Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Territoires contemporains


Varia
Éric Sergent, 1870-1871, souvenirs d’une défaite. Mémoire d’une guerre en Côte-d’Or, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2020, 130 p. [1]
Yoann Cipolla-Ballati
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MOTS-CLÉS
Mots-clés : histoire politique ; histoire culturelle ; lieux de mémoire
Index géographique : France ; Bourgogne ; Côte d’Or
Index historique : xixe siècle ; Guerre de 1870
SOMMAIRE

TEXTE

« L’année 2020 marquera les 150 ans du début de la guerre franco-prussienne qui s’est déroulée du 19 juillet 1870 au 29 janvier 1871 », rappelle l’auteur en quatrième de couverture. Depuis la fin de « l’année terrible », les souvenirs de cette guerre se sont estompés dans les mémoires et la guerre est désormais oubliée ; au point que Gilles Vergnon, dans la préface de l’ouvrage, déplore la faible activité du monde scientifique sur ce sujet en 2020.

Les travaux d’Éric Sergent, doctorant en histoire de l’art, portent sur la mémoire des monuments côte d’oriens de ce conflit. Il explique qu’il cherche les traces de « ces lieux de mémoire sans mémoire », se réappropriant alors le titre des volumes de Pierre Nora. Le choix de la Côte d’Or s’explique par l’importance quantitative des monuments dans un département moins marqué que la Moselle, le Bas-Rhin et le Haut-Rhin, mais aussi lieu des combats, laissant un souvenir fort, selon Rémi Dalisson que l’auteur mentionne, alors même que les conséquences du conflit ne furent pas si prégnantes.

Pour ce faire, les sources primaires employées sont variées, toujours rapportées aux édifices mémoriaux, telles les archives de leur construction dans les comptes rendus des conseils municipaux, les mentions dans la presse, les lettres ou encore les journaux des comités ou les documents intimes. Deux photographies prises récemment viennent illustrer ce qu’il est advenu des deux monuments principalement étudiés. L’historiographie convoquée fait appel aux spécialistes du conflit, comme François Roth ou Jean-François Lecaillon ; Stéphane Tison pour la mémoire monumentale est présenté, ainsi que des travaux réalisés à l’échelle locale, bien qu’il en existe peu.

Après une introduction qui rappelle l’origine du projet et le sort du département dans le conflit franco-allemand, l’ouvrage est divisé en deux parties. La première partie interroge et définit les lieux et les monuments eux-mêmes.

Dans toute la France, environ neuf-cents monuments commémoratifs furent construits entre 1871 et 1914 pour la mémoire de la guerre de 1870, bien qu’il soit impossible d’en connaître exactement le nombre. Tant les lieux que leur nature sont variés : « il peut s’agir de monuments (obélisque, colonne, groupe sculpté sur piédestal, etc.) ou de plaques (souvent apposées par le Souvenir français), sur des places publiques, dans les cimetières, dans les églises ou même sur des propriétés privées. » (p. 28).

Cette première partie offre également à voir toute l’ambiguïté de ces « lieux de mémoire ». Le but de ces monuments n’est pas de montrer de la douleur, mais de valoriser le courage des combattants, de rappeler la mort héroïque. Par conséquent, ces constructions à des fins mémorielles rassemblent une multitude de « signe[s] matériel[s] à décrypter ». L’auteur mentionne qu’il y a plusieurs périodes d’inauguration : 1871-1873 étant une phase de deuil et de libération (la France est occupée jusqu’en 1873, mais jusqu’au 10 mai 1871 en Côte d’Or) ; 1873-1890 incarnant le temps du recueillement ; et 1895 à 1914 étant le rejeu mémoriel. Jean-François Lecaillon avait défini cette périodisation dans son ouvrage Le souvenir de 1870, histoire d’une mémoire [2].

Au sortir de la guerre, l’obligation est faite par le traité de Francfort du 10 mai 1871 d’entretenir les tombes. L’article 16 oblige à lancer quelques initiatives de constructions de monuments, cet acte montrant l’importance du respect accordé aux morts, qu’ils soient français, allemands ou italiens (garibaldiens), dans le but de leur rendre hommage. Les sépultures demeurent sur place, car rapatrier un corps est souvent onéreux mais surtout impossible, à cause de la dégradation des cadavres ou de leur dépôt dans des fosses communes. Ainsi, la loi du 4 avril 1873 inscrit l’entretien des tombes comme un fait juridique et un devoir.

Pourtant, ériger un monument peut être une difficulté lorsque des tensions mémorielles, voire des concurrences, existent entre des groupes politiques ou religieux, notamment dans la forme de l’hommage à rendre. C’est le cas en octobre 1875 pour la Colonne du 30 octobre à Dijon. Sur ordre du préfet, la statue fut déboulonnée la veille de son inauguration. L’édile souhaitait éviter le rappel du souvenir de la Commune de Paris de 1871, l’allégorie de la ville de Dijon en résistante, au glaive brisé par la reddition du 30 octobre, apparaissant comme un signe séditieux. Malgré le fumier déposé pour éviter des dommages à la sculpture, le déboulonnage dégrada la statue, qui fut envoyée au musée des Beaux-Arts de Dijon.

Le cas dijonnais n’est pas isolé, Nuits-Saint-Georges offrant un autre exemple pris par Éric Sergent pour montrer les tensions entre les différents acteurs locaux qui peuvent intervenir pour l’édification du monument, et notamment les concurrences mémorielles.

Ces mémoires sont aussi évolutives, ce qui est développé dans la deuxième partie. Les inaugurations, les discours, les salves d’artillerie ou les fleurs apposées dans les cimetières ou devant les monuments sont autant de façon de contribuer à réactiver la mémoire d’un événement. La participation est forte selon le lieu. Il peut se produire, comme à Messigny en 1910, des incidents au cours des cérémonies, liés au contexte plus qu’à la mémoire elle-même.  Les jeux mémoriels sont honorifiques et visent à montrer la bravoure des soldats plutôt que la défaite. En ce sens, « ce sont les vivants qui donnent un sens à la mort des défunts, et non eux-mêmes » explique l’auteur. Car le sens à donner est la Revanche, la volonté de mobiliser les esprits pour se préparer à la guerre à venir, en particulier après 1890, expliquant une forte remobilisation du souvenir de 1870 dans cette dernière décennie du xixe siècle. L’école est employée pour activer cet esprit de Revanche et le monument s’intègre dans un décorum complet, que cérémonies et parades militaires complètent.

En conclusion, Éric Sergent montre qu’une étude nationale se fait attendre et rappelle que les morts de 1870, en Côte d’Or ou ailleurs, sont oubliés. Les monuments se fondent dans le paysage, et les mémoires peinent à donner du sens à celles et ceux qui, au cours d’une promenade, croisent les édifices dédiés à la guerre de 1870-1871.

AUTEUR
Yoann Cipolla-Ballati
Professeur d’histoire-géographie au collège René Barthélémy, Nangis

ANNEXES

NOTES
[2] Jean-François Lecaillon, Le souvenir de 1870, histoire d’une mémoire, Paris, Bernard Giovanangeli Éditeur, 2012.

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Yoann Cipolla-Ballati, « Éric Sergent, 1870-1871, souvenirs d’une défaite. Mémoire d’une guerre en Côte-d’Or, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2020, 130 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 17 décembre 2020, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteur : Yoann Cipolla-Ballati
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944

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