Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Territoires contemporains


Varia
Patrick Zylberman, La guerre des vaccins, Paris, Odile Jacob, 2020, 349 p. [1]
Laurent-Henri Vignaud
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MOTS-CLÉS
Mots-clés : histoire de la médecine ; vaccins ; conspirationnisme ; antivaccinisme
Index géographique : France ; Europe ; États-Unis
Index historique : xxe-xxie siècles
SOMMAIRE

TEXTE

Sur un sujet, ô combien d’actualité, Patrick Zylberman propose un essai au ton engagé dont l’objet n’est pas tant la défiance envers les vaccins en soi, ni même la baisse des taux de vaccination observée dans certains pays, mais plutôt la « crise de la gouvernance politique » (p. 22) qui accompagne, si ce n’est induit, le phénomène de l’hésitation vaccinale. Plus qu’une étude sur le phénomène antivax, le livre se présente donc comme une suite de réflexions et de leçons à tirer à l’égard de choix, plus ou moins pertinents, dans le domaine de la santé publique. Les polémiques entourant les vaccins constituent, dans ce contexte, un révélateur plus qu’un véritable enjeu.

Le chapitre 1 fixe le contexte, en insistant sur la fracture entre les citoyens et les gouvernants survenue au milieu des années 1990 lorsque « l’alliance des réformateurs, hauts fonctionnaires, experts, syndicalistes et militants chrétiens-démocrates qui gouvernaient le pays depuis la Libération » (p. 24) vole en éclats. Cette alliance historique est rompue dans le domaine de la protection sociale au moment du Plan Juppé et, pour ce qui est des vaccins, à l’occasion de la vaccination contre l’hépatite B. Deux ministres de la santé se succèdent et donnent deux avis divergents, tous deux pourtant également fondés sur la « précaution ». Le chapitre 2 complète ce tableau en faisant de l’attitude critique envers les vaccins une « mesure de la confiance » (p. 39) envers les gouvernants eux-mêmes. Convoquant tour à tour le philosophe Alain, Benjamin Constant ou Freud, Patrick Zylberman pointe du doigt une « démocratie du moi-je » où la « jouissance (passe) avant la prudence » (p. 41-42). Le chapitre 3 scelle la thèse en concluant que les « anti-vaccins ne mènent pas l’opinion, ils s’y raccrochent » (p. 47). Il se complète d’une précieuse étude de cas typique du monde d’avant : la dernière épidémie de variole (Vannes, 1954-1955), où l’on voit des autorités prendre à bras le corps le problème, patauger parfois, mais être rarement déstabilisées par une opinion qui réclame du vaccin plutôt qu’elle ne regimbe à la piqûre. Le chapitre 4 revient sur la chronologie longue marquée par la « ligne de partage des eaux » (p. 79) des années 1970 car, depuis qu’il y a vaccin, il y a contestation des vaccins et polémiques autour de leur nocivité réelle (mais rarissime) ou supposée. La vaccination contre l’hépatite B, où les ministres eux-mêmes se mettent à douter, est présentée comme un point de bascule vers un scepticisme vaccinal plus répandu, comme en témoignent les recours en justice de plus en plus fréquents.

Le chapitre 5 tâche de définir l’attitude antivax dans toute sa diversité et son élasticité qui irait de la simple négligence (l’oubli du rappel, par exemple) à la théorie du complot. Cette « pyramide du doute » (p. 98-99) n’autorise pas à confondre les citoyens perdus voire ignorants et ceux qui tiennent des discours structurés contestant l’utilité des vaccins en général, qui, de fait, sont une poignée, même en France. Le chapitre se concentre sur ces derniers pour la période postérieure à la Seconde Guerre mondiale. C’est à cette époque qu’apparaît la première ligue française (1954), à l’occasion de la vaccination du BCG rendu obligatoire. Une des conclusions du chapitre est que l’antivaccinisme « traduit une protestation de l’individu contre le système, contre la suprématie du bien commun posée par les experts » (p. 143). Le chapitre 6 intitulé « 60 millions de conspirateurs ? » est sans doute le plus dense et le plus stimulant du livre. Il répond à la promesse d’analyser la crise de confiance envers les vaccins comme révélateur d’une crise politique, et plus spécifiquement démocratique. Patrick Zylberman y discute, à la suite de Richard Hofstadter [2], du « style paranoïde » (p. 160) en politique, qui correspond peu ou prou aux idées conspirationnistes, parmi lesquelles figure la méfiance envers les vaccins et ceux qui en font la promotion. Or, affirme l’auteur, l’imaginaire du complot est une « obsession symétrique de l’exigence de transparence » (p. 180), consubstantielle à l’imaginaire démocratique. Cette dimension politique du soupçon s’exprime en France dans des mots clairs depuis la Révolution : « Ne calomniez pas la défiance, disait Robespierre. Quoi que vous puissiez dire, elle est gardienne des droits du peuple » (p. 197).

Le chapitre 7 revient sur la question de l’obligation vaccinale et ses implications juridiques. Au cours des années 1980, après la levée de l’obligation du vaccin antivariolique, l’État adopte une attitude « quiétiste » (p. 227) jusqu’à ce que la résurgence de quelques mauvaises maladies vienne à nouveau sonner l’alarme. Le chapitre 8 poursuit avec le débat ayant conduit à l’adoption de la loi d’obligation du 1er janvier 2018 des onze vaccins de l’enfance. L’auteur défend les vertus morales et politiques de la mesure, sans réserve. Ce débat révèle, explique-t-il dans le 9e et dernier chapitre, un « affrontement implacable de deux légitimités », celle de la « volonté démocratique » et celle de la « vérité scientifique », sur laquelle l’expertise prétend se fonder. Dans ce schéma, « la guerre des vaccins apparaît comme un carburant pour le populisme » (p. 274). Une postface écrite au cours des derniers mois revient sur la stratégie de confinement adoptée depuis le début de la pandémie de Covid-19 et la compare avec celle qui accompagnera les vaccins, toutes deux idéalement motivées par les « besoins vitaux de l’être humain » (p. 293). L’ouvrage se conclut sur une formule aux relents très hobbiens : « L’obligation est première, le droit ne vient qu’après ».

L’ensemble donne l’impression d’avoir été composé en plusieurs étapes et adapté à l’urgence de la situation, ce qui se lit dans l’appareil critique qui n’est pas à jour pour tous les chapitres. Certaines études parues récemment comme celles du sociologue Jeremy Ward [3] et de l’historienne Laurence Monnais [4] sont ignorées. L’historique du mouvement est faiblement renseigné pour les périodes antérieures au xxe siècle et pour les pays autres que la France, à l’exception des États-Unis [5]. Cela n’entame en rien l’intérêt que l’on peut tirer de ce bel essai.

AUTEUR
Laurent-Henri Vignaud
Maître de conférences en histoire moderne
Université de Bourgogne-Franche-Comté, LIR3S-UMR 7366

ANNEXES

NOTES
[2] Richard Hofstadter, The Paranoid Style in American Politics, New York, Vintage Books, 2008.
[3] Jeremy K. Ward et Patrick Peretti-Watel, « Comprendre la méfiance vis-à-vis des vaccins : des biais de perception aux controverses », Revue française de sociologie, vol. 61, n°2, 2020 ; Jeremy K. Ward, Patrick Peretti-Watel, Aurélie Bocquier, Valérie Seror et Pierre Verger, « Vaccine hesitancy and coercion: all eyes on France », Nature Immunology, n° 20, 2019.
[4] Laurence Monnais, Vaccinations. Le mythe du refus, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2019.
[5] Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud, Antivax. La résistance aux vaccins du xviiie siècle à nos jours, Paris, Vendémiaire, 2019.

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Laurent-Henri Vignaud, « Patrick Zylberman, La guerre des vaccins, Paris, Odile Jacob, 2020, 349 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 11 janvier 2021, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteur : Laurent-Henri Vignaud
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944

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