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Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-UBE |
Territoires contemporains | |
Miroir du football, un autre sport dans la presse rouge ? (1958-1979) | |||||
Miroir du football et « l’Empire du Milieu » : le « 4-2-4 », vecteur d’un football populaire en 1960 ? | |||||
Olivier Chovaux | Résumé | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Annexes | Notes | Références | Outils | ||||
RÉSUMÉ
Proche du Parti communiste français, Miroir du football (1958-1979) offre un regard différent sur une pratique qui, pour la période considérée, s’internationalise et devient de plus en plus médiatisée. L’analyse des Coupes du monde se déroulant entre 1958 et 1970, et de quelques « figures » emblématiques du football des années 1960, permet précisément d’observer la ligne éditoriale originale d’un mensuel qui souhaite s’intéresser à des « angles morts » du traitement journalistique classique du match de football. Il est ici question des styles de jeu, et tout particulièrement d’un plaidoyer constant en faveur d’un football offensif, synonyme pour les rédacteurs de Miroir de « beau jeu », à l’image de celui que pratique la Seleção (équipe du Brésil), emmenée par le « roi Pelé ». En creux de ce parti pris se dessine également une lecture très politique du football international, au moment où s’affirme le bloc des pays du tiers-monde. |
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Introduction En dépit d’une riche historiographie qui ne cesse de se renouveler [1], la question des styles de jeu dans le football reste encore un « angle mort », même si elle apparait « en creux » dans de nombreux ouvrages qui font aujourd’hui autorité [2], lorsqu’elle n’a pas fait l’objet d’articles exploratoires [3], à moins qu’elle ne soit disséquée à partir d’une catégorie d’acteurs spécifiques, à l’image des entraineurs [4]. À l’heure où le match de football commence à être regardé pour ce qu’il est autant que pour ce qu’il donne à voir, du point de vue des arbitres comme de l’équipe de France [5], ce manque de considération pour les schémas tactiques et autres styles de jeu pratiqués par les équipes peut étonner. Trois raisons peuvent l’expliquer. Il faut d’abord que l’historien soit en capacité de « faire parler » ses sources et soit complètement acculturé aux subtilités des positionnements des joueurs sur le terrain, dont on sait qu’ils ont évolué de manière sensible depuis la fin du xixe siècle. Comprendre l’intérêt du « 5-3-2 » des origines (5 arrières, 3 demis, 2 avants), « 4-4-2 » ou autre « 4-3-3 », de leurs fondements théoriques et des modalités de mise en œuvre au gré des saisons, des équipes, des entraineurs et de l’enchainement des rencontres suppose une connaissance a minima des techniques et des tactiques [6]. Elles renvoient également à des formes particulières de mise en jeu du corps de cet « athlète sportif » qu’est le footballeur. Élaborés lors des séances d’entrainement [7], ces choix tactiques renvoient à une histoire des techniques corporelles paradoxalement encore peu traitée [8]. Ce point liminaire suppose d’être en capacité d’en dépasser un second, lié cette fois aux représentations collectives définies par des expressions génériques qui ne veulent, in fine, pas dire grand-chose, tant elles sont usées jusqu’à la corde : football offensif, défensif, football-champagne… Mieux vaut leur préférer d’autres termes qui, eux, résultent de modèles élaborés par des théoriciens du football et correspondent à des « moments » particuliers de son histoire, à partir de niveaux d’échelle différents : « verrou suisse », « WM », catenaccio, jeu « à la nantaise » ou à la « rémoise »… Encore faut-il que ces schémas puissent se lire au travers de sources bien éclectiques : carnets d’entraineurs [9], articles de presse, enquêtes orales, archives sonores et audiovisuelles pour un football du second xxe siècle largement mis en ondes et en images. Comme bien d’autres titres [10], Miroir du football peut donc contribuer à combler ce relatif angle mort historiographique, pour trois raisons majeures. La première tient à la sociologie de ses rédacteurs qui revendiquent tous d’être ou d’avoir été footballeurs. Sans que cela soit une condition suffisante pour décortiquer les styles et schémas de jeu, cette connaissance indigène d’un football que l’on pratique permet sans aucun doute de mieux le lire. La deuxième tient à une ligne éditoriale qui entend précisément, à l’image de Miroir du cyclisme, parler du football et donc de ce qui en fait d’abord l’essence, à savoir le jeu. Ce parti pris se vérifie dans un plaidoyer constant en faveur du « beau jeu », expression récurrente dont François Thébaud dessine les contours dans l’éditorial du premier numéro du titre. Votre sport exige le concours constant de l’intelligence. Ses problèmes multiformes suscitent les initiatives individuelles les plus étonnantes, les inspirations créatrices collectives les plus stupéfiantes. Et pourtant, les esthètes officiels s’accrochent aux cultes désuets des manifestations primaires de l’effort physique […]. Si vous recherchez dans nos pages matière à satisfaire l’orgueil nationaliste, l’esprit de clocher ou le culte commercial de la vedette… Ne poursuivez pas votre lecture […] [11]. D’emblée, le ton est donné. En faisant appel à l’intelligence du lecteur, les journalistes de Miroir du football invitent non seulement à regarder autrement le « jeu de balle au pied [12] », mais aussi à le penser différemment. Ce plaidoyer en faveur du « beau jeu » et d’un football offensif et esthétique devient en quelque sorte la « ligne politique implicite » du journal, qui renvoie à un autre type de société. Seul un système de jeu basé sur la passe courte et le désir constructif peut provoquer à ses pratiquants une confiance collective véritable […]. L’adhésion à la conception d’un jeu créatif, humain qui doit être l’expression prémonitoire d’une société digne de ce nom [13]. La troisième raison renvoie au « sport spectacle du football [14] » lui-même, dont les médias rendent compte en fonction de leur spécificité : la presse, la radio [15] puis la télévision [16] sont autant complémentaires qu’elles ne se concurrencent pas dans leur capacité à mettre en scène la dramaturgie du match de football. Il s’agit désormais de le « mettre en récit » de manière originale et le choix du prisme technique et tactique par les journalistes de Miroir s’inscrit dans la ligne éditoriale déjà évoquée. L’adoption du schéma de jeu en « 4-2-4 » par certaines équipes européennes au début des années 1950 change radicalement la donne. Fondé sur l’offensive, la créativité et l’inventivité des joueurs, ce dispositif met fin au « règne sans partage » du « WM » (3 arrières, 2 demis, 2 inters et 3 avants), adopté en 1925 suite à la modification de la règle du hors-jeu [17]. Il permet de rompre, pour les équipes qui l’adoptent, avec la vision d’un « football pragmatique » (pour reprendre l’expression d’Alfred Wahl) où il s’agissait finalement de marquer un but de plus que l’adversaire pour l’emporter. En tournant le dos à « l’obligation de résultat » qui gouverne le football hexagonal et européen des années 1950-1960, le « 4-2-4 » démontre qu’un « autre football est possible », fondé cette fois sur le jeu, l’initiative individuelle et le plaisir de « jouer ensemble ». Dès lors, le « 4-2-4 » devient le cheval de bataille des rédacteurs de Miroir. Il offre une alternative à ce football triste que Georges Boulogne impose à l’équipe de France [18], où l’efficacité, le rendement et la performance dominent. On comprend que ces analogies avec un monde industriel alors triomphant soient dénoncées par Miroir, qui voit dans le choix du « 4-2-4 » une manière de rompre avec un ordre sportif qui, à la fin des années 1960, s’orientera vers d’autres systèmes de jeu (le « 4-3-3 » et le « 4-4-2 ») et le basculement de son centre de gravité autour de « l’Empire du Milieu » (de terrain s’entend) : interface entre une défense solide et une ligne d’attaque prolifique exigeant de la part des joueurs une certaine polyvalence (chacun pouvant tour à tour défendre ou attaquer). I. L’apologie du « beau jeu » lors des éditions de la Coupe du monde (1958-1970) Le choix des Coupes du monde [19] comme lieu d’observation des systèmes de jeu mis en œuvre par les équipes nationales dans les années 1960 tient à la médiatisation croissante d’une épreuve sportive également vue comme une grille de lecture d’une géopolitique du football calquée sur les tensions internationales du moment [20]. Retransmises par les chaines nationales, les rencontres donnent désormais à voir au plus grand nombre les « héros sportifs », les équipes et des oppositions de style, souvent réduites à l’équation quelque peu simpliste d’un « football offensif » versus « football défensif », le premier étant considéré comme « naturellement créatif » tandis que le second, « forcément » réaliste, n’en serait que plus rugueux et violent. Déjà évoquée quatre ans plus tôt à l’occasion de la Coupe du monde de 1954 en Suisse, cette équation ressurgit en 1958, au moment où le football français sort de sa « longue nuit » et où Raymond Kopa et les siens réalisent un parcours inespéré en se hissant à la troisième place de la sixième édition de la Coupe du monde. Emmenée par Paul Nicolas (sélectionneur) et Albert Batteux (entraineur), l’équipe de France offre à cette occasion un tout nouveau visage. Une large victoire contre le Paraguay (7-3), une défaite contre la Yougoslavie (2-3) puis une victoire contre l’Écosse (2-1) permettent aux Bleus d’accéder aux quarts (victoire 4-0 contre l’Irlande) puis à la demi-finale perdue face au Brésil (2-5). Considéré comme le « chef d’orchestre » d’un jeu désormais offensif, Raymond Kopa doit cependant s’incliner face à un Brésil dépositaire d’un « football ludique et artistique » dont les équipes d’Amérique du Sud (et du tiers-monde) seraient les dépositaires, d’après Miroir. L’édition 1962 au Chili est l’occasion de prolonger le discours. Si Miroir salue la capacité du pays à organiser une compétition d’une telle envergure (notamment en matière de construction des infrastructures), il se fait l’apologue de Manoel Francisco dos Santos, dit « Garrincha », joueur brésilien évoluant au poste d’ailier droit et considéré comme l’un des meilleurs footballeurs de tous les temps. « Bénéficiant » de la blessure de Pelé lors du match de poule disputé contre la Tchécoslovaquie, la « joie du peuple » conduit le Brésil jusqu’au titre : « personnification de la fantaisie, du plaisir de joueur […], il a soulevé l’enthousiasme du peuple chilien ». En revanche, Miroir se montre moins dithyrambique lorsqu’il évoque « l’affreux combat » qui oppose l’Italie à l’Allemagne (match de poule du groupe 2, disputé le 31 mai). S’il se solde par un match nul (0-0), le degré de violence de la rencontre est fustigé par le magazine : « Il n’y a que le résultat qui compte et tous les moyens sont bons […]. » Organisée en Angleterre en 1966, la « World Cup des arbitres [21] » est l’occasion pour Miroir d’afficher son soutien explicite aux équipes sud-américaines face à la « vieille Europe », dont les équipes produisent un système de jeu « dépassé ». Depuis 1960, le réalisme a commencé la conquête de l’Europe du football. La Coupe du monde 1962 a montré les premiers dégâts […]. Mais s’il commence à s’imposer dans la compétition de football, n’est-ce pas parce qu’il s’impose dans la vie du monde où la détente a succédé à la guerre froide sans apporter à la vie des peuples l’espoir d’une vie durable et d’une réelle amélioration de leur sort […]. La Grande Guerre Europe-Amérique du Sud est en marche [22]. Ce plaidoyer manifeste en faveur des pays du tiers-monde dans un contexte de guerre froide évoqué de manière explicite sera repris en 1970, alors que la Coupe du monde se tient au Mexique. Là encore, Miroir associe ce culte du « beau jeu » (le roi Pelé et les équipes qui privilégient l’offensive sont mis à l’honneur) à des considérations géopolitiques. Quelques rencontres permettent ainsi de lire « en creux » d’autres enjeux : si le « petit » Pérou l’emporte dans la phase éliminatoire contre l’Argentine, c’est parce que l’équipe est entrainée par le brésilien Didi, adepte du football offensif. Voie dont s’est détourné l’Uruguay qui « a abandonné sa tradition offensive pour sacrifier à la forme la moins estimable de réalisme, c’est-à-dire la violence […] ». A contrario, lors d’une demi-finale flamboyante remportée contre l’Allemagne sur le score de 4 à 3, l’Italie rompt avec des décennies d’un catenaccio « paralysant ses joueurs ». Vainqueur cette fois encore du tournoi, le Brésil fait la « démonstration éclatante du football offensif sur les expédients de la défense renforcée », tandis que Pelé, qualifié de « footballeur du siècle » par Miroir, devient l’incarnation de ce futebol arte visible par 800 millions de téléspectateurs. Attaquant aux qualités innées (« naturel, simplicité, tranquillité, constance et génie »), sa capacité à les mettre au service du collectif le distingue forcément des autres et explique que Miroir (comme les autres titres de presse d’ailleurs) en fasse le héros de la Coupe du monde 1970. Le football est bien un sport collectif, mais durant cette Coupe du monde, pas une équipe ne l’a incarnée si totalement que celui qui restera le « footballeur du siècle ». Sans lui, le Brésil n’aurait pas fait revivre durant ce mois de juin 1970 l’espérance de voir le football supplanter ses caricatures réalistes [23]. II. Joueurs et équipes, ardents propagandistes du « 4-2-4 » dans les années 1960 Perceptible dans les différentes éditions de la compétition créée par Jules Rimet [24], la promotion du jeu offensif et du « 4-2-4 » se fait aussi par les équipes et les joueurs qui l’incarnent le mieux. Sans prétendre à l’exhaustivité, tant les allusions sont légion dans les pages de Miroir pour la décennie consultée, deux figures s’imposent lors des Coupes du monde 1958 et 1962. Deux numéros hors-série leur sont consacrés. Pour Pelé (« le gosse qui a conquis la Coupe du monde de 1958 ») et Kopa, les articles évoquent des qualités qu’ils semblent partager : des origines modestes, des qualités physiques naturelles, un amour du « beau jeu » et un refus de voir « marchandiser » de manière outrancière leur talent. Parce qu’elles se confondent, trajectoires sociales et sportives érigent les deux joueurs en véritables modèles pour Miroir. Tant en équipe de France qu’à Reims, Kopa est ainsi qualifié « d’incarnation du jeu constructif », où la passe courte est considérée comme le point de départ de toutes les actions collectives [25] et d’une stratégie plus globale. Elle réside dans l’attitude de Kopa à imposer une conception du jeu collectif qui repose sur les principes fondamentaux de la stratégie, et à la communiquer à ses partenaires par la force de l’exemple […]. Car c’est à la présence rayonnante de Kopa que ses partenaires doivent le triomphe dans l’équipe de France, d’une conception du jeu qui vaut à notre football une place de premier plan dans la hiérarchie mondiale [26]. Le « Napoléon du football » est donc le dépositaire de ce qui, pour Miroir, relève davantage d’une philosophie de jeu que des aspects techniques et tactiques du jeu lui-même. Là est sans doute ce qui différencie la ligne éditoriale de Miroir de celle de ses concurrents. Si chaque titre dissèque la chronologie du match de football, analyse les performances des joueurs, inscrit chaque rencontre dans la hiérarchie de sa compétition propre, fustige (parfois) un arbitrage défaillant, encense ou voue aux gémonies tel ou tel acteur du monde du football, Miroir offre un ton et un regard décalés, à l’image d’ailleurs de ses cousins sportifs situés dans la galaxie de la presse communiste [27]. Raymond Kopa n’échappe pas à la règle, tout comme d’autres joueurs, peut-être moins connus, tel Roger Claessen (1941-1982) : attaquant du Standard de Liège, fort de 17 sélections chez les « Diables rouges », il est qualifié par Miroir de « James Dean du football belge », tant sa fureur de vivre épouse celle de marquer des buts… Délibérément tournées vers l’offensive, les options tactiques de certaines équipes sont également valorisées. Une rubrique récurrente (« Comment jouent nos grandes équipes ») se fait ainsi l’écho du système de jeu mis en place à Reims, Nîmes, Rennes, Avignon, Sedan, Nantes ou encore au Red Star, pour n’en citer que quelques-unes : analyse clinique de quelques rencontres et portrait de l’entraineur en charge de l’équipe-phare soulignent que le choix du « jeu simple » (l’individu au service du collectif et de l’efficacité offensive) n’est pas dépourvu de considérations « scientifiques » qui permettent aux journalistes de Miroir d’objectiver le discours. La victoire de Nîmes contre le stade de Reims lors de la saison 1959-1960 (« une 4 CV aux prises avec une Jaguar [28] ») illustre cette juste inclination en faveur d’un football offensif qui annonce à certains égards le « football total » que Rinus Michels, entraineur néerlandais de l’Ajax Amsterdam, théorisera dans les années 1970 – les options retenues par Kader Firoud étant annonciatrices de ce système où chacun attaque et défend en fonction des situations : « Son équipe n’est pas intéressée par la conquête du ballon en milieu de terrain […] il faut donner de l’importance aux changements de rythme […]. » C’est ainsi que le demi-aile Pierre Barlaguet et l’attaquant Henri Skiba deviennent de véritables « agents de liaison », dont les redoublements de passes et autres décalages doivent offrir à leurs avants des situations de but. Dans le même registre, l’Olympique d’Avignon (qui accède à l’élite professionnelle en 1965) « pratique un football extrêmement bien construit, spectaculaire, et son efficacité offensive est la plus sûre garantie de son avenir [29] ». Et le fait que l’équipe soit entrainée par Léon Glowacki, qui ne possède aucun diplôme fédéral, appuie finalement la démonstration d’un football naturel et spontané, aux antipodes de celui des théoriciens emmenés par Georges Boulogne. Léon Glowacki a prouvé (comme Nantes l’avait déjà fait) qu’un style basé sur l’offensive et un jeu collectif est incomparablement plus efficace que le football d’engagement qui nécessite des réserves nombreuses et des vedettes dont les exploits font pencher la décision […]. Est-il préférable de posséder un parchemin ou de savoir faire jouer intelligemment une équipe ? On pose la question aux maîtres-entraineurs [30]. Reste que l’efficacité de ce football offensif n’est pas toujours de mise, à l’image des déconvenues du Red Star [31], qui le pratique pourtant au cours de la saison 1961-1962. Sous la plume de Pierre Lameignère [32], l’application « naïve » du « 4-2-4 » (si l’équipe marque 50 buts au cours de la saison, elle en encaisse 51…) peut être cruelle au point d’empêcher le club d’accéder à la première division. L’esprit offensif ne suffit plus. Le cas du Red Star le prouve […]. Si le Red Star avait eu une défense à la hauteur de son attaque, la montée [à l’issue de la saison 1962-1963] aurait pu être envisagée [33]. En guide de prolongations... En dépit de sa dimension exploratoire, cet article montre combien les discours sur les choix tactiques peuvent, dans les années 1960, dépasser amplement leurs seules considérations. L’identité et la ligne éditoriale de Miroir l’expliquent largement, au même titre que la sociologie de ses rédacteurs et les formes de mises en récit qu’ils adoptent. Évoqué plus haut, Pierre Lameignère est militant au « cercle socialiste » en 1965 et sera l’un des artisans de l’occupation du siège de la Fédération française de football lors du « joli mois de mai » du printemps 1968 [34]. « Cheval de Troie » d’un football offensif qui en annonce un autre (en l’occurrence le football « total » des années 1970), le « 4-2-4 » et les lignes qui lui sont consacrées permettent de dire autre chose que sa seule promotion. Comme le souligne Pierre Lameignère dans un article consacré au système de jeu préconisé par Pierre Pibarot (entraineur du Racing Club de Paris entre 1958 et 1963), la combinaison du « 4-2-4 » avec la « défense en ligne » n’est pas incompatible en soi, tant elle permet d’avoir « une défense offensive ». Magnifique oxymore qui montre le caractère très relatif de ces dispositifs pourtant vantés pendant plus d’une décennie dans les colonnes de Miroir. Si la promotion d’un football offensif demeure la marque de fabrique du magazine, cette « défense et illustration » permanente du « beau jeu [35] » et du « beau geste » (avec la part de subjectivité qu’elle suppose) permet d’inscrire « en creux » un autre propos, de facture bien différente : émancipation du « footballeur-travailleur [36] » ainsi que des nations émergentes du tiers-monde. Échappant à l’emprise coloniale autant qu’au jeu stérile et désespérément défensif des équipes de la « vieille Europe », le choix d’un football spectaculaire et affranchi de toute forme de contrainte traduit, d’une certaine manière, un idéal d’émancipation et de liberté. |
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![]() Olivier Chovaux |
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[1] Il suffit de considérer les thèmes et articles successivement abordés par la revue Football(s), fondée et dirigée par Paul Dietschy : « La Coupe du monde dans toutes ses dimensions », Football(s), 2022, no 1 ; « Le football anglais entre “people’s game et global game” », Football(s), 2023, no 2 ; « Le rugby français et son modèle », Football(s), 2023, no 3 ; « Football, ports et circulations maritimes », Football(s), 2024, no 4.
[2] Alfred Wahl, Les archives du football. Sport et société en France (1880-1980), Paris, Gallimard, 1989 ; Paul Dietschy, Histoire du football, Paris, Perrin, 2014 (édition augmentée) ; Olivier Chovaux, Cinquante ans de football dans le Pas-de-Calais (fin xixe-1940). Le temps de l’enracinement, Arras, Artois Presses Université, 2001.
[3] Olivier Chovaux, « D’un jeu barbare à un jeu intelligent… Les mutations des styles de jeu du football nordiste (1880-1932) », STAPS, 2004, no 65, p. 111-122 ; Olivier Chovaux, « L’équipe de France de football au miroir des styles nationaux : “la longue nuit du football français” (1930-1950) », dans Alfred Wahl [dir.], Aspects de l’histoire de la Coupe du monde de football, Metz, Presses universitaires de Metz, 2007, p. 107-123.
[4] Laurent Grün, Entraineur de football en France. Histoire d’une profession de 1890 à nos jours, Arras, Artois Presses Université, 2016.
[5] Sur le processus d’historicisation du match de football lui-même, voir François Da Rocha Carneiro, Une histoire de France en crampons, Paris, Éditions du Détour, 2022.
[6] Une référence à ce jour : Jonathan Wilson, La pyramide inversée. L’histoire mondiale des tactiques de football, Paris, Hachette sport, 2021.
[7] Éric Claverie, Jean-François Loudcher, Serge Vaucelle [dir.], Histoire de l’entrainement sportif. Pratiques et discours techniques en France (xixe-xxie), Vincennes, Éditions de l’INSEP, 2024.
[8] Georges Vigarello, Techniques d’hier, techniques d’aujourd’hui… Une histoire culturelle du sport, Vincennes, Éditions de la Revue EPS, 1988.
[9] Laurent Grün, « La souplesse et le coup de pompe du mardi », dans Noémie Beltramo, Jean Bréhon, Olivier Chovaux, François Da Rocha Carneiro, Vingt ans après… Écrire l’histoire du sport, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2023, p. 87-105.
[10] Philippe Tétart, Le sport et la plume : naissance de l’information sportive (1870-1914), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015 ; Benoît Caritey [dir.], La fabrique de l’information sportive. L’Auto (1900-1944), Reims, Éditions et Presses universitaires de Reims, 2020.
[11] Miroir du football, janvier 1960 (extrait).
[12] Alfred Wahl, La balle au pied. Histoire du football, Paris, Gallimard, 2002.
[13] Propos de Jean Levron, Miroir du football, juillet 1960 (extrait).
[14] Expression empruntée à Laurent Bocquillon, La naissance du football sport-spectacle à Marseille (1899-1939), université de Franche-Comté, thèse de doctorat en histoire contemporaine, 2024.
[15] Elie Sabry, « Les voix du sport ». Une histoire radiophonique du football de 1945 à 2018, Université d’Artois, thèse de doctorat en histoire contemporaine (en cours).
[16] Évelyne Cohen, Myriam Tsikounas, Jean-Michel Rodes [dir.], 1967 au petit écran. Une semaine ordinaire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.
[17] Ludovic Tenèze, Histoire des lois du jeu. 150 ans de football, Dijon, Raison et passions, 2015.
[18] François Da Rocha Carneiro, Les Bleus et la Coupe. De Kopa à Mbappé, Paris, Éditions du Détour, 2020.
[19] François Thébaud, Coupe du monde de football. Un miroir du siècle (1904-1998), Paris, Syllepse, 2022.
[20] Alfred Wahl, Histoire de la Coupe du monde de football. Une mondialisation réussie, Bruxelles, Peter Lang, 2013 ; Marc Barreaud, Alain Colzy, Jean Mallaret, La Coupe du monde, miroir d’un siècle, Paris, Chiron, 1998.
[21] Tant les erreurs d’arbitrage auront été nombreuses lors des rencontres, marquant ainsi la fin du magistère de Sir Stanley Rous, en charge des arbitres FIFA. Sur l’histoire de l’arbitrage, consulter Olivier Chovaux, Siffler n’est pas jouer ? Une histoire des arbitres de football, Paris, Atlande, 2021 ; Alexandre Joly, Les hommes en noir du football. Histoire d’une profession de 1919 à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2025.
[22] Miroir du football, juillet 1962 (extrait).
[23] Miroir du football, juillet 1962 (extrait).
[24] Jean-Yves Guillain, La Coupe du monde de football. L’œuvre de Jules Rimet, Paris, Amphora, 1998.
[25] « La passe courte est le moyen naturel et logique des échanges de balle, parce qu’elle assure, dans les conditions normales, la “liaison”. L’usage de la passe courte, comme règle générale est la condition de la réussite de la passe longue. »
[26] Miroir du football, juin 1965 (extrait).
[27] Michaël Attali, Évelyne Combeau-Mari [dir.], Le sport dans la presse communiste, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019 ; Olivier Chovaux, Karen Bretin-Maffiuletti, « Étranges défaites ? Regard de la presse communiste sur les vaincus du Tour de France (1960-1967) », dans Thomas Bauer, Sabine Chavinier-Réla, Loïc de la Croix [dir.], Autopsie de l’échec sportif, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2024.
[28] « Il s’agit aujourd’hui d’étudier le mécanisme qui permet aux gardois depuis trois ans de renouer avec un passé glorieux et de traiter d’égal à égal sur le plan national avec les fameux rémois […]. »
[29] « Les arrières ont pris l’habitude de remonter presque jusqu’au centre du terrain lorsque l’équipe domine, refoulant ainsi les arrières adverses dans leur propre camp […]. »
[30] Miroir du football, mai 1962 (extrait).
[31] Gilles Cutulic, Guillaume Hanoteau, Red Star. Mémoires d’un club légendaire, Paris, Seghers, 1983. Également : Jean Vigreux, Dimitri Manessis, Rino Della Negra, footballeur et partisan. Vie, mort et mémoire d’un jeune footballeur du groupe « Manouchian », Paris, Libertalia, 2022.
[32] Signant souvent ses articles sous le pseudonyme de Paul Kervelec, Pierre Lameignère a évolué en tant que joueur au CA Paris. Spécialiste des questions techniques et tactiques, il collabore au Miroir à partir de juillet 1961.
[33] Miroir du football, mai 1962 (extrait).
[34] Alfred Wahl, « Le mai 68 des footballeurs français », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 1990, no 26, p. 73-82.
[35] Que l’on oppose précisément à Ollivier Pourriol, Éloge du mauvais geste, Paris, Nil Éditions, 2010.
[36] Analogie que l’on retrouve dans les clubs miniers du Pas-de-Calais, dès les années 1920 : Olivier Chovaux, Cinquante ans de football dans le Pas-de-Calais. Le temps de l’enracinement (fin xixe-1940), Arras, Artois presses université, 2001.
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![]() Pour citer cet article : Olivier Chovaux, « Miroir du football et « l’Empire du Milieu » : le « 4-2-4 », vecteur d’un football populaire en 1960 ? », Olivier Chovaux et Karen Bretin [dir.], Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 29 septembre 2025, n° 21, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html. |
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