Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-UBE
Territoires contemporains


Histoire documentaire du communisme
Les acteurs ordinaires d’un anticommunisme inédit : surveillance, répression et « abjuration » en province (automne 1938-printemps 1940) [1]
Florent Gouven
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RÉSUMÉ

Angle aveugle de la recherche historique consacrée à l’entre-deux-guerres, l’anticommunisme d’État peut être saisi à l’échelon local entre l’automne 1938 et le printemps 1940. Cette contribution entend explorer « l’habitus anticommuniste » de l’appareil d’État au prisme de ses acteurs, ses pratiques et ses discours dans les départements du Vaucluse, des Bouches-du-Rhône et du Gard. La face répressive de l’anticommunisme des pouvoirs publics, tout comme la surveillance des militants du PCF et les difficiles questions de la délation ou de « l’abjuration », sont analysées. S’inscrivant partiellement dans la discussion scientifique sur la mesure des ruptures et des continuités entre la IIIe République finissante et Vichy, cette étude tente de restituer toute sa singularité à un anticommunisme d’État qui semble s’exercer en société sous les gouvernements Daladier et Reynaud.

MOTS-CLÉS
Mots-clés : Parti communiste français ; anticommunisme d’État ; gouvernements Daladier et Reynaud
Index géographique : France ; Vaucluse ; Bouches-du-Rhône ; Gard
Index historique : xxe siècle ; gouvernements Daladier et Reynaud
SOMMAIRE
I. Introduction
II. Le durcissement de l’anticommunisme d’État : entre mesures de répression et surveillance policière (automne 1938-août 1939)
1) L’écho des accords de Munich en terre daladiériste
2) La répression gouvernementale de la grève du 30 novembre 1938
III. Réduire « le parti de l’étranger » au silence : les pouvoirs publics face au pacte germano-soviétique (août-septembre 1939)
1) L’attitude des militants communistes face au pacte
2) « Bâillonner » le PCF : interdiction de la presse communiste et premières perquisitions
IV. L’appareil d’État en lutte contre « un ennemi intérieur » (septembre 1939-printemps 1940)
1) Un parti plongé dans l’illégalité : la dissolution des organisations communistes
2) La déchéance des élus communistes
3) L’épineuse question des lettres de dénonciation
V. Conclusion

TEXTE

I. Introduction

Dans une étude séminale consacrée à l’anticommunisme en France, Serge Berstein et Jean-Jacques Becker présentent ce phénomène comme l’« une des clés d’explication de la France depuis les lendemains de la Première Guerre mondiale » [1]. Le terme d’« anticommunisme » semble prendre corps dans les années 1920 – postérieurement à l’épithète d’« anticommuniste » apparue au mitan du xixe siècle – au sein de la presse communiste pour mettre les oppositionnels du PCF au ban de l’organisation [2]. Si l’origine sémantique de l’anticommunisme est repérable, sa définition reste malaisée. Ce vocable est d’emblée disqualifié car il apparaît comme une émanation des communistes eux-mêmes afin de jeter le discrédit sur leurs adversaires. Cela peut expliquer le peu d’intérêt suscité par ce sujet parmi la communauté historienne.

Un rapide mais attentif survol des publications traitant de la question de l’anticommunisme met au jour une relative lacune historiographique, essentiellement pour l’entre-deux-guerres. À la fin des années 1980, Serge Berstein et Jean-Jacques Becker ont érigé le phénomène anticommuniste en objet d’histoire [3]. Ce thème a été repris à nouveaux frais en 2000 dans un dossier de la revue Communisme [4], coordonné par Jean-Jacques Becker. Dans la même veine synthétique, Sophie Cœuré a consacré des développements précieux à cette question dans sa contribution au dictionnaire des gauches en France [5]. Néanmoins, les manifestations de l’anticommunisme dans l’entre-deux-guerres restent un angle aveugle de la recherche historique en France [6], cependant qu’elles semblent mieux traitées à l’étranger [7]. La scansion temporelle 1939-1944 a été privilégiée par les chercheurs pour appréhender l’anticommunisme d’État sous son angle répressif [8].

Comme l’a démontré Jean-Jacques Becker, l’anticommunisme n’est pas univoque : sa pluralité peut être restituée par une taxinomie fine qui donne à voir « un anticommunisme de circonstance », un « anticommunisme “d’indifférence” », ou encore « de classe » [9]. La volonté de traiter « l’habitus anticommuniste » [10] des pouvoirs publics en Vaucluse, Bouches-du-Rhône et plus succinctement dans le Gard sous les gouvernements Daladier et Reynaud – de l’automne 1938 à mai 1940 – est à l’épicentre de cette contribution. Il s’agit d’analyser les pratiques, les acteurs et les éléments discursifs de l’anticommunisme d’État dans ces trois départements méridionaux. Une telle étude tend à privilégier la face répressive de ce phénomène mais la surveillance des militants communistes, tout comme les périlleuses questions de la délation et de « l’abjuration », ne peuvent être éludées.

Les sources de la surveillance et de la répression du militantisme communiste forment le matériau archivistique disponible pour un tel sujet. Les séries M et W des Archives départementales de Vaucluse, des Bouches-du-Rhône et du Gard sont emplies de documents produits par les pouvoirs publics qui nous permettent de saisir les modalités de cet anticommunisme d’État. Les archives de la Sûreté générale, communément et commodément appelées « fonds de Moscou », restituées par la Russie entre 1994 et 2001 [11], ont également été compulsées. Peu consulté par les chercheurs, en cours de classement, ce fonds, conservé aux Archives nationales, recèle pourtant de riches documents, notamment sur les réactions au pacte germano-soviétique en province ou sur les procédures de perquisitions et liquidations afférentes à la dissolution du PCF le 26 septembre 1939.

Dans un souci constant de contextualisation, il convient de préciser que la IIIe République finissante n’invente pas l’« habitus anticommuniste ». Pour ne citer qu’un seul exemple, l’enquête nationale de 1932 sur la situation du parti communiste dans les différents départements relève de cette pratique. Cependant, il semblerait qu’un anticommunisme inédit, une lame de fond anticommuniste, prenne corps sous les gouvernements Daladier et Reynaud. Des marqueurs événementiels forts – accords de Munich, pacte germano-soviétique, dissolution du PCF – émaillent cette période. De l’automne 1938 à mai 1940, l’anticommunisme de l’appareil d’État se caractérise par un volontarisme politique certain qui doit être associé au poids de la conjoncture. Un « anticommunisme de “circonstance” » [12], en somme – une politique d’exception qui est fonction d’une situation d’exception. Durant cette période, la répression serait la conséquence du positionnement pris par les communistes face aux menaces de guerre et son déclenchement. Néanmoins, en amont, des objectifs politiques et des présupposés idéologiques ne doivent pas être passés sous silence, cependant qu’en aval des habitudes sont prises par les agents de l’État.

Notre contribution peut aussi s’entendre comme un modeste jalon dans l’histoire complexe du passage de la Troisième République au régime de Vichy. D’ailleurs, la mémoire communiste affirme volontiers, qu’en matière de répression, il y a une certaine continuité entre la IIIe République de Daladier et l’État français [13]. Si les gouvernements Daladier et Reynaud mettent bien en place une législation d’exception et la font appliquer, il semble que cet « anticommunisme de “circonstance” » se transforme en un « anticommunisme de structure » sous Vichy [14]. L’État français se singulariserait par son « anticommunisme militant », son désir d’extirper définitivement le communisme. Par conséquent, une « différence de nature » se ferait jour [15] entre les deux régimes politiques. Néanmoins, le passage de la IIIe République à Vichy ne doit pas confiner à un carcan analytique. Cette discussion scientifique est limitative par son absence de comparatisme, le débat étant gallo-centré. De surcroît, elle tend à nier la spécificité d’un anticommunisme d’État qui nous semble prendre corps sous le système politique de Daladier.

Les ruptures semblent suffisamment tranchées pour opter pour un plan chronologique. Après avoir présenté le raidissement de l’anticommunisme des pouvoirs publics entre l’automne 1938 et août 1939, nous montrerons la rupture marquée par le pacte germano-soviétique dans l’anticommunisme d’État. Enfin, de la dissolution du PCF en septembre 1939 au printemps 1940, il semble que la lutte contre « l’ennemi intérieur » s’impose aux pouvoirs publics.

II. Le durcissement de l’anticommunisme d’État : entre mesures de répression et surveillance policière (automne 1938-août 1939)

Deux événements catalysent un durcissement anticommuniste à l’automne 1939 : la réaction des communistes français aux accords de Munich et la grève du 30 novembre 1938.

1) L’écho des accords de Munich en terre daladiériste

À l’automne 1938, le parti communiste apparaît comme un pôle de résistance au « munichisme ». Dans la publication de sa thèse [16], Yvon Lacaze montre que l’opinion se partage selon un découpage quadripartite inédit dans sa netteté, le parti communiste faisant partie de la « gauche antifasciste ». L’opposition des communistes aux accords de Munich fait donc en quelque sorte confluer les accusations, portées à leur égard, de bellicisme.

En Vaucluse, terre radicale, de nombreuses mobilisations sont organisées par les communistes contre la politique internationale de Daladier, les accords de Munich – tenue de meetings sous l’égide du PCF ou de ses organisations « satellites » comme Paix et Liberté. La réunion communiste du 25 septembre 1938 au théâtre antique d’Orange – dans la circonscription de Daladier, réélu au premier tour aux législatives de 1936 – est, de ce point de vue, topique [17]. Lors de cette commémoration du quatorzième anniversaire de la mort d’Alexandre Blanc, François Billoux, secrétaire de la région marseillaise du PCF, flétrit Daladier, sa politique économique et sociale mais surtout son positionnement international. Il regrette « les fautes » d’Alexandre Blanc pendant la guerre mais « l’excuse » car il était « sincère ». Un militant communiste d’Orange crie « Daladier au poteau »,  selon le rapport du commissaire de police de cette localité.

La riposte préfectorale ne se fait pas attendre. Le 20 octobre, un projet d’arrêté du préfet de Vaucluse est envoyé au directeur de cabinet de Daladier pour lui « demander son avis ». Le lendemain, l’arrêté du préfet, qui interdit la réunion publique du PCF prévue à Orange le 23 octobre,  est promulgué. Ce texte vise le PC « qui a entrepris une violente campagne dans le département, et plus particulièrement dans l’arrondissement d’Orange, contre le Président du Conseil ». Il revient sur la réunion du 25 septembre, où « des propos de nature à froisser le sentiment de l’immense majorité des citoyens français ont été tenus ». Daladier y est présenté comme « un homme d’État qui s’est acquis la reconnaissance du Pays », « les populations s’honor[ant] d’être représentées au Parlement par le Chef du Gouvernement ». L’argument donné par le préfet est que cette campagne du PCF pourrait susciter parmi les populations « une vive agitation qui ne manquerait pas de se traduire par des actes de violence et désordre sur la voie publique ». Le préfet entend « assurer la sécurité et la tranquillité publiques ». Il s’appuie notamment sur le décret-loi du 23 octobre 1935.

Les réactions sont vives dans le département. La presse régionale se fait l’écho de ces événements : Le Petit Marseillais titre, par exemple : « L’heureuse décision de M. le préfet L. Martin ». Sans surprise, les Jeunesses radicales-socialistes d’Orange soutiennent Daladier et la mesure du préfet. À l’inverse, la section orangeoise de la SFIO « s’élève avec force contre la tentative de croisade anticommuniste » ; la LDH édite une affiche contre cette mesure « inspirée par des motifs qui rappellent fâcheusement les procédés du Second Empire ». Bien entendu, les réactions des communistes vauclusiens sont nombreuses : le 23 octobre 1938, ils bravent l’interdiction et se rendent à Orange. Ils doivent faire face à des forces importantes de maintien de l’ordre. La distribution de tracts contre Munich se poursuit dans le département de Vaucluse. Un article de Fernand Pauriol, paru dans Rouge-Midi le 25 octobre, s’intitule sans ambages : « L’arrêté préfectoral est digne du régime nazi ». Daladier y est dépeint comme « le César de Carpentras ».

Le fonds de la Sûreté nous permet d’appréhender le retentissement national de cette affaire [18]. Le 24 octobre 1938, un article publié dans L’Humanité s’intitule « Contre l’interdiction du meeting d’Orange par M. Daladier, la réprobation populaire grandit ». L’organe du PCF reprend également la protestation de la LDH dans son numéro du 26 octobre 1938. Au niveau national, le parti communiste édite une affiche qui relaie les prises de position de la LDH. De nombreuses affiches sont placardées sur le territoire national : les rapports des préfets témoignent d’actions d’affichage sur les murs des villes de Cherboug ou Brive.

Cet événement semble avoir marqué la mémoire communiste en Vaucluse : le projet d’arrêté du préfet daté du 20 octobre 1938 est repris dans un ouvrage édité en 1990 par la Fédération communiste de Vaucluse sous le titre évocateur : « La démocratie, sauce Daladier » [19].

2) La répression gouvernementale de la grève du 30 novembre 1938

La répression gouvernementale de la grève du 30 novembre 1938 constitue un « sommet de la vague anticommuniste » [20], un moment fort de l’anticommunisme d’État. Le PCF est présenté comme un parti qui n’a pas renoncé, malgré les menaces extérieures, à provoquer le désordre en France.

Une sévère répression gouvernementale se déploie dans les Bouches-du-Rhône [21] : en amont, un dispositif important de forces de l’ordre a été mis en place. Cette répression, mâtinée de « revanche sociale et politique », est lancée par le gouvernement. Elle revêt trois formes : un retrait des mandats de dirigeants syndicaux dans les organismes paritaires ; des mises à pied de fonctionnaires ; des licenciements dans les usines nationalisées. En qualifiant la grève de « politique », Daladier ouvre la voie à une répression patronale de grande ampleur. Les licenciements massifs pour rupture de contrat de travail en sont un exemple. Le bilan de la répression du mouvement de grève est important : du 8 décembre 1938 au 24 février 1939, une soixantaine de personnes sont condamnées en correctionnelle ; de nombreux licenciements, des grèves anti-répression déclenchées par le PCF et la CGT dans les Bouches-du-Rhône sont à noter. Le décret d’amnistie n’est signé que le 11 juillet 1939.

3) Surveiller et dénombrer les militants communistes : l’enquête de 1939 en Vaucluse

L’enquête de 1939 [22] en Vaucluse, consacrée à la situation du PCF dans le département, permet d’analyser l’« habitus anticommuniste » au prisme des pratiques de surveillance des agents de l’État. Le rôle des acteurs de « l’anticommunisme ordinaire » – préfet, commissaire spécial ou  gendarmes, essentiels en milieu rural – est ici topique. La rareté des enquêtes ou rapports d’ensemble sur la situation et l’activité du PCF au niveau national et départemental est à signaler. Mener une nouvelle enquête fin 1938/début 1939 sur la situation du parti communiste dans les départements peut donc apparaître comme une décision forte du gouvernement Daladier, soumis à la prégnance de la conjoncture (parti communiste « antimunichois », réactivation de l’épithète du PCF « parti belliciste » en vertu de son engagement antifasciste) et à des prénotions idéologiques. Cependant, cette assertion est à nuancer car l’enquête ne vise pas uniquement le PCF mais toutes les organisations politiques dites « extrémistes » (le parti ouvrier internationaliste, les organisations anarchistes, l’extrême-droite à tendance monarchiste, etc.).

L’enquête de 1939 est diligentée par le ministre de l’Intérieur dans une circulaire datée du 26 décembre 1938. La réponse du préfet de Vaucluse, le 18 mars 1939, synthétise les informations reçues à son cabinet des rapports des sous-préfets. Cette enquête, très complète dans le Vaucluse, se présente comme un triptyque : la composition et le siège du parti communiste doivent être précisés, tout comme les effectifs des sections et cellules. Un développement sur l’activité d’ensemble du parti communiste doit clore le rapport. Par conséquent, cette enquête de 1939 met à jour des pratiques ordinaires de surveillance – aucune différence avec l’enquête de 1932 n’est repérable dans les critères retenus pour « ficher » les militants –, une méthode éprouvée mais celle-ci est mise en œuvre dans un contexte particulier.

III. Réduire « le parti de l’étranger » au silence : les pouvoirs publics face au pacte germano-soviétique (août-septembre 1939)

Serge Berstein et Jean-Jacques Becker démontrent que « la signature du pacte germano-soviétique le 23 août 1939 ouvre une nouvelle phase dans l’histoire de l’anticommunisme en France ». Et d’ajouter que « le pacte de 1939 est un moment capital dans cette histoire de l’anticommunisme parce que pour beaucoup, il apporta, d’une façon qui leur parut aveuglante, la preuve de la duplicité si souvent soupçonnée des communistes » [23].

1) L’attitude des militants communistes face au pacte

Le comportement des communistes face au pacte est une question complexe, rarement étudiée [24]. En Vaucluse [25], dès le 24 août 1939, le préfet, conformément aux instructions du ministre de l’Intérieur, demande à tous les agents de l’État (commissaires de police, gendarmes, etc.) de le tenir informé de la réaction du parti communiste vauclusien face au pacte germano-soviétique. Ils doivent « assurer une surveillance accrue des éléments extrémistes et une surveillance renforcée de tous les points sensibles [...] ». Le lendemain, le préfet prévient le ministre de l’Intérieur de « l’intense et fâcheuse propagande par affiches et tracts » du PCF. Dès le 23 août 1939, Gaston Dijon, secrétaire de la région vauclusienne du PC depuis le premier juin, distribue des tracts à Avignon intitulés « À la population vauclusienne. L’URSS, rempart de la paix ».

Cependant, la plupart des militants communistes vauclusiens semblent, au moins dans un premier temps, adopter une attitude plutôt attentiste. Peu d’éléments nous permettent de généraliser ce point de vue mais un exemple semble éclairant : selon le commissaire de police de Bollène, les communistes de sa localité « paraissent avoir attendu des explications et des mots d’ordre avant de manifester leur opinion » par rapport au pacte. Et d’ajouter que « le lendemain de la publication de cette nouvelle, ils se sont abstenus de tout commentaire et certains prétendaient même que la nouvelle était fausse ». Puis les communistes de Bollène auraient suivi la ligne « défensiste » développée par le PCF.

Dans les Bouches-du-Rhône [26], le 25 août, le rapport du commissaire divisionnaire Gaubert aux Renseignements généraux traduit une impression de malaise, de laconisme et d’attente de consignes : « un certain étonnement », « une grande déception » sont relevés parmi les militants. Aux questions posées par les militants aux responsables du PC, ces derniers répondent « Lisez L’Humanité ».  « Les dirigeants de la région ne font pas connaître leur pensée au sujet du pacte », « ils n’osent faire aucun commentaire personnel de peur d’être blâmés. Ils attendent la réaction des grands Chefs du Parti à Paris ». Mais les adhérents, selon le commissaire divisionnaire, « ne cachent pas leur déception et prononcent à tout le champ le mot de “trahison des Soviets” ». Les masses communistes sont « désorientées, […] craignent la dissolution du Parti. Le mot de “ce pacte est la mort du Parti communiste” est prononcé très souvent »  et « le Parti communiste a mauvaise presse dans la population ». Dans un autre rapport de Gaubert au préfet des Bouches-du-Rhône, le 29 août, il cite une phrase de Marius Eychenne, secrétaire adjoint de la région marseillaise du parti communiste, qui déclare que « c’est un petit mauvais moment à passer. Mais par la suite l’opinion publique réagira et donnera raison au parti ». Le 30 août, les sections et cellules reçoivent une mise au point par le truchement d’une circulaire venue du comité régional du PCF qui justifie le pacte, moyen de garantir la paix.

2) « Bâillonner » le PCF : interdiction de la presse communiste et premières perquisitions

En Vaucluse, en application du décret du 24 août 1939, les publications communistes sont saisies et interdites dans le but d’empêcher la propagande du PCF. Dès le 26 août, le préfet « interdit toute réunion organisée par le parti communiste en Vaucluse » [27]. Il charge les services de police du département de procéder aux perquisitions de tout document ou matériel d’imprimerie « servant ou pouvant servir à semer la discorde entre les citoyens, ou nuire aux intérêts de la défense nationale ». Le 29 août 1939, des perquisitions sont opérées au siège du parti communiste vauclusien ; les domiciles de onze militants sont perquisitionnés, dont celui de Gaston Dijon et de son prédécesseur à la tête du parti communiste du département, Fernand Arnal. Les structures de base du parti sont concernées : certaines cellules sont perquisitionnées – à L’Isle-sur-la-Sorgue ou à Orange –, tout comme les organisations de la « galaxie communiste ». Le syndicat des cheminots PLM de Vaucluse réagit, par exemple, avec « stupeur » à la perquisition effectuée dans son bureau administratif.

Dans les Bouches-du-Rhône [28], comme en Vaucluse, le préfet interdit, dès le 26 août, toute réunion communiste « jusqu’à nouvel ordre ». L’organe régional du PC, Rouge-Midi, doit cesser de paraître mais plusieurs exemplaires sont diffusés le 26 août (numéro spécial du samedi intitulé « Comme l’URSS, soyons fermes devant les agresseurs et la Paix sera sauvée ») et quatre vendeurs à la criée sont arrêtés à Marseille. Le 28 août, une note du commissaire spécial de Marseille envoyée à un certain M. Guily déplore la parution de ces numéros illégaux : « Le tirage clandestin d’un numéro spécial de Rouge-Midi a mis en évidence de nouveau l’insuffisance de l’informateur communiste largement payé cependant ». Le « fonds de Moscou » a permis d’exhumer un tract de la section des marins communistes de Marseille daté du 26 août : il est intitulé « Pourquoi le journal L’Humanité a été saisi ». Dix perquisitions sont effectuées entre le 28 et le 29 août chez des militants du PCF, des syndicats – comme celui des ouvriers des ports et des docks –, au siège de Rouge-Midi, des Jeunesses Communistes ou du Comité du Front populaire du Port. Ces perquisitions sont menées pour découvrir d’éventuels journaux communistes interdits.

Le 30 août, des tracts communistes circulent toujours à Marseille. Le 14 septembre, une nouvelle mise au point est faite par F. Billoux auprès des militants en organisant une grande réunion d’information. Il justifie une fois de plus le pacte dans sa perspective patriotique et antifasciste puis déclare que la guerre en faveur de la Pologne est « une guerre juste » [29].

IV. L’appareil d’État en lutte contre « un ennemi intérieur » (septembre 1939-printemps 1940)

Lors de la « drôle de guerre », l’anticommunisme est porté à son point d’incandescence. Le poids de la conjoncture – la guerre – permet aux pouvoirs publics d’engager « une lutte systématique contre le communisme » [30]. Le PCF est plongé dans l’illégalité, la volonté de l’empêcher de fonctionner est de mise : le parti redevient « un corps étranger dans la nation » [31], « un ennemi intérieur ». Les « menées communistes » sont assimilées à la trahison. L’appareil d’État met en place un éventail de dispositions réglementaires ou législatives en fonction desquelles la répression anticommunisme se déploie.

1) Un parti plongé dans l’illégalité : la dissolution des organisations communistes

En vertu du décret du 26 septembre 1939 portant dissolution des organisations communistes, le PCF est désormais plongé dans l’illégalité. Dans le Gard, le 27 septembre est le point de départ des premières perquisitions et saisies. En Vaucluse, dès l’automne, le parti communiste, les organisations « satellites » (Secours Populaire Français, Paix et Liberté, l’ARAC, etc.) et les municipalités communistes (Velleron, Lacoste ou Ménerbes) sont dissous [32].

Dans les Bouches-du-Rhône [33], les organisations liées à la IIIe Internationale sont également concernées par les mêmes procédures de dissolution. Le 30 septembre, des scellés sont apposés à la Bourse du Travail. Les députés François Billoux et Jean Cristofol [34] sont arrêtés à leur domicile le 8 octobre. Le 20 octobre, les correspondances sont saisies. Le « fonds de Moscou » nous permet de proposer un premier bilan des arrestations. Le pourcentage des arrestations pour menées communistes et défaitisme entre fin août et le 22 novembre 1939 s’élève à 3,3 % dans les Bouches-du-Rhône, ce qui en fait le troisième département français en termes de répression après la région parisienne et le Pas-de-Calais [35]. Néanmoins, ces chiffres partiels doivent nous inciter à la prudence.

D’autre part, les militants communistes membres de la fonction publique (les douanes, les chemins-de-fer, les PTT, etc.) sont surveillés, parfois mutés, suspendus ou révoqués. Les instituteurs attirent particulièrement l’attention des autorités [36].

Dans le Gard, l’épuration souhaitée par le préfet des fonctionnaires municipaux communistes à la fin mars 1940 semble globalement acceptée. Seule une poignée de maires restreignent la portée de la circulaire aux élus et aux membres des commissions administratives, et refusent de s’exprimer sur les employés municipaux. En ce sens, le maire de Tavel estime que ces derniers « ne rentrent pas dans le cadre de la circulaire prescrite » [37]. À l’inverse, un nombre restreint d’édiles va au-delà d’une interprétation déjà extensive de la circulaire, et veut plus qu’une épuration de l’administration communale. Ainsi le maire de Beaucaire refuse-t-il de recevoir une délégation de l’association locale d’anciens combattants, au motif qu’elle ne doit « pas comprendre des membres ayant appartenu aux organismes de la IIIe Internationale » [38].

En Vaucluse, dans les Bouches-du-Rhône et le Gard, en vertu du décret-loi du 29 novembre 1939, de nombreuses procédures de liquidation des biens appartenant aux organisations liées à la IIIe Internationale sont diligentées [39]. Une circulaire d’application du 26 décembre en précise les modalités pratiques. Peu de biens restent à saisir. Le patrimoine est, « en principe, liquidé », sauf dans trois cas particuliers où l’Intérieur doit donner son accord : les biens des « syndicats professionnels », ceux des coopératives et mutuelles, enfin ceux « des œuvres ayant pour objet selon leurs statuts de secourir l’enfance ou la maternité ». Dans le Gard, un exemple est assez probant, ce