Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-uB |
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Territoires contemporains | |
Varia | ||||
Franck Bousquet et Pauline Amiel, La presse quotidienne régionale, Paris, La Découverte, 2021, 128 p. [1] | ||||
Pierre Pitoizet | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Annexes | Notes | Références | Outils | |||
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La presse quotidienne régionale (PQR) est très ancrée sur le territoire français. En plus de diffuser quotidiennement d’épais journaux sur d’importantes zones géographiques, les titres de la presse régionale restent des repères forts du paysage médiatique local et national, quand ils ne sont pas devenus de véritables « marques » commerciales. En effet, Ouest-France, Le Progrès, Le Bien Public ou Var-Matin sont autant de noms connus de tous sur leurs territoires de diffusion respectifs. La PQR recouvre une réalité historique singulière liée au territoire et à une certaine tradition. Sa résistance relative à la crise globale de la presse écrite s’explique en grande partie par la spécificité de sa production journalistique. Diffusant de l’information quotidiennement, la « locale » tire son épingle du jeu par son implantation et par le maillage territorial que nécessitent ses activités. Pourtant, elle est touchée depuis quelques années par une nouvelle contradiction la mettant en tension entre les prérogatives traditionnelles qui ont fait sa réussite et ses obligations de modernisation, notamment autour des stratégies éditoriales. Ainsi, la recherche de cet équilibre reste délicat. Retraçant les origines techniques, politiques et économiques de la PQR, La presse quotidienne régionale s’attarde à capter les persistances et les évolutions récentes qui ont bouleversé ce champ si particulier de la presse française. Résiliente grâce à son degré élevé d’intégration à la société locale, elle reste un secteur médiatique jouant un rôle déterminant dans la construction des représentations des territoires et de leur fonctionnement quotidien. Néanmoins, ce qui a fait son succès montre désormais de réelles limites qu’elle peine à dépasser. Forte durant des décennies d’une fonction essentielle, celle d’intégrateur à la « communauté imaginée », la presse régionale rencontre des difficultés quant à sa capacité à évoluer sans trahir ses dispositions originelles. Son identité se brouille de plus en plus au rythme des changements successifs. Et la PQR a bien du mal à tenir ses objectifs. Les contenus qu’elle présente sont chamboulés par l’effacement progressif de la frontière entre l’information et la communication. Sans être une nouveauté, l’influence des pôles publicitaires et du marketing prend désormais une importance déterminante qui change la donne. En plus de connaître un désinvestissement réel en matière de moyens humains et financiers – baisse du nombre de journalistes, précarisation des rédacteurs, etc. –, la PQR subit une dépendance de plus en plus forte par rapport aux sources qui se professionnalisent. Privilégiant le discours prémâché des collectivités territoriales, des élu-es locaux ou des associations de commerçant-es, le travail quotidien des journalistes s’en trouve largement contraint. La liberté rédactionnelle est ainsi mise à mal. Les routines organisationnelles pèsent alors fortement sur les rédactions de l’information régionale. De plus, la constitution de grands groupes de presse sur des modèles industriels a modifié le travail quotidien des journalistes. Les situations de monopole et de concentration aux mains de ces groupes restructurent le fonctionnement des entreprises de presse. Des économies d’échelles sont réalisées afin de faire baisser les coûts généraux et les stratégies managériales ont sensiblement impacté les pratiques des rédactions. Les contenus s’uniformisent entre les journaux à l’image des Bureaux d’informations générales qui centralisent la production de l’information nationale. L’identité des rédacteurs est de plus en plus floue. Le lien étroit avec les pôles marchands des titres de presse brouille leur image professionnelle et leur travail. La temporalité quotidienne de la production et l’insuffisance des moyens amène à un effet de remplissage des journaux. Le rapport de force entre les journalistes et leurs sources s’inverse jusqu’à caractériser les titres de PQR de « médias de diversion » tant ceux-ci délaissent la teneur démocratique de leurs fonctions. Car l’objectif premier de la PQR reste maintenant d’écouler quotidiennement du papier. Surtout, la PQR n’est plus la seule source d’information locale. Elle est dépendante des réseaux sociaux numériques (RSN) et de leur fonctionnement. Internet et l’hyper-concurrence amenée par ces nouveaux outils effritent les certitudes sur lesquelles les titres de PQR se reposaient, en premier lieu les recettes publicitaires, la vente de papier et les « petites annonces ». La proximité historique avec le lectorat est fragilisée notamment du fait de la numérisation des contenus. La multiplication de ces derniers ainsi que la segmentation des consommateurs ciblés qui l’accompagne rompt avec l’identité traditionnelle de la PQR. On n’achète plus le journal pour sa globalité éditoriale mais pour certaines rubriques précises. La lecture est échantillonnée et le lien avec les publics se dénoue. Comme l’expliquent Franck Bousquet et Pauline Amiel, « le territoire et le local s’individualisent en même temps que l’identité du journal se dilue ». La dimension pratique de l’information de la PQR est dans le même temps concurrencée par d’autres structures qui émergent et viennent bouleverser le paysage de l’information locale. Pour résister à l’émergence de ces nouveaux médias, les titres de la presse quotidienne régionale sont plus que jamais devenus des journaux « au service de... ». Afin d’assurer une diffusion large et ainsi attirer les annonceurs publicitaires, la PQR priorise des contenus omnibus qui dépolitisent a priori les articles et le réel qu’ils mettent en forme. La recherche d’une audience optimale par les grands groupes finit d’enterrer le rôle du journal comme « auxiliaire de la démocratie ». Le rapport au lectorat tient alors plus du conseil à la consommation et la fonction civique s’en trouve largement délaissée. À des fins mercantiles, les contenus sensationnels sont privilégiés. Les stratégies rédactionnelles intègrent alors les logiques algorithmiques des RSN. Les mots-clés, les chatbots et les pratiques de sondage sont autant de moyens pour la PQR d’élargir la captation des publics. Ces modes de production journalistique ont une influence majeure sur l’autonomie et la réputation des rédacteurs mais aussi sur les représentations que se font les professionnel-les de leur lectorat. Afin de limiter l’érosion des ventes à l’instar de ses voisins de la presse écrite nationale, la PQR entre dans un cercle vicieux l’amenant à se « tirer une balle dans le pied ». Elle prend pleinement part dans un système d’information globalisé qui contraste de facto avec les fonctions traditionnelles qui ont fait son succès. Entre une proximité territoriale vis-à-vis de son lectorat et une production mercantile industrialisée et numérisée, la PQR hésite et s’éloigne ainsi des contours historiques de ses activités journalistiques. Ce livre paru dans la collection Repères de la Découverte est une riche synthèse reprenant les tenants et les aboutissants de l’évolution de la PQR dans le temps. Mais loin de se restreindre à une réflexion seulement historique, l’ouvrage propose une approche pluridisciplinaire qui offre de larges éléments de compréhension sur les origines et les transformations récentes de la presse quotidienne régionale. Pauline Amiel et Franck Bousquet restituent de nombreux aspects de la PQR, de son contexte d’apparition à ses fondements économiques en passant par le modèle éditorial, le fonctionnement actuel de la production, les récents bouleversements liées au numérique ou encore le rapport au lectorat qui sont les siens. Proposant une analyse complexe qui croise différents apports des sciences humaines et sociales, La presse quotidienne régionale résume en une centaine de pages plus de deux siècles d’évolution grâce à une bibliographie importante, des données chiffrés et des études de cas pour exemplifier leur propos. À lire absolument pour tout comprendre de la « locale »... |
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AUTEUR Pierre Pitoizet Journaliste (Kawa TV) Titulaire du Master 2 Archives des xxe et xxie siècles européens (uBFC) |
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ANNEXES |
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NOTES |
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RÉFÉRENCES Pour citer cet article : Pierre Pitoizet, « Franck Bousquet et Pauline Amiel, La presse quotidienne régionale, Paris, La Découverte, 2021, 128 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 4 octobre 2021, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html. Auteur : Pierre Pitoizet Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html ISSN : 1961-9944 |
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