Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-uB |
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Territoires contemporains | |
Varia | ||||
Yves Meunier, La Bande noire. Propagande par le fait dans le bassin minier (1878-1885), Paris, L’échappée, 2017, 189 p. [1] | ||||
François Jarrige | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Annexes | Notes | Références | Outils | |||
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SOMMAIRE |
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TEXTE | ||||
Yves Meunier, présenté comme originaire du Creusot et ancien instituteur, et dont le père fut ouvrier fondeur dans les usines Schneider, propose ici une enquête passionnante et vivante sur l’épisode de la Bande noire, ces groupes anarchistes du bassin minier de Montceau-les-Mines qui ont, pendant plusieurs années, semé la révolte et le trouble dans la région. Au cours de l’été 1882, des croix et édifices religieux sont en effet dynamités. Durant la nuit du 15 août (jour de fête catholique), des centaines d’ouvriers saccagent la chapelle de Montceau-les-Mines où régnait en maître le patron Léonce Chagot. L’Église et le patronat minier représentent alors deux forces sociales étroitement associées pour maintenir l’ordre et la discipline dans les rangs ouvriers. Pourtant, une dizaine d’années après la Commune, la révolte couve plus que jamais dans ce bassin minier où les conditions de travail et de vie étaient particulièrement dures. De nouvelles formes d’actions voient peu à peu le jour, qui débouchent sur les grandes vagues d’attentats anarchistes de la fin du siècle, dont l’action de la Bande noire constitue selon l’auteur un jalon essentiel à prendre en compte. L’expression de « Bande noire » renvoie à plusieurs significations et réalités sociales. Au pluriel, les « bandes noires » étaient des groupes divers d’ouvriers organisés clandestinement et affiliés d’abord à La Marianne – société secrète républicaine née sous le Second Empire – puis aux Chambres syndicales ; au singulier il s’agit d’un terme englobant utilisé par la police et la presse pour montrer la présence d’une menace pour l’ordre, puis repris par divers acteurs et groupes pour susciter de l’écho et rendre visibles leurs actions. L’ouvrage étudie un moment décisif de l’histoire du mouvement ouvrier, qui voit la légalisation des syndicats, la structuration progressive des partis ouvriers et l’autonomisation croissante des groupes anarchistes. Entre l’apparition du thème de la « propagande par le fait » dans les milieux anarchistes de la fin des années 1870 – c’est-à-dire la stratégie d’action consistant à sortir du terrain légal au profit d’actions insurrectionnelles – et la grande vague des attentats anarchistes des années 1890, les années 1880 constituent un moment de transition dans les répertoires d’actions protestataires populaires. Dès son apparition en France, la presse anarchiste défend ainsi de nouvelles méthodes d’action violentes, le journal La Révolution sociale ouvre même une rubrique intitulée « Études scientifiques sur la fabrication des bombes ». Alors que l’historiographie de l’anarchisme s’est surtout concentrée sur Paris et les grandes villes, Yves Meunier scrute ici les ramifications et évènements qui se déroulent dans le bassin minier, dans un monde social très singulier avec ses gueules noires et ses rapports sociaux hiérarchiques et paternalistes. L’un des intérêts principaux de ce livre est de suivre les divers protagonistes au plus près de leurs actions et de leurs pratiques, grâce à un minutieux travail d’enquête et de recherches archivistiques, même si malheureusement les références précises ne sont jamais données. L’épisode complexe de la Bande Noire est connu mais n’avait jamais réellement suscité de travail de grande ampleur permettant d’éclairer les significations et les enjeux de cette révolte. Il dure deux ans et s’achève globalement en novembre 1884 lorsque le groupe, noyauté par un mouchard, est démantelé et arrêté. La répression est alors impitoyable et l’auteur reconstitue avec force détails les divers procès avant de suivre le cheminement des principaux protagonistes, dans les prisons et bagnes en France ou en Nouvelle-Calédonie. L’ouvrage reconstitue les périodes d’intensification de la conflictualité et les reflux, le lecteur se déplace dans la nuit et les bois avec les ouvriers révoltés, comme ces vastes réunions nocturnes organisées l’été dans des endroits reculés entre Montceau et Le Creusot pour débattre des salaires et du temps de travail. L’ouvrage cite de nombreuses sources qui disent beaucoup sur les cultures populaires, le rapport à la violence, aux armes, ou la circulation de la dynamite dans le bassin minier de Saône-et-Loire. L’ouvrage propose ainsi une lecture riche et compréhensive de cet épisode célèbre – mais resté peu étudié – de l’histoire contemporaine de la Bourgogne ouvrière. Son objectif est de réhabiliter ces acteurs contre la condescendance de la postérité. Il y parvient parfaitement et contribue ainsi à redonner toute sa place à cet épisode important de l’histoire sociale locale comme nationale. Le parti pris engagé visant à réhabiliter les ouvriers du bassin de Montceau-les-Mines actifs dans les divers mouvements de révoltes et actions illégales réunis sous l’étiquette de la « Bande noire » constitue la force du livre, mais aussi sans doute sa principale limite. Une telle sympathie avec les acteurs et leur combat conduit parfois l’auteur à des jugements rapides, parfois trop succincts et tranchés comme ceux contre le « lâcheur » Jean-Baptiste Dumay et les « politiciens » dits réformistes. Par ailleurs, l’auteur est assez peu attentif à l’historiographie de l’anarchisme et des conflits sociaux, à la singularité de cet anarchisme mineur, comme aux enjeux théoriques et méthodologiques que soulève son étude au regard des nombreux débats suscités depuis un siècle par la question de l’anarchisme. Il entend ainsi s’écarter avec raison de l’histoire qu’il qualifie d’« officielle » ou « déterministe » qui n’interpréterait les actions de la bande noire que comme le résultat de manipulations policières. C’est oublier un peu vite combien depuis des décennies de nombreux historiens, dans la foulée de l’histoire sociale d’Edward P. Thompson ou de Michelle Perrot, se sont efforcés de redonner une parole aux ouvriers réduits au silence, et de comprendre la grammaire de leur action. À cet égard, loin de rompre avec une supposée historiographie officielle, Yves Meunier apporte ici – à partir du cas de Montceau-les-Mines et sa région – sa pierre à l’édifice collectif d’une histoire populaire et plurielle, où les acteurs méprisés du passé retrouveraient enfin une place, une voix, là où régnait un silence assourdissant. |
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AUTEUR François Jarrige Maître de conférences Université de Bourgogne-Franche-Comté, Centre Georges Chevrier-UMR 7366 |
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ANNEXES |
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NOTES |
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RÉFÉRENCES Pour citer cet article : François Jarrige, « Yves Meunier, La Bande noire. Propagande par le fait dans le bassin minier (1878-1885), Paris, L’échappée, 2017, 189 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 6 novembre 2017, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html. Auteur : François Jarrige. Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html ISSN : 1961-9944 |
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