Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Territoires contemporains


Varia
Jacqueline Lalouette, Un peuple de statues. La célébration sculptée des grands hommes (France 1801-2018), Paris, Mare & Martin, 2018, 600 p. [1]
David Michon
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MOTS-CLÉS
Mots-clés : histoire politique ; histoire culturelle ; statues ; commémorations ; hommages ; sociabilité
Index géographique : France
Index historique : xixe-xxe siècles
SOMMAIRE

TEXTE

Jacqueline Lalouette, professeure émérite à l’université de Lille 3, nous livre une vaste anthologie de la statuaire publique en France, fruit d’une vingtaine d’années de recherches archivistique et de terrain. Richement illustré, cet ouvrage de référence dédié à son maître Maurice Agulhon n’est pas une simple et courageuse revue d’effectif, somme véritablement érudite, mais saisit les contextes présidant à la mise en place de ces monuments. En s’attachant à resituer les débats d’alors, qui se poursuivent aujourd’hui sous d’autres formes [2], l’autrice embrasse tout le processus de sélection et de mise en patrimoine des « grands hommes ». Depuis les premières discussions aux listes de souscriptions, en passant par les choix du sculpteur et de l’emplacement, elle livre ici la vie et la destinée de monuments éminemment sociaux.

L’ouvrage s’organise en trois parties. À partir du Consulat, un panorama donne une vue globale sur la diversité des personnalités célébrées. Chronologiquement, Jacqueline Lalouette revient sur ces dynamiques de patrimonialisation au gré des périodes et régimes. Le processus de glorification des grands hommes se ramifie à travers le territoire. Afin d’« arracher les statues à l’indifférence », Jacqueline Lalouette présente cet ensemble de 3 856 monuments, chiffre inférieur à la réalité selon elle, dès les premiers jours du xixe siècle (buste de Pierre Puget à Marseille) jusqu’au pic bien connu et confirmé de la IIIe République. De 1879 à 1914, 1 157 statues verront le jour, donnant corps au discours pédagogique républicain autour de personnalités plus variées (savants, médecins, peintres, etc.), progression qui s’équilibrera avec le déboulonnage et la fonte de statues sous Vichy. Édiles et citoyens cherchent à justifier le maintien de représentations des gloires du pays, dont la notoriété est parfois mondiale (cas de Pasteur à Arbois et Dôle), ce qui n’empêchera pas la refonte de près de 1 500 statues. La diversification se poursuit, tout comme une provincialisation à travers les 88 départements.

Une deuxième partie revient sur les prémices de ces projets monumentaux jusqu’aux considérations artistiques et architecturales. L’emplacement, les appels à souscription et le choix du sculpteur établissent des hiérarchies dessinées par les comités de patronage et de pilotage. On se rend compte que les jeux d’influence entre les acteurs de la politique mémorielle orientent largement ces destinées patrimoniales. Enfin, une dernière partie s’attarde sur le cérémonial de l’inauguration – où le statufié « reprenait vie » quelques instants (tel Louis XIV à Lyon ou Madame de Sévigné à Grignan) – en tant que moment collectif et festif, jusqu’à cette vie après l’élévation, parfois immédiatement tumultueuse (Garibaldi à Dijon), faite d’outrages, de déplacements, de rénovation ou de déboulonnage. Si les rituels variaient, élever une statue cherchait à fédérer et marquer une société, entre rite d’institution, borne temporelle et référent sociétal. Un aspect plus communicationnel s’attache à comprendre comment ces statues sont médiatisées dans l’espace public par le biais de guide touristique, itinéraire local ou support publicitaire, valorisant leur présence, justifiant leur existence et défendant leur permanence. Enfin, malgré quelques erreurs de renvois, un triple index des statufiés, des sculpteurs et des lieux permet au lecteur de retrouver des trajectoires particulières ou d’assouvir un penchant monomaniaque pour une figure plutôt qu’une autre.

D’une qualité esthétique souvent jugée douteuse par les contemporains, jusqu’à l’importance d’une réception contextuelle de moments qui font société, l’autrice porte un regard vers ces statues de pierre, de marbre ou d’airain comme une incitation à penser ces espaces de célébration comme des espaces vivants. En partant de ce qu’elle appelle des inaugurations « paisibles ou agitées », ces destinées confirment souvent une forme d’indifférence à leur égard, quand ce n’est pas de l’irrespect ou même une mort prématurée.

Dans ce panorama historique, plusieurs constats se font jour et des lignes de discussion s’ouvrent. Jacqueline Lalouette confirme un xixe siècle qui s’est amplement autocélébré. Pourtant, le xxe siècle n’a pas à rougir de son prédécesseur : plus de 1 000 monuments érigés, et toujours aussi peu de « grandes femmes ». En effet, l’autrice livre des chiffres implacables sur la place mineure qui leur est réservée : 7 % de l’ensemble, en comptant la célébration johannique masquant un chiffre encore plus restreint dans la diversité des statufiées. Aussi, l’étude des classes sociales livre un autre déséquilibre. Les célébrés occupent souvent des fonctions politiques (759 monuments), sont écrivains (697) ou militaires (608), sans que les frontières entre les fonctions soient toujours claires. Criante exception, un seul ouvrier (le mineur Rondet à La Ricamarie) est statufié.

À la suite des polémiques et débats au sujet de la place des statues dans l’espace public, entre « totems et tabous » [3], le présent livre offre déjà quelques pages sur les contestations autour de la question de la colonisation et de l’esclavage. En février prochain, l’autrice prolongera ses réflexions avec la sortie d’un ouvrage sur « Les statues de la discorde » (chez Passés composés). En somme, l’attachement de Jacqueline Lalouette à son sujet se résume par son refus du terme dépréciatif de « statuomanie » [4] au bénéfice de celui de « statuophilie », rendant ainsi hommage à la représentation de la société française de ces deux derniers siècles, avant tout la célébration symbolique d’une certaine notabilité urbaine et masculine.

AUTEUR
David Michon
Docteur en histoire contemporaine
ATER à l’université de Bourgogne, CIMEOS-EA 4177

ANNEXES

NOTES
[2] Voir la récente table ronde au « Rendez-vous de Blois » 2020 : http://rdv-histoire.com/programme/faut-il-deboulonner-nos-statues.
[3] Emmanuel Fureix, L’œil blessé. Politiques de l’iconoclasme après la Révolution française, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2019.
[4] Mot de Lucien Puech, La statuomanie. Monologue dit par M. Coquelin cadet, Paris, Presse et Stock, 1885.

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
David Michon, « Jacqueline Lalouette, Un peuple de statues. La célébration sculptée des grands hommes (France 1801-2018), Paris, Mare & Martin, 2018, 600 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 7 janvier 2021, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteur : David Michon
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944

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