Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Territoires contemporains


Varia
Peter Mitchell, Horse Nations: The Worldwide Impact of the Horse on Indigenous Societies Post-1492, Oxford, Oxford University Press, 2015, 464 p. [1] [2]
Messias Basques
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MOTS-CLÉS
Mots-clés : peuples autochtones ; Nouveau Monde ; nations du cheval ; relations humain-animal
Index géographique : Amériques ; Afrique ; Océanie
Index historique : xve-xxe siècle
SOMMAIRE

TEXTE

Horse Nations est l’aboutissement d’un dialogue comparatif entre les perspectives archéologiques, ethnographiques et historiques concernant l’adoption du cheval par les peuples autochtones dans le monde après 1492.

Le titre est tiré d’un discours du chaman Black Elk [3] : « A horse nation all over the universe. Neighing, they come! Prancing, they come! May you behold them. »

Mitchell écrit qu’il a été inspiré par la similitude entre des scènes s’étant déroulées dans des endroits très éloignés, mais que certaines sources indiquaient comme probablement parallèles : dans le désert australien, les femmes autochtones aperçoivent l’animal pour la première fois ; dans les montagnes sud-africaines, un chaman dessine un animal hybride sur un rocher, composé de deux espèces, l’une familière, l’autre nouvelle ; en Patagonie, les funérailles d’un dirigeant autochtone se terminent par l’enterrement de ses biens les plus précieux ; en Amérique du Nord, les guerriers Diné chantent des récits ; à l’heure actuelle, dans les plaines de l’Alberta, les Siksikáwa rassemblent des bisons à la fin de la saison de chasse. Toutes ces scènes impliquent des relations entre des humains et un animal particulier : le cheval.

Le livre explore la question suivante : les chevaux ont-ils transformé les sociétés où ils ont été introduits, ou ont-ils simplement permis à ces peuples de pratiquer leurs coutumes plus intensément et à plus grande échelle ?

Le premier chapitre introduit le sujet et situe le livre dans l’ensemble des études établies sur les relations entre humains et animaux dans le Nouveau Monde. Peter Mitchell affirme que les nations du cheval se sont souvent épanouies aux frontières d’empires, où le contrôle de l’État était instable et largement inefficace contre les peuples qui s’étaient réfugiés dans des zones inaccessibles. Cependant pourquoi mettre l’accent sur les chevaux en particulier ? L’auteur explique que, selon lui, les chevaux, contrairement aux armes à feu et aux autres produits manufacturés, étaient capables de se reproduire d’eux-mêmes. Il est tout aussi important de noter que les populations autochtones du monde entier n’ont été exposées au cheval qu’après 1492. Les chapitres 2 et 3 traitent du retour du cheval dans le Nouveau Monde [4], de son origine et de son histoire évolutive dans les Amériques, ainsi que de ses caractéristiques biologiques et écologiques. « L’échange colombien » et les raids sont les deux principaux moyens utilisés par les peuples autochtones pour acquérir des chevaux. Ici, les Apaches, Comanches et Shoshones ont joué un rôle fondamental dans la diffusion du cheval et des compétences équestres dans l’ensemble de la moitié occidentale de l’Amérique du Nord.

Le chapitre 4 traite des transformations survenues dans les plaines du Sud et du Sud-Ouest, où le cheval s’intégrait aux stratégies coloniales espagnoles pour subjuguer et contrôler les peuples agricoles, bien que cela se soit révélé tout aussi important dans l’histoire des groupes nomades comme les Apaches et les Navajos. Peter Mitchell examine également l’interaction entre l’écologie des plaines et les chevaux adoptés par les Comanches, probablement les premiers peuples à développer une vie pleinement équestre.

Dans le chapitre 5, l’accent est mis sur les relations entre les nomades équestres (Cheyennes, Blackfeet et Lakota) et les agriculteurs sédentaires (Arikara, Hidatsa et Mandan), qui ont favorisé la propagation du cheval dans les plaines centrales et septentrionales.

Le chapitre 6 analyse les zones à l’ouest de la chaîne des Rocheuses. Bien que certains groupes aient choisi de ne pas adopter le cheval, d’autres l’utilisaient pour piller captifs et animaux.

Les chapitres 7 et 8 se tournent vers l’Amérique du Sud, où les Wayúu (Guajiro) sont devenus des pasteurs et des commerçants renommés, mais c’est seulement dans le Chaco que le cheval a été adopté de la même manière qu’en Amérique du Nord. Les Mbayá-Guaikuru, par exemple, ont développé des peintures corporelles singulières qui impliquaient une esthétique explorant les différences entre humains et animaux, maîtres et captifs. En effet, la couverture du livre montre un tableau de Jean-Baptiste Debret [5] ayant contribué à la renommée des Guaïkuru (Kadiwéu) au cours de la guerre du Paraguay [6]. Une économie transandine complexe s’est développée par le biais du cheval et centrée sur le commerce de bovins et de ponchos (fabriqués à partir de laine de mouton récemment introduite dans la région). Dans son argumentaire, Peter Mitchell avance que l’émergence très limitée de peuples équestres dans la région de Llanos et aux frontières de l’Amazonie peut s’expliquer par l’interaction spécifique entre l’écologie et les cosmologies indigènes, un argument fondée sur l’hypothèse de Philippe Descola selon laquelle « entre l’apprivoisement du gibier et sa domestication, il existe une limite que les Amérindiens des régions tropicales ont toujours refusé de franchir » [7].

Le chapitre 9 traite de l’Afrique australe et de l’Océanie. Les riches pâturages, le faible nombre de prédateurs et l’absence de maladies équines dans les montagnes du Maloti-Drakensberg rendaient la région particulièrement attrayante pour les Bushmen tels que les AmaTola, dont la subsistance dépendait de plus en plus d’un style de vie équestre. En 1788, le cheval fut introduit en Australie par des colons britanniques. Toutefois, aucun peuple équestre n’a émergé en Australie comme ça a pu être le cas aux Amériques ou en Afrique australe. Les raisons invoquées par l’auteur s’articulent autour de la conquête rapide de l’Australie et de son écologie défavorable, ce qui en fait un point de contrôle pour la compréhension des autres cas analysés. En Nouvelle-Zélande, les Maoris, qui vivaient de la culture de la patate douce, de la chasse et de la cueillette, sont confrontés pour la première fois au cheval en 1814 et adoptent rapidement l’équitation et l’élevage.

Le dernier chapitre présente un résumé et suggère des thèmes pour de nouvelles recherches, parmi lesquels nous pouvons souligner la comparaison avec les pasteurs nomades d’Eurasie, l’analyse des techniques de chasse et des armes utilisées après l’adoption du cheval, l’importance que revêtent les chevaux dans l’alimentation des premières occupations humaines aux Amériques et les raisons qui ont motivé l’extinction des populations de chevaux endémiques [8]. S’appuyant sur les travaux de Clark Wissler [9] et de Miguel-Angel Palermo [10], Peter Mitchell soutient que l’adoption du cheval n’est pas le facteur déterminant des transformations subies par les peuples autochtones, car celles-ci ne furent ni uniformes ni immédiates. Il estime qu’au lieu d’envisager un « horse complex », nous devrions considérer ces animaux comme des agents de changement dans des contextes déterminés en raison de leur relation avec les communautés humaines et l’environnement. Ici, quatre paramètres sont identifiées comme étant nécessaires au développement des nations équestres : temps d’exposition et espace suffisants, pâturages et eaux abondants et environnement exempt de pathogène. L’auteur poursuit en classant également ces nations en quatre catégories : les nomades équestres, qui associent mobilité, chasse, cueillette et chevaux ; les sociétés pastorales qui valorisent la possession de chevaux comme moyen d’acquérir et d’élever d’autres animaux ; les sociétés de pillage, pour lesquelles la possession de chevaux contribuait à la capture d’esclaves et d’animaux, ainsi qu’à la résistance au colonialisme ; et les sociétés agricoles sédentaires, où une structure sociale plus hiérarchisée peut être observée.

Ce livre offre une excellente description des relations entre peuples autochtones et chevaux depuis 1492, couvrant une centaine de peuples du monde entier. Son principal mérite est de permettre à d’autres chercheurs d’utiliser ses abondantes données et preuves pour affiner et améliorer l’analyse de cas ethnographiques spécifiques. De telles recherches peuvent contribuer, par exemple, à élargir les connaissances anthropologiques sur les relations avec les chevaux pour des peuples comme les Kadiwéu et les Maoris et à approfondir la recherche sur les noms et qualificatifs donnés aux chevaux dans différentes sociétés. Un autre thème qui appelle de nouvelles études est la pertinence des catégories de captifs et d’esclaves dans le cas des peuples capturant personnes et animaux. Le livre est une lecture essentielle pour tous celles et ceux qui s’intéressent à l’étude des relations humain-animal, offrant un accès précieux aux sources documentaires, iconographiques et bibliographiques empruntées à l’histoire coloniale et contemporaine, à l’archéologie et à l’anthropologie.

AUTEUR
Messias Basques
Laboratory of the Anthropology of Art, Ritual, and Memory
National Museum, Federal University of Rio de Janeiro, Brésil

ANNEXES

NOTES
[2] Recension initialement publiée par Current Anthropology, 2015, vol. 56 n° 5, p. 772-773 (https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/683330) et traduite de l’anglais par Gabriel Plathey (Master 2 Histoire, uB). Publiée avec l’autorisation de l’auteur.
[3] Black Elk, Black Elk speaks: being the life story of a holy man of the Oglala Sioux, Lincoln, University of Nebraska Press, 2000, p. 132.
[4] Il existait en effet des populations de chevaux sauvages endémiques aux Amériques jusqu’il y a environ 10 000 ans.
[5] Jean-Baptiste Debret, Voyage pittoresque et historique au Brésil, ou Séjour d’un artiste français au Brésil, depuis 1816 jusqu’en 1831 inclusivement, époques de l’avènement et de l’abdication de S. M. D. Pedro Ier, fondateur de l’empire brésilien, Paris, Firmin-Didot, 1839.
[6] Luc Capdevila, Une guerre totale. Paraguay, 1864-1870. Essai d’histoire du temps présent, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.
[7] Philippe Descola, Beyond nature and culture, Chicago, University of Chicago Press, 2013, p. 382.
[8] Voir la note 4.
[9] Clark Wissler, « The influence of the horse in the development of Plains culture », American Anthropologist, n° 16, 1914, p. 1-15.
[10] Miguel-Angel Palermo, « Reflexiones sobre el llamado “complejo equestre” en la Argentina », Runa, n° 16, 1986, p. 157-178.

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Messias Basques, « Peter Mitchell, Horse Nations: The Worldwide Impact of the Horse on Indigenous Societies Post-1492, Oxford, Oxford University Press, 2015, 464 p. », Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 19 mars 2019, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteur : Messias Basques.
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944

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