Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Territoires contemporains


Varia
Sidonie Naulin, Des mots à la bouche. Le journalisme gastronomique en France, Rennes/Tours, Presses universitaires de Rennes/Presses universitaires François Rabelais, 2017, 318 p. [1]
Françoise Hache-Bissette
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MOTS-CLÉS
Mots-clés : alimentation ; gastronomie ; journalisme ; médias ; sociologie
Index géographique : France
Index historique : xxe-xxie siècle
SOMMAIRE

TEXTE

Partant de l’omniprésence de la cuisine dans les médias, depuis le début des années 2000, l’auteure, qui a choisi de faire de la gastronomie un objet sociologique, s’interroge sur la façon dont se sont construits les dispositifs médiatiques et notamment journalistiques qui soutiennent et encouragent cet engouement. Les médias sont vus ici comme des « dispositifs d’intermédiation marchande » qui, via la prescription, font le lien entre producteurs et consommateurs : « mise en visibilité » des biens, « raréfaction » de l’offre pour faciliter les choix des consommateurs et valorisation des biens exposés.

Dans une introduction claire et détaillée, l’auteure s’applique à bien délimiter son objet d’étude et expose la méthodologie retenue : sont étudiés ici le travail des journalistes gastronomiques (dominante « restaurants ») et celui des journalistes culinaires (dominante « recettes ») dans les médias dits traditionnels (presse nationale, radio, télévision), même si elle s’intéresse aussi aux blogueurs culinaires, du fait de « la place croissante prise par les amateurs dans la construction de l’information gastronomique par le biais d’Internet ».

Parce que « la compréhension de la fabrication des produits médiatiques implique l’étude de différents objets : les propriétés des contenus médiatiques tout d’abord (critiques de restaurants, recettes de cuisine, bancs d’essais de produits alimentaires ou reportages), celles de ceux qui les réalisent ensuite, et enfin celles des médias où ils sont publiés », l’auteure utilise différentes méthodes d’enquête : analyse de contenu (manuelle et informatisée), entretiens, observation et exploitation de données quantitatives. Ainsi, elle combine différentes échelles d’analyse : microsociologique (individus), mésosociologique (entreprises, professions) et macrosociologique (évolutions culturelles et économiques).

Ce travail mobilise en outre une vaste bibliographie, notamment anglo-saxonne, sur l’univers de la presse et des médias, d’une part, et sur les « Food studies », d’autre part.

Le plan de l’ouvrage s’articule autour de six chapitres. Les trois premiers, qui suivent un cheminement chronologique, portent sur les dispositifs médiatiques dans le domaine gastronomique. Le premier chapitre est centré sur le magazine Cuisine et Vins de France – créé en 1947 par le critique gastronomique Maurice Edmond Sailland dit Curnonsky (1872-1956) – étudié jusqu’en 2010. Ce choix est particulièrement intéressant puisque ce magazine est le plus ancien titre gastronomique encore édité aujourd’hui. Le deuxième chapitre traite du marché de la presse culinaire depuis les années 1980. En s’intéressant aux blogueurs culinaires, le troisième chapitre explore quant à lui les frontières du journalisme gastronomique.

Les trois chapitres suivants sont consacrés aux journalistes gastronomiques dont l’auteure dresse un portrait de groupe, avant d’examiner leurs méthodes de travail puis la construction de leur notoriété, en s’appuyant sur trois études de cas : Gault et Millau dans les années 1970, François Simon dans les années 1990 et Le Fooding et Omnivore dans les années 2010.

Au terme de son étude, l’auteure esquisse une typologie des journalistes critiques de restaurants, selon leur mode d’entrée dans la profession : les amateurs professionnalisés, les reconvertis et les « journalistes ». Elle dégage trois figures identitaires auxquelles peuvent s’identifier les journalistes gastronomiques : le critique, comme expert culinaire « guide » et « porte-parole des critères d’évaluation de la qualité alimentaire des professionnels de la gastronomie » ; le chroniqueur qui « donne envie » et se fait le porte-parole de sa propre subjectivité d’amateur et enfin le « journaliste », porte-parole des lecteurs, qui applique les méthodes de travail journalistiques. Elle souligne, à juste titre, toute l’ambiguïté de la profession : « Dans la mesure où le journalisme gastronomique est une forme journalistique issue d’une pratique d’amateur, il doit se positionner à la fois par rapport à l’amateurisme dont il cherche à se détacher et par rapport au journalisme auquel il cherche à se rattacher. »

Le cinquième chapitre intitulé « le travail journalistique comme activité collective », qui met bien en évidence tous les problèmes déontologiques liés à la profession est particulièrement intéressant. Faisant référence à la « circulation circulaire de l’information » (Bourdieu, 1989), l’auteure présente, non sans ironie, les différents modes de collecte de l’information : « le promeneur professionnel », « la lecture des confrères », les « réseaux personnels d’informateurs », « les différents collectifs producteurs d’information », « les échanges avec les pairs » et note la forte imbrication des milieux journalistiques et gastronomiques [2],  en insistant sur le rôle majeur joué par les attachées [3] de presse. Ce mode de production de l’information aboutit immanquablement à une « mêmeté » des contenus, même si le pouvoir de prescription diffère en fonction de la réputation du journaliste et de son support.

Cet imposant travail de recherche pourrait utilement être poursuivi sous l’angle de la réception, en étudiant par exemple le courrier des lecteurs/auditeurs/téléspectateurs et les commentaires publiés sur les blogs. De même, comme l’auteure le suggère elle-même, il serait intéressant d’élargir son analyse aux journalistes du secteur viticole qui « semblent former un groupe à part […] possédant sa propre histoire, ses propres institutions (presse spécialisée, salons des vins…) et ses propres méthodes de travail (par exemple la dégustation à l’aveugle) ».

Cette publication, issue d’une thèse en sociologie soutenue en 2012 à l’université Paris-Sorbonne (Paris IV), s’insère dans la collection « Tables des hommes » coéditée par les Presses universitaires de Rennes et les Presses universitaires François-Rabelais « dédiée aux cultures alimentaires des sociétés humaines d’hier et d’aujourd’hui », c’est-à-dire aux « rapports entre l’homme et son alimentation ».

Sidonie Naulin, normalienne et agrégée de sciences sociales, est maîtresse de conférences en sociologie à Sciences Po Grenoble et chercheuse au laboratoire PACTE (Politiques publiques, Action politique, Territoires). Ses travaux s’inscrivent dans les champs de la sociologie économique, de la sociologie des médias et de la sociologie de l’alimentation.

AUTEUR
Françoise Hache-Bissette
Professeur en sciences de l’information et de la communication
Université Paris-Saclay, Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines (CHCSC)-EA 2448

ANNEXES

NOTES
[2] Cette démystification du métier de chroniqueur gastronomique rejoint celle entreprise en 2004 par un ancien inspecteur du guide Michelin : Pascal Rémy, L’inspecteur se met à table, Sainte-Marguerite-sur-Mer, Éditions des équateurs, 2004.
[3] L’auteure justifie l’emploi du féminin par le fait que « la population des attachés de presse de restaurants étant quasi exclusivement féminine, le féminin est employé pour les désigner ».

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Françoise Hache-Bissette, « Sidonie Naulin, Des mots à la bouche. Le journalisme gastronomique en France, Rennes/Tours, Presses universitaires de Rennes/Presses universitaires François Rabelais, 2017, 318 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 19 mars 2018, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteur : Françoise Hache-Bissette.
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944

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