Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Territoires contemporains


Varia
Fabien Conord, S’insurger pour la Patrie. Dijon-Paris, octobre 1870, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2020, 89 p. [1]
Odile Roynette
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MOTS-CLÉS
Mots-clés : histoire politique ; histoire sociale ; insurrections populaires ; Guerre de 1870
Index géographique : France ; Paris ; Dijon
Index historique : xixe siècle
SOMMAIRE

TEXTE

Avec S’insurger pour la Patrie, Fabien Conord, professeur d’histoire contemporaine à l’université Clermont-Auvergne et spécialiste d’histoire politique, nous invite à examiner deux événements restés longtemps en marge de la mémoire collective du conflit franco-allemand de 1870-1871 : les insurrections populaires qui, à Dijon le 30 octobre 1870 puis à Paris le 31, embrasent ces deux villes décidées à ne pas se rendre à l’ennemi.

L’auteur, qui avait déjà consacré une étude aux 107 parlementaires français refusant, le 1er mars 1871, la cession d’une partie du territoire en votant contre la paix [2], prolonge ici sa réflexion en la centrant sur le patriotisme ardent de la gauche républicaine, inscrit dans l’héritage de la Révolution française et du mythe des volontaires de 1792. Déjà analysé notamment par Philippe Darriulat [3], cet attachement passionné à la patrie, exacerbé dans le contexte très sombre de l’automne 1870, marqué par la capitulation du maréchal Bazaine à Metz (27 octobre), par l’échec de la sortie du Bourget visant à briser le siège de Paris (30 octobre) et par l’annonce des négociations avec l’ennemi, incite une partie de la population à prendre les armes à Paris comme à Dijon (mais aussi à Aurillac, Angers, Saint-Étienne, Valence, Nice ou bien encore Marseille).

L’auteur retrace avec beaucoup de précision les conditions de ces deux journées en les replaçant dans une lignée insurrectionnelle qui, depuis les années 1830, a façonné l’histoire politique et sociale du xixe siècle. L’insurrection parisienne, mieux connue que l’insurrection dijonnaise, a des meneurs célèbres, comme Auguste Blanqui, Gustave Flourens ou Charles Delescluze, vétéran de la révolution de 1830, commissaire de la République dans le Nord et le Pas-de-Calais en 1848, exilé sous le Second Empire. Grâce aux journaux militants qu’ils contrôlent, ils appellent le peuple parisien à converger vers l’Hôtel de ville, lieu du pouvoir municipal et symbole des luttes pour la liberté. Fabien Conord montre bien que, derrière ces personnalités chevronnées, c’est la fraction militante de la population des hauts quartiers parisiens, étudiés par Jean El Gammal [4], notamment celle de Belleville et de Ménilmontant, qui s’engage. Toutefois le mouvement demeure minoritaire, non seulement au sein du camp des conservateurs, mais aussi dans celui des républicains modérés qui, à l’instar de Victor Hugo ou de Ledru-Rollin, refusent de cautionner ce qu’ils perçoivent comme une menace pour le gouvernement de la Défense nationale, très fragilisé par ses échecs répétés dans la conduite de la guerre. La fracture entre républicains s’approfondit donc, comme en témoigne le plébiscite, si peu conforme à la tradition républicaine, organisé à Paris quelques jours après l’échec de l’insurrection, qui confirme le pouvoir en place à une majorité écrasante. Seul le xxe arrondissement, le cœur battant de la gauche révolutionnaire et patriote, se démarque et entre alors dans une logique de radicalisation.

À Dijon, la journée du 30 octobre s’inscrit dans une logique identique qui justifie pleinement la comparaison suivie par l’auteur. La ville, républicaine avant la guerre tout comme Paris, est cernée par les troupes allemandes qui veulent obtenir sa reddition sans combat. Quelques militants républicains, notamment le directeur du Progrès de la Côte d’Or, Victor Lagrange, appellent à la résistance dans un contexte local qui est celui de l’engagement de Guiseppe Garibaldi, volontaire aux côtés de la République française et chef des troupes stationnées en Bourgogne. « Vaincre ou mourir », cette devise venue de 1789, guide les motivations des insurgés qui érigent des barricades pour empêcher l’ennemi de prendre la ville. L’analyse de Fabien Conord, qui s’appuie sur les sources conservées dans les archives municipales et départementales, est ici précieuse en ce qu’elle éclaire la sociologie des insurgés : des hommes principalement, mais aussi quelques femmes, qu’on aurait aimé encore mieux connaître mais qui n’ont, semble-t-il, pas laissé de témoignages écrits. Ils appartiennent à tous les milieux, mais les employés et les membres des métiers manuels constituent la majorité, auxquels viennent s’agréger quelques militaires en activité ou en retraite. Contrairement à Paris qui ne comptera que deux blessés le lendemain, la lutte fait ici de nombreuses victimes (160 tués, 341 blessés et 101 prisonniers), soit un lourd tribut pour une ville qui doit se rendre dès le lendemain, tant le rapport de forces est disproportionné.

L’indignation, cette catégorie morale que l’auteur emploie à notre avis à juste titre pour désigner le moteur de ces insurrections, ne disparaît pas pour autant. Si l’état d’esprit des insurgés dijonnais reste obscur après la journée du 30, faute de sources, celui des acteurs parisiens l’est moins. La réplique du 22 janvier, qualifié d’« insurrection du désespoir » par l’auteur (p. 54), témoigne de la radicalisation de la frange la plus combative des militants parisiens, parmi lesquels on trouve Louise Michel. Beaucoup plus durement réprimée que la journée du 31 octobre, elle est aussi entièrement déconsidérée par ses adversaires qui opposent, Thiers en tête, les autorités légitimes et les « rouges », également appelés les « Communeux », terme dépréciatif apparu sous la plume du conservateur Xavier Marmier dès janvier, avant le déclenchement de la Commune de Paris le 18 mars, et qui fut promu à un long avenir. L’ouvrage insiste sur le lien entre les journées d’octobre, de janvier et « l’insurrection capitale » [5], ancrée dans un projet politique profondément lié au refus de la défaite et dans un patriotisme exacerbé, inséparable de la passion de la liberté et de l’égalité révolutionnaires. Il souligne enfin l’embarras des républicains modérés qui, au lendemain de la défaite et du traité de paix de Francfort, ne font rien pour rappeler la geste héroïque des Parisiens, des Dijonnais et, plus largement, de tous ceux qui s’étaient insurgés pour la patrie. Cette mémoire, d’abord étouffée comme le montre bien l’épisode, cruel, du déboulonnage par l’armée du monument de Paul Cabet en hommage à la résistance de Dijon érigé en 1875, au motif que le bonnet phrygien arboré au sommet de la statue pouvait inciter à l’insubordination, retrouve très progressivement une place dans la mémoire collective. L’année 1880, avec la victoire des républicains, est celle de l’amnistie des Communards, premier pas vers une réconciliation des mémoires républicaines de la guerre qui, à Dijon, se traduit par la réinstallation d’une copie de la statue de Cabet en lieu et place de celle de 1875. Peu à peu, la République renoue avec les héritages encombrants qu’elle avait en partie occultés au cours des années 1870. La reconnaissance accordée aux villes ou aux villages insurgés en 1870 et décorés de la Légion d’honneur témoigne d’une volonté de promotion du patriotisme comme vertu cardinale de l’esprit républicain.  Châteaudun en 1877, Belfort et Rambervillers en 1896, Dijon en 1899, puis Paris mais aussi Bazeilles en 1900, dont la résistance civile s’était mêlée à la lutte acharnée des soldats de l’armée impériale, peuvent dès lors prendre place dans le même panthéon sacrificiel. Fabien Conord, en conclusion de cet ouvrage, a raison de souligner une autre filiation, ancrée cette fois au xxe siècle : celle qui unit ces insurgés de 1870 et celles et ceux qui prirent, dans un contexte certes bien différent, le chemin de la Résistance à l’occupant nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. L’indignation face au risque d’anéantissement de la patrie fut bien le ciment commun entre ces hommes et ces femmes, qui, au-delà des nombreuses divergences sociales, culturelles et idéologiques qui les traversaient, n’entendaient pas se résoudre à la défaite, à l’image de ces insurgés de 1870-1871 à qui Fabien Conord redonne ici une visibilité bienvenue.

AUTEUR
Odile Roynette
Professeure d’histoire contemporaine
Université de Bourgogne-Franche-Comté, LIR3S-UMR 7366

ANNEXES

NOTES
[2] Fabien Conord, La France mutilée. 1871-1918, la question de l’Alsace-Lorraine, Paris, Vendémiaire, 2017.
[3] Philippe Darriulat, Les patriotes : la gauche républicaine et la nation, 1830-1870, Paris, Éd. du Seuil, 2001.
[4] Jean El Gammal, Les hauts quartiers de l’Est parisien d’un siècle à l’autre, Paris, Publisud, 1998.
[5] Jean-Claude Caron (dir.), Paris, l’insurrection capitale, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2014.

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Odile Roynette, « Fabien Conord, S’insurger pour la Patrie. Dijon-Paris, octobre 1870, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2020, 89 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 3 mars 2021, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteur : Odile Roynette
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944

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