Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-uB |
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Territoires contemporains | |
Varia | ||||
Gérard Régnier, Django Reinhardt. Un musicien tsigane dans l’Europe Nazie, Paris, L’Harmattan, 2021, 144 p. [1] | ||||
Lucas Le Texier | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Annexes | Notes | Références | Outils | |||
MOTS-CLÉS
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SOMMAIRE |
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TEXTE | ||||
Django Reinhardt reste sans doute l’un des jazzmen français qui ont fait l’objet de nombreuses publications françaises [2] ou étrangères [3]. Le néologisme « djangologie » que l’on attribue ici et là au corpus d’œuvres et d’études du guitariste témoigne de l’existence, sinon du souhait, d’étudier les particularités du jazz manouche. L’ouvrage de Gérard Regnier a donc pour ambition de venir compléter l’histoire du guitariste dans une thématique qui lui est familière, l’Occupation [4]. L’occasion d’abord de revenir sur une légende tenace, celle de l’interdiction du jazz pendant le régime de Vichy. Comme l’avait déjà évoqué Ludovic Tournès [5], la période est faste pour cette musique. Gérard Regnier évoque même un « âge d’or » (p. 13), que ce soit en matière de fréquentation à Paris ou en province : « L’image d’un Django traqué en tant que Tsigane par les occupants nazis relève de la légende » (p. 13). En réalité, la stratégie allemande pour Paris consiste à redonner à la capitale sa vie nocturne et sa réputation pour ses music-halls et ses spectacles. Alors que le 14 juin 1940, les Allemands entrent à Paris et instaurent le couvre-feu, ce dernier est repoussé en juillet à 23 h puis à minuit au mois de novembre. Le guitariste trouve rapidement du travail dans les nombreux dancings ouverts de la capitale. Django perpétue le Quintette du Hot Club de France malgré l’absence de son co-fondateur Stéphane Grappelli, resté en Angleterre pendant la guerre : la formation enregistre de nombreux titres et tourne à Paris, en province, en Belgique et même en Afrique du Nord (peu avant le Débarquement des Alliés) où elle rencontre un large succès. Django devient une personnalité connue et fait l’objet de nombreux articles dans la presse grand public (p. 60). Le livre traverse les thématiques et problématiques habituelles pour les artistes français sous l’Occupation, qui sont la plupart du temps contraints de mettre leur talent artistique au service de l’Allemagne nazie. Comme pour la programmation de la station radiophonique Radio-Paris – réquisitionnée par l’occupant [6] –, les artistes de jazz et de musiques de variétés syncopées (ou non) françaises sont fortement « incités » à tourner en Allemagne. C’est particulièrement le cas à partir de 1943, où de nombreux musiciens allemands sont appelés sous les drapeaux à la suite de Stalingrad. Werner Effmann qui travaille à l’organisation nazie « La Force par la Joie » (Kraft Durch Freude) gérant les activités de loisirs est chargé de recruter, par la menace s’il le faut, des musiciens étrangers pour l’Allemagne. Cette pression est sans doute en partie responsable des tentatives d’exil du guitariste en direction de la Suisse depuis Thonon-les-Bains comme certains musiciens français – en plus de la dégradation des conditions de vie à Paris à partir de 1943 en raison des bombardements et du manque de travail pour les musiciens de jazz. Enfin, se pose la question de la collaboration qui semble, selon Régnier, être délicate à évoquer dans la djangologie et dans la légende du guitariste manouche. Face à l’ampleur du phénomène et à la difficulté de se priver des artistes connus à la radiodiffusion ou dans les sessions d’enregistrement, les sanctions des premiers comités à la Libération qui allaient jusqu’à l’interdiction permanente d’exercer la profession sont finalement réduits à une suspension pouvant aller jusqu’à un an [7]. Quoi qu’il en soit, Django est autorisé à reprendre ses activités liées aux concerts et au disque à la fin de l’Occupation. L’ouvrage est riche de détails et minutieux concernant les dates, ce qui permet au lecteur de refaire le cheminement du jazzman pendant la période de l’Occupation. Cette précision donne aussi au livre un aspect quelque peu fourre-tout ; le cadre débordant de la période étudiée sonne parfois comme une redite au vu de l’état de l’historiographie du musicien. Le livre ne referme pas l’histoire de Reinhardt, mais nourrit l’envie de futurs travaux autour de la question de la race ainsi que des représentations du guitariste dans l’Europe nazie par sa figure adulée, que ce soit par le public français ou belge – les allers-retours du guitariste sont nombreux pendant la période – mais aussi par les soldats et officiers allemands. Le jazz témoigne une nouvelle fois de sa plasticité et d’appropriations multiples puisqu’il connait un grand succès sous l’Occupation tout en étant perçu comme une musique incarnant les valeurs de la liberté et bien sûr, la bande-son des libérateurs venus d’outre-Atlantique [8]. |
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AUTEUR Lucas Le Texier Doctorant en histoire contemporaine Université de Bourgogne-Franche-Comté, LIR3S-UMR 7366 |
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ANNEXES |
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NOTES
[1]
https://www.editions-harmattan.fr/livre-django_reinhardt_un_musicien_tsigane_dans_l_europe_nazie_gerard_regnier-9782343221533-68118.html.
[2]
Nommons la biographie précurseuse de Charles Delaunay, Django Reinhardt, Paris, Éric Losfeld, 1968,
206 p. ; celle d’Alain Antonietto et François
Billard, Django Reinhardt. Rythmes futurs, Paris, Fayard,
2004, 518 p. ; le livre entre roman et biographie
d’Alain Gerber, Insensiblement, Paris, Fayard, 2010,
321 p. Du 6 octobre 2012 au 23 janvier 2013, la Cité de
la musique lui avait consacré une exposition et
édité dans la foulée un ouvrage : Vincent
Bessières (dir.), Django Reinhardt. Swing de Paris,
Paris, Textuel, Cité de la musique, 2012, 223 p. Voir
également du côté universitaire les travaux et le
livre de Patrick Williams, Django Reinhardt,
Marseille, Parenthèses, 1998, 220 p. Côté
musicologie et sur le langage de « Django »,
voir par exemple Pierre Fargeton,
Boppin’ with Django. L’influence du be-bop sur le
langage tardif de Django Reinhardt, Sampzon, Delatour France, 2021, 138 p.
[3]
Michael Dregni, Django. The Life and Music of a Gypsy Legend, Oxford/New-York/Auckland, Oxford University Press, 2004,
326 p. Benjamin Givan, The Music of Django Reinhardt,
Ann Arbor, University of Michigan Press, 2010, 242 p.
[4]
Gérard Regnier, Jazz et société sous l’Occupation, Paris,
L’Harmattan, 2010, 295 p.
[5]
Ludovic Tournès, New Orleans sur Seine. Histoire du jazz en France, Paris,
Fayard, 1999, p. 59.
[6]
Cécile Méadel, « Pauses musicales ou les
éclatants silences de Radio-Paris », dans Myriam
Chimènes (dir.), La vie musicale sous Vichy, Paris,
Complexe, 2000. En ligne :
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00094154/document.
[7]
Bernard Lauzanne, « Les modalités de
l’épuration dans les milieux radiophoniques et
artistiques », Cahier d’Histoire de la Radiodiffusion,
n° 46, septembre-novembre 1995, p. 73.
[8]
Berndt Ostendorf, « Subversive Reeducation? Jazz as a
Liberating Force in Germany and Europe », Revue française d’études américaines,
n° 5, 2001, p. 53-71.
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RÉFÉRENCES Pour citer cet article : Lucas Le Texier, « Gérard Régnier, Django Reinhardt. Un musicien tsigane dans l’Europe Nazie, Paris, L’Harmattan, 2021, 144 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 8 septembre 2021, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html. Auteur : Lucas Le Texier. Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html ISSN : 1961-9944 |
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