code_galerie Chroniques de l"Humanité, Site Léon Rosenthal

 

 

Léon Rosenthal, militant, critique et historien d'art

Le Salon d’Automne, L’Humanité, « Chronique de l’art social », 25 octobre 1912, p. 2.

Le Salon d’Automne vient d’être l’objet d’attaques aussi violentes qu’inopinées. Dix années d’existence, un succès constant, les services les plus éclatants rendus à la cause de l’art semblaient le garantir contre toute menace lorsque M. Lampué, plus connu jusqu’alors comme conseiller municipal que comme critique d’art, s’est avisé que l’exposition de cette année présentait un véritable danger public et a sommé le gouvernement d’avoir à expulser du Grand Palais un hôte séditieux. Un grand journal du matin, champion autorisé de toutes les grandes causes, a appuyé M. Lampué, et M. Breton (du Cher) a saisi cette occasion de révéler sa compétence esthétique et a menacé le ministère d’une interpellation.

Je m’apprêtais à prendre la défense du Salon d’Automne lorsque j’ai appris que l’orage s’était apaisé. Le sous-secrétaire d’État des Beaux-Arts, insensible à tant d’objurgations, venait, par une visite au Salon menacé, d’affirmer que son existence n’était pas en danger.

Tout est bien qui finit bien. Il n’en reste pas moins que l’odieux de tant de persécutions antérieures dirigées contre les plus nobles artistes, l’impuissance de ces persécutions, n’ont pas découragé nos contemporains. Il existe encore, aujourd’hui comme naguère,  des hommes qui prétendent défendre l’art par des proscriptions. Ils continuent, comme par le passé, à mêler à leur intransigeance esthétique la morale qui y est tout à fait étrangère, et accusent d’immoralité les œuvres qui ne leur plaisent pas. Sans doute intelligents, instruits, mais étrangers évidemment à toute culture artistique, ils ne se croient pas ridicules en prononçant des jugements et des condamnations en un domaine où leur incompétence est notoire. Donc, la période de luttes, que l’on s’imaginerait parfois terminée, est toujours ouverte, et le moment n’est pas encore venu où les artistes novateurs, les champions de l’art libre pourront se passer de défenseurs.

Notre rôle à nous, socialistes, est de les soutenir. Entendons-nous : nous ne sommes pas obligés d’admirer toute œuvre parce qu’elle est étrange, toute théorie parce qu’elle est imprévue. Mais nous devons aider chaque artiste, chaque doctrine à se faire connaître. Nous devons leur assurer une place au grand jour. Nous discuterons ensuite. D’ailleurs, nous devons examiner avec sympathie toute tentative, si choquante, si inintelligible qu’elle nous paraisse au premier abord. La banalité seule se comprend sans effort. Toute innovation nous surprend par quelque côté. Enfin, s’il arrive souvent aux esprits hardis de se tromper, n’est-ce pas le fait ordinaire de tous ceux qui cherchent ? La science progresserait-elle si l’on s’interdisait toute expérience qui n’est pas, à l’avance, assurée de son succès ? Au prix de multiples erreurs, l’art se renouvelle et, dans les erreurs les plus marquées, il y a toujours, pour qui sait la découvrir, une parcelle de vérité.

J’aurais presque honte à répéter ces propositions évidentes si, une fois de plus, nous ne venions d’apprendre que bien des portes sont fermées que l’on croyait largement ouvertes.

Ceci dit, ce dixième Salon d’Automne est absolument remarquable. Il affirme chez les peintres une volonté réfléchie de rénovation. En réaction contre les jeux brillants de l’impressionnisme, ceux-ci désirent maintenant construire de la façon la plus solide, leurs tableaux. De là, de très fortes études de nu, comme la Fortunia de M. Lombard ou les toiles de M. Picart-Ledoux ; de là aussi des compositions très simples et très établies, les Deux amies de M. Blanchet, les paysans de M. Charlot, les scènes de M. Ottmann. Les pires extravagances des cubistes marquent simplement l’exaspération déréglée de ce besoin de définir les volumes. Par ailleurs, quelques artistes, doués de jolis dons, MM. Bonnard, Laprade, Jaulmes, Renaudot ou Chapuis nous livrent de poétiques ou spirituelles fantaisies.

La sculpture présente des pages de tout premier ordre. Des sculpteurs célèbres, M. Bouchard ou M. Troubetzkoi ne craignent pas de se produire dans ce milieu dont s’effarouche M. Lampué. À côté d’eux, quelques chercheurs intrépides constituent un art neuf, large, simple, fait pour les places publiques et le grand jour. Ainsi, M. Marque, auteur d’une remarquable fontaine, ainsi M. Bernard qui oppose aux sarcasmes ineptes le témoignage d’un labeur persévérant et d’un génie riche.

Il suffit que M. Plumet ait exposé un hall circulaire pour que la section d’architecture ait une haute signification. Les principes dont devront s’inspirer les architectes de demain y sont largement pressentis.

Enfin, la section décorative, à elle seule, suffirait à assurer le succès et la gloire de ce Salon. D’incomparables céramiques dues à M. Metthey, de magnifiques objets de métal par M. Dunand, les verres de M. Marinot se disputent l’admiration. Des installations somptueuses nous proposent, pour l’ameublement de nos intérieurs, des dispositions qui, toutes, témoignent du talent le plus ingénieux mais dont les conceptions demandent à être discutées. Tandis que quelques-uns, MM. Süe, Maze, Groult, composent pour des amateurs très riches, de véritables décors de théâtre, d’autres, avec plus de simplicité et un goût plus discret, essayent, tels MM. Dufrène, Follot ou Gallerey, de constituer un style nouveau, rationnel et durable, adapté à nos besoins et capable de se substituer partout aux styles anciens définitivement périmés.

Voilà quelques-uns des motifs d’intérêt que présente ce Salon où l’on prend contact avec de nobles efforts, des tentatives hardies et, parfois aussi, avec de remarquables réalisations.