Séminaire « Patrimoine et anthropologie, quoi de neuf ? »

 

En un sens, le développement, dans ces mêmes années 1990, d’une ethno-anthropologie du patrimoine était susceptible de répondre en partie à cette exigence : en étendant le patrimoine à l’immatérialité culturelle, le patrimoine ethnologique avait assuré l’entrée des ethnologues dans le champ patrimonial et leur avait permis de porter leur regard sur le travail d’élaboration de la valeur patrimoniale, que ce soit autant pour des êtres du passé – bâtiments, vestiges archéologique, coutumes, etc. – que pour des entités diversement présentes auxquelles des personnes et des collectifs accordent du prix. En somme, non seulement le patrimoine comme ce qui nous vient du passé et est configuré par l’histoire et comme ce qui instaure une présence du passé dans le présent, mais avant tout le patrimoine comme ce qui compte, ce qui réfère et participe à l’actualité des collectifs – en est partie-prenante –, et formate des partenariats singuliers entre humains et non-humains (culture, nature, politique, etc.). S’ouvrait ainsi la possibilité de faire valoir et de saisir la densité du présent non pas réduit à de l’espace mais considéré « dans le temps ».

Significativement, cependant, l’anthropologie était alors confrontée au même problème d’incomplétude que Chesneaux avait relevé à propos du travail des historiens. Tout comme ceux-ci devaient abandonner leur monopole sur le passé, ceux-là voyaient menacé leur monopole sur la culture. Le fait était pointé par Daniel Fabre, dès les années 2000, sous le thème de « l’institution de la culture » : l’ethno-anthropologue n’était plus celui qui découvrait et exposait les cultures des autres, mais devait désormais composer avec les acteurs eux-mêmes, conscients de leur propre culture, l’explicitant et l’exposant. L’anthropologue brésilienne, Manuela Carneiro da Cunha développait une idée proche en mettant en tension culture et « culture » : d’un côté « la toile invisible à laquelle nous sommes suspendus », de l’autre un « métadiscours réflexif sur la culture ». Et précisément, le patrimoine devenait un enjeu fort, et le moyen, de ce phénomène de cristallisation. Est-ce à dire au final qu’avec l’avènement du « temps du patrimoine » (Fabre) la culture serait devenue bien trop importante aux yeux de ses pratiquants pour être laissée aux seuls anthropologues ?

Il n’en demeure pas moins – ou alors est-ce pour cela ? – que l’anthropologie du ou des patrimoines a constitué, depuis une quinzaine d’années, un domaine en plein développement qui a contribué à une certaine dynamisation de l’anthropologie, en même temps qu’il a participé, avec d’autres disciplines, au décloisonnement des études patrimoniales et à une saisie du fait patrimonial contemporain en situations très diverses à la fois dans et hors des institutions du patrimoine – ce qui d’ailleurs ne laisse pas de suggérer que le patrimoine est devenu bien trop important pour être laissé aux seuls conservateurs. En somme, ce séminaire voudrait interroger les apports de l’anthropologie à l’analyse des phénomènes patrimoniaux contemporains : à partir de travaux qui ont approché des phénomènes de patrimonialisation dans des domaines aussi divers que la religion, l’immigration, le monde urbain, l’écologie, le vivant, l’art ou le numérique, il s’agirait de comprendre comment l’anthropologie s’y est construite une légitimité certaine et comment elle a pu se positionner par rapport au double affranchissement, administratif et scientifique, qui caractérise le patrimoine aujourd’hui.

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Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB

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