code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Un lycée de jeunes filles. Le lycée Jules Ferry, L’Humanité, « L’Actualité artistique », 12 septembre 1916, p. 3.

À l’angle du boulevard de Clichy et de la rue de Douai, s’élève un édifice dont l’aspect original et attrayant s’impose au passant : c’est un lycée de jeunes filles, le lycée Jules Ferry. De Baudot, dans le livre que j’analysais récemment, en recommande l’examen et nous ne saurions mieux faire que de suivre ce conseil. Le lycée Jules Ferry, en effet, est une œuvre rationnelle et par là même exemplaire. Son architecte, M. Pierre Paquet, est animé de l’esprit qui dirigeait jadis Train lorsqu’il érigea le Collège Chaptal ; Vaudremer, lorsqu’il fit le lycée Buffon. Comme M. Louis Bonnier, dans son groupe scolaire de Grenelle, il a, avec un esprit libre, appliqué franchement toutes les ressources que lui fournissait son temps, à la réalisation du programme qui lui était proposé. Il n’a pas fait exclusivement appel au ciment armé, puisque tout le rez-de-chaussée de l’édifice est de pierre et de brique, mais il a usé largement  de toutes les facultés que le ciment armé lui donnait. Il ne s’est pas contenté de construire avec logique : il a, dans la conception de l’ensemble, comme dans le soin apporté au détail, fait preuve d’un sentiment et d’un goût délicieux. Aussi, le lycée Jules Ferry est-il tout à la fois un établissement scolaire parfaitement adapté à sa formation, une œuvre de construction remarquable ou, pour tout dire, une véritable œuvre d’art.

*

Arrêtons-nous un instant devant l’entrée. Pourquoi cette façade nous frappe-t-elle ? C’est, d’abord parce qu’étroite, pratiquée dans un pan coupé, elle n’en donne pas moins l’impression d’ampleur. Vous y chercheriez, en vous, colonnes ou pilastres de styles traditionnels. L’acanthe et la volute, l’ove et les rais de cœur, ainsi que tous les autres oripeaux conventionnels ne sont pas, cette fois-ci, sortis du magasin aux accessoires. Vous ne découvrez pas davantage de ces sculptures décoratives qui se plaquent, au hasard, sur tant de palais trop vantés. La façade vaut, par elle-même, par ses dispositions, pour ses proportions. Au rez-de-chaussée, une large baie accueillante, encadrée à sa partie supérieure d’une ornementation très étudiée et très sobre. Au-dessus, trois étages où de grandes ouvertures ont été pratiquées ; un balcon de ferronnerie au troisième et c’est tout. C’est assez pour constituer un ensemble heureux, que la couleur vient animer, car la pierre blanche et les briques roses qui lui succèdent forment une harmonie pénétrante sans brutalité.

Une corniche très simple souligne l’extrémité supérieure des murs. Au-delà, l’œil n’aperçoit pas de toiture ; c’est qu’en effet le ciment armé a permis de supprimer les combles et de couronner l’édifice en terrasse. Pourquoi, en effet, les toits aigus sont-ils de tradition sous nos climats ? C’est que, jusqu’à la période contemporaine, l’architecte ne disposait pas d’éléments capables d’éviter, sur une terrasse, l’infiltration des eaux de pluie. Les charpentes, l’ardoise, la tuile ne se prêtaient qu’à des toits inclinés. Le ciment armé permet de couvrir les édifices d’un bouclier plat, relativement léger et complètement étanche. Dans un lycée, De Baudot en fait la remarque, les combles ne sont jamais utilisés, ou s’ils le sont, c’est pour y loger des domestiques dans des conditions insalubres ou pour y mettre des services forcément mal installés. Donc, M. Lièvre-Paquet a supprimé toute toiture inclinée ou apparente ; son lycée s’arrête au-dessus des murs par une ligne horizontale et cela complète l’originalité de l’aspect.

*

Pénétrons à l’intérieur. Je vous laisse le soin d’admirer les dispositions élégantes ou l’ornementation ingénieuse du vestibule, du hall, du parloir. J’appellerai simplement, en passant, votre attention sur le parti qui a été tiré de la ferronnerie ou de la mosaïque et vous ferai remarquer qu’il n’eût guère été possible de conserver au hall son ampleur sans le diviser par des piliers intermédiaires, si le plafond n’en était en ciment armé.

Suivez-moi dans le cabinet de la directrice. Si vous éprouvez une impression d’harmonie, c’est que tout ici, mobilier, disposition des fils électriques, cadre de la cheminée, aussi bien que la décoration des murailles et la construction de la pièce, est l’œuvre de l’architecte. De là, une unité qui s’impose tout d’abord. À présent, analysez. Le mur est couvert d’un papier peint gaufré auquel succède, à deux mètres environ du plancher, une frise décorée d’un pochoir léger. Au-dessus de cette frise, la muraille continue son ascension, nue, blanche ; elle se relie au plafond sans que rien ne souligne le passage, et cette disposition donne à l’œil un sentiment de légèreté, d’espace libre. Regardez cette bibliothèque en partie ouverte, en partie vitrée, ce meuble bibliothèque à la fois et cartonnier. Les fils électriques, qu’il était nécessaire de faire courir sur le plafond, ont combiné leurs lignes selon un esprit décoratif. Rien n’a paru indifférent. Des dispositions élémentaires, des formes géométriques, combinées avec bonheur, sans rien de rigoureux, donnent du caractère à un ensemble où la fin utile, loin d’être masquée, est le support naturel de l’art.

Vous me direz qu’il est assez ordinaire de voir un architecte donner ses soins aux cabinets directoriaux. Suivez-moi jusqu’au réfectoire. La belle salle, avec ses murailles aux frises sobres et gaies, ses immenses baies par lesquelles pénètrent largement la lumière et l’air ! Le sol revêtu de carreaux de céramique aux couleurs joyeuses ; les tables recouvertes de marbre rouge, les dressoirs, le buffet de bois clair, tout y est accueillant ! Ouvrez ces tiroirs, voyez : les couverts, la vaisselle, les verres et les carafes ont été choisis avec discernement.

Traversons les couloirs : ici, pour protéger un mur contre des frottements incessants, on l’a simplement armé de baguettes demi-cylindriques, et, celles-ci, convenablement espacées, paraissent uniquement disposées pour nous plaire. Les vestiaires, de petits chefs-d’œuvre ! Il fallait que chaque enfant pût accrocher chapeau et manteau, déposer son parapluie, placer des caoutchoucs en hiver et garder quelques livres. L’architecte a tenu compte de tous ces désirs et il a combiné des meubles qui les satisfont tous, qui ne visent qu’à remplir leur fonction modeste et prennent un cachet esthétique de l’évidence de leur utilité.

Voulez-vous parcourir les classes claires et lumineuses, voulez-vous visiter le jardin sur lequel s’ouvrent tant de galeries vitrées, les murailles étant réduites aux indispensables ossatures. Partout, et dans les laboratoires et dans les cuisines et dans les lavabos, vous retrouverez le même souci réalisé avec la même loi féconde.

*

Montons enfin sur ces terrasses que le ciment armé, comme je vous l’ai expliqué, a autorisées. Leur mérite n’est pas uniquement négatif. Elles constituent en plein air, au-dessus des poussières et des relents de la rue, de magnifiques préaux. Des balustrades de fer les entourent et, pour plus de sécurité, des grandes caisses, garnies de plantes vertes, interdisent l’approche des balustrades. Ces plantes vertes on les aperçoit du dehors, on en jouit sur la terrasse, et c’est ainsi que l’utile se joint, d’une façon permanente, au décor. Au milieu d’une terrasse, j’aperçois un élégant motif architectural orné, lui aussi, de plantes, Est-il là, uniquement pour l’œil ? Je m’approche et je découvre qu’il forme coffre pour deux tuyaux de cheminée. Car on se chauffe sous nos climats et l’une des raisons alléguées contre les terrasses a été la laideur des tuyaux de cheminées qui devraient nécessairement y émerger. L’obstacle, on le voit, n’est pas inéluctable. Ai-je besoin d’insister, avec le citoyen Morvan, sur l’avantage qu’il y a, dans une ville où le terrain est cher et la place réservée aux écoles souvent si étroitement mesurée, à pouvoir augmenter ainsi les espaces destinés aux jeunes ?

*

Heureuses les fillettes qui grandissent au lycée Jules Ferry sous la direction bienveillante de Mlle Amieux et de ses collaboratrices. Avec l’instruction et l’éducation que leur dispensent des professeurs d’élite, elles reçoivent, de la maison même qui les abrite, des leçons essentielles. Elles s’habituent à vivre dans un cadre harmonieux. La beauté, sans qu’elles en aient conscience, se fait, pour elles, un besoin impérieux. Devenues femmes, épouses et mères, elles appliqueront, dans leurs demeures, les principes dont elles se seront, à leur insu, imprégnées. Puissent, de toute part, surgir des maisons d’école, des collèges, des lycées, capables de donner un enseignement semblable !

En post-scriptum : « Il y a quelques années, M. Léonce Bénédite avait organisé, au musée du Luxembourg, des expositions temporaires d’œuvres de graveurs modernes, expositions qui eurent un vif succès, qui étaient très utiles pour l’éducation du public et pour le prestige de nos artistes et qui furent interrompues nous ne savons pour quel motif. La réinstallation du Luxembourg permettra, nous l’espérons, de les reprendre. Pour le moment, c’est à la Bibliothèque nationale qu’il est question d’ouvrir une salle, annexe du Cabinet des Estampes, qui serait réservée à des expositions temporaires et sans cesse renouvelées des chefs-d’œuvre des maîtres. L’intention est heureuse et nous formons des vœux pour qu’elle soit, sans retard, réalisée ».