Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Emile Gallé (1846-1904)

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En 1884, dans une étude vive et spirituelle […], Gallé mettait les verriers en garde contre la tentation de contrefaire les matières précieuses ; il condamnait les pratiques par lesquelles le verre “perd sa transparence et sa lucidité même, c’est-à-dire deux de ses qualités propres les plus merveilleuses”. Pourtant, dès cette époque il était attiré par ces jeux dangereux et, peu à peu, une évolution allait se prononcer où il abandonnerait l’usage du cristal ou du verre transparents, neutres ou faiblement colorés, pour y substituer le goût de matières colorées d’une façon intense, diversifiées dans leur masse, se refusant au passage de la lumière, souvent à peine translucides, parfois presque absolument opaques. En même temps le décor qui, gravé ou émaillé, paraissait plus ou moins surajouté à l’objet, va tendre à s’y incorporer totalement, à faire partie de sa structure. Il use de tous les procédés connus et il les compliques par des raffinements nouveaux, par des manipulations chaque jour plus téméraires : le verre est doublé, triplé, injecté d’oxydes métalliques, des feuilles d’or ou d’argent y sont insinuées, des bulles d’air prises dans la masse obéissent à la volonté de l’artiste, des cabochons sont appliqués, des parties différentes sont soudées. La pièce présentée, plusieurs fois, à l’entrée de l’ouvreau est ramollie par le feu pour se prêter à une imagination qui ne se satisfait point. […] Œuvres uniques, nécessairement, pour lesquelles il n’aurait pas été possible de concevoir un outillage industriel, œuvres d’un établissement onéreux. L’artiste, il est vrai, animé d’un sens social généreux, désireux de voir se répandre la beauté dans tous les milieux, avait entrepris la production en séries de vases à deux couches pour lesquelles il employait la gravure à l’acide […] ; mais ces vases, quel qu’en fût le mérite, ne reflétaient qu’une très faible partie de son art complexe

Léon Rosenthal, La Verrerie française depuis cinquante ans, Paris et Bruxelles, G. Vanoest, coll. « Architecture et arts décoratifs », 1927, pp. 14-16.