Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-uB |
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Territoires contemporains | |
Varia | ||||
Bernard Dompnier (dir.), Les langages du culte aux xviie et xviiie siècles, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2020, 488 p. [1] | ||||
Alain Rauwel | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Annexes | Notes | Références | Outils | |||
MOTS-CLÉS
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SOMMAIRE |
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TEXTE | ||||
Parmi les territoires conquis ces dernières années par l’histoire, l’étude des pratiques cultuelles est l’un des plus notables, depuis l’Antiquité tardive jusqu’à l’époque contemporaine. Les modernistes ont joué un rôle particulièrement actif dans ce mouvement, comme en témoigne le prédécesseur du volume ici analysé, publié aussi sous la direction de Bernard Dompnier, il y a dix ans [1]. La configuration dans laquelle les spécialistes français d’histoire religieuse post-tridentine se sont tournés vers la liturgie est toutefois singulière, dans la mesure où l’impulsion est souvent venue de la musicologie, comme le manifeste à l’évidence la table des Langages du culte, où figure l’une des dernières études de Xavier Bisaro, prématurément décédé en 2018, dont les travaux ont puissamment inspiré le liturgical turn à la française. La rencontre disciplinaire, si elle est heureuse dans son principe, ne facilite pas toujours l’accès aux recherches ; à la différence de l’histoire des arts visuels, qui a majoritairement opéré sa conversion post-formaliste et su s’intégrer dans une véritable histoire sociale des représentations, l’histoire des arts sonores est encore très marquée par un technicisme qui traumatisera facilement ceux qui n’ont pas gardé un souvenir lumineux des cours de solfège de leur âge puéril… Le langage commun qui permettra aux musicologues de dialoguer vraiment avec les historiens des croyances, des cultures et des sociétés reste en bonne partie à inventer. Ce n’est pas un hasard si la plus intéressante des études sur le chant liturgique présentes dans le recueil de Bernard Dompnier est celle de Thomas Leconte sur les hymnes de Santeul, le grand poète de la réforme dite « néo-gallicane ». L’approche conjointe d’une figure, d’un agencement ecclésial, d’une rhétorique et d’un langage musical éclaire efficacement les enjeux des grandes révisions des livres de choeur à la fin de l’Ancien régime. Lorsqu’elles aboutissent ainsi à des monographies nuancées, les activités du groupe clermontois sont à leur meilleur. L’état des lieux de la recherche vivante en liturgie baroque aujourd’hui proposée remplace heureusement la synthèse prématurée et superficielle de Philippe Martin [2]. Pour ne prendre que quelques exemples dans un ensemble d’aussi haute tenue qu’il est de vif intérêt, la contribution de Simona Negruzzo sur les séminaires ou celle de Christophe Maillard sur les chanoines sont de ce point de vue exemplaires. La question de la formation intiale ou continue de l’ancien clergé est très négligée ; elle est pourtant fondamentale : comment ces hommes dont l’occupation principale était de célébrer le culte rite et recte avaient-ils été initiés aux mystères de l’autel ? De même, à force d’accumuler les études sur le recutement des chanoines, ou leurs revenus, ou leurs bibliothèques, on finit par oublier qu’ils avaient pour mission première d’assurer au chœur le service divin. Leur rôle de conservateurs des usages liturgiques locaux (bien mis en lumière dans l’enquête Lebrun telle que l’avait analysée Xavier Bisaro [3]) est ici justement souligné. Au-delà des pays de vieille Chrétienté, les effets rituels de la première mondialisation sont entrevus à travers la belle étude de Paul-André Dubois sur le chant d’église en langues amérindiennes dans les missions de Nouvelle-France ; cette dimension extra-européenne est capitale. Un autre point fort des programmes de recherche récents, qui est d’ailleurs commun aux publications des médiévistes et des modernistes, est l’analyse fine des lieux de célébration. Loin d’une histoire de l’architecture étroitement stylistique ou attributionniste s’est développée une lecture sainement fonctionnaliste des espaces cultuels, dont Mathieu Lours est l’un des meilleurs représentants pour l’Ancien régime. Il fournit au volume des Presses Blaise Pascal une utile synthèse de ses travaux sur les cathédrales [4], qui ont révélé l’importance des conflits entre défenseurs des anciens dispositifs, largement fermés et réservés au clergé, et promoteurs des chœurs « à la romaine », propres à la mise en œuvre d’une pastorale cérémonielle fondée sur un meilleur accès visuel et sonore aux mystères. La parfaite connaissance de l’aménagement médiéval des églises permet à M. Lours de désigner avec pertinence les effets de nouveauté réels. On ne peut en dire autant de toutes les contributions. L’histoire du culte n’autorise aucun enfermement dans une période historique particulière, sous peine de contresens multipliés. De la naissance de rites chrétiens publics à leurs transformations les plus contemporaines coule un flux verbal, gestuel, objectal, dont il est certes permis de connaître mieux tel ou tel segment, mais dont la perception globale est plus indispensable encore que dans d’autres champs d’études. Lorsque Sophie Hache pose la question aussi neuve qu’importante de « la prédication sur la messe à l’âge classique », elle fait une observation décisive en repérant l’émergence d’un thème nouveau dans les chaires du xviie siècle, mais elle en affaiblit le développement en ignorant largement l’héritage médiéval dont il est tributaire, tant en ce qui concerne l’éthos du fidèle que le domaine immense de l’éxégèse liturgique (un héritage qui vaut tout autant pour la législation synodale). Au moins son travail est-il parfaitement en phase avec le projet des Langages du culte ; quelques chapitres apparaissent en revanche très marginaux, au point de s’interroger sur le sens de leur insertion : qu’y a-t-il de liturgique dans l’examen, par ailleurs scrupuleux et intéressant, de l’ornemental sur les retables pyrénéens ? On le voit, plus les chercheurs invités par Bernard Dompnier se placent au croisement de plusieurs itinéraires disciplinaires, plus ils font utilement réfléchir. Paradigmatique est la contribution de Thierry Favier, qui mobilise anthropologie philosophique, rhétorique et musicologie stricto sensu pour pénétrer en profondeur un objet sonore spécifique. Il y a du discours de la méthode dans ce recueil, comme l’établit la ferme introduction du maître d’œuvre. Ce n’est certes pas hors de propos : les historiens académiques ont investi récemment un terrain devenu accessible par l’extinction du bataillon des spécialistes clercs longtemps titulaires d’un monopole de fait ; un juste arpentage de ce terrain s’impose pour éviter les faux pas. Utilisera-t-on toujours les mêmes instruments et tracera-t-on les mêmes frontières que le savant historien des cérémonies baroques ? Ce n’est pas certain. La rigueur méthodique revendiquée dans son école amène parfois à restreindre les périmètres, à fermer des portes là où l’on peut imaginer des percées. Au chapitre des dénominations, l’option pour le lexique cérémoniel au détriment de celui du rite peut être discutée. Les deux termes ont une longue histoire, qui n’est pas seulement ecclésiastique au sens étroit. L’un et l’autre ont été mobilisés par les scolastiques d’abord, les philosophes ensuite (que l’on pense à l’intérêt d’un Spinoza pour les cérémonies), dans des configurations fluctuantes. Et le rite a tout de même cet avantage massif d’être un mot de sciences sociales, largement utilisé en anthropologie, en état par conséquent de promouvoir de fécondes comparaisons entre aires culturelles et périodes [5]. N’y a-t-il pas dans les pays anglo-saxons un véritable secteur de recherches désigné comme ritual studies ? Si les frilosités extrêmes de l’Université française face aux studies ne l’ont pour l’heure guère imposé dans notre univers linguistique, il est permis de penser que l’avenir de la vieille « science liturgique », si elle doit en avoir un, est plutôt de ce côté. Cela implique, dès maintenant, d’apprendre à dépasser les provincialismes disciplinaires. En matière de rites, la France a connu un précurseur en la personne de Jean-Yves Hameline (✝ 2013), que l’on se réjouit de voir cité et discuté par Bernard Dompnier. Véritable inventeur de la « ritologie », Hameline, venu des terres classiques de la théologie, s’est risqué à l’expérimentation de la plupart des méthodologies mises en avant dans les années 1970 par les sciences humaines triomphantes. Le rendement, inévitablement, n’a pas été constant, et il est probable que le dernier Hameline avait enterré, comme d’autres liturgistes, certaines considérations linguistiques ou sémiologiques d’il y a cinquante ans. Reste que sa démarche est exemplaire d’une approche résolue de sciences sociales. Face à elle, on sent Bernard Dompnier un peu rétif ; il dirait volontiers magis admirandum quam imitandum. C’est qu’il craint pour l’intégrité d’une histoire définie d’une façon bien orthodoxement positiviste. N’y a-t-il pas là comme un danger de sécheresse ? Puisque le rite est un objet neuf, non fossilisé par des décennies de psittacisme universitaire, ne serait-il pas opportun de le soumettre en grande liberté à des regards croisés ? C’est d’ailleurs ce que fait bien souvent Les langages du culte (à l’exemple de Bruno Restif lisant les statuts synodaux au miroir des modèles sociologiques de l’éthos corporel) et qui rend sa consultation, au bout du compte, tout à fait inspirante. |
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AUTEUR Alain Rauwel Professeur agrégé Université de Bourgogne-Franche-Comté / CeSor (EHESS) |
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ANNEXES |
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NOTES
[2]
Bernard Dompnier (dir.), Les cérémonies extraordinaires du catholicisme
baroque, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2009.
[3]
Philippe Martin, Le théâtre divin : une histoire de la messe du
xvie au xxe siècle, Paris, CNRS, 2010. On verra sur cet ouvrage la critique sereine et juste de Jean-Yves Hameline, « Sur l’histoire de
la messe à l’époque moderne : à propos
d’un ouvrage récent », La Maison-Dieu,
n° 267, 2011, p. 75-122.
[4]
Xavier Bisaro, Le passé présent : une enquête liturgique
dans la France du début du xviiie siècle, Paris, Cerf, 2012.
[5]Mathieu Lours,
L’autre temps des cathédrales, du concile de Trente
à la Révolution française, Paris, Picard, 2010.
[6]
Cf. Alain Rauwel, Rites et société dans l’Occident
médiéval, Paris, Picard, 2016 et Id., « Rites et systèmes
religieux : quelques observations », Archives de sciences sociales des religions,
n° 188, 2019, p. 79-85.
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RÉFÉRENCES Pour citer cet article : Alain Rauwel, « Bernard Dompnier (dir.), Les langages du culte aux xviie et xviiie siècles, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2020, 488 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 1er septembre 2020, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html. Auteur : Alain Rauwel. Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html ISSN : 1961-9944 |
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