Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-UBE
Territoires contemporains


Miroir du football, un autre sport dans la presse rouge ? (1958-1979)
Introduction
Olivier Chovaux et Karen Bretin
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RÉSUMÉ
MOTS-CLÉS
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SOMMAIRE

TEXTE

Considérée comme une source incontournable pour l’histoire des activités physiques [1] , la presse sportive, née dans le dernier tiers du xixe siècle, est aujourd’hui étudiée en tant qu’objet. La diversité des supports (journaux et magazines d’envergure nationale, publications régionales et locales, fanzines des supporters ou bulletins officiels des clubs) et le fait qu’ils accompagnent les pratiques et le spectacle sportif depuis leur genèse expliquent l’intérêt que portent les chercheurs à ces médias [2]. De plus en plus nombreux, comme le montrent plusieurs projets récents [3], les travaux menés dans cette direction demeurent toutefois dispersés, en raison précisément du foisonnement médiatique évoqué : les quotidiens restent mieux connus que les hebdomadaires ou mensuels ; la presse « ordinaire » – ou dominante – est plus souvent analysée que les publications partisanes, comme celles des mondes communistes [4].

La Maison des sciences de l’homme de Dijon, forte d’une plateforme technologique « Humanités numériques » et d’un pôle « Archives, documentation, numérisation », possède l’expertise nécessaire pour constituer et accompagner l’exploitation de corpus de presse. Elle affiche par ailleurs, depuis son inauguration en 2011, une sensibilité particulière pour les questions liées au mouvement ouvrier et aux conflits sociaux. Pour cette double raison, et dans le prolongement de travaux antérieurs consacrés au quotidien sportif L’Auto (1900-1944 [5]), ses archivistes, documentalistes et techniciens ont récemment accompagné le déploiement de programmes consacrés à plusieurs magazines spécialisés de la presse « rouge [6]  », à commencer par Miroir du cyclisme [7].

Publié de 1960 à 1994, initialement par les Éditions J, dans le sillage de l’hebdomadaire multisport Miroir-Sprint (1946-1971), ce mensuel se distingue de la presse du moment à plusieurs égards. Il appréhende tout d’abord toutes les formes de l’activité cycliste (épreuves sur route et sur piste, mais aussi cyclotourisme, sans oublier les usages utilitaires de la bicyclette), en France et au-delà (avec une attention certaine pour les « voisins » de Belgique ou d’Italie, mais aussi pour les pays de l’Est). Il opte ensuite pour une ligne éditoriale érudite et « pointue », associant à une parfaite connaissance des épreuves et des coureurs des considérations techniques, tactiques, voire mécaniques et technologiques. Plus diffuse qu’autrefois, souvent atténuée par les accents nostalgiques du discours, la critique communiste des sports, enfin, élaborée dans l’entre-deux-guerres, n’en est pas moins sensible : Miroir du cyclisme dénonce l’action publique en matière sportive, les évolutions qui touchent les règlements et modes d’organisation des compétitions, la marchandisation croissante du vélo, la présence désormais envahissante des caméras de télévision [8].

Second titre étudié, « cousin » du précédent, Miroir du football (1958-1979) est l’objet de ce dossier thématique. Il présente les mêmes caractères que Miroir du cyclisme, sous une forme toutefois plus marquée. C’est là tout l’intérêt, sinon d’une approche comparée, au moins d’un regard vers cet autre titre et cet autre sport, tout aussi populaire, mais dont l’internationalisation et l’exposition médiatique [9] écrasent littéralement toutes les disciplines sportives au second vingtième siècle [10]. Sous l’égide d’un rédacteur en chef particulièrement charismatique, François Thébaud (1914-2008 [11]), les plumes de Miroir du football entendent offrir à leurs lecteurs un regard décalé – voire franchement alternatif – en ces temps de « football cathodique ». Si la gamme des pratiques explorées est sans doute moins large, les espaces sur lesquels porte l’attention des journalistes sont à la fois plus nombreux et plus éloignés de l’Hexagone : les footballs africain et sud-américain, en particulier, sont ici omniprésents et rapportés (avantageusement pour eux) au jeu de la vieille Europe. La scientificité des discours sportifs est réelle, et rendue plus visible encore par la quasi-absence des contenus plus légers qui, dans le magazine cycliste, figurent une sorte de contrepoint. Il faut dire que les gestes du football, nombreux, se prêtent bien aux explications techniques, de même que les possibilités offertes en matière de placements et déplacements de joueurs favorisent les controverses tactiques. Enfin, quoique diversement au fil du temps, la teneur politique des discours est ici évidente. Nichée dans les réflexions sur les styles de jeu qui marquent les années 1960, elle s’affirme au tournant des années 1970 sur un mode très direct, notamment à travers l’énoncé de l’idée simple, mais nouvelle, selon laquelle les footballeurs sont des travailleurs comme les autres. Sans contredire sa position de dénonciation d’un mercantilisme grandissant, Miroir du football se fait dès lors le défenseur des « pros », ces ouvriers du ballon rond qu’il invite à se soulever contre leurs exploiteurs, à s’organiser, et dont il soutient activement, par la suite, les premières luttes.

Ces pistes de recherche, rapidement esquissées, structurent le numéro. L’itinéraire de François Thébaud, en ouverture du volume, souligne les liens étroits que l’homme de presse entretient avec la « galaxie communiste [12] », en même temps que l’indépendance qu’il cultive en son sein (François Prigent). Cette approche biographique éclaire l’histoire plus générale du magazine, comme entreprise de presse, et la sociologie de son équipe de rédaction, qui sont envisagées ensuite (Benoît Caritey). Ces deux premières contributions résonnent enfin avec une réflexion d’ensemble sur la ligne éditoriale de Miroir du football. Conduite tout au long de la période de publication du magazine, enrichie par l’exploitation de sources issues des archives du Parti communiste français (PCF), cette étude éclaire, au fil du temps, le degré et les formes de la politisation des contenus médiatiques (Léo Rosell, Jean Vigreux).

La deuxième partie du dossier thématique fait écho, justement, aux dimensions les plus idéologiques des discours. D’abord au moyen d’une entrée par l’« événement [13] ». Il s’agit ainsi de documenter la participation du journal à la première grève des footballeurs professionnels de l’histoire, en décembre 1972. S’inscrivant dans « l’âge d’or des luttes », elle permet de mettre fin au régime quasi féodal qui asservissait alors les joueurs à leur club, et aboutit l’année suivante à la signature de la Charte du football professionnel (Laurent Bocquillon). Dans une analyse qui privilégie à l’inverse un temps plus long, les critiques acerbes de François Thébaud envers les présidents de la FIFA (Sir Stanley Rous, puis Joao Havelange), de leurs options stratégiques qui font encore de la « vieille Europe » le bastion du football mondial, confirment cette option très « politique » des articles de Miroir (Paul Dietschy).

Fort de quatre textes, le mouvement suivant revient sur les prises de position de Miroir en matière de styles de jeu. Une première contribution s’intéresse, plus largement, à la description du stade « idéal » qui favoriserait – entre autres vertus – le déploiement du jeu offensif et collectif plébiscité par la rédaction (Philipp Didion). Les arguments sportifs nourrissant la défense du « beau jeu » sont détaillés plus loin, le commentaire des Coupes du monde permettant également d’interroger la lecture par Miroir de l’éveil au football des pays du tiers-monde (Olivier Chovaux). De la même façon, un retour aux « Bleus » et aux sélectionneurs successifs de l’équipe de France, montre bien le poids des préférences tactiques du magazine dans les analyses des fortunes et revers (surtout) du football national (Laurent Grün). Enfin, laissant de côté les considérations strictement sportives, le dernier texte s’attache aux caractères qui font du jeu offensif, pour François Thébaud et ses fidèles, une véritable éthique de la pratique du football (Karen Bretin). Rapidement dévoilés, les procédés d’écriture qui soutiennent ce plaidoyer assurent la transition vers les témoignages d’anciens journalistes de Miroir du football (François-René Simon, Loïc Bervas, Bernard Gourmelen), rassemblés en fin de volume, lesquels confirment, s’il en était encore besoin, le positionnement singulier du magazine.

Miroir du football est indéniablement écrit « à l’encre rouge ». Et même à l’encre sympathique qui ne se révèle qu’aux lecteurs avertis. Ses prises de position – encore illustrées dans une postface consacrée à l’action syndicale des joueurs professionnels (Gérald Simon) – le démontrent. La forme des récits également, mobilisant le lexique et les images d’une langue communiste dont les chercheurs doivent encore stabiliser les contours. On ne saurait toutefois, sans recherches complémentaires, désigner ce qui tient à une ligne éditoriale réfléchie et assumée de l’équipe de rédaction, et les accents qui traduisent, de façon totalement insaisissable, les cultures militantes des hommes qui la composent.

AUTEUR

Olivier Chovaux
Professeur d'histoire contemporaine
CREHS, Université d'Artois

Karen Bretin
Maître de conférences HDR
LIR3S, Université Bourgogne Europe


ANNEXES

NOTES


[1] Sur l’historiographie de l’objet sport : Noémie Beltramo, Jean Bréhon, Olivier Chovaux, François Da Rocha Carneiro, Vingt ans après… Écrire l’histoire du sport, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2023.
[2] Patrick Clastres, Cécile Méadel [dir.], « La fabrique des sports », numéro thématique, Le temps des médias, 2007, no 9 ; Évelyne Combeau-Mari [dir.], Sport et presse en France, Paris, Le Publieur, 2007 ; Michaël Attali [dir.], Sports et médias du xixe siècle à nos jours, Bayonne, Atlantica, 2010. Également : Philippe Tétart, Sylvain Villaret [dir.], Les voix du sport. La presse sportive régionale à la Belle Époque, Bayonne, Atlantica, 2010 ; Philippe Tétart [dir.], La presse régionale et le sport. Naissance de l’information sportive (années 1870-1914), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.
[3] À titre d’exemple : Yvan Gastaut, Philippe Tétart, Didier Rey [dir.], Les champions dits « de couleur » entre mythes et réalités. La fabrique médiatique de l’altérité (années 1860-années 1940), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2024.
[4] Une exception toutefois : Michaël Attali, Évelyne Combeau-Mari [dir.], Le sport dans la presse communiste, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.
[5] Benoît Caritey [dir.], La fabrique de l’information sportive. L’Auto (1900-1944), Reims, Éditions et Presses universitaires de Reims, 2020.
[6] Roger Martelli, Jean Vigreux, Serge Wolikow, Le parti rouge. Une histoire du PCF, 1920-2020, Paris, Armand Colin, 2020.
[7] Karen Bretin, Olivier Chovaux [coord.], « À l’encre rouge. L’écriture communiste de l’information sportive au second vingtième siècle. Miroir du cyclisme (1960-1994) », Projet Collex-Persée, 2022-2024.
[8] Karen Bretin, Olivier Chovaux, « “Étranges défaites ?” Regard de la presse communiste sur les vaincus du Tour de France (1960-1967) », dans Thomas Bauer, Sabine Chavinier-Réla, Loïc de la Croix [dir.], Autopsie de l’échec sportif, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2024, p. 15-30.
[9] Laquelle demeure d’ailleurs assez peu explorée, au regard de la densité acquise par l’historiographie du football. On peut toutefois consulter Dominique Marchetti, « Le football saisi par les médias », Sociétés et Représentations, 1998, no 7, p. 309-331.
[10] Paul Dietschy, Histoire du football, Paris, Perrin, 2008.
[11] François Thébaud, Le temps du Miroir : une autre idée du football et du journalisme, Paris, Éditions Albatros, 1982.
[12] Roger Martelli, Le rouge et le bleu. Essai sur le communisme dans l’histoire française, Paris, Éditions de l’Atelier, 1995.
[13] À l’image de celle proposée par Patrick Boucheron [dir.], Histoire mondiale de la France, Paris, Seuil, 2017.

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Olivier Chovaux, Karen Bretin, « Introduction », dans Miroir du football, Olivier Chovaux et Karen Bretin [dir.], Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 29 septembre 2025, n° 21, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteurs : Olivier Chovaux et Karen Bretin
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944

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