Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-uB |
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Territoires contemporains | |
Varia | ||||
Christopher Guyver, The Second French Republic 1848-1852. A Political Reinterpretation, Londres, Palgrave Macmillan, 2016, XI-366 p. [1] | ||||
Thomas Bouchet | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Annexes | Notes | Références | Outils | |||
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Contrairement à ce que le titre de l’ouvrage laisse croire, Christopher Guyver ne propose pas une nouvelle interprétation de l’histoire politique de la Deuxième République. Son propos est moins ambitieux. Il s’agit pour lui de présenter le cours de la vie politique de ces années-là au fil de chapitres qui épousent les scansions chronologiques classiques. Vie politique plutôt que mécanismes politico-sociaux : qu’on ne s’attende donc pas à des développements qui rompraient avec les approches somme toute bien balisées – et parfois quelque peu réductrices – sur la lutte pour le pouvoir et son exercice par des individus et des groupes. Christopher Guyver n’étudie d’ailleurs pas avec une égale précision l’ensemble des forces politiques au combat pendant ces années-là : très attentif aux hommes qui composent le Parti de l’ordre, il se penche avec un peu moins de soin sur la nébuleuse républicaine dite « de la veille », montagnarde, démoc-soc, ou encore sur l’histoire du camp bonapartiste. Il choisit de porter l’essentiel de son effort sur une capitale qui domine certes le paysage mais dont tant d’historiens français ou anglo-saxons ont relativisé le rôle en étudiant les France des villes et des campagnes. Il construit une partie notable de ses développements à partir d’un type de source très précieux mais assez spécifique : du côté des manuscrits, les archives privées dominent ; du côté des imprimés sont mobilisés en grand nombre Mémoires, Journaux intimes, Souvenirs, Lettres. On notera enfin, pour compléter cette tentative de délimitation du propos de l’auteur, que The Second French Republic est riche de sources venues d’outre-Manche : témoignages et analyses d’hommes politiques et d’observateurs – ou d’observatrices – britanniques, articles (The Times, en particulier) ; l’apport est d’autant plus appréciable que de nombreux acteurs de la vie politique française de la première moitié du xixe siècle connaissent bien le modèle politique britannique, s’inscrivent dans des réseaux qui dépassent les frontières de la France (ils sont même quelques-uns à avoir épousé des Anglaises) ; une intéressante correspondance intime entre Barrot et « une Anglaise », conservée aux Archives nationales, est citée à plusieurs reprises dans le livre ; quant à Montalembert, rappelle Christopher Guyver, il est « half-English and half-French » (p. 35). Le cadrage de l’ouvrage met en position de mieux comprendre la pensée et l’action de plusieurs dizaines de personnalités politiques pour la plupart républicaines du bout des lèvres, souvent monarchistes de cœur et/ou de raison – avec des orléanistes en rangs serrés –, très actives au sein du Parti de l’ordre ; la lecture permet de s’orienter dans certains des réseaux qu’elles forment ; de reconstituer des clivages politiques parfois très subtils ; de mieux comprendre quelques séquences-clé dans l’histoire de la Deuxième République. Un très consistant chapitre deux (« Le monde fini de la monarchie constitutionnelle », p. 15-64) met en scène dans leur carrière politique d’avant Février 1848 un grand nombre d’hommes forts de la Deuxième République. La « maturation » politique de la plupart d’entre eux, défenseurs le plus souvent de la monarchie selon la Charte jusqu’à Février, date des années où Louis-Philippe Ier dirige la France (p. 26). Dans les chapitres suivants le lecteur suit les pas de ceux qui défendent au-delà de divergences parfois appuyées les intérêts des « notables » et des « élites » (passim) et dénoncent inlassablement le spectre du désordre politique et social : Barrot, Dufaure, Falloux, Faucher, Guizot, Molé, Montalembert, Thiers, Tocqueville, etc. Christopher Guyver traque leurs idées dans les écrits qu’ils signent et via les journaux qui se rapprochent de leurs vues, en particulier Le Constitutionnel et Le Journal des débats. Ce qui « divise le moins » l’élite politique des années 1848-1851 est selon l’auteur « la défiance ou l’indifférence à l’égard de la République comme forme de gouvernement, la peur et la haine à l’égard des idées neuves du socialisme » (p. 2). L’enracinement de ces sentiments de peur et de haine mis naguère en évidence par Maurice Agulhon, le choix de l’ordre contre la liberté, voilà effectivement un fil rouge précieux pour comprendre la période. Dans le chapitre 3 (« Février ») est évoquée par exemple la fuite de nombreux hommes politiques rongés d’inquiétude hors de Paris ou de France aux lendemains de la révolution (p. 68) ; au printemps 1849, à l’approche des élections législatives, d’inquiétantes rumeurs et de vigoureux écrits anti-socialistes saturent l’actualité politique ; face aux offensives de Bonaparte et de son entourage (les plans de l’exécutif en général et le rôle joué par Persigny en particulier sont clairement présentés dans l’ouvrage), l’assemblée dominée par le Parti de l’ordre s’inquiète et, sur la défensive, élabore d’assez inefficaces contre-feux ; Guizot s’active en 1850-1851 des deux côtés de la Manche en faveur d’un rapprochement entre les différentes sensibilités royalistes (voir par exemple p. 226 sq.) Mais c’est à Montalembert que Christopher Guyver consacre les développements les plus circonstanciés : « son Journal intime, publié par Nicole Roger-Taillade, est une ressource d’un intérêt exceptionnel », notamment parce qu’il révèle combien cette « figure-clé du Parti de l’ordre » a consacré d’énergie, avec des succès divers, contre ses adversaires et auprès de ses proches, pour mener des offensives déterminées, nouer des alliances, trouver des compromis (p. 6). Dans The Second French Republic, les chefs du Parti de l’ordre sont au total moins visibles à la tribune ou sur les bancs de l’Assemblée que dans ces réunions plus ou moins formelles déjà nombreuses sous la monarchie de Juillet et qui commencent à refleurir au printemps 1848 rue de Poitiers, rue des Pyramides et ailleurs. En confirmant la place stratégique que tiennent ces discrets lieux de sociabilité mondaine au masculin et au féminin où s’entretiennent les amitiés et où se concoctent les plans politiques, Christopher Guyver dessine assez clairement les contours d’une République des réunions. Cette République est également, montre l’auteur, une République des généraux (« Le pouvoir [politique] exercé par les généraux fut à son apogée sous la Deuxième République », p. 16). Jouissant d’une situation de très grande autonomie vis à vis du pouvoir politique sur le territoire algérien pendant la monarchie de Juillet, l’armée marque en effet de sa forte empreinte les années 1848-1852. Christopher Guyver consacre notamment des pages instructives à un Changarnier dont il décrit la position centrale et dont il met en lumière la morgue, à Bugeaud, à Cavaignac. Il rappelle qu’une trentaine d’officiers supérieurs siègent en 1848 à l’Assemblée constituante – six sur le flanc gauche, quatorze sur les bancs du centre majoritaire, neuf sur le flanc droit (p. 92). Il insiste sur le rôle éminent de plusieurs détenteurs du portefeuille de la Guerre, sur la peur qu’engendrent dans le Parti de l’ordre les succès de la propagande démoc-soc auprès de l’armée au printemps 1849 (p. 185), sur les débats houleux qui en 1850-1851 tournent autour de la protection de l’Assemblée par la force armée jusqu’à la proposition des questeurs du 6 novembre 1851. Il souligne que le coup d’État militaire du 2 décembre 1851 s’est accompagné de l’arrestation des généraux Bedeau, Cavaignac, Changarnier, Charras, Lamoricière, Le Flô. Il suggère par ailleurs un assez amusant effet de miroir : Thiers est selon son expression le « plus grand général de salon du xixe siècle » (p. 153). Quelques illustrations parfois décalés (c’est le cas d’un portrait de Thiers exécuté… vers 1860), une petite centaine de courtes notices biographiques, la liste des ministères qui se sont succédés entre 1848 et 1852 complètent l’ouvrage. Un très long index, pour finir, couvre les pages 349-366. On y trouve des centaines de noms de personnes, soit acteurs politiques très exposés ou plus discrets sous la Deuxième République (avec d’utiles renvois aux pages où sont mentionnés leurs écrits), soit historiens qui ont analysé tout ou partie de la période. S’y ajoutent les noms de lieux, mais aussi les entrées « journaux » et « réunions », ou encore – entre beaucoup d’autres – « Académie des sciences morales et politiques », « Élections », « Irish Famine », « Razzias », « Socialism », « Union électorale », « Victoria ». Voilà qui témoigne de la foisonnante richesse de cet utile ouvrage. |
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AUTEUR Thomas Bouchet Maître de conférences Université de Bourgogne-Franche-Comté, Centre Georges Chevrier-UMR 7366 |
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ANNEXES |
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NOTES |
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RÉFÉRENCES Pour citer cet article : Thomas Bouchet, « Christopher Guyver, The Second French Republic 1848-1852. A Political Reinterpretation, Londres, Palgrave Macmillan, 2016, XI-366 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 7 décembre 2016, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html. Auteur : Thomas Bouchet. Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html ISSN : 1961-9944 |
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