Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-UBE
Territoires contemporains


Miroir du football, un autre sport dans la presse rouge ? (1958-1979)
Vie et mort d’un magazine (pas tout-à-fait) comme les autres
Benoît Caritey
Résumé | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Annexes | Notes | Références | Outils
RÉSUMÉ

En prônant et assumant une ligne éditoriale qui se démarque de celle des autres titres sportifs de l’époque, Miroir du football incarne également une forme de traitement original de l’information sportive, via son équipe de rédaction. Sous la houlette de François Thébaud, son rédacteur en chef, près de 200 collaborateurs (qu’ils soient spécialistes ou non du football) ont alimenté les rubriques de Miroir en offrant aux lecteurs une approche plus engagée et plus fine des rencontres et du spectacle du football. Cette totale liberté de fonctionnement est toutefois remise en cause dans les années 1970. Les relations conflictuelles entre la direction du journal et François Thébaud aboutissent au départ de ce dernier en 1976. Ce sont moins des divergences idéologiques que des contraintes économiques et commerciales qui sont à l’origine d’une rupture annonçant la disparition du titre en 1979.

MOTS-CLÉS
Mots-clés : Miroir du football, comité de rédaction, François Thébaud, Maurice Vidal
Index géographique :  
Index historique :
SOMMAIRE
I. Une équipe de rédaction composée de journalistes professionnels et amateurs partageant une même conception du football
II. Les relations avec la « maison mère »

TEXTE

Bien que la presse sportive soit une source essentielle pour l’histoire du sport, on l’interroge et on l’observe rarement pour elle-même [1], alors qu’une bonne connaissance du fonctionnement d’un organe de presse en tant qu’organisation [2] et en tant qu’entreprise est essentielle. En effet, « l’histoire de la presse est aussi, à plus d’un sens, une science auxiliaire de l’histoire moderne et contemporaine. Archives du quotidien, les journaux sont la source la plus complète, et dans leur diversité, la plus objective de l’histoire générale. Témoins et acteurs de la vie nationale et internationale, ils sont des documents d’une richesse considérable, mais difficiles à utiliser. À sa fonction première, qui est de restituer la vie des journaux et de préciser le rôle qu’ils ont joué dans l’évolution des sociétés, l’histoire de la presse ajoute une sorte de fonction dérivée : celle d’aider les historiens à utiliser leur témoignage [3] ».

De ce point de vue, les travaux d’histoire ou de sciences de l’information portant sur la presse magazine [4] sont d’une aide précieuse. Ils montrent la singularité de ce type de périodique dans l’univers de la presse écrite et font ressortir les caractéristiques communes aux hebdomadaires et mensuels, la première étant l’obligation de concevoir, planifier et réaliser un contenu sans le fil directeur de l’actualité en train de se faire. « Dès son origine, la démarche du magazine a été celle de la segmentation du public et de la thématisation de son contenu, là où le quotidien entendait s’adresser à l’ensemble du public sur tous les sujets possibles [5]. » Chaque magazine est obligé de tisser des liens privilégiés avec ses lecteurs sur la base d’un « contrat de lecture » : thématiques traitées, parti-pris de traitement, ton, style, ambiance, etc. Ce « contrat de lecture » doit être stable dans le temps, sous peine de dérouter le lecteur et de le perdre. Mais « un titre qui veut durer doit gérer l’évolution de son contrat de lecture [6] ». En effet, si les médias de masse (journaux quotidiens, stations de radio, chaînes de télévision) se vivent comme non-mortels, les magazines, eux, se savent mortels : « Lorsque la société change, des segments et des thèmes perdent de leur pertinence. Il faut alors s’orienter sur de nouveaux concepts adaptés à la situation nouvelle et accepter de faire mourir les concepts usés [7]. »

Une autre caractéristique forte de la presse magazine, à mettre également en relation avec sa périodicité non quotidienne, est la taille réduite des équipes de rédaction, souvent trois ou quatre salariés titulaires, entourés d’une armée de pigistes chargés d’effectuer l’essentiel du travail rédactionnel. Le plus souvent, les sujets à traiter sont décidés longtemps à l’avance. Ils sont confiés à un journaliste choisi pour ses compétences. Et même si, dans le cas de la presse magazine sportive, le calendrier des compétitions nationales et internationales fixe des échéances, « l’élasticité du rapport au temps joue dans les deux sens : il ne s’agit pas seulement d’un regard rétrospectif, avec prise de recul sur des événements passés, mais aussi d’une vision prospective [8] ».

Miroir du football est conforme à cette description en tout point, ou presque. Le mensuel a bâti son succès sur une ligne éditoriale qui se démarque de celle de la presse sportive dominante (et notamment le quotidien L’Équipe et le mensuel France football). François Thébaud, son rédacteur en chef historique, a réuni une équipe de permanents et de pigistes qui partageaient sa conception du football. Mais lorsque la direction des Éditions Miroir-Sprint voulut faire évoluer la formule (autrement dit, ajuster le « contrat de lecture » aux transformations supposées des attentes du public), dans un contexte de difficultés financières et d’exacerbation de la concurrence entre magazines consacrés au ballon rond, François Thébaud refusa catégoriquement de se plier aux consignes de sa hiérarchie. Le « contrat de lecture » de Miroir du football n’était pas pour lui un simple concept élaboré pour répondre aux attentes d’un public ciblé, il était fondé sur des convictions profondes. Dès lors, la direction des Éditions Miroir-Sprint devait choisir entre deux solutions : remplacer François Thébaud par un rédacteur en chef qui appliquerait ses recommandations, ou lancer un nouveau mensuel dont le « contrat de lecture » serait conforme à sa perception des attentes nouvelles des lecteurs. Elle opta pour la première, puis quelques mois plus tard, pour la seconde.

Miroir du football naît en 1958 sous la forme de suppléments de l’hebdomadaire Miroir-Sprint, publié par les Éditions J, issues de la mouvance des jeunes résistants communistes [9], dont le directeur, Jacques Marland, est membre du PCF. Guy de Boisson, directeur de Miroir-Sprint jusqu’en 1948 et Maurice Vidal, son successeur, sont également membres du parti. Nombreux sont les journalistes de Miroir-Sprint à être issus de la presse clandestine et notamment de Sport libre. Certains ont travaillé pour les pages sportives de Ce Soir, le grand quotidien d’information communiste, d’autres pour la rubrique « Sport » de L’Humanité, organe du Parti communiste, ou de Combat, quotidien issu de la Résistance. Ils ont participé à l’aventure de Sport, l’éphémère quotidien sportif communiste (mai 1946-octobre 1948). Tous ne sont pas membres du PCF, mais en sont proches.

Le succès des sept suppléments de Miroir-Sprint consacrés au football, publiés entre mai 1958 et novembre 1959 [10], incite la direction des Éditions J à créer un magazine autonome :

Le courrier qui suivit fut abondant, intéressant. Des dizaines de milliers de lecteurs trouvaient dans nos numéros une matière nouvelle, un aliment nouveau à leur passion. […] Petit à petit, nos numéros devinrent mensuels et furent connus d’un nombre toujours croissant d’amateurs de football. Ainsi nous apparut la nécessité de faire paraître chaque mois ce « Miroir du football » [11].

I. Une équipe de rédaction composée de journalistes professionnels et amateurs partageant une même conception du football

Miroir du football est dirigé par Maurice Vidal (toujours directeur de Miroir-Sprint). François Thébaud, rédacteur à la rubrique « Football » de l’hebdomadaire sportif, en devient rédacteur en chef. Les premiers collaborateurs du nouveau mensuel sont recrutés parmi les journalistes et pigistes de Miroir-Sprint : Albert Batteux [12], Roger Frankeur [13], Francis Le Goulven [14] et Georges Pradels [15] entre autres.

Rapidement, plusieurs des rédacteurs des premiers numéros cessent d’écrire dans Miroir du football (Albert Batteux, Roger Frankeur, Roland Mesmeur [16] et Raymond Pittet [17]) et de nouveaux noms apparaissent. Autour d’un noyau de journalistes permanents de deux, puis cinq personnes (François Thébaud et Pierre Lameignère [18], auxquels s’ajoutent Francis Le Goulven, Faouzi Mahjoub [19] en 1963 et Jean Boully en 1965) gravitent une quinzaine de pigistes réguliers français (Robert Bérard, Robert Ichah [20], Jean Norval [21], Maurice Ragonneau [22], Albert Régnault) et étrangers (Roger de Somer [23], Belgique, Norbert Eschmann, Suisse, Leo Weinstein [24], Amérique du Nord, Raul Sepuvelda, Chili, Nilo J. Suburu, Uruguay, Carlo Ramirez, Mexique, Louis Verrando, Argentine, Jesus Villamor, Colombie, Edmundo Pacheco, Pérou, et Thomas Mazzoni, Brésil). « C’est ce noyau qui assura la continuité de la politique du Miroir durant 16 ans, non seulement par les articles que ses éléments rédigeaient, mais aussi par ceux qu’ils suggéraient ou inspiraient aux collaborateurs extérieurs [25]. » Au total, ce sont plus de 200 contributeurs qui ont, ne serait-ce que ponctuellement, écrit dans Miroir du football.

Ce sont de fins connaisseurs du football. Nombreux sont d’anciens joueurs, certains de haut niveau, et des entraîneurs : Albert Batteux, qui écrit dans le magazine en 1960 et 1961, puis de 1976 à 1979, est l’entraîneur du Stade de Reims des grandes années et le sélectionneur de l’équipe de France de 1958 ; Pierre Lameignère était joueur de deuxième division au CA Paris, au Stade français et au Racing Club ; Robert Bérard était joueur en première et deuxième division (champion de France avec Reims en 1959) ; Serge Anger était un ancien international junior, puis joueur au RC Paris en CFA ; Jean-Claude Trotel était entraîneur du Stade lamballais de 1964 à 1973 ; Maurice Ragonneau entraînait le Sporting Club municipal de Neuilly-sur-Marne ; Norbert Eschmann était joueur professionnel à Lausanne, à Marseille, au Stade français, ancien international suisse (il a participé aux Coupes du monde 1958 et 1962), puis entraîneur ; Ian Leonard, correspondant du magazine à Glasgow, était joueur professionnel en Grande-Bretagne ; Ntetani Mbemba, correspondant à Brazzaville, avait joué avec l’équipe du Congo. C’est un profil classique pour des journalistes sportifs de cette génération : une bonne connaissance du football et un solide réseau de relations sont précieux.

Plusieurs pigistes recrutés au cours de cette période ont été repérés via le courrier des lecteurs (la rubrique « Votre Miroir ») : André Hélard [26], Patrick Gautrat [27], Marc Hetzel [28], Michel Burgoni [29] ; Loïc Bervas raconte qu’il a eu la surprise de voir la lettre qu’il avait adressée au courrier des lecteurs publiée en article (no 180, novembre 1972). Il devient ensuite un des pigistes réguliers du mensuel.

Les non-professionnels sont relativement nombreux : Serge Anger et Jean-Claude Trotel sont professeurs d’éducation physique, Albert Batteux est entraîneur professionnel, Loïc Bervas est professeur de lettres, André Daoudal (correspondant à Vienne) est professeur de français, Leo Weinstein (correspondant en Amérique du Nord) est professeur de littérature française à l’université de Stanford (San Francisco). Plusieurs pigistes sont instituteurs [30]. Le recours à des non-professionnels place Maurice Vidal dans une situation délicate, lui qui est également vice-président puis président de l’Union nationale des journalistes sportifs, dont un des objectifs est de défendre le territoire professionnel des journalistes sportifs face aux menaces extérieures et, notamment, de lutter contre les journalistes amateurs dont l’activité constitue une concurrence déloyale [31]. Il en va tout autrement du point de vue de François Thébaud, tant que ces amateurs partageaient sa conception du football.

Le fonctionnement de l’équipe de rédaction est très informel : François Thébaud explique dans Le Temps du miroir qu’il n’organisait pas de séminaire de rédaction (l’équivalent de la conférence de rédaction des quotidiens). Le contenu de chaque numéro et la répartition des tâches rédactionnelles étaient établis en concertation avec ses collaborateurs (permanents et pigistes). Car au Miroir, l’ambiance de travail est très conviviale et les principaux collaborateurs du mensuel se retrouvent chaque semaine pour jouer au football dans le « championnat du dimanche matin » organisé par la Ligue de Paris, intégrant dans leur équipe les contributeurs occasionnels ou les correspondants à l’étranger de passage dans la capitale.

François Thébaud est ouvert à toute suggestion venant de ses rédacteurs. C’est ainsi que Loïc Bervas [32] assiste, durant ses vacances au Danemark, à un match de l’équipe de Vejle (championne du Danemark et future adversaire du FC Nantes au premier tour de la Coupe d’Europe des clubs champions) dont le jeu lui fait forte impression, et interviewe son entraîneur. Il soumet un article publié dans le no 199 de septembre 1973, qu’il conclut par cette phrase : « Tout ceci doit inciter les Nantais à méditer le proverbe de la peau de l’ours… [33] ». Quelques jours plus tard, le FC Nantes est éliminé de la Coupe d’Europe, battu par le modeste club danois…

À la différence de Miroir du cyclisme, autre mensuel publié par les Éditions J et dirigé par Maurice Vidal, les rédacteurs de Miroir du football n’écrivent pas – ou rarement – pour d’autres publications sportives (sinon pour Miroir-Sprint). On peut en effet écrire à la fois pour Miroir du cyclisme et pour L’Équipe (Jacques Augendre, Pierre Chany, Jacques Marchand) ou pour la rubrique sportive des grands quotidiens parisiens (Jean Bobet au Monde, André Chaillot à Libération ; Henri Quiqueré à France Soir et au Matin de Paris ; Abel Michéa à L’Humanité) ou régionaux (Roger Cornet au Dauphiné libéré et à Ouest France). C’est plus rare pour les rédacteurs de Miroir du football. S’ils viennent d’autres publications sportives, ou s’y font embaucher après avoir quitté le Miroir, durant les années au cours desquelles ils collaborent au Miroir, la plupart d’entre eux n’écrivent que pour ce dernier… François Thébaud explique cela en relation avec la ligne éditoriale du magazine : les journalistes des autres titres de la presse sportive et des rubriques sportives des quotidiens d’information ne pouvaient collaborer avec un journal qui incarnait une idée contestatrice de l’establishment du football [34]. François Thébaud a constitué une équipe de rédaction composée de journalistes professionnels et amateurs aux parcours très différents, mais une équipe de fidèles partageant la même vision du football que lui.

II. Les relations avec la « maison mère »

Si les relations entre rédacteurs sont cordiales, celles entre François Thébaud et Maurice Vidal sont difficiles, et elles se dégradent au cours des années 1970 pour aboutir, en 1976, à la rupture.

François Thébaud lutte pour préserver une autonomie complète dans son travail de rédacteur en chef, en refusant notamment de soumettre à Maurice Vidal le sommaire des numéros avant publication [35]. C’est une situation assez exceptionnelle pour être soulignée ; en règle générale, le rédacteur en chef, chargé de la conception et de la fabrication du journal, exerce cette responsabilité sous l’autorité de la direction, dans la mesure où le directeur de publication, garant de la ligne éditoriale du journal, peut voir sa responsabilité pénale engagée en cas de délit de communication. Les relations sont donc plutôt tendues entre le directeur de Miroir du football et son rédacteur en chef. Elles deviennent conflictuelles dans les années 1970.

Les difficultés financières des Éditions J y contribuent pour une part. L’hebdomadaire Miroir Sprint, en perte de vitesse depuis une dizaine d’années, cesse de paraître en 1971. Les Éditions J lancent un nouvel hebdomadaire, Sport, qui disparaît après 45 numéros. Cet échec éditorial est un désastre financier qui place la maison d’édition dans une situation difficile. En 1971, les Éditions Vaillant [36] acquièrent 75 % des actions des Éditions J [37]. En juillet 1974, son directeur, Jacques Marland, est remplacé par Jean-Jacques Faure [38]. En 1975, les Éditions J SARL deviennent les Éditions Miroir-Sprint SARL. La nouvelle direction des Éditions Miroir-Sprint veut élargir l’audience de ses différentes publications, Miroir du football, mais aussi Miroir du cyclisme et Miroir du rugby (Miroir de l’athlétisme ayant cessé de paraître en 1974) et pour cela, elle envisage d’en faire évoluer la forme et le fond. Maurice Vidal multiplie les notes de service en ce sens, mais François Thébaud refuse d’en tenir compte.

En février 1976 (un mois après le lancement du magazine concurrent Onze par les Éditions de France), Maurice Vidal adresse à François Thébaud une note [39] dans laquelle il détaille ses propositions d’amélioration de Miroir du football : développer l’illustration ; limiter la taille des articles ; limiter la part faite à la polémique ; éviter les articles reflétant des conceptions idéologiques « très éloignées du football » et « de nature à causer un préjudice commercial [40] » ; ouvrir les colonnes du magazine à des opinions opposées ; sortir de la critique (« exalter ce que le football a d’exaltant »).

La réponse de François Thébaud est une fin de non-recevoir : « Mon unique objectif – et l’unique objectif de la rédaction que j’ai recrutée – ayant été durant 16 ans de faire une revue qui serve honnêtement les intérêts du sport qu’elle traite, je suis convaincu qu’en défendant la liberté d’expression de la rédaction, je sers les intérêts du Miroir du football [41]. » François Thébaud cesse d’écrire dans le Miroir. Son dernier éditorial et son dernier article paraissent dans le no 260 du 24 mars 1976. En mai 1976, il est démis de ses fonctions ; il garde, pour un temps encore, le titre de rédacteur en chef (son nom disparaît de l’ours du no 266 du 4 juin 1976), mais n’en assume plus les responsabilités, confiées à Francis Le Goulven. Faouzi Mahjoub et Jean Boully sont également mis sur la touche (leurs derniers articles paraissent dans le no 267 de juin 1976). La mise à l’écart des piliers de la rédaction entraîne la démission en cascade des pigistes qui collaboraient pour certains depuis de nombreuses années avec Miroir du football : Jean Norval (depuis 1960) ; André Hélard (depuis 1962) ; les frères Jean-Claude et Paul Trotel (depuis 1962) ; Norbert Eschmann (depuis 1964) ; Robert Bérard (depuis 1965) ; Michel Burgoni (depuis 1970) ; Serge Anger (depuis 1968) ; Daniel Watrin (depuis 1971) ; Patrick Gautrat (depuis 1974) ; Loïc Bervas (depuis 1972) ; Robert Binet (photographe depuis 1973) ; François-René Simon (depuis 1974) ; les correspondants africains Dimansi Bombote (depuis 1972), Fouad Issad (depuis 1973) et Ntetani Mbemba (depuis 1974).

Si la plupart des plumes qui avaient fait la réputation du Miroir disparaissent, quelques-unes restent (Francis Le Goulven, promu rédacteur en chef, Robert Ichah, Philippe Coquelle, Mick Michels) et de nouvelles signatures apparaissent (Michel Diard, rédacteur en chef adjoint en septembre 1976, Michel Nait-Challal). Albert Batteux, qui n’avait rien publié dans Miroir du football depuis mars 1961, écrit à nouveau à partir d’avril 1976 et tient une chronique régulière (« Albert Batteux en liberté ») à partir de mai 1976.

Mais le changement de « contrat de lecture » ne produit vraisemblablement pas l’effet recherché. Si des lecteurs, dont les lettres sont publiées dans les numéros postérieurs à l’éviction de François Thébaud, saluent le changement d’attitude de Miroir du football vis-à-vis des « Verts », d’autres expriment leur inquiétude et leur incompréhension [42].

Les Éditions Miroir-Sprint décident alors de lancer un autre magazine consacré au football, Mondial (no 1, février 1977), avec l’équipe rédactionnelle mise en place à Miroir du football pour pallier le départ des fidèles à François Thébaud (directeur de la publication : Jean-Claude Le Meur [43] ; directeur : Maurice Vidal ; rédacteur en chef : Michel Diard) : un autre « contrat de lecture » est proposé, plus conforme aux orientations préconisées par la direction des Éditions Miroir-Sprint et rejetées par François Thébaud. Le nouveau titre connaît un succès relatif, mais ne parvient pas à s’imposer. En 1989 enfin, les deux magazines concurrents, Mondial et Onze, fusionnent pour devenir Onze Mondial.

Malgré – ou à cause de – ces remaniements, les Éditions Miroir-Sprint sont toujours en difficulté. Lancement de Mondial, parution hebdomadaire de Miroir du football au moment de la Coupe du monde de football en Argentine (1978), rien n’y fait. En mai 1979, Jean-Jacques Faure est remplacé par Daniel Wirz qui signe en septembre 1979 le faire-part de décès de Miroir du football, en invoquant le recul des ventes, la baisse des recettes publicitaires et l’augmentation des coûts de fabrication.

Conclusion

On pourrait penser que l’ancrage politique de Miroir du football (le magazine est publié par une maison d’édition contrôlée par le PCF, il est dirigé par des membres du PCF) a pesé sur son histoire. Sans doute. Mais les ressorts en sont plus économiques que politiques. Tant que les Éditions J et le magazine sont prospères, François Thébaud reste libre de ses mouvements. Ce sont des considérations marchandes et financières (augmenter les ventes, sauver les Éditions Miroir-Sprint au bord de la faillite), et non politiques, qui motivent le virage de 1976. Autant Jacques Marland fut – pour autant que je puisse en juger – un directeur des Éditions J particulièrement discret, autant Jean-Jacques Faure, son successeur, et Claude Compeyron, directeur des Éditions Vaillant, ont cherché à infléchir la politique éditoriale du Miroir du football, non pour des raisons doctrinales, mais pour des raisons commerciales. Et donc, bien qu’il appartienne à la presse communiste, Miroir du football est un magazine comme les autres, à ceci près que, pour son rédacteur en chef historique et les collaborateurs réguliers ou épisodiques dont il s’était entouré, le « contrat de lecture » relevait d’une question de principe et non d’un choix dicté par une stratégie marketing révisable. Ils formaient une équipe soudée, partageant une même vision du football et ont vécu le limogeage de François Thébaud, Faouzi Mahjoub et Jean Boully comme une trahison.
AUTEUR
Benoît Caritey
Maître de conférences en STAPS
LIR3S, Université Bourgogne Europe

ANNEXES

NOTES


[1] Philippe Tétart, « De la balle à la plume. La première médiatisation des passions sportives. 1854-1939 », dans Philippe Tétart [dir.], Histoire du sport en France, tome 1, Paris, Vuibert, 2007, p. 325.
[2] Au sens sociologique du terme : groupe d’individus rassemblés selon un agencement de techniques et de règles en vue de la réalisation d’un but.
[3] Pierre Albert, Histoire de la presse, Paris, PUF, 1971, p. 4.
[4] Et notamment ceux de Jean-Marie Charon et du groupe « Presse magazine, source et objet d’histoire » réuni autour de Claire Blandin et Jamil Dakhlia.
[5] Jean-Marie Charon, « La presse magazine. Un média à part entière ? », Réseaux, 2001, no 105, p. 65. En ligne : https://shs.cairn.info/revue-reseaux1-2001-1-page-53?lang=fr.
[6] Ibid., p. 67.
[7] Ibid., p. 68.
[8] Jamil Dakhlia, « Propriétés et fonctions de la presse magazine », dans Claire Blandin [dir.], Manuel d’analyse de la presse magazine, Paris, Armand Colin, 2018, p. 54.
[9] Créé en mai 1946, Miroir-Sprint remplace l’hebdomadaire J. Jeune combattant magazine, publié clandestinement pendant la guerre par les Forces unies de la jeunesse patriotique sous le titre Jeune combattant (voir Évelyne Combeau-Mari, « Miroir-Sprint, levier de promotion de la presse communiste française à la Libération », dans Michaël Attali, Évelyne Combeau-Mari [dir.], Le sport dans la presse communiste, Rennes, PUR, 2013, p. 103-107. En ligne : https://doi.org/10.4000/books.pur.50525).
[10] Un premier supplément au no 623 de Miroir-Sprint (12 mai 1958) est consacré à Raymond Kopa et à la Coupe du monde 1958 ; un deuxième, intitulé « Le Miroir du football » (supplément au no 645 de Miroir-Sprint), est publié le 13 octobre 1958 ; un troisième, publié l’année suivante, est consacré aux « Étoiles du football mondial » (Miroir du football, no 2, supplément au no 665 de Miroir-Sprint, 2 mars 1959) ; un quatrième, consacré au « Football explosif de l’Amérique du Sud » (Miroir du football, no 3, supplément au no 675 de Miroir-Sprint, 11 mai 1959) paraît à l’occasion du championnat d’Amérique du Sud disputé en Argentine ; le cinquième et le sixième sont consacrés à « Reims gloire du football français » (Miroir du football, no 4, supplément au no 695 de Miroir-Sprint, 28 septembre 1959) et à « Quinze ans avec l’équipe de France » (Miroir du football, no 5, supplément au no 700 de Miroir-Sprint, 2 novembre 1959) ; le septième est consacré aux « Équipes merveilleuses » (Miroir du football, no 6, supplément au no 704 de Miroir-Sprint, 30 novembre 1959).
[11] Maurice Vidal, « Pourquoi ? », Miroir du football, janvier 1960, no 1, nouvelle série, p. 3.
[12] Entraîneur des grandes années du Stade de Reims et sélectionneur de l’équipe de France de 1958.
[13] Journaliste à L’Humanité (1949-1951) et à Miroir-Sprint, il écrit également pour L’Équipe.
[14] Ancien rédacteur à Combat, il collabore à Miroir-Sprint et à l’hebdomadaire Sport (qui remplace Miroir Sprint en février 1971 et disparaît en décembre de la même année).
[15] Journaliste à Ce Soir, puis à Miroir-Sprint et à L’Aurore.
[16] Journaliste à Liberté Soir (1946) et au Figaro (à partir de 1946), commentateur sportif à la radio et à la télévision à partir des années 1950.
[17] Ancien footballeur à Lausanne-Sport et au Football Club de Sion, journaliste sportif à La Tribune de Lausanne.
[18] Footballeur professionnel de deuxième division au CA Paris, au Stade français et au Racing Club, il collabore à partir de 1960 à Miroir du football sous le pseudonyme de Paul Kervelec, avant de signer ses articles de son nom.
[19] Spécialiste du football africain, il a travaillé pour plusieurs revues comme Jeune Afrique, Miroir-Sprint, Afrique Asie, Afrique Magazine.
[20] Journaliste à L’Équipe (à partir de 1952), France soir, L’Aurore et Paris-Jour (en 1964).
[21] Jean Levron, dit Jean Norval, débute sa carrière de journaliste comme pigiste à Miroir du football en 1960.
[22] Également rédacteur à Miroir du rugby.
[23] Journaliste sportif belge.
[24] Professeur de littérature française à l’université de Stanford (San Francisco).
[25] François Thébaud, Le temps du Miroir : une autre idée du football et du journalisme, Paris, Éditions Albatros, 1982, p. 106.
[26] Lettre publiée dans le courrier des lecteurs du no 28, avril 1962 ; premier article dans le no 29, mai 1962.
[27] Il a écrit plusieurs lettres publiées dans le courrier des lecteurs, la première dans le no 43 de juin 1963, avant de devenir correspondant en Pologne (son premier article paraît dans le no 174 d’août 1972).
[28] Il écrit une lettre qui a été publiée en article dans le no 55 de juin 1964.
[29] Il a écrit plusieurs lettres publiées dans le courrier des lecteurs, la première dans le no 96 de juin 1967, avant de devenir pigiste (son premier article paraît dans le no 126 de janvier 1970).
[30] François Thébaud, Le temps du Miroir, op. cit.
[31] Voir Karim Souanef, Le journalisme sportif : sociologie d’une spécialité dominée, Rennes, PUR, 2019.
[32] Témoignage de Loïc Bervas, journée d’études « Le Miroir du football. Un autre sport dans la presse rouge (1958-1979) ? », Dijon, 16 novembre 2023.
[33] Loïc Bervas, « Coupe d’Europe – Vejle la modeste », Miroir du football, septembre 1973, no 199, p. 32.
[34] Voir François Thébaud, Le temps du Miroir, op. cit., p. 102.
[35] François Thébaud, Le temps du Miroir, op. cit.
[36] Une autre maison d’édition communiste, spécialisée dans les magazines et les livres pour la jeunesse, et notamment Vaillant, qui devient Pif Gadget en 1969.
[37] « Conflit à la rédaction de “Miroir du football” », Le Monde, 12 juin 1976.
[38] Professeur d’EPS et membre actif de la commission sportive du PCF.
[39] Maurice Vidal, « Pour une formule rénovée de Miroir du football », note adressée à François Thébaud, 16 février 1976.
[40] « Il appartient au rédacteur en chef de maintenir la publication dans les limites qui doivent être la sienne et découlant de discussions collectives avec les autres dirigeants du journal. »
[41] Lettre de François Thébaud au directeur général des Éditions Miroir-Sprint, 28 février 1976.
[42] Plusieurs lettres publiées dans la rubrique « Votre Miroir » du no 265 de mai 1976 sont écrites par des lecteurs inquiets de voir le magazine « avancer à petits pas vers la “normalisation” » et « pencher un peu trop pour la mode Saint-Étienne ». François Thébaud en donne d’autres exemples dans Le temps du Miroir, op. cit.
[43] Ancien directeur de Pif Gadget, membre du PCF.

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Benoît Caritey, « Vie et mort d'un magazine (pas tout-à-fait) comme les autres », dans Miroir du football, Olivier Chovaux et Karen Bretin [dir.], Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 22 septembre 2025, n° 21, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteur : Benoît Caritey
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944

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