en discutant avec Monsieur Xiao Yunshang, j’ai décidé d’infléchir un peu ma direction de recherche vers les industries culturelles, mais toujours dans le même cadre de la politique culturelle française. J’ai alors pris en considération mon intérêt personnel – le cinéma. La France est le pays où est né le septième art, et le système français d’aides au cinéma, en particulier, figure parmi les plus efficaces et les plus « enviés » au monde. Ainsi la ligne générale de mes recherches a-t-elle été fixée – l’histoire de la politique publique du cinéma. Profitant de mon stage à HEC Paris en tant qu’enseignant de chinois, j’ai consulté à la BNF une multitude d’œuvres consacrées à la politique du cinéma, l’économie du cinéma et l’histoire du cinéma. Cependant, je conservais toujours un certain doute envers la délimitation ainsi que la périodisation de mes recherches. En deuxième année de doctorat en Chine, nous avons pu solliciter un projet de cotutelle de thèse avec un directeur français. Monsieur Philippe Poirrier a accepté avec beaucoup de gentillesse ma demande et avec lui, j’ai fixé très rapidement le sujet de mes recherches d’une manière plus précise : la politique du cinéma en France de 1981 à 2012. Une période récente, aussi est-il plus facile pour moi de recueillir des documents et archives, qu’ils soient écrits ou numérisés. La politique publique du cinéma consiste en une politique mise en place par les pouvoirs publics qui, par le biais de moyens financiers, juridiques et réglementaires, cherchent à garantir la survie et à contribuer à la prospérité du cinéma, dont l’existence et le développement sont importants pour l’État. En fait, le cinéma fait l’objet de vastes recherches économiques, politiques, esthétiques et sociales. Mais celles qui ont trait à l’action de l’État sont d’un nombre assez restreint par rapport à l’immensité du travail en matière du cinéma. Il faut pourtant rendre hommage au travail de Paul Léglise qui a élaboré une synthèse, sinon la seule dans l’historiographie du cinéma, en publiant dans les années 1960 et 1970 deux ouvrages [1] sur la politique du cinéma français. C’est un travail pionnier qui rassemble et analyse la quasi-totalité des interventions de l’État dans le cinéma de 1895 en 1946. Si le travail de Paul Léglise est défricheur dans les études générales sur l’histoire de la politique cinématographique, il faut attendre 2014 pour que le relais soit pris, avec la publication du travail collectif Le cinéma : une affaire d’État. 1945-1970, réalisé par le Comité d’histoire du ministère de la Culture et de la Communication sous la direction de Dimitri Vezyroglou. Notre travail peut être perçu comme une prolongation chronologique de ces recherches. Parmi les études menées par les historiens, la période 1981-2012 est absente. Cela est d’autant plus surprenant que ces trois décennies constituent un temps crucial pour toute l’histoire de la politique cinématographique et même pour l’histoire du cinéma français, car se sont multipliées les aides au cinéma, se sont harmonisées les relations entre le cinéma et la télévision, est apparue l’exception culturelle, ont été adoptées des stratégies nouvelles à l’ère numérique, etc. Nous pouvons dire que cette période refonde et consolide la politique cinématographique française qui trouve racine dans les années 1930 et 1940. Notre travail sur la politique publique du cinéma en France de 1981 en 2012 vise non seulement à combler ce vide, mais également à éclaircir, par l’angle historique, les enjeux, les rapports de force, les ressorts, les réactions et les bilans de la politique du cinéma de cette période vitale. Cela permettrait de compléter, de corriger, de nuancer ou de justifier les connaissances acquises et les recherches existantes dans les domaines concernés. S’agissant d’une vocation plus « noble », nous voulons inciter à réfléchir, par le biais d’« un renvoi d’images historiques », sur le modèle français de politique du cinéma et sur la politique culturelle française, car ce modèle, tant convoité et imité par d’autres pays au monde, semble ne jamais être dépassé par ces derniers. Ce serait là une « valeur ajoutée » de notre travail, réalisé dans le cadre d’une cotutelle internationale entre la France et un pays émergent, la Chine. Notre problématique peut être formulée ainsi : les pouvoirs publics français ont-ils réussi à sortir le cinéma national des crises pendant la période 1981-2012 ? III. Sources et méthode Nous avons développé notre travail selon une approche historique et les archives fondent naturellement la base de notre étude. À cette fin, nous avons notamment consulté des archives débloquées aux Archives nationales, des périodiques professionnels cinématographiques, surtout Le Film français, et des archives numérisées sur les sites officiels du CNC, de l’Assemblée nationale, du Sénat, de la Cour des Comptes, etc. Aux Archives nationales, nous comptons une trentaine de cartons consacrés directement ou indirectement à la politique du cinéma, versées surtout par le ministère de la Culture et le CNC (y compris ses directeurs généraux comme Pierre Viot et Dominique Wallon). Ces documents sont relatifs à la majorité des problèmes traités dans notre travail, surtout pour les deux premières parties. Nous ne citons que les cotes essentielles : le rapport de la mission de réflexion et de propositions sur le cinéma remis par Jean-Denis Bredin, qui constitue un socle pour toute la politique cinématographique française depuis les années 1980 ; la déclaration de Jack Lang sur la réforme du cinéma le 1er avril 1982 qui annonce une refondation de la politique du cinéma, ainsi que les mesures qui dérivent de cette réforme, les relations entre la télévision et le cinéma, qui commencent par une « guerre », et finissent par une réconciliation dans une large mesure (par les contributions des chaînes de télévision au cinéma et la préparation de la loi sur la communication audiovisuelle) ; la politique européenne en faveur du cinéma, qui se concrétise dans la création du Fonds Eurimages et du Plan MEDIA ; le cinéma français dans les négociations du GATT, puis confronté à l’AMI et au cycle de l’OMC à Seattle (cote : 20140752/284). Mais on constate que les Archives nationales ne suffisent pas pour notre travail, car sans les échos dans les milieux des professionnels et le cinéma lui-même, une politique du cinéma perdrait son sens originel. Les riches ressources qu’abritent la Cinémathèque française complètent largement la faible variété d’angles de vue qui résulterait du seul recours aux Archives nationales. Dans ce lieu « sacré » pour les cinéphiles, nous pouvons consulter des périodiques professionnels remontant à la naissance du cinéma. Parmi toutes les archives disponibles, nous avons notamment opté pour celles du Film français, hebdomadaire créé et géré par la FNCF et censé être l’un des périodiques les plus importants des professionnels du cinéma. Nous avons photographié plus de 3 000 pages relatives à la politique cinématographique. Le Film français suit de près tous les grands changements du secteur ainsi que de la politique menée par les pouvoirs publics. Dans ce « journal corporatif » du cinéma, nous pouvons découvrir une multitude de documents qui nous intéressent : des statistiques presque exclusives sur l’économie du cinéma, les réactions des professionnels aux actions des pouvoirs publics, les interviews des personnalités du domaine de la culture, du cinéma et de l’audiovisuel, les articles publiés par les professionnels du cinéma ainsi que par des membres du gouvernement qui portent sur les plus grandes questions du secteur, les compte-rendu des rencontres destinées au cinéma, etc. Ainsi, ces archives nous permettent d’établir le lien direct entre les pouvoirs publics et la profession sur le thème de la politique du cinéma et de mettre en lumière l’interaction des deux acteurs dans l’histoire du développement du cinéma français. En sus de ces sources imprimées, Internet nous offre une pléthore d’archives numérisées, en particulier des lois, décrets, statistiques et rapports officiels. Le CNC a mis en ligne les toutes dernières publications et chiffres du secteur cinématographique et audiovisuel, ainsi que des documents remontant aux années 1980 et 1990. Les rapports remis au CNC sont une référence non négligeable pour nous, car rédigés par des experts, ils ont trait aux différentes activités du secteur et cherchent généralement à résoudre les plus grands problèmes que rencontre le cinéma. En ce qui concerne les archives parlementaires, des rapports ont marqué l’histoire de la politique du cinéma, comme les rapports sur les forces et les faiblesses du cinéma français sur le marché international (2001), sur l’avenir de l’audiovisuel à l’ère du numérique (1998), sur l’efficacité des aides publiques au cinéma (1998), sur la réforme du CNC (2012), etc. En outre, les débats à l’Assemblée nationale et au Sénat sont disponibles sur leur site officiel, ce qui nous permet, par exemple, d’accéder aux discours de Jack Lang devant les députés et les sénateurs pour défendre sa politique culturelle. À tout cela s’ajoutent enfin des rapports rendus publics par le ministère de la Culture et la Cour des Comptes. Il est à noter que ces archives couvrent la quasi-totalité des thèmes et des événements analysés dans notre travail, nous remarquons pourtant un fait surprenant : elles ont rarement été citées par les recherches précédentes, malgré leur importance indiscutable dans l’histoire de la politique cinématographique française. C’est surtout vrai pour les documents disponibles aux Archives nationales et dans les bibliothèques des salles de lecture à la Cinématographique française. IV. Résultats Notre recherche est déployée en trois grandes parties. Dans la première partie, nous nous intéressons à la période de refondation de la politique du cinéma de 1981 en 1988. Durant cette période, le cinéma français a, en général, enregistré une chute de fréquentation, et les changements radicaux du paysage audiovisuel français et européen deviennent une grande menace pour le cinéma. Dans le but de résoudre ces problèmes, Jack Lang, inspiré en grande partie par le rapport Bredin, mène d’abord une réforme du cinéma en mettant en œuvre des mesures anti-concentration et en enrichissant le système d’aides au cinéma. Afin d’harmoniser les rapports entre le petit et le grand écran, l’État, à travers surtout les lois de 1982 et de 1986 sur la communication audiovisuelle, édicte une réglementation obligeant la télévision à investir dans le cinéma. Ce dernier est devenu désormais de plus en plus dépendant des chaînes de télévision pour son financement. En même temps, le gouvernement français tente d’exporter et de promouvoir ce modèle de la politique audiovisuelle et cinématographique en Europe et dans le monde. Les professionnels du cinéma européens poussent les autorités européennes à prendre en compte la défense du cinéma. La deuxième partie est consacrée à la politique cinématographique française durant la période de l’exception culturelle (1988-1999). Les enjeux européens et internationaux dominent cette décennie. Si le « plan cinéma » mis en place par Jack Lang réussit à renforcer le régime d’aides, la France donne la priorité à la promotion de ce régime en Europe, tout en défendant les intérêts de la profession du cinéma dans la directive « Télévision sans frontières » et en favorisant la création d’Eurêka audiovisuel, du fonds Eurimages et du programme MEDIA au niveau européen. Il s’est formé, en quelque sorte, une politique européenne du cinéma. Lors des négociations du GATT en 1993, avec les efforts conjoints des pouvoirs publics et des professionnels, les dossiers de l’audiovisuel et du cinéma sont exclus des négociations car « la culture n’est pas une marchandise comme les autres ». Bien que cette norme soit remise en question dans l’AMI et le cycle de négociations de l’OMC à Seattle, la France est parvenue à la défendre. Dans ce contexte, le cinéma français a connu une relance, surtout depuis le milieu des années 1990, mais des déséquilibres et des déstabilisations subsistent et l’efficacité de la politique du cinéma est à nuancer. Dans la troisième partie, nous nous orientons vers le développement du cinéma français ainsi que de la politique du cinéma à l’ère numérique. La politique cinématographique, mûrie pendant les deux décennies précédentes, doit s’adapter aux nouveaux enjeux des années 2000. Le cinéma français se trouve dans une situation ambivalente : d’un côté, il se porte bien à plusieurs égards, surtout en matière de fréquentation et de production, de l’autre, il est fragilisé par des événements du secteur : l’apparition des cartes d’abonnement Illimité, la fusion Vivendi-Universal, le piratage, etc. L’État joue un rôle de « pompier » en mettant en place une politique numérique et le crédit d’impôt et en élaborant la loi HADOPI pour lutter contre le piratage. Les collectivités territoriales, Régions en tête, tendent à investir de plus en plus dans le financement du cinéma. Cependant, depuis 2008, dans un contexte de rigueur budgétaire, l’État procède à une modernisation du CNC ainsi qu’à une restructuration du système d’aides, dont l’effet doit être nuancé. En conclusion, il apparaît que les effets de la politique publique du cinéma sont principalement culturels et identitaires, et partiellement économiques et industriels. En outre, il convient de resituer l’histoire du cinéma dans le cadre plus large de l’histoire des médias. Avec la modernisation du CNC, ainsi que le rôle délicat des chaînes de télévision sans oublier bien entendu la prolifération des plateformes des nouveaux médias, la politique du cinéma et le cinéma français doivent faire face à un avenir incertain. V. Limites et perspectives Nous avons traité de nombreuses archives provenant à la fois des pouvoirs publics et des professionnels du cinéma. Mais nous devons admettre qu’elles sont loin d’être suffisantes, ce qui est dû principalement à deux facteurs : d’une part, faute de temps, nous n’avons pas pu nous rendre dans d’autres établissements abritant des archives utiles, par exemple, le CNC, l’INA, etc. ; d’autre part, il aurait évidemment été souhaitable de compléter ces archives imprimées par des archives orales, surtout des rencontres possibles avec des acteurs et témoins de l’histoire. Ce dernier travail qui aurait enrichi le matériau disponible n’a pas été fait et c’est peut-être le regret le plus vif que nous voudrions exprimer ici. Mais paradoxalement, cela doit inciter d’autres chercheurs à mener ces études et surtout à analyser les défis que rencontre le cinéma français à l’ère numérique. |
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AUTEUR Cao Shuai Docteur en histoire de l’université internationale de Shanghai et de l’université de Bourgogne Franche-Comté |
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ANNEXES |
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NOTES
[1]
Voir Paul Léglise,
Histoire de la politique du cinéma français. Le
cinéma et la IIIe République, Paris, Pierre Lherminier Éditeur, 1969 ; Paul
Léglise,
Histoire de la politique du cinéma français. Le
cinéma entre deux Républiques (1940-1946), Paris, Pierre Lherminier Éditeur, 1977.
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RÉFÉRENCES Pour citer cet article : Cao Shuai, « La politique publique du cinéma en France (1981-2012) », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 2 septembre 2020, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html. Auteur : Cao Shuai. Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html ISSN : 1961-9944 |
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