Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-uB |
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Territoires contemporains | |
Varia | ||||
Éric Baratay (dir.), Aux sources de l’histoire animale, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2019, 282 p. | ||||
Arnaud Malaty | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Annexes | Notes | Références | Outils | |||
MOTS-CLÉS
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SOMMAIRE |
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TEXTE | ||||
« Les animaux ont une histoire » soutenait Robert Delort dans son ouvrage pionnier paru en 1984, le médiéviste souhaitant alors « attirer l’attention [en France] sur ce fait finalement peu connu, sinon ignoré [1] ». Ayant vu le jour dans les années 1970 au Royaume-Uni et malgré des débuts difficiles, l’histoire des animaux connait aujourd’hui un développement important. Ce champ d’étude délicat a en effet réussi à s’imposer dans le paysage des sciences humaines au fur et à mesure de la définition de ses enjeux et de ses méthodes. Redonner à l’animal sa part dans l’histoire nous offre aujourd’hui de nombreuses clés pour appréhender et comprendre les sociétés passées. Dans la nébuleuse des possibles de l’histoire animale, l’approche d’Éric Baratay [2] est certainement la plus osée, quelque part aussi la plus difficilement soutenable, puisqu’il propose de renverser les récits pour se placer sur le versant animal, une histoire de leurs points de vue [3]. Son projet a ses adeptes et ses détracteurs : les caractéristiques intrinsèques du discours et du récit historique, établies sur notre interprétation d’un réel humain déjà complexe, peut-il permettre de restituer le point de vue d’autres réalités multiples, chimériques pour l’Homme, celles des animaux ? Les difficultés et apories évidentes d’une telle approche n’ont pas découragé l’historien qui s’est récemment mis en quête de l’individu animal par le recours à un genre littéraire communément réservé à l’Homme : la biographie [4]. La démarche, pourtant complexe et rebutante, a su séduire de nombreux universitaires qui se sont montrés intéressés par la nécessité de retranscrire, à tâtons, les différents points de vue des animaux. Aux sources de l’histoire animale est « la première moisson » d’un programme scientifique collectif conduit et financé par l’IUF qui projette de construire cette « histoire animale des animaux ». L’ouvrage prend la forme d’un recueil d’articles dont les textes proviennent de chercheurs d’horizons différents (sciences humaines comme sciences de la nature), reflétant ainsi la nécessité du recours à l’interdisciplinarité pour appréhender un tel objet. Cet ouvrage est focalisé sur la question des sources et de leurs traitements : « comment faire » et « avec quoi ». Il s’agit, en outre, de « montrer et suggérer des pistes et des manières de faire, [d’] encourager les initiatives […] tout en donnant l’occasion de penser concrètement les programmes, les problématiques, les épistémologies [5] ». L’ouvrage se décline en quatre parties correspondant chacune à un type de sources nous permettant d’approcher le versant animal : sources humaines anthropocentrées – discours humain « animotcentrés » – documents du quotidien humano-animal – témoignages animaux. Ces sources sont inventoriées, questionnées et retournées pour tenter de percevoir l’animal dissimulé derrière l’homme. La première partie nous invite à penser différemment le vaste univers des sources anthropocentrées bien connues des historiens. Ces documents où les animaux sont pourtant juste évoqués, placés comme ornement, comme allégories, apparaissent essentiels, voire indispensables pour les périodes anciennes, afin d’approcher le versant animal. Pour le démontrer, quatre contributions les utilisent comme matériaux. Tout d’abord Martine Clouzot, historienne, tente de voir ce que peut nous révéler l’étude des enluminures des manuscrits médiévaux sur le vécu des oiseaux chanteurs. Obligée de constater que ces dernières « ne renseignent pas sur le vécu, les émotions ni le ressenti [6] », elle insiste sur leur intérêt pour reconstituer les relations sociales entre humains et oiseaux de captivité. L’image laisse ensuite place à l’écrit avec une réflexion générale sur la littérature comme moyen de retranscrire le versant animal. Flora Souchard, littéraire, la mène à travers l’étude de Cohorte de Saint-John Perse en se posant une question initiale : comment l’usage des mots et de la ponctuation peut nous permettre d’approcher le versant animal ? Ensuite, par l’analyse d’un récit sur un chien errant autour d’Avignon au xviiie siècle [7], Emmanuel Porte nous propose de retracer son monde perdu en croisant la source littéraire avec les archives de police. L’historien entend ainsi ancrer un peu plus le récit sur les chiens errants dans le réel. Au-delà du croisement des sources et afin de mieux comprendre les rapports anthropocanins, il prend soin de recourir aux outils d’analyse de la discipline écologique et éthologique (commensalisme, compétition, coopération, etc.), ce qui lui permet de mieux percevoir l’agentivité de l’animal et « d’esquisser son environnement sensoriel [8] ». Pour terminer cette partie, l’historien Christophe Chandezon met à l’honneur le genre particulier des épopées avec l’étude de l’anabase de Xénophon et démontre qu’en apprenant à lire entre les lignes, on peut percevoir la condition des animaux pendant les campagnes militaires antiques. La deuxième partie est consacrée aux sources « animotcentrées », quand l’animal occupe le centre du récit. Ces discours sont très nombreux depuis l’Antiquité, il s’agit, entre autres, des ouvrages de naturalistes et d’éthologues, de traités de techniques d’élevage, d’éducation, de chasse ou encore des documents issus des sciences vétérinaires. Même si ces discours sont caractérisés par des rhétoriques et des techniques humaines, véhiculant des représentations issues d’une société particulaire, ils demeurent néanmoins indispensables, par leur nombre et leurs sujets, pour tenter de se placer du point de vue des animaux. Les cas d’études qui composent cette partie nous proposent de traquer le versant animal en croisant ces sources techniques avec d’autres. Par exemple, les traités d’histoires naturelles, lieux où les bêtes sont « démembrées au profit de listes de caractères ou de propriétés, ou désincarnées dans une description générale au niveau de l’espèce [9] » apparaissent de prime abord imperméables à l’identification de vécus singuliers ; pourtant, souvent remplis d’anecdotes sur des individus, ces sources peuvent permettre d’approcher de plus près la singularité de certaines existences. Augustin Lesage, littéraire, tente ainsi de percevoir l’individu qui a conduit Pierre Belon à décrire l’hippopotame dans son Histoire naturelle des estranges poissons marin. Observée pendant un voyage à Istanbul, l’histoire de l’hippopotame est reconstituée à travers quatre questions initiales : identification, espaces, entourages, échanges. En croisant le discours de Pierre Belon avec de nombreuses sources, les grands traits de sa vie sont restitués. Un autre ensemble concernant des écrits « animotcentrés » fait suite : les traités techniques d’éducation. Michel Jourde, littéraire, et Michel Kreutzer, éthologue, étudient à ce titre les pratiques d’éducation et de sociabilisation des oiseaux chanteurs à l’époque Moderne [10]. Ces documents, bourrés d’anecdotes, nous permettent « [d’]approcher des animaux en chair et en os, avec leurs capacités d’apprentissage, leurs interactions avec les hommes, leurs acceptations ou leurs résistances [11] ». Enfin, un appel à l’utilisation des documents relatifs à la médecine vétérinaire, pôle majeur des discours « animotcentrés », clôt cette partie. Pour montrer leur utilité, Nicolas Baron, historien, à travers l’analyse fine d’une lettre publiée sous forme d’articles dans une revue vétérinaire, retrace le vécu de bovins enragés à la fin du xixe siècle. Le troisième temps du volume s’attache aux sources, a priori difficilement exploitables, relevant du quotidien humano-animal. Il s’agit des documents du quotidien de la pratique centrée sur les interactions concrètes, c’est-à-dire sur la gestion des animaux possédés, contrôlés, surveillés. Ces sources, prenant la forme de publications ou d’archives, sont parmi les plus nombreuses (revues de chasse, de pêche, d’expérimentations animales, d’associations de protection, mais aussi réglementations municipales, police, gendarmerie, justice, etc.). Corrine Beck et Fabrice Guizard proposent une réflexion sur les sources de gestion des animaux au Moyen âge et la possibilité de les utiliser pour renverser le point de vue. Dans un tout autre temps, Violette Pouillard analyse une revue de conseils aux gestionnaires de zoos d’aujourd’hui. Par les justifications, les non-dits, les conseils, sur ce que devrait être un zoo, l’historienne traque ainsi l’animal réel qui se cache derrière les lignes travaillées d’une source de gestion publiée. Un type de sources surprenant est ensuite présenté par l’historienne Clotilde Boitard : la presse d’échange d’animaux. Une fenêtre s’ouvre alors sur l’étude de traces d’échanges d’animaux pour mener l’enquête sur des vécus singuliers. La présentation des sources du quotidien humano-animal se termine sur un pan difficilement accessible et souvent délaissé de l’histoire animale : la faune sauvage. Dans un article convaincant sur l’étude des sources technico-administratives produite par l’ONCFS sur le castor d’Europe, presque éteint à la fin du xixe siècle, l’historien Rémi Luglia démontre qu’il est possible de reconstituer le vécu animal à travers ce type de sources normalisées, qui pourtant : « négligent le profane, refusent le sensible et apparaissent ainsi comme possiblement aveugles à l’individu et aux vécus [12] ». En se posant les bonnes questions, ce qui nécessite une bonne connaissance naturaliste et éthologique du sujet, on peut tenter de « saisir des tendances adaptatives (éthologiques et éco-sociologiques) et de révéler des cas particuliers [13] ». Le recueil se clôt sur la mise en avant des témoignages directs d’animaux présentés sous les titres de restes (archéozoologie et archéologie moléculaire), traces (écologie comportementale) et gestes (anthropologie), qui peuvent permettre de palier aux insuffisances des sources évoquées dans les parties précédentes. Les sciences humaines, plutôt frileuses par méconnaissance, ont tout à gagner dans l’ouverture d’un dialogue avec les sciences de la nature. En mobilisant leurs savoirs, leurs méthodes et leurs techniques, les discours de nos disciplines peuvent s’ancrer un peu plus dans le réel d’un sujet non-humain. L’historien Jérémy Clément, en croisant archives des cavaleries hellénistiques et archéozoologie, puis Ludovic Orlando, professeur d’archéologie moléculaire, en insistant sur l’ADN ancien comme nouvelle source historique, ouvrent une étendue de possibles par le recours aux techniques de recherches contemporaines des sciences du vivant. Grâce notamment au séquençage rapide et à bas prix de l’ADN : « les médecins, les biologistes et les agronomes peuvent […] aujourd’hui contraster les variations génétiques présentes dans des cohortes de patients, des populations naturelles ou domestiques, et révéler les facteurs historiques et géographiques ayant contribué à forger la structuration des populations actuelles ; ou encore identifier les gènes responsables de certaines maladies ou ceux associés à la présence de traits et autres caractères particuliers, comme la couleur de la robe, la taille, ou encore d’autres caractères de conformations [14] ». De la même manière, Marie-Amélie Forin-Wiart, écologue, pour les chats, et Farid Benhammou, géographe, pour les grands prédateurs, insistent sur l’apport des traces, désormais bien étudiées par les naturalistes, les écologues et les éthologues, pour passer du côté de l’animal et tenter de traduire les informations recueillies dans notre langage. Enfin, les gestes d’animaux, c’est-à-dire l’étude des « techniques du corps » (posture, attitude, comportement, etc.), selon le concept forgé par Marcel Mauss pour les humains [15], sont exposés par l’anthropologue Florent Kohler. En s’appuyant sur l’étude quotidienne d’un troupeau de vaches, il démontre l’intérêt des méthodes et des concepts de l’ethnologie et de l’anthropologie pour mieux percevoir les sociabilités et les individualités des bêtes. Ce recueil d’articles, introduit « avec quoi penser du côté des animaux ? » et concluant « sources plurielles, disciplines croisées » nous livre donc, conformément à ses ambitions, un panorama des écritures possibles de l’histoire animale des animaux. En parcourant les contributions, nous percevons ce qu’il est envisageable de produire comme discours sur les vécu des animaux en fonctions des différents types de sources identifiées, pressées et croisées par les auteurs. De par sa nature, les cas d’études s’enchainent et les conclusions se font souvent écho, ce qui rend parfois la lecture redondante. Mais c’est un chantier immense et délicat qui implique que l’on tâtonne, avance pas à pas, identifie les sources probables, celles qui restent à découvrir, comment les utiliser, quelles sont leurs limites ; mais surtout, avec quoi les confronter, les croiser, les faire dialoguer, pour toujours mieux ancrer les propos dans un réel que l’on tente seulement de saisir. Puisque la tâche est ardue, on cherche de l’aide, on ouvre des pistes de dialogue entre sciences humaines et sciences naturelles, mais plus encore, on lance des appels à braver la difficulté de porter une recherche et un discours à la fois « naturaliste » et historique, tâche délicate tant ces mondes souffrent du cloisonnement disciplinaire et demeurent trop souvent imperméables l’un à l’autre. Ce livre s’adresse donc directement aux étudiants et chercheurs soucieux de travailler sur les problématiques liées aux animaux. Bien qu’il vise avant tout la quête de l’individu, il révèle plus encore la variété des sources et des techniques qui peuvent permettent de donner à l’animal la juste place qu’il occupe dans l’Histoire et dans nos sociétés actuelles, même du point de vue humain. Éric Baratay avait raison de prévenir en introduction : « le but de ce livre n’est pas de présenter un fastidieux volume de sources disponibles [16] », ce qui a l’avantage de le rendre accessible à un plus grand nombre et permet au lecteur d’arpenter, par digression, les recoins et les expériences singulières de l’histoire animale. Néanmoins nous ne pouvons que souhaiter qu’un tel inventaire puisse voir le jour ; il aurait le mérite de tendre la main aux chercheurs volontaires appartenant à des domaines éloignés de la discipline archivistique. Le fastidieux volume pourrait ainsi les guider dans les méandres des sources historiques utiles à l’élaboration d’un récit animal. |
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AUTEUR Arnaud Malaty Doctorant en histoire contemporaine Université de Bourgogne-Franche-Comté, LIR3S-UMR 7366 |
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ANNEXES |
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NOTES
[1]
Robert Delort, Les animaux ont une histoire, Paris, Seuil,
1984, Avant-propos.
[2]
Éric Baratay est professeur d’histoire contemporaine
à l’université Jean Moulin Lyon 3 et membre de
l’Institut universitaire de France.
[3]
Éric Baratay,
Le point de vue animal : une autre version de
l’histoire, Paris, Seuil, 2012.
[4]
Éric Baratay, Biographies animales. Des vies retrouvées, Paris,
Seuil, 2017.
[5]
Éric Baratay (dir.), Aux sources de l’histoire animale, Paris, édition
de la Sorbonne, 2019, p. 12.
[6]
Ibidem, Martine Clouzot, « Les oiseaux chanteurs dans les
enluminures médiévales. Approcher un versant animal par
les images du xive siècle ? »,
p. 34.
[7]
Michel-Ange Martin,
Les aventures de Barbakan, chien errant de la ville
d’Avignon, Avignon, imprimerie Charles Giroud par le sieur Desœvre,
1722.
[8]
Emmanuel Porte dans Éric Baratay (dir.), op. cit., 2019,
« Retrouver le monde de Barbakan. Lecture croisée
d’une source littéraire et d’archives de
police », p. 52.
[9]
Ibidem, p. 75.
[10]
Ibidem,
Michel Jourde, « Le rossignol à
l’étude : représentations, descriptions et
techniques au début de l’époque moderne » et Michel Kreutzer, « La
captivité pour socialiser et éduquer l’oiseau
chanteur ! De l’intérêt des traités
d’élevage des xvie-xviiie siècles pour les
éthologues actuels ».
[11]
Éric Baratay (dir.), op. cit., p.91.
[12]
Rémi Luglia dans Éric Baratay (dir.), op. cit.,
« Le castor révélé par le
technico-administratif. Les synthèses annuelles du réseau
Castor (ONCFS) », p.174.
[13]
Ibidem.
[14]
Ludovic Orlando dans Éric Baratay (dir.), op. cit.,
« L’ADN ancien comme nouvelle source
historique », p. 201.
[15]
Marcel Mauss, « Les techniques du corps », Journal de psychologie, vol. 32, nos 3-4, 1935, p. 155-174.
[16]
Éric Baratay (dir.), op. cit., p. 12.
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RÉFÉRENCES Pour citer cet article : Arnaud Malaty, « Éric Baratay (dir.), Aux sources de l’histoire animale, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2019, 282 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 15 septembre 2020, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html. Auteur : Arnaud Malaty. Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html ISSN : 1961-9944 |
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