Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Territoires contemporains


Varia
Florence Tamagne, Le crime du Palace. Enquête sur l’une des plus grandes affaires criminelles des années 1930, Paris, Payot Rivages, 2017, 287 p. [1]
Frédéric Monier
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MOTS-CLÉS
Mots-clés : homosexualité ; fait divers ; crime ; Oscar Dufrenne ; histoire culturelle
Index géographique : France
Index historique : xxe siècle ; entre-deux-guerres
SOMMAIRE

TEXTE

Historienne connue de l’homosexualité en France et en Europe occidentale à l’époque contemporaine, Florence Tamagne évoque dans ce livre un fait divers criminel qui a défrayé la chronique à l’automne 1933 : le meurtre de l’un des directeurs de théâtre parisiens alors les plus connus, Oscar Dufrenne. Propriétaire ou gérant de plusieurs établissements qui marquent la nuit parisienne, comme le Casino de Paris et le music-hall le Palace, Oscar Dufrenne était notoirement homosexuel. Le livre, de style très alerte et de lecture toujours agréable, s’attarde successivement sur l’itinéraire et la personnalité de la victime (chapitres 1 à 3), puis sur l’enquête (chapitres 4 à 6), et enfin sur le probable assassin, Paul Laborie, et sur son procès, qui tourne court et voit ressortir l’inculpé libre (chapitres 7 et 8). Le propos est d’une grande clarté, grâce à un plan efficace et à un usage averti de sources documentaires connues des contemporanéistes : archives policières, judiciaires, presse et publications contemporaines.

Florence Tamagne dépeint l’ascension sociale de la victime – issue de milieux très modestes à Lille – et sa réussite professionnelle dans la capitale, dans un milieu artistique et économique en pleine recomposition, entre la Grande Guerre et la récession qui frappe le monde des loisirs nocturnes dès le début des années 1930. Elle éclaire aussi la carrière politique avortée d’Oscar Dufrenne, élu au conseil municipal de Paris, candidat malheureux aux élections législatives de 1932, proche, politiquement, du parti radical-socialiste et en particulier de Louis-Jean Malvy. Empruntant aussi bien à l’histoire sociale et culturelle du monde du théâtre, qu’aux enquêtes sur la culture de masse et la médiatisation du crime, le livre parvient, sans peine, à faire confluer ces différentes historiographies, qui servent le propos sans jamais s’éloigner du cœur de l’affaire.

Comme attendu, les pages sans doute les plus convaincantes et les plus fortes sont consacrées au monde homosexuel parisien, et en particulier à la prostitution masculine. Il s’agit pour une part de cerner des trajectoires individuelles souvent dissemblables, que ce soit celles de la victime, de son possible meurtrier ou de leurs entourages. L’enjeu est, d’autre part, de mesurer les perceptions et les attitudes dominantes à l’égard de l’homosexualité. En effet, l’étude très précise des suites du meurtre – obsèques de la victime, couverture médiatique de l’enquête et surtout procès de Paul Laborie – permet à Florence Tamagne d’avancer un point important. Aux yeux d’un bon nombre de commentateurs, Oscar Dufrenne avait en quelque sorte mérité son assassinat. En dépit d’une réputation de libéralisme, due à l’absence de pénalisation de l’homosexualité, la société française des années 1930 était majoritairement, non dans la tolérance, mais dans le déni.  « La dépénalisation de l’homosexualité n’était en aucun cas acceptation de l’homosexualité, mais tout simplement négation, refus de prendre en compte » (p. 229). Le crime du Palace fait songer à un volume publié dans la même collection, en 2011, par Fabrice Virgili et Danièle Voldman. Sous le titre : La garçonne et l’assassin [2], ce livre étonnant évoquait plusieurs des thèmes que l’on retrouve dans l’étude de Florence Tamagne, comme l’histoire de l’homosexualité et des minorités sexuelles.

On aurait tort cependant de limiter l’apport scientifique de ce travail à cette dimension. Le crime du Palace avance aussi une analyse convaincante des processus culturels de médiatisation, de naissances de rumeurs, et finalement de transformation d’un fait divers en problème public, dans une société entrée en crise. De ce point de vue, l’étude de Florence Tamagne est une contribution réussie à l’histoire culturelle de la France de l’entre-deux-guerres. À côté de quelques belles études comme Murder in the metro [3], Le crime du Palace fait partie de cette poignée d’ouvrages qui, en revenant sur une affaire criminelle oubliée, parviennent à éclairer les tensions internes à cette société française inquiète et en proie à une intolérance croissante.

AUTEUR
Frédéric Monier
Professeur d’histoire contemporaine
Université d’Avignon, Centre Norbert Elias-UMR 8562

ANNEXES

NOTES
[2] Fabrice Virgili et Danièle Voldman, La garçonne et l’assassin. Histoire de Louise et de Paul, déserteur travesti, dans le Paris des années folles, Paris, Payot Rivages, 2011, 176 p.
[3] Gayle K. Brunelle et Annette Finley-Crosswhite, Murder in the metro: Laëtitia Toureaux and the Cagoule in 1930’s France, Bâton rouge, Louisiana State University, 2010, 266 p.

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Frédéric Monier, « Florence Tamagne, Le crime du Palace. Enquête sur l’une des plus grandes affaires criminelles des années 1930, Paris, Payot Rivages, 2017, 287 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 12 septembre 2017, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteur : Frédéric Monier.
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944

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