Observer et comprendre chez eux les habitants de maisons individuelles : vers des entretiens observants ?
| Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-UBE |
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| Territoires contemporains | |
| Produire, traiter et diffuser les données : les enjeux pour les SHS | ||||||||||
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Annabelle Mauhar, Matthieu Gateau et Hérvé Marchal |
Résumé | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Annexes | Notes | Références | Outils | |||||||||
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RÉSUMÉ
Cet article reprend des questionnements d’ordre méthodologique qui sont apparus au cours d’une recherche sur les habitants de maisons individuelles résidant dans la métropole de Dijon et interrogés à domicile dans le cadre du programme POPSU Transition (Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines). C’est qu’à travers un parti pris résolument qualitatif, la méthodologie proposée vise à créer les conditions optimales d’un recueil de données, de témoignages et d’expériences individuelles et collectives en matière de transition écologique. Autrement dit, l’enjeu est ici de comprendre au plus près du terrain ce que vivent, font et ressentent les habitants, et ce, dans l’objectif de produire des données sensibles et significatives. Dès lors, le propos interroge les possibles articulations entre les méthodes de l’observation et de l’entretien compréhensif pour esquisser les contours d’une technique d’enquête originale que nous nommons ici entretien observant. |
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Introduction : observer et écouter le vécu des habitants de maisons individuelles< Le programme POPSU [1] (Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines) Transition décliné dans le cadre de la métropole de Dijon, intitulé « Penser les tenants et les aboutissants d’une métropole en transition », est un projet de recherche pluridisciplinaire visant à mieux comprendre les dynamiques de transformation de la métropole ici considérée [2]. Plus précisément, en mobilisant diverses disciplines, telles que l’anthropologie, la sociologie, la littérature ou encore la géographie, ce programme analyse la relation circulaire entre les modes de vie des habitants de la métropole dijonnaise et les politiques publiques qui s’y déploient à l’heure de la transition écologique. L’objectif est de saisir comment les pratiques quotidiennes influencent les décisions politiques et, réciproquement, comment ces politiques façonnent les modes de vie urbains. Le programme ne se limite pas à une observation des décisions verticales de nature politique ou institutionnelle, mais cherche également à révéler la complexité de l’action publique en tenant compte des acteurs et contextes multiples dans lesquels ils évoluent. Il s'intéresse ainsi aux pratiques et aux expériences concrètes des citadins (leurs habitudes alimentaires, leur gestion des déchets, leur mobilité, etc.) parfois en décalage avec les attentes institutionnelles, et ce, pour mieux comprendre la métropole dans sa réalité quotidienne et vécue. L’analyse de cette circularité entre politiques et pratiques vise à renforcer la capacité collective de réponse aux défis de la transition écologique. En documentant et en informant les institutions et les acteurs politiques locaux, les travaux du programme espèrent ainsi contribuer à la compréhension des multiples transformations opérées par les individus en matière de prise en compte de l’environnement, ou non... En relation avec le questionnement sur la collecte, l’exploitation ou encore la valorisation des données qui est à l’origine de ce numéro thématique, cet article s’attache à présenter l’originalité de la méthodologie mise en œuvre dans l'axe 2 du programme POPSU Transition de Dijon Métropole, intitulé « Mesurer les transitions dans les lieux d'habitat : biodiversité, mobilités et aspirations résidentielles ». À travers un parti pris résolument qualitatif et sur la base d’une grande enquête de terrain, la méthodologie proposée vise à créer les conditions optimales d’un recueil de données, de témoignages et d’expériences individuelles et collectives en matière de transition écologique. Notre volonté est de dépasser la production utile mais réductrice d’indicateurs chiffrés autant que celle d’une représentation rationalisée et modélisée du territoire, telle qu’elle est par exemple évoquée et surtout mise en perspective par Henri Lefebvre [3]. Aussi s’agit-il d’interroger plus finement le territoire en tant qu’espace vécu [4] et d’aborder les zones résidentielles à travers une logique de territorialisation [5]. En effet, afin de mettre en lumière les pratiques écologiques ordinaires ainsi que les aspirations résidentielles des habitants de maisons individuelles situées à Dijon [6] et dans sa banlieue, mais également leurs ressentis au sujet de leurs pratiques comme à celles des pouvoirs publics, deux méthodes d’enquêtes classiques et complémentaires ont été mobilisées : l’observation et l’entretien. Toutefois, afin de recueillir des données situées, au-delà donc de simples discours extraits de leur environnement de production, il a été décidé de mener l’enquête et de réaliser les entretiens directement chez les habitants. À travers cette démarche particulièrement engageante pour le sociologue, il s’agissait d’accéder au cœur du cadre de vie des informateurs, de pénétrer dans leur intimité, dans leur « chez soi » [7]. De cette manière, il a été possible de recueillir des données sensibles d’autant plus significatives qu’elles ont été recueillies au sein d’un environnement très familier. Ces données, nombreuses et de nature variée, ne sont saisissables qu’en éprouvant l’environnement propre des participants à la recherche, afin de comprendre de l’intérieur et par observation directe l’univers de sens et de pratiques dans lequel ils évoluent quotidiennement. Dans ce sens, il convient de considérer que chaque lieu porte des significations, marques et traces susceptibles d'être mobilisées ou d’intervenir dans les paroles des informateurs. On sait, à cet égard, combien les enquêtes réalisées à domicile tendent à orienter les propos vers la vie quotidienne et les pratiques ordinaires, voire routinières des individus [8] : cela conduit à assumer des « effets d'enquête » qui rappellent l’influence du contexte de la recherche (le lieu, la situation d’entretien et d’interaction qu’elle crée ou encore la simple présence du chercheur) sur les propos et les comportements des personnes interrogées. En d’autres termes, plutôt que de considérer ces effets d’enquête comme des éléments perturbant la situation de recherche, on considère que le fait de mener une recherche dans l’environnement familier de nos informateurs, tel que le domicile en l’espèce, amène ces derniers à se sentir plus à l’aise, à s’ouvrir davantage au chercheur voire à exprimer des ressentis, des opinions ou des points de vue sur leur quotidien ou leur intimité qu’ils auraient très probablement omis ou tus dans un cadre plus institutionnel. Nous présenterons d’abord quelques éléments de contextualisation relatifs à la recherche effectuée dans le cadre de l’axe 2 du programme POPSU de Dijon métropole. Ensuite, la méthodologie d’enquête qualitative et le protocole mis en place seront exposés en insistant sur les apports réciproques des entretiens compréhensifs et des observations réalisées, parallèlement aux entretiens, directement chez nos informateurs. Le rôle de la confiance dans l’instauration d’une discussion franche et ouverte où ces dernières se livrent sincèrement au chercheur sera également questionné, de la même manière que la question de l’engagement et de la distanciation de l’enquêteur, indispensable à la libération de la parole, sera étudiée. Nous verrons alors que l’expérience du chercheur, une attitude bienveillante, mais également une concentration et une disponibilité importantes – tant envers les enquêtés qu’à leur environnement – , concourent à faire de cette méthodologie un outil prolifique, mais aussi très exigeant. Enfin, cette contribution s’achèvera par une discussion sur l’entretien observant qui, en fonction de l’objet et de l’orientation des enquêtes menées, semble être efficient dans le recueil de données qualitatives situées et par conséquent plus fines et complètes, où l’informateur n’est pas simplement réduit à un discours partiel et dissocié de son contexte d’énonciation. I. Corpus : les habitants de maisons individuelles en zone urbaine Avant d’aborder les méthodes de recherche et les effets d’enquête associés, il est essentiel de présenter le corpus d’informateurs sélectionné dans le cadre de la recherche sur laquelle se développe notre réflexion. Celle-ci s’est concentrée sur des habitants de maisons individuelles vivant au sein de la métropole de Dijon, et le plus souvent à Dijon même, ce qui est une manière originale et peu développée d’observer et de comprendre une métropole, tant la question pavillonnaire est souvent identifiée aux zones périurbaines proches et éloignées [9] et tant la question métropolitaine est souvent appréhendée à travers les questions de gouvernance, de politiques publiques, des mobilités ou encore de métabolisme urbain comme en témoignent les nombreux carnets POPSU publiés aux éditions Autrement [10]. Afin d’entrer en contact avec nos informateurs puis de faciliter la collecte de données, une collaboration a été établie avec Bruno Faivre, enseignant-chercheur en écologie à l'Université de Bourgogne Europe [11], déjà impliqué dans une recherche complémentaire à la nôtre sur l’influence de l’urbanisation sur la reproduction des mésanges. En installant des nichoirs chez les habitants de maisons individuelles, il a depuis plusieurs années développé un réseau de participants engagés dans certaines pratiques écologiques ou relevant de la mise en œuvre pratique de la transition écologique. L’existence de ce réseau d’informateurs a permis aux chercheurs de l’axe 2 du programme de recherche de bénéficier de cette collaboration et d’entrer directement en contact avec ces habitants déjà sensibilisés aux questions environnementales. En effet, en amont de notre enquête qualitative, Bruno Faivre informait les participants de notre travail sociologique et de notre volonté de les rencontrer, facilitant ainsi l’accès à ce « terrain » qui a ensuite pu débuter avec un corpus d’informateurs préalablement constitué et surtout volontaire. Bien que cette manière de procéder ait pu être bénéfique, notamment en termes de gain de temps dont on connaît l’importance pour la bonne conduite de projets de recherche collectifs, cette sélection préalable a entraîné un biais certain dans le choix même du corpus d’enquête. C’est qu’il nous a fallu composer avec le corpus retenu, lequel concernait une tranche spécifique de la population déjà engagée dans une démarche écologique et ayant en commun un certain nombre de caractéristiques socio-démographiques (propriétaires appartenant aux catégories sociales moyennes supérieures et supérieures, plutôt âgés, sensibilisés aux questions environnementales...). Cela étant précisé, il s’est avéré que ce choix assumé quant aux profils des enquêtés n’a pas perturbé outre mesure notre questionnement initial portant sur la mesure des transitions écologiques mises en œuvre par les habitants de maisons individuelles situées en zone urbaine. En effet, le public ciblé, de par ses caractéristiques sociales, la position dans son parcours résidentiel ou ses expériences en la matière, a permis l’examen de la présence ou non d’une « grandeur » verte [12] au sein de ménages a priori déjà sensibilisés à l’écologie chez qui il a été possible de prendre la mesure de différents degrés relatifs à leur engagement environnemental. Dans le cadre de l’enquête sociologique, à ce jour, 27 entretiens ont été réalisés auprès de 35 personnes vivant dans des maisons individuelles, réparties dans différentes communes de la métropole de Dijon (Dijon, Longvic, Chenôve, Hauteville-lès-Dijon et Ruffey-lès-Echirey - cf. carte 1). La répartition géographique des ménages, couvrant le centre et les périphéries de Dijon, offre une diversité contextuelle intéressante, notamment en ce qui concerne la présence plus ou moins marquée d’espaces naturels dans leur environnement résidentiel et quotidien, ainsi que l'accessibilité aux transports en commun et donc à diverses modalités de mobilité. L'âge moyen des informateurs est de 63 ans, avec des âges allant de 33 à 88 ans, et une majorité de femmes (57 % [13]). Cette surreprésentation féminine s’explique par un plus grand nombre de femmes ayant exprimé le souhait de participer aux entretiens, le plus souvent individuellement. Par ailleurs, 63,4 % des participants sont à la retraite. En termes de catégories socioprofessionnelles [14], le corpus se compose de 37 % de cadres et professions intellectuelles supérieures, et de 33,3 % de professions intermédiaires. Les commerçants, artisans et chefs d'entreprise représentent 14,8 % du corpus, tandis que les ouvriers et les employés comptent chacun pour 7,4 %. En moyenne, les ménages participants à la recherche disposent d’un revenu mensuel de 4 429 euros, ce qui, en accord avec leurs carrières professionnelles notamment, les situe dans la classe moyenne supérieure. L'ancienneté moyenne dans leur logement est d’environ 24 ans, avec une date d’emménagement allant de 1970 pour le ménage plus ancien à 2021 pour le plus récent. Figure 1 : Carte de localisation des maisons individuelles des informateurs ayant participé à l’étude de terrain POPSU Transition sur les années 2024 et 2025
II. Enquêter à domicile : les vertus de l’observation ethnographique Une des premières méthodes de recherche et de recueil des données mobilisées dans la phase exploratoire de l’enquête a été l’observation ethnographique [15], telle que définie par François Laplantine dans sa dimension sensible [16]. Cette approche invite le chercheur à prendre du recul par rapport à la « normalité » perçue dans sa propre société, lui permettant ainsi de repérer des aspects jusque-là ignorés ou non conscientisés, y compris dans des lieux étudiés qui lui paraissent familiers. Elle repose sur une distinction fondamentale entre « voir » et « regarder », où voir consiste à reconnaître ce qui est déjà connu, tandis que regarder nécessite un apprentissage qui mobilise l’ensemble des sens. En effet, l’action de « regarder » un terrain ne se limite pas à l’usage de la vue, mais implique l’ouïe, l’odorat, le toucher et même le goût. Ainsi, au-delà du simple regard, le sociologue doit prêter une attention toute particulière aux sons – tels que les chants des oiseaux ou le bruit des voitures – ou aux odeurs (fleurs, odeurs d’échappement, de nourriture...), autant d’éléments révélant des informations ordinaires mais précieuses pour saisir ce qu’est le cadre de vie des habitants. Il s’agit donc d’une pratique complète et exigeante, qui demande au chercheur une certaine rigueur, mais aussi une certaine maîtrise, au risque de ne rien voir... Dans le cadre de cette recherche, l’immersion sur le terrain, en zones résidentielles et au domicile des informateurs lors des entretiens, a été décisive. Par exemple, l’observation du quartier d’implantation des maisons de nos informateurs a permis d’identifier des particularités architecturales ou des ambiances distinctives qui ont ensuite été réinvestis par le chercheur pour nourrir les échanges au cours des entretiens [17]. Ainsi, la sociologue chargée de se rendre chez les habitants pour réaliser des entretiens (Annabelle Mauhar en l’occurrence) veillait systématiquement à arriver une dizaine de minutes avant l’heure prévue avec ses interlocuteurs, afin de déambuler dans le quartier pour mieux s’en imprégner et pour y créer des points de repères toujours utiles au cours des entretiens. Enregistreur à la main, elle tenait un journal de bord détaillant non seulement les observations spécifiques au quartier, mais également des éléments du quotidien (le nombre de voitures, l’état de la façade ainsi que l’état du jardin etc.), même les plus anodins. Cette démarche lui a permis de documenter fidèlement ce qu’elle voyait et qui lui semblait utile à la compréhension de l’environnement des enquêtés. L’objectif était également de prendre la mesure de l’état général du quartier, de l’entretien des rues, de l’aménagement urbain, d’observer les jardins des voisins ou encore de scruter les manifestations concrètes du « vivre ensemble » (le type de portail, par exemple). L’ethnographie conduit à organiser spatialement et linguistiquement les phénomènes qu’elle observe, en combinant l’analyse des espaces avec une attention portée aux comportements, aux interactions ou aux discours des membres d’un même foyer. En tant que pensée en acte, l’observation saisit la quotidienneté avec une temporalité marquée à la fois par la répétition et les événements. Cependant, bien que cette méthode d’enquête semble appropriée pour être « disponible » au terrain et aux multiples réalités vécues par autrui, elle comporte aussi des limites. Ainsi, l’immersion dans le terrain, avec une réceptivité aux multiples stimuli sensoriels, peut submerger le chercheur sous une masse d’informations difficiles à hiérarchiser et encore plus à maîtriser. Comme le rappelle Howard Becker, « il est impossible de tout noter » [18] et cela peut mener à la perte de certaines données qualitatives : lorsque le chercheur est concentré sur la prise de note, cela peut l’empêcher d’être attentif, voire réceptif à d’autres informations. C’est pour cette raison que l’observation, tout comme les entretiens, exige une préparation importante (grille d’observation, élaboration préalable d’hypothèses de recherche, travail sur la capacité de concentration, etc.) mais aussi une certaine expérience ou familiarité à l’outil comme à l’objet de recherche dont il est question. En définitive, l’observation et l’approche ethnographique imposent au chercheur un « triple travail de perception, de mémorisation et de notation » [19]. C’est en combinant ces différentes activités à une attention de chaque instant qu’elles permettent de révéler des éléments inattendus. À titre illustratif, durant la phase exploratoire de la recherche POPSU, une informatrice sensibilisée à l’écologie a accueilli l’enquêtrice à son domicile avec un plateau étiqueté « bio », rempli de fruits frais, en précisant qu'elle venait de les récupérer auprès de son AMAP (Association pour le maintien d'une agriculture paysanne), ce qui expliquait la raison de son léger retard. À première vue, elle semblait donc investie dans diverses démarches écologiques (consommation de produits bio et locaux, participation à l’expérimentation sur les nichoirs à mésanges, etc.). Cependant, au cours de la visite de sa maison, il est apparu que son jardin était en partie recouvert par une pelouse synthétique…Ce premier constat a ensuite permis de révéler une contradiction parfaitement assumée par l’informatrice, qui a expliqué que ce choix était motivé par des considérations esthétiques, mais aussi pratiques – en termes d'entretien notamment. Ici, la présence de l’enquêtrice au domicile de l’informatrice et les observations qu’elle a rapportées ont permis de soulever cette contradiction mais aussi et surtout de saisir le sens et la justification non dénuée de rationalité que lui donnait l’enquêtée. En outre, d’un point de vue méthodologique, l’observation ethnographique contribue à affiner progressivement le guide d’entretien, en l’adaptant aux spécificités du terrain et aux réalités des interactions avec les informateurs. Comme l'indiquent Florence Weber et Stéphane Beaud [20], un guide d’observation, tout comme le guide d’entretien, ne peut être conçu hors terrain : il est le fruit même de la recherche in situ. Nous avons pu le vérifier, en situation d’entretien, lors de l’évocation de la thématique de l’avenir, très souvent investie par une importante charge émotionnelle. Pour gérer la quantité d’informations à traiter, une grande partie des prises de notes liées à l’observation se faisait à la fin de l’entretien et de la visite, lorsque l’enquêtrice se retrouvait seule, à l’abri des stimuli sensoriels, pour se concentrer pleinement sur ses observations. Quelques croquis des maisons et de leurs aménagements extérieurs ont même été réalisés afin de garder la trace, le plus fidèlement possible, de la disposition des meubles et objets ou des aménagements en rapport à l’écologie qui ont été remarqués (par exemple, la pose de dalles extérieures sur un lit de sable plutôt que sur du béton afin de préserver le développement des racines des arbres situées en dessous). Enfin, l'investissement et l’attention que requiert l'observation en font une tâche complexe comme on l’a souligné, a fortiori lorsque le terrain étudié est un espace intime à l’instar d’une maison. Tout comme l’entretien qui aborde des aspects privés de la vie des individus auxquels le chercheur s’intéresse, l’observation et donc le fait d’entrer chez les gens, de pénétrer à l’intérieur de leur « chez soi », souvent considéré comme un cocon inviolable et rassurant [21], est parfois très inconfortable, en plus d’être exigeante. La crainte de franchir les limites de l’intimité, de s’imposer ou de paraître intrusif peut rapidement s’installer. Un équilibre délicat doit alors être trouvé entre l’observation attentive et minutieuse et le respect de l’espace personnel de l’informateur, afin de ne pas compromettre l’entretien à venir. Sur le terrain, en pratique, il est par exemple essentiel de demander à l’informateur son consentement avant d’effectuer chaque geste ou action, même dans le cas d’actions simples et a priori anodines, comme par exemple le fait de tourner les pages d’un album photos délibérément présenté au chercheur. Cette « prudence » est alors à considérer comme un témoignage de respect envers les informateurs ; à travers une forme de « délicatesse » [22], il s’agit de leur exprimer une volonté sincère de ne pas franchir les limites implicites de leur intimité, mais également de créer les conditions d’une relation de confiance nécessaire au bon déroulement de l’entretien à suivre [23]. III. L’entretien compréhensif : entre confiance, engagement et distanciation Afin de compléter les observations par les discours des individus, la méthode de l’entretien semi-directif a été privilégiée, constituant l’autre volet de notre recherche qualitative. Plus précisément, il s’agit d’« entretiens compréhensifs » au sens de Jean-Claude Kaufmann [24], qui supposent que le chercheur fasse preuve d’écoute attentive, de sympathie et d’intérêt pour les propos et les opinions de l’informateur. L’objectif est d’entrer dans l’univers de sens de ce dernier, de saisir son système de valeurs, ses grandeurs morales et ses faiblesses, tout en mettant de côté ses propres jugements en tant que chercheur pour recueillir des informations qui seront ensuite analysées puis restituées dans l’étude des parcours personnels. Dans le cadre de la recherche POPSU Transition réalisée à Dijon, les entretiens menés avaient un caractère immersif, voire engagé : le chercheur s’intégrait, le temps d’un instant, dans la vie quotidienne de l’individu et s’imprégnait ainsi de son espace de vie personnel. Ces rencontres avaient pour objectif d’explorer l’intimité des informateurs, leurs idéaux ou leurs craintes, mais également de mettre en lumière leurs ambivalences en tant qu’individu : c’est-à-dire que les entretiens visaient à révéler les contradictions et les tensions internes des informateurs. Cette approche immersive permet en effet de ne pas réduire l’individu à sa seule socialisation primaire ou à un habitus déterminant. La rencontre avec un enquêté et « l’écoute rapprochée » qui est mise en œuvre [25] permettent de mieux comprendre les parcours de vie et de saisir l’épaisseur des différentes expériences pour ensuite parvenir à identifier les manières dont cette épaisseur s’est façonnée. De façon complémentaire, il est essentiel, au cours des entretiens, d’appréhender les discours des informateurs sur leur perception de l’avenir, considérant que cette vision influence leurs régimes d’engagements présents [26]. Ainsi, les aspirations et les représentations du futur façonnent, tout autant que le contexte social ou les événements passés, les actions et pensées actuelles des individus. On l’a compris, les entretiens réalisés durant notre recherche ne se limitent pas à une analyse rétrospective des trajectoires individuelles, mais intègrent également la manière dont les informateurs se projettent dans l’avenir, s’appuient sur des « supports identitaires relatifs à ce qui est à venir » pour s’engager dans des « transactions identitaires fictionnelles » [27]. Cette approche nécessite cependant des conditions d’entretien adaptées, permettant aux informateurs d’exprimer pleinement la complexité de leur rapport au temps, au monde, aux autres et à eux-mêmes. Or la durée des échanges, tout comme leur cadre, peut-être soumis à des contraintes extérieures qui influencent la qualité des données recueillies. Encadré 1 : Des ajustements indispensables pour des conditions d’entretien optimales L’approche immersive implique une contrainte relative à la durée et à la gestion du temps, notamment lors des entretiens. Ainsi, dans le cadre de la recherche POPSU Transition menée à Dijon, les enquêtés ont été recrutés, comme on l’a souligné, par un collègue écologue dans le cadre de sa propre recherche. Peu familier des entretiens sociologiques, celui-ci a présenté l’intervention du sociologue comme un « entretien test de 30 minutes à une heure maximum ». Cette « maladresse » bien compréhensible a nécessité une certaine adaptation tant des chercheurs que des participants. En effet, et alors même les informateurs perçoivent souvent l’entretien sociologique comme un questionnaire rapide dont ils souhaitent généralement limiter la durée [28] , cette consigne (qui n’avait pas été travaillée en amont) a conditionné les participants à se rendre disponibles pour une durée réduite, là où les sociologues savent par expérience que les entretiens peuvent durer bien plus longtemps lorsque la relation de confiance est établie et/ou lorsque les informateurs trouvent leur compte dans cette situation extra-ordinaire qu’est l’entretien. En situation, face à ces derniers, le sociologue a dû en début d'entretien revoir et réexpliquer la consigne afin d’ajuster ses attentes à celles des participants. Il a ainsi fallu proposer une estimation plus réaliste de la durée [29]. Si la plupart des informateurs a ont réagi positivement, d’autant plus qu’ils percevaient l’échange comme une discussion plutôt qu’un simple questionnaire ou, pire, un « interrogatoire », certains participants ont exprimé des réticences à voir la durée initialement évoquée s’allonger. Ainsi, en cours d’entretien, ils ont pu faire état de contraintes liées au temps accordé, ce qui a nécessité une adaptation du sociologue d’aborder les thèmes essentiels de l’enquête et donc d’en laisser d’autres de côté. Par la suite, et face à des entretiens qui ont duré en moyenne deux heures, il a été nécessaire de trouver des leviers pour maintenir la disponibilité et l’implication des informateurs ; l’un d’eux a consisté à présenter le programme de recherche comme une démarche sérieuse, visant à recueillir leurs paroles dans la perspective de contribuer à l’évolution des projets urbains – ce que nous espérons bien évidemment. En d’autres termes, il a fallu argumenter sur le statut de la démarche sociologique (sérieuse), mais aussi et surtout expliquer aux informateurs l’importance de leur participation et la légitimité de leurs paroles, potentiellement influentes sur les politiques et aménagements urbains locaux par lesquels ils sont directement concernés. Ainsi, cet ajustement s’est traduit par un discours du chercheur axé sur la valorisation de la participation individuelle, non réductible à une interview journalistique pas plus qu’à une discussion superficielle chronométrée. D’une manière générale, l’entretien compréhensif se distingue de l’entretien classique par sa dimension moins conventionnelle, visant à instaurer un climat de confiance avec l’informateur. Pour faciliter la libération de la parole entendue comme mise en forme singulière de son rapport au monde, il est essentiel de dissiper toute forme de hiérarchie perceptible. Selon Jean-Claude Kaufmann, « l’idéal est de rompre la hiérarchie sans tomber dans une équivalence de positions » [30], ce qui passe notamment par le ton adopté par l’enquêteur. Un ton neutre ou trop bref peut freiner le développement des réponses, il est donc important de favoriser une atmosphère plus propice à l’échange. Au-delà du ton employé, il est crucial pour favoriser cette atmosphère de ne pas se laisser paralyser par l'idée de « neutralité », car l’entretien reste une situation d’échange engagé où les informateurs demandent parfois l’avis du chercheur, d’autant plus lorsque la confiance est instaurée et que l’échange prend une forme moins académique pour devenir une véritable discussion où l’asymétrie des rôles et des positions sociales s’estompe [31]. S’il est bien entendu nécessaire dans l’échange de mettre en retrait ses propres opinions et de ne pas imposer ses propres valeurs en suivant en cela une inspiration wébérienne [32], il convient d’adopter une posture réellement attentive aux discours et donc aux opinions des informateurs. Cela permet de nourrir l’échange, de formuler des relances et d’enrichir la discussion sans pour autant la bloquer par une attitude ni trop directive, ni trop détachée, ni même trop empathique : un « bon » entretien relève d’une forme d’équilibre indissociable d’une certaine expérience en la matière. Ainsi, lorsque le chercheur est confronté à des opinions qu’il ne partage pas ou à des critiques implicites envers sa position, ce qui est assez fréquent, il doit être capable de rester impassible et de (surtout) ne pas se braquer, ni même d’entrer dans une joute verbale ou argumentative inappropriée. Pour ce faire, et dans la perspective d’instaurer cette relation de confiance, chaque entretien débutait par la formulation d’une courte consigne présentant le projet sans en dévoiler les attendus scientifiques, puis se poursuivait par un travail de mise en transparence et de rassurance envers les informateurs à qui était systématiquement précisé que les entretiens étaient anonymisés pour les besoins de l’analyse, mais également qu’ils étaient enregistrés et que les enregistrements produits, après transcription, étaient détruits [33]. Dans le cadre de cette recherche, la présence d’une jeune doctorante en sociologie lors des visites chez les habitants a grandement facilité la confiance mentionnée plus haut ainsi que la dynamique conversationnelle. En effet, les informateurs la percevaient comme une étudiante et non pas comme une figure intellectuelle incarnant un rapport hiérarchique ou une sorte de « menace » sociale [34] : ils se montraient ainsi plus enclins à participer et à partager leurs discours sans être sur leur garde. Cette attitude non hostile se manifestait par exemple à travers des expressions telles que « la petite étudiante » ou « la jeune fille », qui témoignaient de la réduction des barrières sociales entre chercheur et informateurs. Parmi ces derniers, certains allaient jusqu’à reformuler les questions, se permettaient d’intervenir dans la discussion pour corriger certains points abordés plus tôt ou encore faisaient preuve d’un « zèle » bienveillant en transmettant des informations supplémentaires, allant parfois jusqu’à adopter une posture pédagogique. Comme le soulignent Florence Weber et Stéphane Beaud [35], le statut d'étudiant est particulièrement propice pour mener des enquêtes : le terme « étudiant » rassure des informateurs qui peuvent en côtoyer dans leurs cercles de sociabilité ou qui en ont une représentation positive. Conscients de leur rôle et de leur importance, ils sont alors plus enclins à « rendre service » à l'étudiant(e) et, en quelque sorte, à l’aider de manière sincère dans son travail et son apprentissage. De la même manière que le statut d’étudiant(e) semble être « protecteur » ou du moins facilitateur dans la conduite des entretiens, celui de jeune femme semblait aussi atténuer une possible méfiance face à l’intrusion d’une inconnue à leur domicile. Dans un contexte où les habitants de maisons individuelles sont régulièrement soumis au démarchage à domicile et où la protection de la sphère privée est devenue une préoccupation partagée, le statut d’étudiant-enquêteur apparaît comme étant bénéfique. Dans l’enquête POPSU dont il est ici question, en amont de ces échanges, deux guides d’entretien ont été élaborés afin de proposer un protocole d’enquête rigoureux, bien que dans la pratique, l’entretien compréhensif, de par sa nature même, requiert une certaine souplesse et « reste fondé sur un savoir-faire artisanal, un art discret du bricolage » [36]. Ces guides d’entretiens, qui sont en quelque sorte les « pense-bête » du sociologue, sont indispensables à la bonne conduite des entretiens, même si leur utilisation reste conditionnée à un travail d’appropriation (par le chercheur) et d’une certaine modération. En effet, comme le rappellent Florence Weber et Stéphane Beaud [37], leur usage doit faire l’objet d’une forme de malléabilité qui induit pour le chercheur une très bonne connaissance de ce document. Ce dernier doit en effet éviter de se contraindre à suivre de manière trop scolaire ou stricte l'ordre des questions ou des thématiques abordées. Dans le cas contraire, il prend le risque de trop orienter la discussion d’une part, mais aussi de manquer d’attention à des détails importants dans les réactions, les gestes et les attitudes des informateurs. Une approche trop rigide peut conduire ces derniers à limiter leurs réponses ou à faire de la rétention d’information, conscients du manque d’attention réelle de leur interlocuteur, ou, au contraire, elle peut les conduire à produire « le » discours qu’ils pensent être attendus d’eux. Ainsi, la souplesse requise dans la conduite des entretiens ne se limite pas à l’adaptation du guide d’entretien : elle concerne également le déroulement des dynamiques conversationnelles et émotionnelles qui émerge au fil des échanges. Cette malléabilité prend tout son sens lorsqu’il est question de sujets sensibles, comme l’engagement écologique, où l’entretien devient un espace de mise en récit de soi et de construction identitaire. Cela se remarque particulièrement sur les questions liées à l’engagement écologique. Considéré comme une situation expérimentale, l’entretien offre à l’informateur l’occasion d’exercer une réflexion sur soi et de tenter de construire, autant que faire se peut, un sentiment d’identité [38]. À travers le recueil de la parole, qui est donc bien plus que le discours, c’est une mise en forme subjective du monde qui s’exprime, chaque individu évoquant son rapport à l’avenir par son propre langage. Comme le souligne Henri Raymond [39], la parole n’est pas simplement un vecteur d’information, c’est un outil précieux pour comprendre non seulement les perceptions des individus vis-à-vis de leur environnement, mais aussi leurs pratiques quotidiennes et leurs modes de vie. Elle permet de dévoiler des dimensions plus profondes du vécu des personnes et renseigne sur l’appropriation de l’espace qu’elles habitent. Lorsqu'il s’agit d’aspirations écologiques et de ressentis personnels, des sujets sensibles peuvent ainsi émerger au cours de l’entretien, qui repose sur des « faits de parole » autorisant le déploiement d’une expérience concrète ou liée à son imaginaire propre [40]. Dans le cadre de ce travail, le chercheur a été confronté à des émotions intenses, notamment lorsque la question politique a été évoquée, ce qui a pu engendrer des tensions, voire des attitudes fermées de la part des informateurs. Ces dernières traduisaient parfois un sentiment plus profond de colère, qui s’exprimait à travers des changements lexicaux et l’utilisation des mots durs, secs – ne demandant pas d’autres commentaires –, mais aussi à travers l’expression de lamentations ou même des gestes d’agacement. Ce type de situation peut s’avérer délicat à gérer et est parfois déroutante pour le chercheur. L’enjeu réside alors dans l’équilibre à trouver entre un engagement empathique, qui libère la parole de l’informateur, et une position suffisamment distanciée pour parfois recadrer l’entretien et s’assurer de son bon déroulement afin de garantir la collecte de données sensibles et significatives. IV. Conclusion : vers des entretiens observants ? L’enquête POPSU dijonnaise a donné lieu à la réalisation d’entretiens compréhensifs qui ont donc été réalisés de manière ancrée, selon une approche méthodologique hybride alliant entretien et observation ; approche méthodologique que nous proposons de nommer entretien observant très largement inspirée de celle de « l’entretien participant » [41]. Cette méthode permet d’appréhender au plus près le vécu des individus dans leur espace résidentiel, où ils allient routine et réflexivité. L’objectif est de saisir non seulement les discours des informateurs, mais aussi leurs gestes, postures et émotions, souvent non conscients. Autrement dit, pour mieux comprendre comment les individus sont interpellés par l’espace dans lequel ils vivent et comment ils associent l’écologie à cet environnement, les entretiens menés au domicile des enquêtés ont été réalisés dans une intimité rarement accessible. La méthodologie de l’entretien observant repose ainsi sur deux techniques : d’une part sur l’entretien compréhensif afin de recueillir des discours authentiques, non construits uniquement par répondre aux questions posées par le chercheur ; d’autre part l’observation qui permet de saisir des pratiques et des comportements non verbalisés, développés in situ. Cette méthode prend ainsi en compte des éléments aussi diversifiés que les postures corporelles, les gestes routiniers ou encore la gestion quotidienne et habituelle de l’espace intérieur. Elle nécessite pour le chercheur une disponibilité et une attention permanentes à l’environnement dans lequel est conduit l’entretien. Ainsi, en combinant les deux approches, l’entretien observant offre la possibilité d’une compréhension plus approfondie du lien qui unit les individus à leur logement, en donnant à voir des éléments que l’entretien compréhensif seul ne permet pas d’observer. De tels entretiens laissent ainsi la possibilité aux informateurs d’exprimer assez librement leur vécu par rapport à ces lieux et, réalisés dans un contexte où l’enquêteur est aussi observateur, permettent « d’aménager les conditions optimales pour que l’individu laisse exprimer son rapport au monde, fait d’ambivalences et de pluralité, de dits et de non-dits » [42]. Cette approche s’inscrit par ailleurs dans une théorie de la pratique où réflexivité et routines cohabitent, où le corps et l’esprit s’expriment simultanément. En effet, une des hypothèses de la recherche en cours est que les individus sont habités par leur environnement matériel [43], en particulier par la nature qui est omniprésente que ce soit chez eux (logement et/ou environnement résidentiel) ou dans leur discours. La maison, le quartier ou le jardin deviennent des lieux qui interpellent ceux qui y résident, bien au-delà de leur conception physique : ils sont chargés de représentations, de significations et sont encastrés biographiquement. Pour le dire autrement, ces lieux racontent des histoires et sont profondément connectés à la vie quotidienne des habitants. Ils sont aussi les supports de souvenirs, d’expériences variées et des significations personnelles. C’est d’ailleurs pour mieux appréhender cette connexion entre les habitants et leur environnement que les informateurs ont été invités à effectuer une visite de leur logement pendant ou après l’entretien, afin que le chercheur puisse s’y immerger et qu’il devienne en quelque sorte familier des lieux. On peut, à cet égard, souligner l'enthousiasme avec lequel les habitants ont généralement accepté cette proposition à travers des attitudes et postures qui apportent des données précieuses sur la perception générale de leur habitat, leurs modes d’habiter et d’être habité [44]. Bien que l’entretien observant apparaisse comme un outil de recueil de données intéressant, il présente quelques limites. C’est par exemple le cas lorsque des éléments de perturbation liés au contexte spatial ou à notre présence au sein du domicile des habitants se sont imposés. Ainsi, la présence au domicile d’enfants ou d’objets interpellant comme un téléphone ou un lave-vaisselle en fin de cycle détourne parfois l’attention des informateurs, rendant leurs réponses plus brèves ou plus superficielles. De la même façon, si la présence physique de l’enquêteur dans la sphère domestique peut favoriser des réponses plus riches ou approfondies en étant recueillies dans un cadre familier, confortable et même rassurant pour l’informateur, cela implique pour le chercheur une certaine adaptabilité : il faut en effet composer avec les perturbations inhérentes à la vie collective qui peut se dérouler dans cet environnement qu’il ne maîtrise ni ne contrôle. À titre illustratif, au cours de la recherche, un entretien a été mené en présence de deux jeunes enfants (âgés de 2 à 3 ans) qui nécessitaient beaucoup d’attention de la part de leur mère et qui étaient particulièrement bruyants. De fait, il a été peu aisé de tenir un « fil conducteur » durant l’entretien participant et du même coup de développer une conversation approfondie : les conditions d’un « bon » entretien observant n’étaient donc pas réunies et le contenu recueilli s’est révélé être difficilement exploitable. Ce cas permet aussi de rappeler qu’en dépit d’une bonne préparation et d’une certaine expérience des chercheurs, les enquêtes in situ ne sont pas exemptes de certains aléas qui tiennent à la tenue même des interactions sollicitées par l’enquête. |
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AUTEUR Annabelle Mauhar Matthieu Gateau Hervé Marchal |
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ANNEXES |
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NOTES
[1] Lieu de convergence des milieux de la recherche et de ceux qui font et gouvernent les villes, la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines conjugue les savoirs scientifiques et l’expertise opérationnelle pour mieux comprendre les enjeux et les évolutions associés aux villes et aux territoires, notamment dans un contexte de transition écologique.
[2] Le programme POPSU Transition de Dijon Métropole est un projet de recherche piloté par Hervé Marchal et porté par la Maison des Sciences sociales et des Humanités (MSH) de Dijon. Il mobilise une équipe pluridisciplinaire composée d’une dizaine de chercheurs et s’inscrit dans une dynamique nationale du programme POPSU. Le programme s’articule autour de 3 axes majeurs, chacun explorant des aspects spécifiques de cette interaction entre modes de vie et politiques publiques pour une meilleure compréhension des transitions métropolitaines.
[3] Henri Lefebvre, Du rural à l’urbain, Paris, Anthropos, 2001.
[4] Henri Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000.
[5] Une logique de territorialisation désigne le processus par lequel des acteurs (publics, privés, habitants, associations, etc.) s’approprient un espace, lui donnent du sens et l’organisent en fonction de leurs usages, appropriations et représentations.
[6] Dans ce sens, cette recherche s’inscrit dans la suite des travaux menés par Hervé Marchal et Matthieu Gateau sur le fait pavillonnaire et la « pavillonnarisation » de la France (voir Hervé Marchal, Jean-Marc Stébé, Le pavillon : une passion française, Paris, Presses universitaires de France, 2023 ; Matthieu Gateau, Hervé Marchal, La France pavillonnaire. Enjeux et défis, Paris, Bréal, 2020).
[7] Henri Raymond, Nicole Haumont, Marie-Geneviève Dezès et Antoine Haumont, L’habitat pavillonnaire, Paris, Ed. L'Harmattan, 2001.
[8] Alain Blanchet, Dire et faire. L’entretien, Paris, Armand Colin, 2003.
[9] Hervé Marchal, Jean-Marc Stébé, La France périurbaine, Paris, Que sais-je ?, 2018 (2e édition actualisée en 2021).
[10] Disponible sur : https://www.autrement.com/Catalogue/les-cahiers-popsu
[11] Ce travail original, bien que pouvant sembler éloigné du nôtre, s’inscrit en complémentarité avec l’axe 2. L’enjeu est d’envisager le rapport aux mésanges comme un analyseur plus large des relations qu’entretiennent ces habitants avec la nature, sa gestion et sa conservation.
[12] Dans leur ouvrage De la justification. Les économies de la grandeur (Paris, Gallimard, 1991), Luc Boltanski et Laurent Thévenot définissent la grandeur comme un principe de légitimité permettant aux individus de justifier leurs actions et d’évaluer leur position dans un ordre social donné. Ils identifient six « cités » qui correspondent à
des registres de justification fondés sur des principes supérieurs communs. La grandeur verte reposerait en théorie
sur la valeur de la nature et de l’environnement comme principe de justification des actions et des décisions.
[13] Ces pourcentages se veulent ici purement informatifs et indicatifs vu que le corpus étudié est limité et ne se prête pas, scientifiquement, à la réalisation de statistiques...
[14] Cela concerne le dernier emploi occupé avant la retraite pour les personnes non actives.
[15] François Laplantine, La description ethnographique, Paris, Armand Colin, 2015.
[16] Ibid., p. 26 : « Le sensible qui dépasse le langage, non pas au sens de ce qui le transcende, mais qui l’exaspère, le met à l’épreuve, montre ses limites et en même temps le remet au travail. D’où l’intérêt de la description ethnographique : décrire avec la plus grande précision une situation ou une relation. C’est cela le terrain ! [...] L’ethnographie est un mode de connaissance par l’écoute et le regard. Nous menons des entretiens, c’est-à-dire que nous enregistrons des paroles. Nous observons des êtres humains dans leur environnement, nous prêtons attention aux gestes et aux expressions du visage sans oublier pour autant ce qui relève du domaine olfactif et gustatif. C’est le corps qui est engagé dans cette expérience. »
[17] Au cours d’une visite dans un quartier résidentiel de Dijon, l’enquêtrice a été interpelée par une maison individuelle dont le style tranchait fortement de celui des autres demeures du quartier. En effet, celle-ci était totalement dépourvue d’élément « naturels » : façade d'un blanc immaculé, herbe synthétique, arbres fraîchement plantés et encadrés, etc. Rien ne dépassait, tout semblait être contrôlé et maîtrisé, à l’inverse des maisons voisines où la végétation, visible, est plus ou moins bien entretenue. Son impression a d’ailleurs été partagée par plusieurs informateurs rencontrés dans ledit quartier qui ont exprimé le fait que cette maison « ne passe pas inaperçue » et suscite même des réflexions ou des remarques, parfois critiques, d’une partie du voisinage.
[18] Howard S. Becker, Les ficelles du métier. Comment conduire sa recherche en sciences sociales, Paris, La Découverte, 2002, p.131.
[19] Stéphane Beaud et Florence Weber, Guide de l’enquête de terrain, Paris, La Découverte, 1998, p.139.
[20] Ibid., p.129
[21] Matthieu Gateau et Hervé Marchal, op. cit..
[22] Jean-Noël Retière, Ego-histoire de sociologue. Les bonheurs de l'éclectisme, Université de Nantes, mémoire pour l’Habilitation à diriger des recherches en sociologie, 2006, p. 36.
[23] Claude Dubar et Sandrine Nicourd, Les biographies en sociologie, Paris, La Découverte, 2017.
[24] Jean-Claude Kaufmann, L’entretien compréhensif, Paris, Armand Colin, 2010.
[25] Jean-Noël Retière, op. cit..
[26] Laurent Thévenot, L’Action au pluriel. Sociologie des régimes d’engagement, Paris, La Découverte, 2006.
[27] Hervé Marchal, Décloisonner les identités. Essai sur les enjeux anthropologiques de l’altérité, Paris, Le Cavalier Bleu, 2024.
[28] Stéphane Beaud et Florence Weber, op. cit.
[29] À chaque début de rencontre, les informateurs demandaient la durée de l’intervention. Il fallait donc préciser de prévoir au moins deux heures pour réaliser l’entretien. Cette durée semblait d’abord les inquiéter, mais une fois la discussion engagée, celle-ci dépassait fréquemment 2h30 voire 3 heures. Finalement, les informateurs étaient ravis de pouvoir échanger longuement et ne semblaient généralement pas vouloir s'arrêter : la contrainte temporelle avait disparu.
[30] Jean-Claude Kaufmann, op. cit., p.47.
[31] Stéphane Beaud et Florence Weber, op. cit., p.129.
[32] Voir sur ce point, Hervé Marchal [dir], Initiations à la sociologie. Questions pour apprendre à devenir sociologue, Dijon, EUD, 2024 (2e édition).
[33] Si l’enregistrement est indispensable en vue de transcrire fidèlement les entretiens pour en produire une analyse pertinente, leur bonne qualité permet aussi au chercheur, après la rencontre directe avec l’interlocuteur, d’ancrer la scène de cette discussion au plus profond de sa mémoire et de pouvoir la revivre lors de la transcription, une fois dégagé de la contrainte de l’interaction (Cf. Matthieu Gateau, La vie pavillonnaire en territoires périurbains, Dijon, Université de Bourgogne, mémoire pour l’habilitation à diriger des recherches, 2024, p. 90).
[34] Le sociologue, qui, ne l’oublions pas est à l’origine de la situation d’entretien, peut « impressionner » les enquêtés (diplômé, universitaire, potentiellement issu d’une élite sociale) et involontairement induire une distance sociale dont il n’est pas toujours aisé de se défaire ni d'en réduire les effets délétères.
[35] Stéphane Beaud et Florence Weber, op. cit., p. 129.
[36] Jean-Claude Kaufmann, op. cit., p.7.
[37] Stéphane Beaud et Florence Weber, op. cit.
[38] Hervé Marchal, « Qu’est-ce que l’identité ? », dans Hervé Marchal, Initiations à la sociologie. Questions pour apprendre à devenir sociologue, Dijon, Editions Universitaires de Dijon, 2021, p. 81-95.
[39] Henri Raymond, Nicole Haumont, Marie-Geneviève Dezès et Antoine Haumont, op. cit..
[40] Alain Blanchet, Anne Gotman, L’enquête et ses méthodes : L’entretien, Paris, Armand Colin, 127 p.
[41] Cf. sur ce point Hervé Marchal, « L’entretien participant : une méthode pour saisir le vécu de l’individu au volant. », Recherche, Transports, Sécurité (numéro spécial "La mobilité en méthodes"), 2019, p. 1-16.
[42] Ibid., p. 7.
[43] Bruno Latour, Nous n’avons jamais été moderne, Paris, La Découverte, 1991.
[44] Charly Dumont et Hervé Marchal, « Pour une socio-anthropologie de l’habitant-habité : la réelle présence du monde matériel », Territoires contemporains [en ligne], 2023, n° 19, disponible sur http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/Espaces-Territoires/C_Dumont_H_Marchal.html
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RÉFÉRENCES Pour citer cet article : Annabelle Mauhar, Matthieu Gateau et Hervé Marchal « Observer et comprendre chez eux les habitants de maisons individuelles : vers des entretiens observants ? », dans Produire, traiter et diffuser les données : les enjeux pour les SHS, Hervé Marchal et Marie Mbome [dir.], Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 28 novembre 2025, n° 22, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html. |
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