Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-UBE
Territoires contemporains


Miroir du football, un autre sport dans la presse rouge ? (1958-1979)
Témoignages
François-René Simon, Loïc Bervas et Bernard Gourmelen
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RÉSUMÉ

L’aventure de Miroir est aussi celle de ses journalistes. Les témoignages ici recueillis permettent de mieux apprécier la singularité d’une équipe de rédaction, pour partie composée de « footballeurs du dimanche » : convaincus que le football est un « fait social universel », adeptes du « beau jeu » et partisans d’un traitement « décalé » de l’information sportive, François-René Simon, Loïc Bervas et Bernard Gourmelen partagent avec François Thébaud, rédacteur en chef emblématique du titre, la vision d’un football humaniste et engagé.

MOTS-CLÉS
Mots-clés : Miroir du football, équipe de rédaction, journalisme sportif
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SOMMAIRE
I. Mémoire de François Thébaud
II. Miroir du football et François Thébaud
  1) Miroir du football : un magazine sportif différent des autres
  2) Miroir du football et la politique
III. À la croisée des chemins. À la rencontre du Mouvement Football Progrès (MFP) et de Miroir du football, ou l’inverse ?

TEXTE

I. Mémoire de François Thébaud

Ma carrière de journaliste de football a commencé avec Miroir du football et avec Pelé, comme par enchantement, pendant la Coupe du monde 1970. Amoureux du foot, mais ayant cessé d’y jouer, j’avais loué un téléviseur et convié mon ami Roger Renaud à suivre ensemble des matchs. La technique et l’élégance des joueurs brésiliens, le chatoiement de leurs couleurs – un certain jaune, un certain bleu, le blanc des chaussettes et le noir des chaussures – nous ravissaient. Sans parler du style offensif et du côté anti débauche physique qui contrastait avec le football européen. C’est à ce moment-là que mon ami Roger me parla de Miroir du football, qui défendait précisément ce football-là. Une découverte ! Je lisais les éditoriaux de François Thébaud avec le sentiment qu’y étaient exprimées le plus clairement du monde les opinions que je ne faisais que ressentir confusément. Pour cette raison, ces éditoriaux, je les lisais en dernier, comme un dessert.

Ils me donnèrent envie de rejouer au foot.

Ce que je fis dans des équipes de zone (aucune allusion à la défense ainsi appelée), telle celle des « Transporteurs français » quelque part sur la plaine de Bobigny… Je revois encore ce défenseur jouant sans chaussures sur un terrain totalement détrempé !

Mais les grands voyages, on le sait, commencent toujours par de petits pas et de fil en aiguille, je fus amené à jouer dans l’équipe réserve du FC Montrouge… avec deux ou trois incursions en équipe première, entraînée par un ancien coach de Forbach. Avant-gardiste sans le savoir – tu parles ! –, celui-ci nous avait prévenus : « Aujourd’hui, on va jouer avec 5 défenseurs, 5 milieux et 5 attaquants ! » Le football plus que total en quelque sorte…

Je travaillais à l’époque comme secrétaire de rédaction d’un magazine d’EDF, rue Saint-Honoré. Et nous avions coutume de rincer nos gosiers dans un café que devait célébrer Michel Piccoli dans La Grande Bouffe, « Le Rubis ». On y trouvait, comme chante Boris Vian, « un beaujolais vrai de vrai, un nectar de première ». On y trouvait aussi un habitué assez trapu et à la conversation facile, qui n’a pas tardé à dévier sur le football. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Francis Le Goulven. La Coupe du monde en Allemagne (encore fédérale à cette époque) se profilait et la bande des quatre (outre Francis, François Thébaud, Faouzi Mahjoub – que Thébaud appelait Mahjoub – et Jean Boully) avait résolu de suivre de près cette première grande compétition de l’après Pelé, avec celui qu’on présentait comme son équivalent, Johan Cruyff. Il leur fallait donc un secrétaire de rédaction. Je me proposai et fus reçu, notamment par le marxiste Jean Boully qui me demanda tout de go et en me tutoyant d’emblée (ce qui ne se faisait guère où je travaillais) : « Tu joues ? Parce qu’ici, on ne sépare pas la théorie de la pratique ! » C’est ainsi que je m’éclipsai en catimini de la très chic rue Saint-Honoré pour me retrouver dans un folklorique atelier de compo au plomb, rue des Montibœufs, dans le xxe arrondissement, chez Zerbib père et fils. Du secrétariat de rédaction à la rédaction pure, il n’y a qu’un pas et je débutai par un article sur le décevant Brésil de 1974, malgré le flamboyant arrière gauche Marinho dont la crinière blonde soulignait les chevauchées, malgré les Jairzinho, Rivelino, Marco Antonio et Paulo Cesar, malgré le technique et svelte Ademir da Guia qui ne joua que le match des coiffeurs. Les « Oranje » de Cruyff, Krol, Rep, Neeskens et Rensenbrink, les éliminèrent d’un 2-0 sans appel. Mario Zagallo n’avait pas eu la même réussite qu’en 1970, réussite qu’il devait partiellement à João Saldanha, homme de gauche écarté par la dictature brésilienne.

Jean Boully me convia à venir m’entraîner, sur une moitié de terrain caillouteux, avec Espoir football club, l’équipe qu’il avait constituée avec Maurice Ragonneau, autre collaborateur de Miroir.

Quelques noms méritent la postérité : Alain Dumesnil, le gardien libero, qui irritait tant les adversaires par sa position avancée ; Robert Binet, dit Bébert, le populaire, l’intranquillité même ; Pascal Huvet, le roc et Hervé Thomas, le stratège ; Jaïr, le joueur à tout faire ; Patrice Mondon, l’élégance violoneuse ; Toninho, le Brésil personnifié, il avait failli devenir pro à Fluminense ; Daniel Cohen, l’historien à la mémoire infaillible, capable de vous rappeler cinquante ans après qu’à la 27e minute d’un match contre les Korrigans d’Arvor, notre adversaire préféré, vous lui aviez adressé une passe mal ajustée ; Claude Guilhot, l’aficionado toulousain, vibraphoniste de jazz, ne supportant pas les erreurs, ni les siennes, ni surtout celles des arbitres ; Luis Carreira, le frêle, mais déroutant ailier, brésilien lui aussi ; Daniel Watrin, le théoricien qui écrivait dans Miroir et pour qui la défense en ligne exigeait des explications pratiques ; Philippe Dupuy, qui savait tout faire balle au pied et ne le savait que trop ; Salomão Couto Salès, transfuge de Recife, qui avait joué avec Pelé… Grâce à lui, et à son « il faut gagner » dit en seule morale à dégager de nos palabres théoriques, nous avons fini par le remporter, le très disputé critérium du samedi de la Ligue parisienne de football ; Hachimi, l’alchimiste du ballon, footballeur insaisissable sans cesse en mouvement, n’y était pas pour rien.

Un jour, lassé des kilowattheures, je remis ma démission de La Vie électrique, sans crainte de me retrouver au chômage (ou voulant tenter cette expérience). Le soir même (j’insiste), mon « patron » et ami Jacques-Elisée Veuillet me téléphone pour me dire qu’il avait lu dans les petites annonces du Monde qu’un magazine de football cherchait un secrétaire de rédaction. Naturellement, je connaissais Onze, qui surfait sur l’épopée des Verts de 1976 à grand renfort de posters et d’images en couleurs pleine page. Créés par un certain Dominique Noailhac et dirigés par Jean-Pierre Frimbois (qui avait été précédemment le « plus jeune rédacteur en chef de France » à la tête de Salut les copains, le magazine), les textes n’étaient, pour le premier nommé « qu’une bande de gris » destinée à entourer les photos (ainsi avait-il présenté son journal à François Thébaud venu lui rendre visite pour savoir de quoi il retournait).

Mais l’autre spécificité du magazine, c’est sa dimension internationale. Sa base line, comme on ne disait pas encore, proclamait : « Onze, le football international en couleurs. » La couverture du premier numéro, qui fit l’effet d’une boule dans un jeu de quilles : sur fond blanc, un ballon dont les panneaux figuraient divers drapeaux. Si celui du centre représentait le drapeau tricolore, juste à côté, celui du Brésil entendait donner son importance au pays qui restait au moins dans les cœurs celui du football-roi.

Je suis accueilli par un certain Dominique Louvet, que je ne convaincs pas. Je corresponds pourtant tout à fait au profil recherché : bonne connaissance du français, sachant me débrouiller en anglais, bonne connaissance du football. De retour à la maison, je téléphone et demande à parler à Jean-Pierre Frimbois, qui me reçoit de façon beaucoup plus accorte. Je suis engagé comme secrétaire de rédaction du supplément régional. Mais très vite, on a besoin d’un reporter pour un match à Zurich. Je fais l’affaire et me retrouve à prendre l’avion pour la première fois ! À Zurich, c’est le photographe Max Colin qui vient me chercher à l’aéroport, tout en prévenant qu’il n’y avait d’autre moyen que de partager le lit de notre chambre ! Il devint par la suite photographe des stars du football, du cinéma, du showbiz, bref, des stars.

J’avais à peine mis les pieds à Onze que je fus envoyé sur l’île de Madère pour effectuer un reportage sur le match Portugal-Suisse. Je fus d’autant plus enchanté sur ce petit brin d’île que j’y retrouvai (non sans avoir eu les genoux qui claquaient des dents lors de l’atterrissage à Funchal, l’avion battant des ailes comme un papillon…) François Thébaud et Norbert Eschmann, tous deux envoyés par La Tribune de Lausanne, le second y ayant accueilli le premier après sa mise à pied de Miroir. Quelques journées idylliques sur une île pleine de fleurs et d’avocatiers, loin de toute préoccupation militante, il faut le reconnaître.

Onze finit par reconnaître mes talents non plus de secrétaire de rédaction, mais bien de rédacteur. Le titre de reporter eût été plus prestigieux, mais chaque chose en son temps. Commença alors pour moi une vie d’Europe-trotter, surtout d’Europe de l’Est d’ailleurs. Comme le parti-pris du journal était de présenter les équipes qui, dans le cadre des diverses compétitions européennes, allaient affronter celles de France, je me fis l’impression d’être un escargot véhiculant non pas une coquille, mais un Novotel. Je n’en étais pas à faire collection des peignoirs de bain de tel ou tel hôtel de Varsovie, Budapest, Belgrade, Bucarest ou Mostar ; je collectionnais plutôt les papiers de sucre, ce qu’on appelle la périglycophilie. Et il doit m’en rester quelques-uns « d’une insigne rareté », comme on dit dans les maisons de vente, mais qui ne doivent valoir presque rien au-dessus de zéro. Néanmoins, je connus l’atmosphère un peu glauque qui baignait ces villes encore engoncées dans l’hiver. Je pense en particulier à Berlin et au fameux « Checkpoint Charlie » que nous avions emprunté pour aller superviser l’équipe du Carl-Zeiss Iéna qui devait affronter Bastia en Coupe de l’UEFA. Les douaniers, plus que suspicieux, exigeaient des documents très officiels pour laisser entrer le matériel photographique. Comme ni le photographe Gérard Bedeau ni moi ne connaissions l’allemand, on en était quitte pour une heure de palabre.

Je dois à un inattendu concours de circonstances mon premier voyage en Amérique du Sud. Un matin, le téléphone sonne chez moi alors que j’y stagnais pour cause de chômage technique.

« Jaïr (mon pseudo, tant de footballeur que de journaliste de foot), ton passeport est valide ? Tu parles espagnol ? Ben dépêche-toi de te mettre au diapason, tu pars pour la Colombie ! » La voix de Josette, la sémillante secrétaire de Onze, était sans appel : je devais faire fissa et me préparer à changer de continent. Un petit arrêt pipi à Caracas et nous voilà, Michel Barrault (autre photographe) et moi dans le pays qui n’hésite pas à proclamer que « las Calienas estàn las muy bonitas del mundo » (« les filles de Calí sont les plus jolies du monde »). Nous avons passé une fois de plus un séjour enchanteur et trompeur à l’hôtel Intercontinental de cette ville où chaque matin au réveil j’ouvrais la porte-fenêtre sur un colibri voletant comme un papillon pour enfouir un peu de nectar dans son bec creux et fin comme une seringue. Devant l’hôtel, un petit garçon d’une dizaine d’années dormait dans des draps de cailloux… Chaque matin aussi, je prenais mon petit-déjeuner avec João Saldanha et sa cour d’autres journalistes brésiliens, lui qui avait été le principal concepteur du jeu de la Seleção de Pelé avant d’en être éjecté par la junte militaire. Il parlait un excellent français et avait bien connu François Thébaud. Nous échangions sur les mérites de moins en moins évidents d’une équipe du Brésil qui disputait là un tournoi amical avec le Pérou de l’Indien Sotil, de Chumpitaz et autres Cubillas, ainsi qu’avec la Bolivie. Un jeune adolescent du cru, avec qui je fis amitié, m’emmena au pied de la cordillère des Andes dans l’espoir d’y apercevoir, pourquoi pas, un condor ou autres espèces inconnues en Europe, mais nous revînmes bredouilles ou quasiment, le vol tournoyant des urubus ne nous consola pas. Ce séjour me permit d’échanger avec Zico (abusivement présenté comme « le Pelé blanc »), un troc plutôt qu’un échange en vérité : tu me donnes ton sac publicitaire Pony, je te donne mon maillot auriverde floqué du no 15. J’étais gagnant, même si j’ai perdu depuis ce prestigieux maillot qui scintillait au soleil. L’équipe du Brésil était alors sous la férule du capitaine Coutinho, qui la dirigeait à la baguette. Rivelino, mi-ailier gauche, mi-milieu gauche, en était le capitaine, mais l’émotion n’était guère au rendez-vous. La Colombie abritait des trafiquants d’envergure et on nous avait bien briefés question sécurité. Ce qui n’empêcha pas le sélectionneur de la Hongrie, venu en observateur, de se faire dérober une luxueuse montre-bracelet en pleine rue. Nous étions en 1977, et la Coupe du monde devait se dérouler l’année suivante en Argentine.

Le football est à la fois un sport, « un moyen d’abrutissement comme un autre » ainsi que l’avait dénoncé le poète surréaliste Benjamin Péret, mais aussi un moyen d’expression qui est le « miroir » de toutes les tensions de la société. Pour la première fois depuis 1966, l’équipe de France, régénérée par les choix offensifs de Michel Hidalgo, s’était qualifiée notamment lors d’un match décisif au Parc des Princes remporté 3-1 contre la Bulgarie, prenant sa revanche contre les injustices du match aller qui avaient valu à l’arbitre de se faire insulter à la télévision par Thierry Roland : tout le monde se souvient de son « Monsieur Foot, vous êtes un salaud ! ». Tout le monde se souvient peut-être aussi d’une vaste interrogation nationale : « Faut-il y aller ? » Des comités en faveur du boycott se créèrent un peu partout dans le pays, dont l’écrivain juif d’origine polonaise Marek Halter fut l’un des porte-parole. Je l’interviewais pour le magazine Afrique-Asie, où Faouzi Mahjoub m’avait au préalable déjà commandé quelques piges. Malgré quelques manifestations plus ou moins populaires, le mouvement n’obtint pas gain de cause et à la veille de la compétition, sportifs, commentateurs, journalistes, observateurs s’envolèrent pour Buenos Aires.

La compétition s’organisait sur plusieurs villes. Je fus surtout localisé à Rosario (ville natale de Messi !) ainsi qu’à Mendoza, la capitale viticole du pays. Lequel était dirigé avec une poigne toute militaire par le général Rafaele Videla. Son prénom seul, avec le roulement du « r », faisait déjà entendre une rafale de mitraillette ! Dès son arrivée, l’un des photographes de Onze, Michel Piquemal, s’était fait embarquer pour avoir proféré publiquement un « pais de mierda ! » qui aurait pu lui valoir cher. Il était évident que le régime entendait mettre à profit l’organisation d’une compétition si médiatique pour se refaire une virginité. Alain Leiblang, rédacteur en chef de Onze, n’hésita pas à se mêler aux « folles de la place de Mai », ces femmes qui déambulaient chaque dimanche pour réclamer sans succès des nouvelles de parents disparus. Son témoignage est paru (en 1978) sous le titre Une balle dans la tête, aux Éditions des autres.

La compétition ne se déroula pas sans quelques incidents qui eurent plus ou moins d’écho en France. Une certaine partie de la presse s’était regroupée autour de Robert Nataf, Gérard Le Scour, Dominique Grimault, anciens de France-Soir, dans un hebdomadaire créé pour l’occasion, France-Foot 2. Railleries et médiocrité à toutes les pages. En ligne de mire, le sélectionneur Michel Hidalgo, coupable de gentillesse molle avec les joueurs, notamment lors de « l’affaire Adidas ». Les joueurs étaient censés surligner en blanc les fameuses trois bandes de leurs chaussures, image symbolique de la marque. Ils s’y étaient refusés, sous la houlette notamment de Jean-Marc Guillou, au prétexte que le puissant équipementier avait revu ses promesses de prime à la baisse. Un journaliste, devant la grève qui se profilait à l’horizon, avait demandé à Guillou s’il ne faillissait pas à l’esprit de l’équipe de France avec cette menace. Ce à quoi le joueur avait répondu que c’était faillir à l’esprit tout court que de se laisser ainsi marcher sur les chaussures. (Jean-Marc a toujours su instiller de l’esprit dans ses propos : ainsi avait-il signé « le chiffre 13 pour Onze » en signe d’encouragement lors du lancement du journal.) L’équipe de France fut éliminée dès le premier tour, après avoir manqué son départ contre l’opportuniste Italie puis contre une Argentine bien aidée par l’arbitrage. Le troisième match, « pour du beurre », contre la Hongrie, fut marqué par l’épisode du jeu de maillots oubliés, les joueurs revêtant un maillot local rayé vert et blanc. Les railleurs s’en donnèrent à cœur joie…

Le milieu des journalistes de foot est un monde assez clos, à l’écart duquel, mais sans mépris aucun, je me tenais la plupart du temps. Un jour, je fus amené à disputer une de ces peladas dont les Argentins étaient friands. Sur un terrain qui n’avait de terrain que le nom et les limites, en général marquées par des sacs posés aux angles, éventuellement par un mur, je fus accueilli comme une espèce de Platini des faubourgs : royalement. Sur ce terrain de terre brune, une rigole dans laquelle il s’agissait de ne pas mettre le pied, traçait la diagonale des fous. Les joueurs aux prises étaient de tous âges, de toutes conditions (sociale et sportive), de toutes tailles. J’ai facilement dribblé Gordo (« gros ») et me suis fait faire des « petits ponts » par Flaco (« maigre »). Après quoi je fus invité à partager un asado (« grillade ») organisé en mon honneur. Inoubliable ! J’en fis le récit que François Thébaud publia immédiatement dans La Tribune de Lausanne. Il me proposa même au prix Martini du meilleur article sportif de l’année ! « Comme c’est loin tout ça ! », dirait mon maître ès écriture, Alphonse Allais.

D’autres épisodes, anecdotes dont la saveur compenserait peut-être l’absence de portée politique, jalonnent ma carrière. Faute de mémoire, je me rabattrai sur celle-ci, qui ne manque pas de sel. Au début des années 1980, tout auréolé de sa victoire en Coupe du monde en Espagne, l’Italien Dino Zoff passait pour le meilleur gardien de but de la planète. Il n’avait pas été pour rien dans l’élimination par la Nazionale et son triple buteur Paolo Rossi du Brésil de Télé Santana, pourtant une des meilleures Seleçãoes de l’histoire. À telle enseigne qu’officiant alors à Radio France Internationale, le présentateur du journal de 7 h 30 me demanda, enthousiaste : « Alors, François-René Simon, vous avez vu ça, cette nuit, les Champs-Élysées submergés par des Italiens klaxonnant, pétaradant, ivres de joie ? » À quoi j’avais répondu, d’une voix sinistre : « Ce ne sont pas les Italiens qui ont gagné, ce sont les Brésiliens qui ont perdu. » Pour en revenir à Dino, j’avais été missionné pour interviewer le capitaine de la Squadra azzura championne. Rendez-vous pris tel jour, telle heure, dans un local de la Juventus de Turin, club de toujours de Zoff. Pas de râteau ni d’esquive, l’élégant campeonato est bien là. Je me présente et demande « Parla francese? » « No. » « Parla inglese? » « No. » Zoff : « Parla italiano? » « No. » Moi, après un temps très bref : « E allora? » Lui : « Inventa! » et de me quitter sur le champ. J’eus recours à La Gazzetta dello sport et à Tuttosport pour me tirer d’affaire. C’est ce qu’on appelle la cuisine journalistique, comme ce compte rendu d’un match de l’équipe de France Espoirs que j’ai écrit sur la base de racontars de gens qui avaient vu le match, eux !

Je me garderai bien d’inventer quoi que ce soit à propos d’un homme aussi intègre que François Thébaud. L’un des derniers plaisirs que j’aie partagés avec lui est un tournoi de plage en Bretagne, il devait bien avoir entre 80 et 90 ans (!). Jean-Marc Guillou, Jacky Simon, Bruno Bollini, tous (ex-professionnels) en étaient, plus quelques fidèles dont Jean-Pierre Lemaux, Jean Levron dit Norval, etc. Mais ce que je ne saurais jamais oublier, c’est lorsqu’à la suite de la parution des Enragés du football sur l’occupation de la FFF en mai 1968, opuscule que, sans avoir participé à l’action, j’avais rédigé seul, mais avec l’aide de Faouzi et d’Alain Leiblang, nous sommes allés lui apporter dans son EHPAD breton, il s’écria, voyant la couverture rouge du livre : « Ça, c’est chouette, les gars ! »

François-René Simon

II. Miroir du football et François Thébaud

Tout commence à l’enfance. Le football est le principal sport pour les garçons, enfants du baby-boom de l’après-guerre. J’ai suivi un parcours « classique ». Mon père m’amène avec lui au stade du Moustoir de Lorient, dès 7-8 ans, pour voir le FCL, alors en CFA (1re division des amateurs). Mon frère aîné, enfant de la guerre lui, joue dans les équipes de jeunes de ce club. Avec mon jeune frère, toutes les occasions, tous les lieux sont bons pour « taper dans la balle ». Notre chambre et le couloir à la maison, avec une boule de chiffons ficelée, ce qui entraîne parfois des dégâts collatéraux (une ampoule, un vase…). Dans la cour de l’école, avec les copains, en primaire, au lycée (de la sixième à la terminale), avec une petite balle en caoutchouc. Et avec un vrai ballon, sur l’annexe du Moustoir, à laquelle nous accédons par un trou dans le grillage, mais aussi sur n’importe quel terrain vague. Et à la belle saison, sur la plage à marée basse. Des matchs qui peuvent être des 4-4, jusqu’à 8-8, voire plus en fonction des présents.

Qu’est-ce qui nous motive dans le football ? D’abord le plaisir de jouer, de nous dépenser en plein air. Nous lisons les exploits et voyons des photos des grands joueurs dans des magazines : Di Stefano, Puskas au Real de Madrid dans les Coupes d’Europe, Kopa et Fontaine au Stade de Reims et en équipe de France, Pelé et Garrincha en Coupe du monde. Peu d’images animées d’abord, la télévision n’est pas encore arrivée dans les foyers avant le début des années 1960 ; alors on imagine. Ils nous font rêver : ils sont techniques, offensifs, ils jouent collectif (moins Garrincha !), réalisent des gestes et réussissent des passes que nous cherchons à imiter dans nos parties.

Je prends ma première licence de la FFF à 12 ans en « pupilles » à Lorient-Sports, pour un entraînement hebdomadaire – fondé principalement sur l’apprentissage technique et sur les passes – et la cerise sur le gâteau : le match du dimanche matin. C’est dans ce club que je gravirai les autres catégories de jeunes jusqu’à parvenir en « seniors » (DSR et DH, aujourd’hui N2 et N3).

C’est en 1965 que je découvre Miroir du football. Et dans cette revue je trouve une conception du football qui répond complètement à ce que j’aime dans ce jeu : elle m’apporte une cohérence théorique, argumentative qui vient étayer mes sensations spontanées, à l’opposé de ce que je peux voir dans les autres magazines spécialisés. Je deviens fidèle à cette revue. De plus, en 1966, je suis étudiant à Nantes. Et j’ai ainsi la chance d’assister aux matchs du FCN au stade Marcel-Saupin, entraîné par un José Arribas partisan du bon football : un vrai spectacle, qui me montre que c’est possible au plus haut niveau. Ses successeurs, Jean-Claude Suaudeau et Gérald Denoueix, poursuivront « le football à la nantaise » jusqu’au début des années 2000.

En 1972, j’écris un texte pour la rubrique « Courrier des lecteurs » de Miroir. Au numéro suivant, je vois qu’il n’y est pas. Déception. Et poursuivant ma lecture, je le découvre en article ! François Thébaud me contacte peu après. Il me dit qu’il doit venir à Rennes pour faire une conférence sur le football à l’initiative de son ami Jean-Claude Trotel (Stade lamballais), professeur à l’UEREPS, et me demande de venir l’y rencontrer. Il me propose d’écrire pour le journal. J’ai appris plus tard que je n’étais pas le seul à avoir été « embauché » de la sorte. Je ferai ainsi des piges de temps en temps jusqu’en 1976, date de la rupture de François Thébaud avec sa direction, qui entraîne la démission de la grande majorité des collaborateurs du magazine, permanents ou pigistes comme moi, en soutien à l’âme du journal.

François est un homme qui m’a marqué, par sa connaissance et son amour du football bien sûr. Mais au-delà, par sa grande indépendance d’esprit à l’égard de tous les pouvoirs (économique, politique, médiatique), par son ironie de « titi parisien », lui qui était breton, et par sa simplicité dans les rapports humains. Pas du tout « le grand journaliste » parlant avec condescendance à de jeunes gens, alors qu’il était reconnu dans la presse sportive internationale, comme le montrent ses entretiens dans des journaux étrangers, sud-américains notamment. Pendant les années Miroir, il était toujours disponible quand j’allais le voir aux bureaux du magazine, au 10, rue des Pyramides, lors de séjours à Paris. Quand il venait en vacances dans un hôtel de la côte du sud-Finistère, avec ses amis Norbert Eschmann, Francis Le Goulven, Jean-Pierre Lemaux, etc., j’allais les retrouver, pour de longues discussions sur le football… et des matchs sur la plage. Enfin, après mon retour à Lorient à la fin des années 1980, lui-même ayant pris sa retraite à Riec-sur-Belon, il m’appelait régulièrement pour que je vienne chez lui, ou bien on allait dans une brasserie de Pont-Aven : on discutait football, on refaisait le monde… Jusqu’à sa mort en 2008.

1) Miroir du football : un magazine sportif différent des autres

Le football était pour François Thébaud un fait social universel : si son invention était apparue dans les public schools de l’élite anglaise, les couches populaires se l’étaient rapidement approprié sur quasi tous les continents. C’est pourquoi François Thébaud est pionnier dans le journalisme sportif pour faire de longs reportages sur l’Amérique latine. De plus, son ami Faouzi Mahjoub tiendra une rubrique sur l’Afrique, s’entourant de correspondants dans différents pays de ce continent.

Il méritait donc d’être étudié sur tous les plans, comme tout fait social d’ampleur, inséré dans un environnement économique et politique, technique et tactique bien sûr, mais aussi philosophique, moral, culturel. Miroir rend compte du football professionnel, mais s’intéresse aussi aux clubs amateurs qui correspondent à sa vision du football (Stade lamballais de Jean-Claude Trotel, SC Cavalaire de Robert Bérard, etc.).

Les journalistes de Miroir étaient des footballeurs (quelques pros et beaucoup d’amateurs) et appliquaient leurs conceptions dans les clubs du championnat « normal » où ils pratiquaient (APSAP Bretonneau et Espoir FC). La rédaction n’avait pas un fonctionnement habituel : pas de conférence de rédaction, mais des échanges permanents au siège du journal, au café ou au restaurant du coin.

Le « beau jeu » pour Miroir, c’était le jeu offensif, faisant appel à la créativité et l’inspiration du joueur, dans la mesure où il était placé dans un cadre collectif favorable. L’équipe, ce n’est pas seulement l’addition de talents individuels ; elle doit parvenir à une œuvre commune, alliant efficacité et dimension esthétique. C’est en ce sens que François Thébaud en parle comme d’un Art (il mettait une majuscule !). Un jeu qui apporte du plaisir aux joueurs et suscite le plaisir, les émotions des spectateurs.

De ce fait, il s’opposait frontalement au « béton », au catenaccio, se caractérisant par une défense renforcée, individuelle, et des contres. Un système de jeu favorisant le duel et impliquant fatalement la violence ou l’intimidation, les tricheries, au nom du « résultat par tous les moyens ». Une question de morale. C’était le mouvement dominant dans les années 1960, venu d’Italie (Inter de Milan) d’Helenio Herrera, défendu par la 3F en France, théorisé par Georges Boulogne, sélectionneur puis DTN, accompagné par L’Équipe. Un football insistant sur le physique, le travail des joueurs, la discipline.

Pour permettre sur le terrain d’organiser et d’animer un jeu collectif, Miroir, par les articles de Pierre Lameignère en particulier (la défense de zone, la ligne et l’utilisation de la loi du hors-jeu, la passe courte, etc.), considérait que la défense en ligne haut placée était le moyen le plus rationnel : elle rapprochait les joueurs, ce qui permettait aux attaquants d’avoir le maximum de possibilités (passe à ses partenaires ou dribble, et aux défenseurs de récupérer le ballon collectivement, contrairement au marquage individuel pratiqué par les tenants du « béton »). Il faut préciser que si le Miroir défendait ardemment les équipes et entraîneurs qui appliquaient la défense en ligne (le FC Anderlecht de Paul Sinibaldi, le FC Nantes de José Arribas, l’équipe de France 1967 de Just Fontaine – pour deux matchs seulement – et autres), il n’en faisait pas un dogme : il traitait avec sympathie des équipes tournées vers l’offensive, par exemple le stade de Reims ou l’AS Monaco, etc., qui ne l’avaient pourtant pas adoptée.

Une autre notion qui comptait pour Miroir, c’était l’humanisme.

Le combat le plus marquant de Miroir fut celui du « contrat à temps », à la place du « contrat à vie » (35 ans) imposé aux joueurs depuis la naissance du professionnalisme en 1930 en France. Ils étaient totalement liés à leur employeur, qui pouvait les transférer sans leur demander leur avis. Ce contrat à temps était déjà objet de campagnes par François Thébaud du temps où il était à la rubrique football au Miroir-Sprint. Il prit la défense de Raymond Kopa, auteur d’un article retentissant paru en juillet 1963 dans France Dimanche intitulé « Les footballeurs sont des esclaves ». Ce grand du football ayant subi pour cet article les attaques de la 3F, relayées par L’Équipe.

Les dirigeants regimbaient à appliquer ce contrat à temps pourtant acquis en 1969, à la suite de l’occupation de la 3F en mai 1968 à l’initiative des journalistes de Miroir, aidés par des amis footballeurs. Au congrès de l’UNFP (syndicat des joueurs), à la suite duquel certains furent sanctionnés par leur club, ils décidèrent la grève en 1972, très suivie, et obtinrent satisfaction sur leur revendication.

C’est pour leur dignité aussi que Thébaud mena des campagnes contre les concours de pronostics (« Les joueurs ne sont pas des chevaux ») ou les publicités sur les maillots (« Les joueurs ne sont pas des hommes-sandwichs »). Ou qu’il fit une rubrique intitulée « Il y a des joueurs en France » s’opposant aux dirigeants de la 3F, aux sélectionneurs qui les méprisaient, les injuriaient, relayés par L’Équipe.

Miroir fut aussi une tribune pour le MFP (Mouvement Football Progrès) né en février 1974, s’adressant aux footballeurs amateurs, à l’initiative de Jean-Claude Trotel lors d’une réunion tenue à Rennes en décembre 1973, en présence de François Thébaud. Je renvoie ici au témoignage de Bernard Gourmelen, qui évoque l’histoire de ce mouvement auquel j’ai participé activement.

2) Miroir du football et la politique

La problématique du rapport du magazine à la politique a traversé de nombreuses interventions lors de la journée d’étude.

L’unanimité de celles-ci s’est faite sur l’autonomie de la rédaction par rapport au PCF, qui était propriétaire des Éditions Miroir-Sprint. Et sur le fait que Miroir des origines s’est arrêté en 1976, après la rupture, même si le titre a survécu jusqu’à 1979.

François Thébaud avait été aux Jeunesses communistes avant la guerre 1939-1945, et il en avait été exclu en 1935 comme bien d’autres de ses camarades parce qu’ils jugeaient contre nature le pacte de défense Laval-Staline que la direction du PCF avait soutenu. Une confidence qu’il m’avait faite en privé, non pas pendant les années Miroir, mais bien plus tard lorsqu’il était à Riec-sur-Belon.

François aimait raconter un fait survenu à la fin des années 1940 qui l’avait « vacciné » de l’intrusion de la politique. Dans une conférence de rédaction à Ce Soir, un journal tenu également par le PCF, il avait dit vouloir faire un article sur le match France-Yougoslavie, qualificatif pour la Coupe du monde. On lui avait répondu avec indignation qu’on « n’allait pas parler des titistes » – Tito n’étant pas en odeur de sainteté au Kremlin. Le résultat : Ce Soir avait fait sa couverture de une sur un obscur match de D2 de la région parisienne réunissant quelques dizaines de spectateurs, et placé à l’intérieur le France-Yougoslavie et ses 50 000 spectateurs !

François Thébaud a su marquer son territoire dès le début de Miroir, devant les tentatives d’interventions régulières de Maurice Vidal, le directeur du journal, en mettant en jeu sa démission. Lorsque les journalistes de Miroir avec leurs amis footballeurs occuperont le siège de la 3F pendant quelques jours en mai 1968, L’Humanité condamnera cette initiative « gauchiste ». Pourtant, Maurice Vidal fera pour la première fois un article dans Miroir en défense des journalistes, par ailleurs citoyens à part entière.

Il faut revenir sur les circonstances de la rupture. Après la Coupe du monde 1970, les Éditions Miroir-Sprint passent sous la coupe des Éditions Vaillant, liées au PCF. Jean-Jacques Faure, permanent du PCF et co-auteur du livre Les communistes et le sport, devient rapidement président des Éditions Miroir-Sprint et va organiser la « reprise en main » du journal. Maurice Vidal passe complètement du côté de la direction : il commence en 1973 à envoyer des notes, auxquelles François Thébaud répond à chaque fois en mettant en jeu sa démission.

Et la Coupe du monde 1974 en Allemagne arrive : Miroir, bimensuel, décide d’envoyer sept journalistes et de produire quatre hebdomadaires pour la couvrir. Ceux-ci sont unanimes dans leurs reportages pour dire que cette Coupe du monde n’est pas d’un grand niveau, et que son vainqueur, l’Allemagne, n’est pas flamboyant. Or, pour la deuxième fois, Maurice Vidal décide d’écrire un article. Et il l’intitule « La Fête » !

La guerre est déclarée…

C’est le moment où Saint-Étienne se distingue en Coupe d’Europe. L’équipe renverse la situation contre Hadjuk Split : battue 4-1 à l’aller, elle s’impose 5-1 au retour en novembre 1974. Elle arrive en finale lors de la suivante Coupe d’Europe. « La fièvre verte » est lancée. Un déferlement de chauvinisme, les débuts du « supportérisme » : le public comme « douzième homme ». Bien que battue par le Bayern de Munich 1-0, elle défile sur les Champs-Élysées. Miroir a des réactions mêlées sur cette équipe. Sur le plan du jeu, il est très sceptique : il juge son jeu fruste. Et que des matchs à domicile ont été aidés par des décisions d’arbitres tétanisés dans « l’enfer vert » du stade Geoffroy-Guichard. En revanche, il considère que les résultats de cette équipe ont eu un effet positif : ils ont sorti les joueurs français de leur complexe d’infériorité inculqué par leurs sélectionneurs et L’Équipe, qui les traitait de « juniors dans un jeu d’hommes » par exemple. Il va même demander que l’équipe de France, qui n’obtient que de piètres résultats, sanctionnés par des absences en Coupe du monde ou en Championnat d’Europe, soit formée sur la base de cette équipe.

Mais la direction considère que ses journalistes sont trop négatifs parce qu’ils refusent d’épouser le courant dominant. François Thébaud subit la pression d’une avalanche de « mémos » lui demandant de donner une orientation moins critique au magazine. Elle insère à son insu des numéros spéciaux, ainsi qu’un questionnaire aux lecteurs très orienté. Elle se livre à diverses vexations et menaces. Le patron des Éditions Vaillant lui dit que le PCF, lancé dans l’Union de la gauche, veut donner une image positive sur tous les plans. François Thébaud écrit son dernier édito en mars 1976. La direction nomme Francis Le Goulven rédacteur en chef. Thébaud s’en va, attaque la direction pour rupture de contrat. Ce qui entraîne la démission des principaux rédacteurs et de très nombreux pigistes. Après 1976, c’est un autre journal jusqu’en 1979. Ainsi, l’un des intervenants a montré un article de Georges Marchais dans Miroir en 1977, de même que la participation à la Fête de l’Huma : impensable avec François Thébaud !

Miroir du football est un journal engagé si l’on considère qu’il s’attaquait à tous les pouvoirs.

Le pouvoir sportif d’abord : la direction de la 3F, pour son absence de démocratie et son mépris des footballeurs, sa direction technique, où Georges Boulogne préconise un football laborieux et triste, à l’opposé du football-art exalté par François Thébaud. Le pouvoir politique : par exemple, l’élément déclencheur du MFP en février 1974 était dû à la réaction des footballeurs contre un décret du ministère des Sports en juin 1973, qui imposait à tous les clubs de DH de posséder un diplôme d’État. Et c’était la DTN de la 3F qui était chargée d’accorder les diplômes, avec ses conceptions. Le pouvoir économique : le football devient un moyen de profit. Le pouvoir médiatique : la presse conformiste (le groupe L’Équipe et de nombreux journaux de la presse régionale).

Mais toutes ces critiques, tous ces combats étaient déclenchés parce que Miroir considérait que ces pouvoirs étroitement mêlés dégradaient le football. François Thébaud considérait que le football était une fin en soi, et non un moyen d’accompagner une politique. C’est d’ailleurs la raison profonde du désaccord existant dès le début entre lui et la direction du journal. Son éditorial du numéro 1 était, nous dirions, un « Manifeste du parti… du bon football ». Et tous ceux qui s’y retrouvaient avaient leur place à Miroir. C’était l’unique critère de recrutement de collaborateurs, quelles que soient leurs convictions politiques personnelles. En ce sens, ce n’était pas un journal politique, mais un journal sportif. « Unique en son genre », comme l’a dit un des conférenciers.

Loïc Bervas [1]

III. À la croisée des chemins. À la rencontre du Mouvement Football Progrès (MFP) et de Miroir du football, ou l’inverse ?

Dans les années 1970, je me trouve à Paris pour entamer une carrière professionnelle comme pour beaucoup de jeunes gens à cette époque. Ce qui nous intéresse ici, ce n’est pas celle-ci, mais comment le football m’a permis de rencontrer à la fois le Mouvement Football Progrès (MFP) et les personnalités l’animant ainsi que les journalistes ou collaborateurs du mensuel Miroir du football.

Comme tous les gamins de l’époque, j’ai naturellement pratiqué ce sport, jouant jusqu’à tard dans les rues du quartier où je résidais à Lorient pour finir par être inscrit dans le club local de la section du Patronage laïque de la ville. Un déménagement sur Nantes m’a coupé de cette pratique que j’ai reprise sur Paris en participant avec un club au championnat du dimanche matin. Mais rapidement j’ai fait le choix de l’encadrement et de l’entraînement, ce qui était difficilement compatible avec la vie de joueur. Ces activités m’ont permis de publier deux ouvrages sur l’encadrement dans les écoles de football [2] à destination des parents et un deuxième sur l’accompagnement des jeunes sportifs [3].

C’est ainsi que lors de la saison 1972/1973, j’ai rejoint le club de l’ASPTT Bourg-la-Reine pour prendre en charge les joueurs de la catégorie des minimes. Rapidement, j’ai ressenti le besoin de me former et de réfléchir à ce que cela signifiait que d’être l’entraîneur d’une équipe de jeunes footballeurs. Pour cela, j’ai contacté les services de la Ligue de Football de Paris pour participer à un stage d’initiateur que j’ai effectué en avril 1973.

Dès l’entame de stage organisé sous l’égide de Georges Boulogne, Directeur technique national, en présence de messieurs Braun, Mercier, Cros pour la direction technique de la FFF, on nous a fait comprendre que l’on était là pour obtenir ce diplôme, prendre des notes (on devait leur fournir notre cahier de notes qui était ainsi évalué), le tout soi-disant pour mettre en place un autre football privilégiant l’aspect physique. Ainsi, de bonne heure, chaque matin, nous avions le droit d’aller courir…

Le problème fut que cela ne correspondait pas du tout à ce que j’étais venu chercher, me préoccupant peu du diplôme et bien plus des aspects techniques et pédagogiques de l’entraînement. Un peu rebelle, je me suis retrouvé avec un petit nombre de participants à contester ces pratiques proposées, ce qui nous a valu de nous faire « saquer » lors des épreuves à l’examen d’initiateur.

De retour au club de l’ASPTT Bourg-la-Reine, je poursuivis tant bien que mal mes activités d’entraîneur lors de la saison 1973/1974. Je ne me souviens pas comment je me suis retrouvé invité à une réunion à Gennevilliers en janvier 1974 pour préparer l’assemblée générale constitutive du MFP à Saint-Cyr-l’École, le mois de février suivant. Ainsi, c’est lors de ces réunions que j’ai fait connaissance de la rédaction des journalistes et des pigistes de Miroir du football dont j’étais un lecteur qui ne trouvait pas à son goût le France Football publié à cette époque. Je renvoie le lecteur vers l’ouvrage [4] que nous avons rédigé et fait éditer avec Loïc Bervas pour ce qui concerne l’historique du MFP et le déroulement de ses activités jusqu’à sa disparition.

C’est ainsi que par une annonce publiée dans Miroir du football, j’appris que le MFP proposait un stage d’éducateurs à Erquy (22) sur la base des objectifs du MFP, en septembre 1974. Il est bien entendu que le déroulement de celui-ci n’eut rien à voir avec celui initié par la FFF. L’une des soirées de ce stage avait été consacrée à l’organisation du MFP. C’est ainsi que je me suis retrouvé responsable de la publication interne d’un bulletin afin d’animer le réseau des adhérents très présents dans la région ouest de la France et à Paris. Je n’ai pas pu œuvrer bien longtemps à cette publication, car j’ai été muté pour des raisons professionnelles dans l’Aisne en décembre 1974 puis dans le Finistère en juillet 1975.

En septembre 1975, suite aux conseils de Jean-Claude Trotel, j’entamai une longue période d’encadrement à l’école de football d’Ergué-Armel à Quimper, délaissant à la fois Miroir du football qui allait bientôt disparaître et le MFP, même si j’y suis resté adhérent jusqu’à la fin de son activité, trouvant par la suite relais dans la lecture du mensuel puis bimensuel Le contre-pied.

J’ai poursuivi quand même mes activités d’encadrant de jeunes footballeurs avec les principes inculqués par le MFP, mais sans pouvoir influer sur la vision générale du football, de son organisation et de sa gestion que pouvaient en avoir les dirigeants et les joueurs.

J’ai pu cumuler d’autres expériences comme celle de détecteur pour la région grand ouest de jeunes footballeurs de talent pour le centre de formation d’un club professionnel, ce qui m’a permis de côtoyer le monde professionnel du football, milieu bien différent de celui des amateurs.

Dernièrement, j’ai découvert que le football passion existait encore dans les pays de l’Afrique de l’Ouest et notamment en Côte d’Ivoire [5] qui m’a semblé me renvoyer à certains principes du MFP.

Bernard Gourmelen

 

AUTEUR

François-René Simon, Journaliste
Loïc Bervas, Journaliste
Bernard Gourmelen, Journaliste


ANNEXES

NOTES


[1] Footballeur amateur, lecteur du Miroir du football dès l’âge de 16 ans, Loïc Bervas a collaboré à la revue de 1972 à 1976. Il est l’auteur de Christian Gourcuff. Un autre regard sur le football (Le Faouët, Liv’Éditions, 2013) et co-auteur de Le Mouvement Football Progrès et la revue Le Contre-Pied. Un combat des footballeurs amateurs, 1970-1980 (Paris, L’Harmattan, 2016). Il est le secrétaire de l’association « Les Amis de François Thébaud » (http://www.miroirdufootball.com).
[2] Bernard Gourmelen et Marc Barthélémy, Le manuel des écoles de football et du jeune footballeur, Paris, Éditions Chiron, 1985.
[3] Bernard Gourmelen, Accompagner les jeunes sportifs, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014.
[4] Loïc Bervas et Bernard Gourmelen, Le Mouvement Football Progrès et la revue Contre-pied. Un combat des footballeurs amateurs (1970-1980), Paris, Éditions L’Harmattan, 2017.
[5] Bernard Gourmelen, Le football, passion ivoirienne, Paris, Éditions L’Harmattan, 2020.

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :

François-René Simon, Loïc Bervas, Bernard Gourmelen, « Témoignages », dans Miroir du football, Olivier Chovaux et Karen Bretin [dir.], Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 29 septembre 2025, n° 21, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteurs : François-René Simon, Loïx Bervas, Bernard Gourmelen
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944


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