Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-uB |
|
Territoires contemporains | |
Varia | ||||
Doris Bachmann-Medick, Cultural Turns: New Orientations in the Study of Culture, Berlin-Boston, De Gruyter, 2016, IX-302 p. [1] | ||||
Anne Chalard-Fillaudeau | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Annexes | Notes | Références | Outils | |||
MOTS-CLÉS
|
||||
SOMMAIRE |
||||
TEXTE | ||||
Dans cet ouvrage paru en 2016, Doris Bachmann-Medick dresse un remarquable tableau des différents tournants qui ont irrigué l’analyse culturelle de ces trente dernières décennies. Le tableau nous saisit à plus d’un titre. Premièrement, il s’agit de la traduction en anglais d’un ouvrage allemand révisé – un ouvrage de référence dont la qualité scientifique avait été saluée lors de sa parution en 2006 : Cultural Turns. Neuorientierungen in den Kulturwissenschaften. Or, ce que l’éditeur présente comme une traduction, relève à proprement parler du transfert culturel, de la resémantisation dans une culture scientifique d’un contenu qui faisait sens dans une autre culture scientifique. L’auteure le pose justement en introduction : elle relève le défi d’une transposition dans une autre sphère linguistique et scientifique. Non seulement les Kulturwissenschaften de son premier ouvrage [sciences de la culture] ne sont pas le strict équivalent germanique des Cultural Studies anglo-saxonnes – ainsi Doris Bachmann-Medick titre-t-elle précautionneusement sur the study of culture, et non les Cultural Studies –, mais les tournants n’ont pas été problématisés de la même façon par les Kulturwissenschaften et les Cultural Studies. Il ne s’agit donc pas uniquement d’une traduction, mais d’une « translation » au sens spatial que lui donne Doris Bachmann-Medick (« “trans” (= across) + latio (= Latin for “carrying”) and thus in the sense of moving or carrying across », p. 182), une translation qui entend inscrire la problématisation des tournants dans le discours anglo-saxon des Cultural Studies. Non pas que les Cultural Studies n’aient pas connu les mêmes bouillonnements théoriques et méthodologiques que les Kulturwissenschaften, mais elles les ont frappés au coin des « théories » et non des tournants. Or l’auteure privilégie résolument le concept de « tournant » qui, pour elle, dénote un élan, un processus, une dynamique. À cet égard, elle prend soin de faire le départ entre les tournants et les paradigmes qui seraient, eux, trop figés, trop systématiques pour autoriser les écarts, flottements, incartades, et vagabondages (trans)disciplinaires de l’analyse culturelle dans son traitement du sujet. Ce qui nous conduit à évoquer le deuxième chef d’appréciation du panorama des cultural turns : son caractère éminemment pédagogique. Doris Bachmann-Medick s’attache en effet à expliciter et comparer chacun des concepts mobilisés et le fait avec force détails et illustrations. En ce qui concerne les tournants eux-mêmes, elle revient sur l’incertitude directionnelle de l’analyse culturelle pour laquelle rien n’est arrêté d’avance en matière théorique et méthodologique : à chaque sujet son protocole… Or les tournants sont très peu directifs. Ils surviennent quand un champ de recherches s’élargit à d’autres domaines, engendre de nouvelles métaphores et génère l’emploi d’un nouveau vocabulaire (tel les notions de contexte, d’espace, de performance) et permet, in fine, la formulation d’une nouvelle méthodologie à partir desdites métaphores. Ils sont certes une impulsion donnée dans une direction thématique, puis théorique et méthodologique, mais admettent une pluralité d’approches. Au contraire des paradigmes, les tournants autorisent les intermittences de la théorie et de la méthode et se laissent combiner avec d’autres perspectives. C’est ainsi que Doris Bachmann-Medick examine successivement les tournants interprétatif, performatif, réflexif/littéraire, postcolonial, du traduire, spatial, et iconique/pictural et, pour chaque tournant, sa genèse, sa généalogie, ses caractéristiques, son incidence sur les différentes disciplines et ses perspectives futures. Ainsi apprend-on que c’est un séminaire de James Clifford qui a initié le tournant réflexif en 1984 ou que le tournant performatif a emprunté des éléments à la théorie anthropologique du rituel (les tournants n’étant pas sui generis) pour ne citer que de menus exemples, l’ouvrage étant d’une rare exhaustivité. C’est du reste l’exhaustivité qui constitue notre troisième chef d’appréciation. Car, outre les nombreux exemples d’ouvrages et de chercheurs relevant de tel et tel tournant, Doris Bachmann-Medick embrasse très largement l’horizon des sciences humaines et sociales. Elle pointe ainsi l’impact du tournant postcolonial dans les études critiques en management et dans les études organisationnelles. Le tout est accompagné d’une biographie pour le moins étoffée : alors que la version allemande de 2006 ne proposait qu’une « sélection » d’ouvrages à la fin du chapitre sur le tournant réflexif (mais quand même 35 références !), la traduction de 2016 abandonne toute mention de sélection et ne référence pas moins de 80 ouvrages pour le même chapitre. À cela s’ajoute que la bibliographie a fait l’objet d’une réactualisation avec des mentions d’ouvrages récemment parus en 2014 et 2015. Une réactualisation qui nous fait franchir le pas vers le quatrième chef d’appréciation, à savoir l’actualité de la synthèse. Doris Bachmann-Medick se penche en effet sur les développements en cours et à venir et note pour le tournant performatif l’apparition de nouvelles catégories d’analyse, comme la transgression, et de nouvelles thématiques, comme la dimension performative de l’activisme politique dans les espaces publics et l’arène politique. Ceci ouvre des perspectives pour l’étude des printemps arabes et des mouvements d’occupation, souligne-t-elle, mais aussi de la constellation zadiste française, sommes-nous tentés d’ajouter. Le passage sur l’hybridité dans le chapitre sur le tournant postcolonial est, en outre, concluant : ce concept, qui bat en brèche les approches essentialistes de la culture, de la nation, de l’individu, de la religion ou de l’ethnicité et nous aide à concevoir la manière dont les identités culturelles sont négociées, dessine une alternative aux notions d’acculturation, d’intégration et d’assimilation. En cela, il recoupe certaines de nos problématiques contemporaines, ne serait-ce qu’en France et en Europe. En cela, plus généralement, l’ouvrage a de quoi étayer l’analyse culturelle en France en dépit du fait que et, justement aussi, parce qu’il n’a pas pour objet premier les formes prises par l’analyse culturelle en France (qui ont leurs spécificités, comme le signale l’auteure en introduction). On pourra toujours objecter que les transferts culturels de Michel Espagne auraient enrichi la discussion sur le tournant du traduire, il reste que de telles asymétries entre cultures scientifiques nous incitent à réfléchir notre propre culture scientifique. Comme la culture qui ne peut être traduite mais se révèle le produit de différentes traductions, notre culture scientifique de l’analyse culturelle ne peut être strictement traduite en termes de Kulturwissenschaften et de Cultural Studies mais fructifie en dialoguant avec ces formations ou en s’opposant à elles. C’est bien ce que démontre cet ouvrage tout entier consacré au partage d’idées et d’approches, de visées et d’expériences. |
||||
AUTEUR Anne Chalard-Fillaudeau Maître de conférences Université de Paris VIII-Vincennes à Saint-Denis, EA 1577 « Les mondes allemands : histoire des idées et des représentations » |
||||
ANNEXES |
||||
NOTES |
||||
RÉFÉRENCES Pour citer cet article : Anne Chalard-Fillaudeau, « Doris Bachmann-Medick, Cultural Turns: New Orientations in the Study of Culture, Berlin-Boston, De Gruyter, 2016, IX-302 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 17 janvier 2017, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html. Auteur : Anne Chalard-Fillaudeau. Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html ISSN : 1961-9944 |
||||
OUTILS |