code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Expositions, L’Humanité, « Notes d’art », 13 octobre 1916, p. 2.

Chez Chéron (36, rue de la Boétie), des fleurs près d’une fenêtre ou dans un intérieur et quelques paysages révèlent aux amateurs, qui le retiendront, le nom de Raymond Dufrêne. M. Dufrêne expose pour la première fois ; il est venu à la peinture par un entraînement irrésistible et s’est formé presque seul. Son art est franc, sain, vigoureux et frais et, tout en continuant à peindre les fleurs, dont il exprime si bien l’éclat, il rêve d’aborder des sujets où sa sensibilité trouvera plus complètement à se développer.

Je suis retourné à l’exposition des Services photographiques des armées alliées, au musée des Arts décoratifs (107, rue de Rivoli ; gratuit le dimanche ; 30 centimes en semaine, pour les œuvres de guerre). Il y avait foule et c’est justice, car l’exposition offre le plus grand intérêt. Elle réunit sur les événements de la guerre un ensemble de documents de premier ordre dont quelques-uns seulement ont été publiés par les journaux illustrés et n’oublie aucun aspect de la lutte, de la tranchée de première ligne à l’usine où l’on fabrique des munitions. Mais, de plus, au point de vue de l’art photographique et, spécialement encore au point de vue seul de l’art pur, elle mérite d’être examinée. Photographies prises par un avion, en plein vol, comme telle vue stupéfiante des pyramides d’Égypte, panoramas de plusieurs mètres, devant Verdun ou sur les Alpes. Il y a là des réussites vraiment remarquables. Par le choix du motif, la mise en page, la lumière, la couleur et le grain même du papier, ces photographies sont, au premier chef, des œuvres d’art et la personnalité de chaque peuple s’y manifeste. Photographies précises, nettes, presque sèches, piquantes par le sujet ou par le groupement, ce sont nos œuvres françaises. Les Italiens, qui ont fait de très beaux panoramas et des magnifiques effets de neige, désirent le pittoresque et se livrent à de subtiles recherches de teintes. Les Serbes ont un sentiment ample et dramatique. Les Belges excellent à traduire les monuments et le vandalisme allemand leur a fourni le sujet de grandioses et tragiques poèmes. Mes préférences vont aux photographies anglaises. Tandis que partout ailleurs on cherche la précision, les Anglais affectionnent le flou ; ils enveloppent tout d’une brume légère et ils arrivent ainsi, non seulement à une grande richesse de notation, mais à une impression de vérité que l’exactitude implacable ne donne jamais.

Le musée des Arts décoratifs a choisi cette occasion pour rouvrir une partie de ses collections, celles du rez-de-chaussée, les plus intéressantes, en ce moment, puisqu’elles sont consacrées à l’art moderne et en affirment la valeur et la gloire. Dans ces salles, les recherches, discutées naguère, prennent une véritable autorité. C’est là que doivent venir méditer ceux qui, amateurs, artisans, dessinateurs, industriels, s’intéressent à l’avenir de nos industries d’art et qui pensent que la France ne peut ni s’engourdir ni abdiquer.