Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Territoires contemporains


Varia
Niccolò Mignemi, Coopératives et mondes agricoles, France et Italie (1880-1950), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, 338 p. [1]
Alexia Blin
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MOTS-CLÉS
Mots-clés : histoire économique ; monde rural ; coopératives
Index géographique : France ; Italie
Index historique : xixe-xxe siècle
SOMMAIRE

TEXTE

L’ouvrage de Niccolò Mignemi, issu de sa thèse soutenue en 2012, est à saluer en raison de son ambition, à la fois pour la méthode comparative qu’il propose, et pour son effort permanent pour faire varier les échelles dans l’étude d’un phénomène économique et social complexe.

Le livre est composé de deux parties. La première offre une analyse surplombante de la genèse et de l’évolution des coopératives agricoles en France et en Italie entre les années 1880, début d’une sévère crise agricole et d’un exode rural massif, et les années 1950, à l’aube d’une période de grande transformation du secteur primaire. Le cadre chronologique permet donc d’étudier les coopératives à travers plusieurs crises économiques – ce qui donne l’occasion à l’auteur de signaler l’absence de relation automatique entre crise et essor de la coopération – et changements de régimes politiques, notamment les épisodes fasciste et vichyste. Niccolò Mignemi prend le parti d’écrire une histoire économique, et dans une moindre mesure sociale, des coopératives, plutôt qu’une étude institutionnelle et politique. Il replace l’histoire des coopératives dans celle des « systèmes agraires », s’attachant particulièrement aux questions d’accès à la terre et au crédit, au rapport des organisations économiques avec le type de cultures et le type de sociétés qu’elles produisent.

Dans les trois premiers chapitres qui constituent cette première partie, le livre compare l’émergence et le développement des coopératives agricoles dans les deux pays, faisant apparaître de vraies différences. Le cas italien témoigne de liens soutenus avec le mouvement coopératif urbain, et la question de la terre y joue un rôle primordial dans des contextes de conflictualité parfois très aigüe, quand le modèle français se caractérise par une forme de dépolitisation, une spécialisation agricole plus poussée et un accent mis sur la défense de la petite propriété individuelle. Les expériences des deux pays ont cependant des points communs, notamment l’investissement important et précoce des pouvoirs publics dans ces organisations (en particulier, mais pas seulement, sous les régimes autoritaires). Qui plus est, les trajectoires agricoles française et italienne finissent par converger dans les années 1950, alors que les coopératives deviennent des acteurs majeurs des processus de modernisation. Pour dessiner ces histoires entrelacées, l’auteur déploie un réel effort de quantification des phénomènes qu’il étudie, en présentant de manière critique les statistiques produites à la fois par les États et les organisations agricoles, et en montrant que les chiffres sont toujours des enjeux de lutte. Il donne également une grande importance à la dimension spatiale de la coopération, faisant apparaître la différenciation régionale et l’ancrage des entreprises à grande comme à plus petite échelle, grâce à un cahier cartographique très utile. Cette première partie témoigne enfin de la grande maîtrise de la littérature existante sur les questions agraires en France et en Italie, mobilisée de manière très pertinente.

Mais, à notre avis, c’est la seconde partie qui se trouve être la plus intéressante et la plus novatrice. Elle repose sur l’étude du cas du latifondo céréalier en Sicile, en resserrant de plus en plus en plus la focale, de l’île à la province, à la municipalité, puis au domaine. On y voit vraiment les coopératives à l’œuvre et l’on entre dans le détail de la mécanique politique et des modes d’appropriation de la forme coopérative, dans le contexte des mobilisations paysannes des deux après-guerres. L’auteur y met efficacement en scène les oppositions entre communistes, catholiques, associations d’anciens combattants et propriétaires fonciers, qui tous essaient d’adapter les entreprises coopératives à leur avantage. En dépit de ses affirmations, l’histoire qu’il donne à voir est alors très politique, au sens le plus large du terme, puisque la coopérative devient un lieu de rapports de force, notamment autour de la question de l’accès à la terre. Ces chapitres permettent également d’étudier plus avant la composition sociale des coopératives, et les interactions entre petits propriétaires exploitants, métayers, salariés et pluriactifs agricoles. Grâce à l’étude du cas sicilien, l’auteur remet en cause la dichotomie entre initiatives venues d’en-haut (de l’État, des élites) et venues d’en bas (d’une vraie mobilisation de la base), établissant la coexistence permanente de pressions externes et internes. Il rejette aussi le mythe d’une innocence et d’une pureté perdues des coopératives, et met au contraire en évidence des motifs toujours hybrides. La question du rôle des coopératives dans la défense de l’ordre établi et dans les processus de modernisation est abordée très finement, l’auteur estimant que ces organisations ne visent pas nécessairement à modifier la direction des changements à l’œuvre, mais à en contrôler le rythme, ce qui peut s’avérer tout aussi important. La thèse principale des deux parties de l’ouvrage reste finalement la même : celle de la fluidité et du caractère éminemment adaptable des entreprises coopératives telles qu’elles se sont développées depuis la fin du xixe siècle.

Nous formulons ici deux regrets, qui ne remettent pas en cause les grandes qualités du livre. Premièrement, alors que l’auteur explique vouloir « partir des pratiques » des acteurs, celles-ci sont finalement peu visibles, notamment parce qu’il n’a guère eu accès à des archives d’entreprises coopératives. Une seule organisation fait l’objet d’un traitement détaillé, dans le dernier chapitre, et donne une idée de la richesse potentielle de ce genre de sources. Deuxièmement, le livre se conclut sur l’idée que la coopérative constitue finalement un cadre neutre, qui peut être approprié pour tout et son contraire. Une telle affirmation nous semble remettre en cause l’objet que l’auteur construit pourtant de manière convaincante tout au long du livre. La fluidité, voire le caractère potentiellement contradictoire d’un outil institutionnel, ses capacités à s’adapter à de nouveaux besoins et de nouveaux contextes ne signifient pas sa neutralité, et l’histoire des coopératives écrite par Niccolò Mignemi le démontre.

AUTEUR
Alexia Blin
ATER à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3

ANNEXES

NOTES

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Alexia Blin, « Niccolò Mignemi, Coopératives et mondes agricoles, France et Italie (1880-1950), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, 338 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 20 juin 2018, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteur : Alexia Blin.
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944

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