Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Territoires contemporains


Varia
Violaine Girard, Le Vote FN au village. Trajectoires de ménages populaires du périurbain, Paris, Éditions du Croquant, 2017, 320 p. [1]
Benoît Coquard
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MOTS-CLÉS
Mots-clés : électorat d’extrême droite ; vote Front national ; périurbain ; zones pavillonnaires ; trajectoires sociales, professionnelles et résidentielles ; racisme institutionnel
Index géographique : France 
Index historique : xxie siècle
SOMMAIRE

TEXTE

Ce livre de la sociologue Violaine Girard vient faire office de solide antidote face à une doxa médiatique, essayiste et politique qui tend à imposer une vision misérabiliste et culturaliste de l’électorat d’extrême droite. D’emblée, l’auteure doit se confronter aux thèses de Christophe Guilluy, reprises du Parti socialiste au Front national, et par lesquelles, comme l’écrit Violaine Girard : « le périurbain est devenu l’incarnation des classes populaires blanches fuyant les cités et largement converties au vote FN » (p. 8). « Le vote FN au village » examine la question au regard d’une longue enquête d’une quinzaine d’années dans ladite vallée de la Riboire.

Comme en témoigne le sous-titre « Trajectoires de ménages populaires du périurbain », ainsi que la structure du livre, le vote ne prend sens que dans la compréhension préalable des conditions d’existence des enquêtés, de ce qui leur importe au jour le jour, de leurs visions du monde proche et plus lointain, de leur sentiment d’appartenance à un groupe respectable et de leur volonté de distanciation vis-à-vis de populations stigmatisées. Par rapport aux nombreuses publications récentes sur le sujet du vote FN, l’originalité de ce livre est donc sa base empirique solide et l’application de son auteure à emmener le lecteur vers une compréhension historicisée, localisée et multidimensionnelle du phénomène. La méthodologie est faite d’archives, d’entretiens et d’observations. Elle permet au fil du livre de contextualiser la genèse d’une progression de l’extrême droite dans ces zones pavillonnaires ouvriérisées tout en restituant le sens subjectif de ce vote pour les enquêtés.

Les premiers chapitres nous montrent tout d’abord que le comportement électoral des classes populaires et intermédiaires de ce territoire de la Riboire ne surgit pas de nulle part. Des élus et des entrepreneurs, à différents niveaux, ont contribué à produire ces territoires pour attirer une main d’œuvre qui selon leurs vœux ne poserait pas de problème. La vallée a en effet été développée au gré de politiques de réimplantation d’emplois industriels dans les années 1970 et 1980, et désormais les groupes sociaux liés au secteur industriels sont très dominants numériquement tout en connaissant une grande variété de statuts professionnels, niveaux de rémunération, etc., dans des entreprises de tailles souvent moyennes ou petites où les syndicats sont peu implantés, à l’image de la quasi absence des partis de gauche sur le territoire. De cette manière, l’ouvrage est, en fil rouge, une plongée dans un monde peu connu de la sociologie contemporaine, celui des lieux de vie des techniciens, contremaîtres et ouvriers qualifiés pour qui le vote FN ne prend sens qu’au regard de leurs trajectoires professionnelles et résidentielles. Ces trajectoires sont souvent faites de petites promotions aux grandes conséquences. En terme de conscience sociale, elles tendent à produire une volonté de se distinguer des fractions précaires des classes populaires et de se sentir à la fois différent mais souvent favorable aux patrons, surtout dans les petites entreprises.

Qualité forte de l’ouvrage, cette conscience triangulaire n’est pas seulement comprise par une focalisation sur ces salariés du haut des classes populaires ou des petites classes moyennes. Au fil du livre, le lecteur comprend que ce positionnement fait écho à l’action d’élus locaux pour le contournement de l’implantation de HLM et la désignation des populations issues des quartiers populaires urbains comme de potentielles menaces sur la tranquillité de ces territoires présentés comme ruraux. On comprend alors que le vote FN puisse être perçu comme un vote « respectable » par les classes populaires, dans la mesure où les idées de ce parti sont incarnées localement par des notables de droite. De cette manière, expliquer le vote Front national dans ce type d’endroits assez épargnés par le chômage nécessite de faire une sociologie des élus, une analyse des rapports au travail et notamment des stratégies antisyndicales, ou encore de s’intéresser à la vie de la famille et du couple, ainsi qu’aux parcours scolaires des enfants. L’ouvrage traite ainsi des aspects fondamentaux des conditions d’existence d’un électorat divers, préoccupé par le logement (et sa « tranquillité ») d’autant plus qu’il en est propriétaire. Les enquêtés sont également soucieux pour leurs enfants de trouver une formation professionnelle à la fois courte et qualifiante, permettant d’intégrer des secteurs porteurs d’emplois qualifiés et locaux, relativement mieux payés que d’autres, par exemple dans le secteur du nucléaire. Violaine Girard évoque dans le même temps l’importance des situations conjugales dans les visions du monde : le couple stable faisant office de clé de voute d’une revendication de respectabilité mise en avant par les électeurs et/ou sympathisants FN.

Un apport majeur de l’ouvrage est ensuite de parvenir à expliquer le vote FN par les conditions matérielles d’existence sans pour autant négliger le racisme institutionnel (via les élus notamment) ou quotidien dans les interactions (contre une femme voilée par exemple). On voit alors comment s’imbriquent ces différents éléments constitutifs d’un petit monde prompt à produire un sentiment de distance vis-à-vis des plus précaires et une relative proximité avec les classes intermédiaires, commerçantes et du petit patronat, qui sont historiquement ancrées à droite et gagnées par l’extrême droite. En effet, contre une autre idée répandue d’un vote FN soudainement apparu dans les territoires populaires, Violaine Girard insiste sur le fait que l’on est ici dans des territoires ruraux ancrés de longue date à droite. Glissement assez typique, un enquêté comme Patrick Monin vote à l’extrême droite tandis que sa mère votait à droite. Par ses portraits toujours fins et contextualisés, alimentés de nombreux extraits d’entretiens, l’ouvrage offre plus largement une étude du style de vie des différentes classes et fractions de classes qui peuplent un canton périurbain pour, in fine, réinscrire les comportements électoraux et le rapport au politique dans ce contexte précis : c’est certainement dans cette démarche patiente, certes peu encline à généraliser outre mesure, que se trouvent les clés de compréhension d’un phénomène global de droitisation.

AUTEUR
Benoît Coquard
Chargé de recherche INRA en sociologie
AgroSup Dijon-INRA, CESAER-UMR 1041

ANNEXES

NOTES

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Benoît Coquard, « Violaine Girard, Le Sens du temps. Le quotidien d’un service d’archives départementales, Paris, Éditions du Croquants, 2017, 320 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 6 décembre 2017, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteur : Benoît Coquard.
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944

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