Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Territoires contemporains


Varia
Irène Favier, L’usine théâtre du pouvoir. Direction et salariés à Faverge, mars-avril 1976, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2015, 229 p. [1]
Xavier Vigna
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MOTS-CLÉS
Mots-clés : histoire sociale et politique ; conflictualité ouvrière
Index géographique : France ; Haute-Savoie
Index historique : xxe siècle ; années 1968
SOMMAIRE

TEXTE

Le travail d’Irène Favier est essentiellement consacré à la grève qui secoua l’usine ST Dupont à Faverges en Haute-Savoie au printemps 1976. L’entreprise, qui fabriquait des briquets, connaît des turbulences suite à sa reprise par le groupe américain Gillette. La contestation, menée surtout par une section syndicale CFDT, conduit à une première escarmouche au printemps 1975, lorsqu’un délégué refuse de pointer. Le différend qui aboutit à une grève de trois jours avec occupation et une séquestration rebondit l’année suivante, suite à la signature de la nouvelle convention de la métallurgie sur les classifications. La traduction de la nouvelle grille dans l’entreprise précipite un nouveau conflit très dur, marqué par une longue occupation, et la menace par les salariés de reprendre la production, à l’instar des salariés de Lip. La référence bisontine fonctionne efficacement comme un épouvantail (jusque dans le vocabulaire des témoins) qui favorise la conclusion d’un accord, sans que l’entreprise n’ait réellement cédé pour autant. Le conflit marqua durablement la direction et notamment le PDG de Gillette-France, Michel Grinberg, lequel conserva une abondante documentation sur le conflit. C’est essentiellement sur ces sources que repose le travail d’Irène Favier, qui s’est également rendue à Faverges pour une campagne d’entretiens en mars 2009.

L’intérêt du livre tient d’abord à ce que cette grève s’inscrit pleinement dans la vive conflictualité ouvrière que connaît la France dans les années 68. Le litige sur les classifications comme le répertoire d’actions – grèves avec occupation, séquestrations, jusqu’à la menace d’une reprise de la production – correspondent à une configuration que l’on retrouve dans toute une série de territoires industriels périphériques, où l’insubordination arrive dans la foulée du printemps 68. Mais la direction de l’entreprise est assurée par Michel Grinberg, dont le nom de plume est Michel Vinaver. De ce fait, l’auteure interroge aussi le patron-dramaturge sur sa position, et traque ce conflit dans la trajectoire et l’œuvre du dramaturge. Le conflit semble en effet précipiter la bifurcation de Grinberg-Vinaver vers le théâtre.

Le livre reprend pour l’essentiel un mémoire de Master 2 entrepris par Irène Favier sous la direction de Patrick Fridenson en 2009. C’est assurément un excellent master, mais il en présente aussi les limites, liées à une documentation réduite : l’auteure n’a ainsi pas pu consulter d’archives publiques sur les conflits de 1970, 1975 et 1976 ; elle ne sait que très peu de choses sur la section CGT qui s’implante à la veille du conflit tandis que la bibliographie souffre de lacunes, y compris sur les années 68 (notamment les travaux de Michelle Zancarini-Fournel). Il pêche davantage en n’inscrivant que très peu ce conflit dans la longue histoire ouvrière. À cet égard, l’insistance sur les « coucheries » qui auraient eu lieu à la faveur de l’occupation (p. 186-187) mériterait d’être relativisée. Par ailleurs, Irène Favier me prête un diagnostic sur la CGT de l’époque « comme déconnectée du monde ouvrier » (p. 32) alors que j’ai pourtant tenté une analyse sensiblement plus nuancée, articulant modérantisme confédéral, dénonciation de l’extrême gauche et « maintien de l’influence cégétiste, en particulier dans les places fortes » [2].

En dépit de ces limites, le livre intéresse aussi dans une lecture au second degré : car il témoigne de la socialisation d’une chercheuse en devenir, insérée dans les réseaux normaliens, qui confronte ses lectures à son terrain, et teste des hypothèses, étayées par des auteurs : Foucault donc évidemment pour analyser le pouvoir, Bakhtine pour sa lecture du carnaval, Goffman mais aussi Daniel Arrasse et son apologie du détail, etc. Ses découvertes, comme ses ignorances, mais aussi ses enthousiasmes et son goût du théâtre montrent la fabrique d’une chercheuse : un livre de jeunesse en somme, imparfait assurément, plein de promesses pourtant, et par là, attachant.

AUTEUR
Xavier Vigna
Professeur des universités en histoire contemporaine
Université de Bourgogne-Franche-Comté, Centre Georges Chevrier-UMR 7366

ANNEXES

NOTES
[2] Notamment dans L’insubordination ouvrière dans les années 68. Essai d’histoire politique des usines, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, chap. v.

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Xavier Vigna, « Irène Favier, L’usine théâtre du pouvoir. Direction et salariés à Faverge, mars-avril 1976, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2015, 229 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 1er mars 2017, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteur : Xavier Vigna.
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944

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