10 avril 2015 - Amphithéâtre de la MSH de Dijon - 14 h. - 17 h. (plan d'accès ici)


Séminaire « Patrimoine et anthropologie, quoi de neuf ? Actualité d’un domaine de recherche » :
Que faire du patrimoine culturel immatériel ?
Avec le soutien de la MSH


Organisateur
: Jean-Louis Tornatore (CGC)

 

En 1996, l’historien Jean Chesneaux pointait les limites de l’histoire historienne : à n’être tournée que sur le seul passé et à oublier que celui-ci « n’a de réalité que dans le mouvement du temps », elle risquait de se rendre aveugle au fait même d’habiter le temps. En ce sens, estimait-il, « le passé et l’histoire sont bien trop importants pour être laissés aux seuls historiens ». Cette critique participait chez Chesneaux d’une réflexion sur le droit au temps, sur le déni dont il était l’objet et sur la nécessité de sa reconquête : il invitait à travailler l’épaisseur du présent plutôt qu’à céder aux sirènes d’un « présentéisme » « qui tronçonne le temps en dissociant passé, présent et avenir », de telle manière à faire du temps un lieu fort de notre culture politique. [Lire la suite]

 

  • Aurélie Condevaux (EIREST, Université de Poitiers)
    « Experts » et « communauté » dans la définition du patrimoine culturel immatériel :
    le cas du
    lakalaka tongien


 

La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel Immatériel, adoptée lors de la Conférence générale de l'UNESCO le 17 octobre 2003, opérait une rupture avec la convention de 1972 concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel. La désignation du patrimoine devait en effet désormais relever de l'action et du choix des « communautés » elles-mêmes et ne plus être aux mains d'experts ou d'institutions culturelles. À la lumière du cas du lakalaka tongien, forme de poésie musicale et dansée inscrite sur la liste représentative du PCI en 2008, cette communication examinera dans quelle mesure le processus de candidature et la mise en place du plan de sauvegarde relèvent ou non d'une action participative, en rupture avec la définition du patrimoine par un regard extérieur et « scientifique ». Dans ce cas particulier, la démarche de patrimonialisation a été en grande partie conduite par des « experts », alors que la « communauté » tongienne n'a pas réellement été consultée (Tonga est un archipel indépendant du Pacifique Sud). Les experts dont il est question sont aussi bien des personnes reconnues au sein de la société tongienne pour leur connaissance de la musique, danse et poésie (appelés punake) que des anthropologues. Il s'agira par ce biais de mettre en lumière quelques uns des enjeux politiques de cette patrimonialisation. Cette communication s'appuiera sur des données recueillies au cours d'enquêtes de terrain menées à Tonga entre 2008 et 2013.

Aurélie Condevaux est chargée de cours à l'Université François Rabelais de Tours et à l'Institut Kurt Bösch (Sion), membre de l'EIREST (EA 7337) et associée au CREDO (UMR 7308). Après une thèse de doctorat en anthropologie qui portait sur des « performances touristiques » en Nouvelle-Zélande et à Tonga, elle a débuté dans le cadre d'un post-doctorat (labex CAP/Musée du Quai Branly) et de deux contrats d'ATER une recherche sur la patrimonialisation du lakalaka tongien (forme de discours poétique chanté et dansé).



  • Ellen Hertz (Institut d’ethnologie, Université de Neuchâtel, Suisse)
    Reconnaissance, ambivalence, vengeance : le patrimoine culturel immatériel est une relation. L'expérience suisse


 

Cette communication part d’une enquête ethnographique menée auprès d’une association suisse active dans la promotion de danses et de costumes dits traditionnels d’un canton catholique de la Suisse romande. L’activisme patrimonial de cette association date d’avant l’entrée en force de la Convention de l’UNESCO, et se base sur une entreprise de longue haleine, la folklorisation de la culture paysanne, notamment alpine. L’association, dirigée par un véritable « entrepreneur de morale », a repris à son compte les discours et les représentations des folkloristes « ancienne école », tout en se référant au cadre « participatif », clé de voûte du dispositif de l’UNESCO pour le traitement du PCI.
Il en résulte un mélange bien gênant pour la bureaucratie patrimoniale cantonale et nationale. D’un côté, les associations telles que celles que j’étudie représentent la supposée vitalité de la « société civile », son esprit démocratique « grass roots » ainsi que le principe du respect pour la diversité culturelle, inscrit dans la Constitution suisse. De l’autre, l’élite culturelle plutôt cosmopolite tente de garder une distance hermétique avec cette posture traditionnaliste. Son malaise est d’autant plus palpable que l’UDC, parti politique nationaliste qui jouit d’une popularité importante en Suisse aujourd’hui, manie une rhétorique traditionnaliste proche de celle des associations folkloriques et promeut la vision bucolique d’une Suisse sans étrangers et sans élite, libre de l’influence des « Eurocrates » et de sinistres institutions internationales telle que… l’UNESCO.
Dans cette présentation, j’explore les processus d’inclusion et d’exclusion qui ont marqué la « carrière patrimoniale » de cette association et de sa présidente, qui s’est vue poliment éjectée du cercle des experts en patrimoine immatériel alors qu’elle avait été un acteur-clé pour les premières discussions avec l’UNESCO autour de la ratification de la Convention par la Suisse. Je suggère que ce qui apparaît à première vue comme un problème d’échelle – à quel « niveau » institutionnel agissent les acteurs ? – est sous certains aspects un problème de distinction – de quel « niveau » culturel ces acteurs disposent-ils ? Cette tension nous aide à retracer les enjeux de hiérarchisation, mais aussi de contre-hiérarchisation, à l’œuvre dans le rapport entre PCI et modernité tardive.

Ellen Hertz est professeure d’ethnologie à l’Université de Neuchâtel et dirige depuis 2009 un projet de recherche sur l’implémentation en Suisse de la Convention de l’UNESCO pour la sauvegarde du PCI (http://www2.unine.ch/ethno/page-28437.html). Partant de quelques cas d’étude, qui incluent aussi bien des éléments inscrits sur la liste des « traditions vivantes en Suisse » que ceux qui y sont absents, ce projet interroge les logiques d’inclusion et d’exclusion à l’œuvre dans l’implémentation de la Convention, et poursuit une ethnographie de la bureaucratie patrimoniale en temps réel. Il est accompagné d’une trilogie d’expositions montées avec le Musée d’ethnographie de Neuchâtel portant sur les « Bruits », le « Hors champs » et les « Secrets » (http://www.men.ch/fr/accueil/).

 

 

Entrée libre, sans inscription

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Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
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