Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-uB |
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Territoires contemporains | |
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Iris Clert (1918-1986). Une galeriste singulière | ||||||||||
Servin Bergeret | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Annexes | Notes | Références | Outils | |||||||||
MOTS-CLÉS
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SOMMAIRE
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Ce texte reprend celui de la soutenance de ma thèse, Iris Clert (1918-1986) ; une galeriste singulière, qui s’est déroulée à l’université de Bourgogne le 15 juin 2017. Le jury était composé de Messieurs Thierry Dufrêne (Professeur d’histoire de l’art contemporain, université Paris-Ouest Nanterre – rapporteur et président), Itzhak Goldberg (Professeur émérite d’histoire de l’art contemporain, université Jean Monnet, Saint-Étienne – rapporteur), Arnauld Pierre (Professeur d’histoire de l’art contemporain, université Paris-IV Sorbonne), Bertrand Tillier (Professeur d’histoire contemporaine, université Paris 1 Panthéon Sorbonne – directeur) et de Madame Valérie Dupont (Maître de conférences en histoire de l’art contemporain, université de Bourgogne – co-directrice de thèse). I. Introduction J’ai commencé mes premières recherches sur la galerie Iris Clert durant mes années de Master, avec l’écriture de deux mémoires, centrés chacun sur l’étude d’une période précise de l’histoire de cette galerie d’art contemporain [1]. Ces travaux m’ont notamment permis de considérer l’importance du rôle qu’a pu jouer cette galerie dans le contexte de l’avant-garde artistique parisienne de la fin des années 1950 et des années 1960. Mais les résultats de ces premières recherches ont surtout mis au jour la richesse de cet objet d’étude et l’ampleur du travail resté inexploité, me révélant ainsi l’intérêt d’approfondir l’exploration de ce sujet. C’est dans ce contexte que j’ai décidé d’entreprendre une thèse d’histoire de l’art se présentant sous la forme d’une étude monographique sur le parcours de galeriste d’Iris Clert. Un tel objet d’étude s’inscrit dans des préoccupations de recherches actuelles sur le marché de l’art, et l’intérêt historique que suscitent ses acteurs. En effet, l’on assiste depuis plusieurs années à un phénomène de valorisation du rôle et de la place des principaux acteurs de ce marché de l’art, que sont les galeristes – autrefois appelés marchands de tableaux, marchands d’art, puis directeurs de galerie d’art contemporain. Ce faisant, sont reconsidérées les initiatives privées de ces intermédiaires de l’art particuliers qui, depuis la naissance du marché de l’art moderne au xixe siècle, ont participé activement à donner une visibilité aux tendances artistiques les plus novatrices, en s’illustrant dans la promotion et la diffusion d’œuvres dont l’avant-gardisme était rejeté par le système académique. Ainsi, l’investissement de ces différents individus dans la direction d’espaces, où se conjuguent la double activité fondamentale de l’exposition et du commerce de l’œuvre d’art contemporaine, témoigne autant d’un soutien moral et financier auprès d’artistes encore inconnus, que d’un réel engagement dans la création artistique de leur temps. En ce sens, les galeries d’art contemporain ont élaboré des méthodes et pratiques communes, et ont réussi à constituer un réseau aussi efficace qu’incontournable sur la scène de l’art. Effectivement, elles sont parvenues à exister en marge des institutions officielles, tout en réussissant à créer progressivement une nouvelle situation, en s’imposant comme les principaux espaces d’expression de l’art contemporain et en s’érigeant comme les nouveaux lieux privilégiés de rencontres, d’échanges, de collaborations et de créations. Les activités de la galerie d’art dirigée par Iris Clert entre 1956 et 1982 attestent particulièrement de l’importance que ces structures indépendantes ont pris dans le contexte artistique parisien de la seconde moitié du xxe siècle. Protéiforme et itinérante, cette galerie a permis à certains des artistes majeurs de l’histoire de l’art de pouvoir présenter leurs œuvres, à un moment où ils n’étaient pas encore reconnus, lors de manifestations qui pour plusieurs d’entre elles ont marqué l’histoire des expositions. Il est vrai que cette galerie a joué un rôle actif sur la scène de l’art, autant dans la prise de risque que représentent la promotion et la diffusion de productions artistiques nouvelles, que dans la manière de donner à voir ces œuvres. En ce sens, il y a des correspondances qui peuvent s’établir entre le caractère novateur des œuvres présentées dans cette galerie, et la manière dont Iris Clert a pu s’en inspirer pour élaborer ses méthodes promotionnelles et expositionnelles. J’en viens ainsi à ce qui m’a singulièrement intéressé dans l’étude de cet exemple particulier de direction d’une galerie d’art ; à savoir comment les œuvres des artistes exposés ont connu des formes de réappropriations par Iris Clert, dans toutes les pratiques et productions de sa galerie, mais également dans sa façon d’incarner la profession de galeriste. II Sources primaires et secondaires Parmi les sources primaires qui m’ont permis de réaliser cette étude sur les activités de galeriste d’Iris Clert, le fonds d’archives de la galerie, conservé à la bibliothèque Kandinsky au Centre Georges Pompidou, occupe une place majeure. Les deux autres sources principales sont les témoignages autobiographiques d’Iris Clert ; son ouvrage iris.time (l’Artventure) paru aux éditions Denöel en 1978 [2], et les enregistrements de ses mémoires sonores : iris.time and life, réalisés par Ralph Rumney en 1975 [3]. L’exploitation de ces sources m’a permis de retracer l’histoire de cette galerie et la biographie de sa directrice, à travers l’étude de l’ensemble des documents produits par cette galerie, mais également à l’aune des souvenirs d’Iris Clert. L’intérêt du travail sur ces différentes sources demeure d’avoir observé la diversité, l’originalité et l’inventivité des productions matérielles de cette galerie, mais également d’avoir livré des informations intéressantes sur les relations qu’Iris Clert entretenait avec les institutions culturelles, les représentants du monde politique, ou encore avec ses artistes et autres acteurs du monde de l’art. L’un des apports primordiaux de l’étude de ces sources réside enfin dans la restitution la plus exhaustive possible que j’ai réalisée de l’expographie de cette galerie. Un travail qui par ailleurs a débouché sur un stage portant sur la partie photographique du fonds, qui n’avait pas encore pu être traité dans son intégralité. J’ai ainsi réalisé un grand nombre d’identifications et de datations de photographies de vernissages, d’accrochages et de reproductions d’œuvres. L’observation de ces photographies a su retenir mon attention sur l’ambiance festive des vernissages organisés, mais aussi sur la grande diversité des personnalités qui ont fréquentées cette galerie. À ces sources s’ajoute la consultation d’autres archives, notamment à l’Institut national de l’audiovisuel, où j’ai retrouvé plusieurs entretiens d’Iris Clert ainsi que des publicités télévisuelles destinées à annoncer des expositions de la galerie. Ces documents, jusqu’alors inexploités, ont révélé l’intérêt de considérer l’importance de la présence médiatique de la galeriste. En outre, j’ai également recueilli les témoignages de plusieurs acteurs de l’art qui ont connu et ont travaillé avec Iris Clert. Ces entretiens ont enrichi les connaissances sur le sujet, selon des points de vue individuels et plus subjectifs. L’ensemble de ces documents rassemblés et étudiés pour retracer l’histoire autonome de la galerie Iris Clert sont reproduits dans le volume documentaire de cette thèse. Afin d’envisager le parcours de galeriste d’Iris Clert dans un contexte plus vaste, celui des galeries d’art contemporain à Paris, je me suis appuyé, en sources secondaires, sur le travail pionnier engagé par la sociologue de l’art Raymonde Moulin, avec sa thèse sur le Marché de la peinture en France, publiée en 1967 [4] ; mais je me suis surtout appuyé sur les études plus récentes menées par l’historienne Julie Verlaine [5]. L’apport de ces travaux est considérable, au sens où ils m’ont donné les outils conceptuels nécessaires pour définir le type d’engagement qui a été celui d’Iris Clert sur le marché de l’art, et pour inscrire l’histoire de cette galerie particulière dans l’histoire des galeries d’art contemporain parisiennes, des premières avant-gardes jusqu’aux années 1970. Ces travaux m’ont également donné la possibilité de considérer les méthodes et pratiques promotionnelles et expositionnelles de la galerie Iris Clert à l’aune de celles de ses pairs. Enrichie d’autres lectures, de monographies, biographies, entretiens et autobiographies de galeristes, mon étude propose un grand nombre de comparaisons qui mettent en évidence les ressemblances et les différences entre la direction menée par Iris Clert dans ses différents espaces d’exposition-vente et les directions des autres galeries de son temps, mais aussi plus anciennes ou actuelles. III. Méthode d’analyse D’une façon générale, j’ai privilégié une méthode d’analyse qui inscrit l’action de la galerie Iris Clert dans l’histoire de l’art, tout en s’attachant à montrer comment cette action prend également place dans l’histoire culturelle. Ceci étant, la démarche que j’ai adoptée pour restituer le parcours de galeriste d’Iris Clert repose sur une approche thématique dont les parties traitent de problématiques différentes, afin de définir la place que cette galerie a occupée dans l’espace de production artistique. Ce faisant, j’ai d’abord considéré l’état des connaissances sur Iris Clert, concernant sa postérité, sa biographie, ainsi que les artistes qu’elle a exposés, et pour beaucoup découverts. J’ai ensuite situé les activités de cette galerie au regard des institutions artistiques, des politiques culturelles, et plus largement de la société, à partir d’exemples précis d’expositions et de manifestations organisées par Iris Clert, ou auxquelles elle a participé. Enfin, j’ai mis en valeur l’action individuelle de cette galeriste, par comparaison avec les pratiques artistiques et culturelles de son temps, que ce soit à partir de l’étude des pratiques et supports promotionnels qu’elle a créés, ou encore des modes de présentation de l’art qu’elle a expérimentés, et jusque dans sa façon d’incarner la profession de galeriste. IV. Résultats L’un des principaux résultats de cette étude réside dans l’idée selon laquelle Iris Clert a, tout au long de sa carrière de galeriste, concentré ses activités sur l’exposition de l’œuvre d’art, au détriment de son commerce. Il est vrai qu’à la différence de la gloire qu’ont connue sur le marché de l’art la plupart de ses pairs, Iris Clert n’a pas été une spéculatrice. Elle a même exprimé constamment sa conviction profonde que l’œuvre d’art n’est pas une marchandise. Une telle revendication apparaît pour le moins paradoxale pour une galeriste et atteste d’un désintérêt de soumettre son action à des logiques d’anticipations et de stratégies financières. Cette posture a eu des effets négatifs sur le fonctionnement général de son entreprise, perpétuellement marqué par des problèmes financiers considérables, qui ont eu pour principales conséquences : des difficultés pour payer les loyers de ses espaces d’exposition, ou encore les stands de foires telles que les Foires internationales d’art contemporain, mais également pour régler à ses artistes les œuvres vendues. Un phénomène qui explique d’ailleurs les départs successifs de ses artistes vers d’autres galeries, après une ou deux expositions individuelles. En revanche, cette volonté de libérer sa galerie de sa dimension commerciale est à l’origine de bien des innovations qu’Iris Clert a apportées et qui inscrivent son action dans l’histoire de l’art. Ainsi, cette galeriste a fait de son espace d’exposition d’œuvres d’artistes contemporains un lieu dédié à la création, où régnait une émulation artistique permanente. Dans ce contexte, sa galerie a pu se confondre à plusieurs reprises avec un atelier d’artiste, lors de manifestations consacrées au seul fait de l’art, et où aucune œuvre n’était à vendre. L’assimilation de cette galerie à un véritable espace de création se traduit à travers la grande inventivité dont a fait preuve Iris Clert, dans les modes de médiatisation, de promotion et de présentation des œuvres qu’elle défendait. En effet, les résultats de cette étude montrent bien comment elle s’est illustrée dans une pratique avisée de la communication et de l’événementiel, qui repose sur une maîtrise de l’art de la publicité et une aspiration à démocratiser l’accès à l’art, autant inspirée par les pratiques médiatiques que par les aspirations des politiques culturelles de son temps. Toutefois, Iris Clert apparaît extrêmement audacieuse au regard de l’histoire de l’art à travers la production de supports promotionnels très sophistiqués et la création de mises en scènes originales de l’art, en s’appropriant les œuvres de ses artistes, qui devenaient ainsi matériaux créatifs. V. Conclusion L’investissement de la galeriste dans la conception de manifestations, qui les soirs de vernissage se transformaient en véritable happening, dénote d’une participation aux changements profonds qui s’opèrent à cette époque, dans les rapports entre le spectateur et l’œuvre d’art. Ainsi, l’action d’Iris Clert s’inscrit dans cet élan plus général de certaines des conceptions artistiques de son temps, qui voulaient abolir toutes formes de frontières entre art et vie, tout en redéfinissant la notion même d’œuvre d’art. Et c’est précisément dans ce contexte qu’Iris Clert s’est faite l’artiste de sa galerie puis l’artiste d’elle-même, à travers un processus de personnification de sa galerie d’art et d’identification aux œuvres exposées, qui s’est matérialisé dans l’élaboration d’une mise en scène et en œuvre de soi très étudiée. C’est pourquoi, au terme de cette étude, Iris Clert apparaît sous les traits d’une activiste de l’art, qui a aimé vivre l’art, jusqu’à se réaliser à travers l’art. Et c’est principalement pour cette raison qu’elle est une galeriste unique en son genre. Enfin, les résultats de cette thèse ouvrent sur une autre perspective d’étude. J’ai insisté à plusieurs reprises sur le fait qu’Iris Clert est l’une de ces femmes qui ont participé à la vie de l’art contemporain en découvrant, en exposant et en promouvant des artistes. Il est vrai que les femmes sont nombreuses à avoir dirigé des galeries d’art à Paris, trouvant dans l’exercice de ce métier un moyen d’épanouissement et de reconnaissance sociale. Ainsi, je souhaiterais dans l’avenir mener une réflexion sur la place, l’importance et le rôle des femmes galeristes dans le Paris artistique de la fin du xixe siècle à nos jours. |
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AUTEUR Servin Bergeret Docteur de l’université de Bourgogne Franche-Comté Enseignant en histoire de l’art, classe préparatoire publique aux écoles supérieures d’art, école des beaux-arts de Beaune |
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ANNEXES |
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NOTES
[1]
Servin Bergeret,
Iris Clert, galerie 3 rue des Beaux-Arts, Paris. (Le Vide, Le
Plein, Les Méta-matics, L’impossible :
1956-1960), mémoire de Master 1 en histoire de l’art
contemporain sous la direction de Valérie Dupont, Dijon,
université de Bourgogne, 2009 ;
La Galerie Iris Clert, 28, rue du Faubourg Saint-Honoré,
Paris 8e (1961-1971), à travers
l’éditorial iris.time UNLIMITED. Entre tradition et
avant-garde, mémoire de Master 2 en histoire de l’art
contemporain sous la direction de Valérie Dupont et de
Bertrand Tillier, Dijon, université de Bourgogne, 2010.
[2]
Iris Clert, iris.time (l’Artventure), Paris,
Denoël, 2003 (1978).
[3]
Entretien d’Iris Clert mené, enregistré et
réalisé par Ralph Rumney,
iris.time and life : mémoires sonores d’Iris
Clert, (six cassettes audio), Paris, Galerie Iris Clert, 1975.
[4]
Raymonde Moulin, Le Marché de la Peinture en France,
Paris, Minuit, 1967.
[5]
Parmi ces études de Julie Verlaine, citons notamment :
Les galerie d’art contemporain à Paris. Une histoire
culturelle du marché de l’art, 1944-1970, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012 ;
« Engagement esthétique, discours publicitaire,
critique d’art. Les ambiguïtés des bulletins de
galeries (Paris, 1945-1970) »,
Les revues d’art. Formes, stratégies et réseaux
au xxe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011,
p. 307-318 ; « Soirs de vernissage. Pratiques
et publics autour de l’art contemporain à Paris, de la
Libération à la fin des années soixante »,
Hypothèses 2008 : travaux de l’École
doctorale d’histoire, Paris, Publications de la Sorbonne, 2009, p. 289-298 ; Daniel Templon, une histoire d’art contemporain,
Paris, Flammarion, 2016.
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RÉFÉRENCES Pour citer cet article : Servin Bergeret, « Iris Clert (1918-1986). Une galeriste singulière », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 20 septembre 2017, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html. Auteur : Servin Bergeret. Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html ISSN : 1961-9944 |
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