Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-uB |
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Territoires contemporains | |
Varia | ||||
Alexandre Lambelet, Des âgés en A. G. Sociologie des organisations de défense des retraités, Lausanne, Éditions Antipodes, 2014, 318 p. [1] | ||||
Georges Ubbiali | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Annexes | Notes | Références | Outils | |||
MOTS-CLÉS
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SOMMAIRE |
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TEXTE | ||||
En histoire, en sociologie ou en science politique, les publications portant sur l’action collective des personnes âgées sont des plus limitées. Si l’on excepte le livre de Jean-Philippe Viriot-Durandal [2], les recherches se limitent à deux mémoires de DEA ou Master (Damien Bucco, 2004 [3] ; Matthieu Jarry, 2005 [4] ), quelques articles clairsemés (Béroud-Ubbiali, 2006 [5], Bucco-Ubbiali, 2006 [6]) et un rapport de recherche comprenant une recension bibliographique systématique (Ubbiali, 2013 [7]). C’est donc de Suisse et issu d’une thèse en science politique [8], que nous parvient ce roboratif ouvrage. Autant prévenir le lecteur tout de suite, ce livre est un maître-livre et représente une étape décisive dans l’appréhension et la connaissance du domaine des groupements de défense des personnes âgées. Tout juste peut-on lui reprocher quelques limites éditoriales, liées à son environnement éditorial national (ainsi, à moins d’être familier de la Confédération, il est peu probable que le lecteur connaisse réellement ce qu’est le Grütli, qu’une simple note de bas de page aurait permis d’expliciter). Pour le reste, l’enjeu du travail est clairement exposé dès l’introduction. Partant du constat de l’inexistence d’une littérature scientifique sur les groupements de retraités, l’auteur souhaite dépasser dans son analyse les quelques travaux disponibles dans la littérature anglo-saxonne. En effet, ce type de recherches ne s’intéresse aux personnes âgées que sous la forme de lobbys (logique qui était d’ailleurs celle de Viriot-Durandal, le seul livre conséquent dans ce domaine). Il s’agit alors de comprendre le rôle que ledit groupe de pression joue dans le système politique, mais, ce faisant, en délaissant totalement la question, centrale dans le propos de Lambelet, de l’engagement des acteurs dans ces structures. Il s’agit donc bien d’une conversion du regard (sociologique) auquel l’auteur invite : en finir avec le désintérêt scientifique pour les membres d’associations de personnes âgées. Cette posture justifie l’adoption d’une démarche compréhensive, afin de saisir les ressources mobilisées dans l’engagement, ressources se traduisant par une identité sociale, fruit d’une socialisation. Le terrain sur lequel se déroule l’enquête est caractérisé par l’existence de deux associations faîtières, l’ASA (Association suisse des Aînés) et la FARES (Fédération des associations de retraités et d’entraide en Suisse) qui regroupent trente-neuf organisations pour la première et vingt-trois pour la seconde. Ces deux conglomérats sont par ailleurs représentés, depuis le début des années 2000 dans une structure consultative, le CSA (Conseil suisse des aînés). On le comprendra aisément, au vu de la multitude des associations existantes, il n’était guère envisageable de conjuguer une approche compréhensive, avec les contraintes impliquées en terme de protocole de recherche et l’analyse de la totalité des structures. Le choix a donc été fait de se concentrer sur deux associations [9], l’AVIVO (Association des vieillards, invalides, veuves et orphelins), fondée en 1948, historiquement liée au Parti communiste suisse [10] et la FSR (Fédération suisse des retraités), créée en 1984 et proche du parti démocrate chrétien (PDC). L’AVIVO comme la FSR sont membres de la FARES, l’ASA demeurant un angle mort de cette recherche. Le propos se déploie ensuite en trois chapitres, qui constituent autant d’angles d’approche et de méthodes pour saisir cette réalité de l’engagement des personnes âgées. L’approche historique constitue le fil rouge du premier chapitre qui porte sur l’évolution de la structuration des organisations, avec une interrogation sous-jacente sur leur rapport avec l’État et ses administrations. Cela oblige l’auteur à décentrer son propos et introduire une autre organisation, dont il n’avait pas été question, Pro Senectute (PS), association de patronage des aînés, apparue en 1917, dans le droit fil du catholicisme social. Ancêtre des associations de personnes âgées, PS est décrite comme une association POUR et non PAR les personnes âgées. D’ailleurs, son évolution, après la création de l’AVS (Assurance vieillesse et survivance), nom du système de retraite en Suisse, vers une structure d’expertise, confirme le caractère para-administratif de cette organisation. On ne rentrera pas ici dans le détail, très bien documenté et sous-tendu par une discussion sur la littérature des groupes d’intérêts, de cette histoire. Retenons que le champ de la représentation autour des questions d’âge se renforce au cours des années 1980 avec la création des organisations faîtières, conjointement à l’apparition d’une demande de participation aux prises de décision de la part des associations d’ainés. Prenant acte des limites d’une explication en termes fonctionnalistes rabattant le développement des organisations d’aînés sur leur interaction avec l’État, Alexandre Lambelet aborde dans un second chapitre la question des socialisations préalables des acteurs de ces organisations. Quelles sont les ressources que les anciens engagent dans l’activité d’animation des organisations ? Cinq logiques d’engagement sont repérées. Une première renvoie à l’adhésion comme l’occasion de valoriser des compétences acquises préalablement dans un cadre professionnel. Des figures permettent de dresser des portraits très vivants de ces différents types [11]. La seconde logique renvoie à un engagement préalable dans le monde syndical ou politique. La troisième posture est celle d’un engagement de rattrapage, permettant de renouer avec des engagements antérieurs, abandonnés pour des raisons de carrières en particulier. Donner pour exister, dans le droit fil d’une perspective maussienne (logique du don/contre-don) constitue la quatrième forme. Cette forme d’engagement permet, au passage, d’apprécier l’érudition de l’auteur et sa connaissance détaillée de la littérature sur ce thème, permettant un riche développement. Enfin, une dernière forme d’engagement, marquée par la recherche de loisirs et de sociabilité, achève cet excursus typologique. Ces différentes formes d’engagement sont liées à des ressources, dont une description est également proposée (formation, compétences linguistique – en particulier bilinguisme –, possession de la nationalité, etc.). S’appuyant sur la notion développée par Marc Abélès, l’auteur propose d’envisager que ces caractéristiques conditionnent « l’éligibilité » des individus aux différentes fonctions offertes au sein des organisations. C’est seulement à la condition de prendre en compte ces dispositions à la fois singulières et hétérogènes qu’il est possible de rendre compte des prises de positions de ces organisations de retraités. Enfin, dans un dernier et dense chapitre, Lambelet s’intéresse, par une démarche ethnographique, aux formes de l’activité de ces associations, en particulier à partir des rassemblements qu’elles organisent ou auxquels elles participent. Pour ce faire, il marie de manière très convaincante un très argumenté développement méthodologique avec des comptes rendus de six scènes d’observation. Le lecteur se trouve plongé dans une partie quasi cinématographique tant la précision des descriptions lui permet de suivre la logique des interactions, que ce soit dans un loto, une assemblée générale, une réunion de dirigeants ou une rencontre institutionnelle. Ces différentes scènes l’amènent à constater que contrairement à ce qu’un esprit naïf pourrait penser, même les moments les plus festifs et ludiques sont traversés d’une logique de politisation du sens. Cette sensibilisation infra-politique des participants ne s’articule pas toujours de manière spontanée avec la forme de loisirs développée. Dans une perspective nourrie par la lecture de Goffman, l’auteur se livre alors à une analyse du cadrage des identités du groupe des personnes âgées, à travers ce que ses représentants (membres du POP ou chrétiens démocrates) donnent à voir. Ce travail de cadrage se manifeste à travers une esthétisation des formes identitaires. Après ces riches aperçus, à chaque étape nourris par un important substrat empirique, l’auteur conclut son analyse par une proposition assez inattendue et des plus stimulante, celle de la police des âges. Et si cet activisme retraité, dont la logique a fait l’objet de multiples aperçus au long des chapitres, n’était, au fond, que le fruit d’une exclusion des anciens des scènes légitimes et des lieux de pouvoir ? La cause retraité pourrait-elle n’être que la manifestation d’une cause de substitution, d’un engagement par défaut ? Cette note de lecture a fait l’objet d’une première publication, plus courte, dans Retraite et Société, n° 72, décembre 2015, p. 145-147. |
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AUTEUR Georges Ubbiali Maître de conférences en sociologie Université de Bourgogne-Franche-Comté, Centre Georges Chevrier-UMR 7366 |
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ANNEXES |
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NOTES
[2]
Jean-Philippe Viriot-Durandal,
Le pouvoir gris : sociologie des groupes
de pression de retraités, Paris, PUF, 2003.
[3]
Damien Bucco,
« La retraite syndicale ». Approche
sociologique du syndicalisme retraité CGT dans
l’agglomération nantaise, Université de Nantes, mémoire de DEA de sociologie,
2004. En ligne :
http://perso.numericable.fr/~sitedurtf7/downloads/DEA_Damien_Bucco.pdf.
[4]
Matthieu Jarry,
« Des fidèles entre les
fidèles ». Ethnographie d’une section CGT
de retraités PTT, Université Lille II, mémoire de Master de science
politique, 2005.
[5]
Sophie Béroud et Georges Ubbiali, « Association ou
syndicat ? Le syndicalisme des retraités face au principe
associatif », dans Danielle Tartakowsky et Françoise
Tétard (dir.),
Syndicats et associations : concurrence ou
complémentarité ?, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 293-303.
[6]
Damien Bucco et Georges Ubbiali, « Syndicalisme et
retraites en France : une mise en perspective
sociologique », Documents-CLEIRPPA, Cahier
n° 21, janvier 2006, p. 29-32.
[7]
Georges Ubbiali, « Les conditions du maintien des
syndiqués CFDT au moment du départ en
retraite », CFDT-Centre Georges Chevrier/Université
de Bourgogne, rapport pour l’Agence d’objectif de
l’IRES, septembre 2013, 90 p.
[8]
Alexandre Lambelet,
Entre logique organisationnelles et vocation militante, les
groupements suisses de défense des retraités en
pratique, Université Paris I et Université de Lausanne,
thèse de science politique, 2010.
[9]
Aussi bien pour l’AVIVO que pour la FSR, Alexandre Lambelet a
multiplié les sites d’observation, intégrant aussi
bien des sections locales alémaniques que romandes,
délaissant la composante tessinoise-italophone.
[10]
Dans la Confédération, pour des raisons liées à
la configuration sociale, le PC Suisse s’est appelé
Parti du travail (au niveau fédéral) ou Parti
ouvrier populaire (dans la partie romande).
[11]
Retenons d’ailleurs que l’auteur ne s’appuie pas
sur une construction genrée des formes d’engagement, qui
lui aurait permis d’éclairer, notamment, comment les
rôles de grands-mères sont appropriés par ces
femmes.
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RÉFÉRENCES Pour citer cet article : Georges Ubbiali, « Alexandre Lambelet, Des âgés en A. G. Sociologie des organisations de défense des retraités, Lausanne, Éditions Antipodes, 2014, 318 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 6 février 2017, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html. Auteur : Georges Ubbiali. Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html ISSN : 1961-9944 |
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