Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Territoires contemporains


Varia
Leslie Dupuis, Villeneuve d’Ascq. Ville nouvelle, ville plurielle, Riotord, Inventaire général du patrimoine culturel Hauts-de-France / Lieux-dits éditions, 2021, 128 p. [1]
Loïc Vadelorge
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MOTS-CLÉS
Mots-clés : histoire culturelle ; histoire urbaine ; histoire du patrimoine
Index géographique : France
Index historique : xxe-xxie siècle
SOMMAIRE

TEXTE

De quoi les villes nouvelles sont-elles le patrimoine ?

En consacrant, en 2003, un numéro spécial à « La mémoire des villes nouvelles », la revue Ethnologie française enregistrait leur entrée précoce dans l’âge patrimonial, au moment même où plusieurs établissements publics d’aménagement (Évry, Cergy-Pontoise, Saint-Quentin-en-Yvelines) fermaient leurs portes. Villeneuve-d’Ascq, l’une des quatre villes nouvelles de province (avec Val-de-Reuil, l’Isle d’Abeau et les Rives de l’étang de Berre), était depuis longtemps sortie du dispositif d’exception des opérations d’intérêt national. Son établissement public d’aménagement, l’EPALE (établissement public d’aménagement de Lille-Est), créé en 1969, est dissous dès le 31 décembre 1983, laissant les élus locaux piloter seuls l’urbanisme.

La publication par le Service de l’Inventaire général du patrimoine culturel de la région Hauts-de-France d’un volume de la collection « Images du patrimoine » consacré à Villeneuve-d’Ascq participe d’un mouvement de patrimonialisation des villes nouvelles, initié par l’écomusée de Saint-Quentin-en-Yvelines dès les années 1980 et relayé dans les années 2000-2010 par d’autres villes nouvelles sous la forme d’expositions (Cergy-Pontoise, formes et fictions d’une ville nouvelle au Pavillon de l’Arsenal, 2015), d’ouvrages collectifs (Marne-la-Vallée, de la ville nouvelle à la ville durable, Marseille, Parenthèses, 2012) ou d’inventaires conduits par les services régionaux de l’Inventaire (Du Vaudreuil ville-nouvelle à Val-de-Reuil, Riotord, Inventaire général du patrimoine culturel Haute-Normandie / Lieux-dits éditions, 2011). Dans plusieurs cas, les professionnels de l’Inventaire ont pu bénéficier de la collaboration des écoles d’architecture régionale (Marseille avec René Borruey, Lille avec Richard Klein et Catherine Blain). C’est le cas ici puisque la publication reprend pour partie un guide, réalisé par les étudiants de l’ENSAL en 2016 sous le titre Architectures à Villeneuve d’Ascq. Cette généalogie d’écriture, rapidement rappelée en exergue de l’ouvrage, dit à la fois l’ambition typo-morphologique de l’enquête et les limites d’une publication dont l’intérêt premier réside dans la richesse documentaire sur les formes architecturales, qu’elle soit tirée des archives municipales ou plus généralement produite par les photographes de l’Inventaire.

L’ouvrage est divisé en deux parties. La première propose un cadrage historique sommaire d’un territoire de la banlieue Est de Lille, en voie d’urbanisation rapide dans les années 1950-1960 et devenu ville nouvelle à la faveur d’une implantation universitaire, sur décision du ministre de l’Équipement Edgard Pisani. L’histoire de la ville nouvelle se confond ensuite avec celle de sa planification par les urbanistes de l’EPALE, articulant production de quartiers et trames paysagères et circulatoires, censées unifier une ville nouvelle regroupant les communes d’Annapes, Flers et Ascq, regroupées dès 1970 en une commune nouvelle. Si les logiques d’urbanisme sont clairement expliquées et illustrées, on regrettera l’absence de mise en perspective, notamment sur le concept, unique pour les villes nouvelles à cette époque, de ville universitaire. En quoi cette université lilloise est-elle différente d’Orléans-La Source, de Toulouse-Le Mirail ou de Louvain-la-Neuve, qui elles aussi forment des villes nouvelles centrées sur une université ?

La seconde partie propose un parcours thématique attendu et aujourd’hui classique sur les formes de la centralité, les circulations, les équipements (notamment scolaires, effectivement « fondamentaux » dans la production urbaine), l’habitat collectif, individuel, intermédiaire, qui sont particulièrement bien étudiés. Là encore, on pourra regretter le manque de comparaisons avec d’autres villes nouvelles, permettant de comprendre en quoi ou pas Lille-Est est différente des Rives de l’étang de Berre, où travaillent notamment les mêmes conseillers coloristes.

Il manque clairement un encart sur les œuvres d’art, trop rapidement évoquées au détour de présentations des bâtiments. Villeneuve-d’Ascq a été pionnière dans l’utilisation révolutionnaire de la procédure du 1 % artistique (université, gendarmerie, etc.) bien avant la mise en place de la cellule artistique du Groupe central des villes nouvelles, qui a tant fait pour développer l’art urbain. Ce patrimoine est-il, comme aux Rives de l’étang de Berre, menacé, ou au contraire, comme à Saint-Quentin-en-Yvelines, protégé ? Si l’Inventaire ne le documente pas, comme cela a été fait pour le Vaudreuil, il est probable qu’il soit laissé en déshérence.

Si l’histoire sociale n’est pas la cible d’un travail d’inventaire, il est dommage de ne pas avoir suffisamment mobilisé le travail d’ethnographie publié par Bénédicte Lefevbre et Michel Rautenberg sur les Utopies et mythologies urbaines de Villeneuve d’Ascq (2010) qui rappelle que ces espaces sont aussi habités durablement par des groupes sociaux différenciés.

Réfléchir en 2021 sur la patrimonialisation des villes nouvelles, c’est enfin reprendre le dossier environnemental pour lequel les villes nouvelles ont été pionnières. On ne trouvera rien ici sur les maisons solaires – inappropriées dans le Nord ? – mais une étude intéressante sur la place de la nature en ville, qui mériterait d’être prolongée. La générosité des espaces verts à Villeneuve-d’Ascq et l’option d’un aménagement urbain peu dense et fortement paysager ne forment guère des nouveautés absolues pour les années 1970 (la Reynerie et Bellefontaine au Mirail, la ville nouvelle de Tapiola dans la banlieue d’Helsinki, etc.), mais le cas présent est d’autant plus intéressant que la ville nouvelle est très proche de Lille. Ce parti pris, aux antipodes des choix actuels de re-densification des banlieues au détriment des ilots de fraîcheur, mérite d’être signalé comme innovant, sous l’angle urbanistique et politique.

Au final, le propos de Villeneuve d’Ascq, ville nouvelle, ville plurielle, n’est pas tant de proposer un autre regard et une autre méthode d’inventaire patrimonial, que de prendre place dans une collection d’histoire de l’architecture en ville nouvelle, parfaitement légitime et utile.

AUTEUR
Loïc Vadelorge
Professeur d’histoire contemporaine
Université Gustave Eiffel, Laboratoire Analyse comparée des pouvoirs - EA 3350
Responsable scientifique du Labex Futurs urbains

ANNEXES

NOTES

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Loïc Vadelorge, « Leslie Dupuis, Villeneuve d’Ascq. Ville nouvelle, ville plurielle, Riotord, Inventaire général du patrimoine culturel Hauts-de-France / Lieux-dits éditions, 2021, 128 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 22 septembre 2022, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteur : Loïc Vadelorge
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944

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