Focus - mars 2014

Lancement du programme ANR Histinéraires

Projet soumis au programme blanc de l'ANR édition 2013. Porteur : Patrick Garcia, Université de Cergy-Pontoise / IHTP (UPR 301 CNRS).

Partenaires :


Chercheurs du CGC impliqués  : Vincent Chambarlhac, François Jarrige, Hervé Mazurel, Philipe Poirrier et Jean Vigreux

Le projet

Le projet « La fabrique de l’histoire telle qu’elle se raconte », de son acronyme HISTINÉRAIRES, se propose d’étudier les « Mémoires de synthèse des activités scientifiques » des habilitations à diriger des recherches soutenues en histoire depuis le début des années 1990 jusqu’à 2010. Ce corpus inexploité, distinct du « travail inédit » souvent objet de publication et du recueil d’articles, constitue un gisement d’informations sur la communauté historienne contemporaine. Il est susceptible de nourrir une véritable sociologie de la profession et une étude de l’historiographie et de ses évolutions non plus fondée sur les écrits de quelques chefs de file mais ancrée dans la masse des parcours de recherche d’une génération d’historiens.

Il prend acte de la valorisation de la réflexivité au sein de la communauté historienne et s’appuie sur les apports de la sociologie et de l’histoire des sciences.

À partir de ce corpus il s’agira, en premier lieu, de dresser un portrait collectif de la recherche contemporaine en histoire en analysant les itinéraires institutionnels et intellectuels des chercheurs concernés.

Au titre des aspects institutionnels nous collecterons notamment : les parcours universitaires, le temps passé dans l’enseignement secondaire, les lieux de soutenance, l’âge à la soutenance, le genre, la composition du jury, le devenir du candidat…

Au titre de l’itinéraire intellectuel et de façon non limitative : le volume de la production au moment de la soutenance, les références théoriques mobilisées (références aux sciences sociales et à la philosophie notamment), la connexion avec les historiographies étrangères, l’évolution des objets et des démarches de recherche, l’inscription revendiquée dans un « sous-champ » (histoire culturelle, histoire économique, histoire sociale…), l’inscription dans les débats historiographiques contemporains, l’implication dans la vie de la cité (réponses aux « demandes sociales », diffusion des savoirs) …

Ces données feront l’objet d’un traitement quantitatif et cartographique débouchant notamment sur une géographie de la recherche et des réseaux qui la structurent.

En second lieu l’enquête s’intéressera à la façon dont les historiens ont interprété l’exercice de « synthèse des activités scientifiques » certains optant pour un CV étoffé tandis que d’autres y analysent, de façon plus ou moins soutenue, le rapport personnel qu’ils entretiennent à l’histoire qu’il produisent – intégrant, ou non, la problématique auto-réflexive impulsée par les Essais d’ego-histoire rédigés et rassemblés à l’initiative de Pierre Nora. L’enquête permettra donc de dégager l’évolution d’un genre à l’origine peu défini. Comme pour les débats historiographiques ou/et épistémologiques le traitement des informations collectées sera essentiellement qualitatif tout en intégrant les apports de l’analyse de discours.

Ce corpus sera complété par des entretiens oraux avec des tuteurs d’HDR et l’étude de la genèse de cette exigence introduite avec l’arrêté du 5 avril 1988 relatif à l’habilitation à diriger des recherches.

Au total, il s’agira à la fois de dresser la cartographie d’une communauté telle qu’elle n’a jamais entreprise en s’appuyant sur ce qu’en disent ses acteurs soit le projet d’une historiographie « vue d’en bas » pour reprendre un mot d’ordre devenu classique de l’historiographie. De ce point de vue, la subjectivité à l’œuvre dans ces écrits, bien évidemment contrainte par leur caractère institutionnel, loin d’être un handicap permettra d’informer la recherche sur les stratégies institutionnelles et intellectuelles à l’œuvre.

Les objectifs globaux

En admettant que l’histoire s’écrit du présent, selon notamment la proposition de Marc Bloch et de Lucien Febvre reprise par Henri-Irénée Marrou et à leur suite par la plupart des historiens contemporains, les historiens ont quitté leur position de surplomb et tendent désormais à historiser leurs productions et leurs pratiques, démarche qui n’est qu’un aspect d’une réflexivité de plus en plus explicitement assumée en histoire. Pour autant les analyses historiographiques sont encore largement construites à partir des analyses de conjoncture produites par quelques chefs de file. Sans dénier à celles-ci leur intérêt, il s’agit d’engager avec cette enquête une étude qui se fonde sur ce que les acteurs « ordinaires », i.e. les historiens professionnels eux-mêmes, disent de leurs itinéraires et d’autre part de construire des indicateurs propres à nourrir également une sociologie du métier. En d’autres termes, l’ambition du projet HISTINÉRAIRES est de prendre réellement la communauté historienne comme un objet d’étude comme les autres et d’en produire une analyse à partir des pratiques d’acteurs – ici celles d’un exercice académique en partie normé –, démarche qui s’inscrit plus largement dans la volonté de pratiquer une histoire socioculturelle « au ras du sol ».

Dans notre esprit, HISTINÉRAIRES est la première phase d’un programme qui a vocation à se généraliser et nous souhaitons que les instruments de travail, comme la démarche élaborée pour étudier les historiens, puissent servir des enquêtes similaires dans d’autres champs disciplinaires et alimenter des comparaisons internationales.

Enfin, ce projet possède en outre une dimension patrimoniale et proprement archivistique de rassemblement des archives de la recherche qui pourrait se traduire, si les collègues concernés en sont d’accord, par la constitution d’un fonds d’archives « disciplinaire » établi selon des critères et des instruments de recherche que le programme ANR se propose de mettre au point. Ce fonds pourrait être mis en ligne sous la forme d’une collection dévolue aux HDR sur HAL-SHS, enrichie au-delà de 2010 par une pratique de collecte systématique, des Mémoires de synthèse des activités scientifique et, d’autre part, par la constitution d’un fonds d’entretiens sur la façon dont les historiens ont appréhendé cet exercice sur Médihal.

Le programme de travail

Le programme de travail se décompose en quatre grandes phases qui se chevauchent au cours des trois années de l’enquête faisant l’objet d’une demande Le programme de travail se décompose en quatre grandes phases qui se chevauchent au cours des trois années de l’enquête faisant l’objet d’une demande de financement (2014-2016).

La première phase correspond à la collecte des Mémoires de synthèse qui seront numérisés et/ou normalisés sous forme de PDF avec l’accord écrit de leur auteur. Les demandes seront adressées via les associations de spécialistes et individuellement à partir des listes tenues par les écoles doctorales ou les centres de recherche ou bien encore à partir de repérages en bibliothèques. Une demande de consultation dérogatoire des archives du ministère de l’Enseignement Supérieur a été déposée en se fondant sur l’inventaire des fonds (notamment les listes adressées par les sections 21 et 22 du CNU) établi par les archivistes de ce ministère. Nous pensons obtenir, au vu de l’écho très favorable rencontré par le projet, plus de 60 % de réponses positives (plus d’une centaine de HDR étant soutenues en histoire par an). Les Mémoires de synthèse des activités scientifiques collectés feront l’objet d’un contrôle et d’une mise en archive rigoureuse, en particulier pour la validation des formats. Les documents validés seront soumis à un questionnaire élaboré pour la collecte de données quantitatives que qualitatives en vue, notamment, de nourrir des analyses sociologiques et des analyses de discours.

La deuxième phase est la mise au point des outils intellectuels et techniques de l’analyse. L’enquête s’appuiera sur les travaux conduits à la foi sur les évolutions historiographiques, sur l’analyse d’un milieu scientifique et sur l’écriture de soi. Le séminaire de recherche du projet HISTINÉRAIRES, le carnet de recherche ouvert sur Hypothèses.org (CRHEH) et les bilans d’étape en seront les principaux laboratoires. Par ailleurs, les échanges autour de la base de données et de la finalisation du questionnaire tendront à doter le groupe – interdisciplinaire – des instruments collaboratifs nécessaires à l’enquête, à sa pérennisation ainsi qu’aux transferts éventuels vers d’autres disciplines.

La troisième phase – l’analyse des données – commencera sans attendre le rassemblement de l’ensemble du corpus notamment pour caler et tester le questionnaire. Le dispositif employé permettra la mise à disposition immédiate des données au fur et à mesure de leur collecte. Elle sera animée par 4 groupes assurant chacun une partie du questionnement – le premier étant transversal – (Modalités de l’écriture de soi ; Sociologie de la profession ; Histoire et sciences sociales ; Permanences et ruptures historiographiques) et rythmée par les débats des réunions d’étape et les échanges organisés dans le cadre du Carnet. Un cinquième groupe aura en charge la collecte d’entretiens audio ou/et audio-visuels avec des chercheurs ayant soutenu leur habilitation ou des tuteurs d’HDR conçus comme autant de retours sur expérience.

La quatrième phase concernera la diffusion des résultats et des enseignements de l’enquête et la pérennisation de sa problématique. Dans cette optique une collaboration a été établie dès l’origine du projet avec La fabrique de l’histoire (France-culture) et un projet de document audio-visuel est à l’étude. Outre le carnet de recherche et des publications, des interventions sont prévues dans les colloques rassemblant les historiens français ou étrangers.

Le lancement officiel de ce projet ANR a eu lieu le 1er février 2014.

En savoir plus sur Histinéraires

(Source : CRHEH)


La lettre du Centre Georges Chevrier n° 23 - février 2014

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