Le Bartole révélé...
Les Omnia quae extant opera (Lyon, J. Sacon, 1518), qui regroupent l’essentiel de l’œuvre de Bartole (1313 ou 1314-1357), permettent de saisir la pensée de l’instigateur d’une nouvelle école en Italie : celle des post-glossateurs ou commentateurs. À l’instar des juristes orléanais, dont il a subi l’influence par l’intermédiaire de son maître Cynus de Pistoïe, Bartole s’inspire, dans ses œuvres, des méthodes scolastiques. Il ne suit pas le texte du Digeste de façon littérale, à la différence de ses prédécesseurs : les glossateurs. Il regroupe en effet ses réflexions autour de grandes thématiques. À l’intérieur de chaque thème, il pose une question, laquelle relève du cas réel ou de l’hypothèse d’école. Il la résout en monopolisant, outre les juristes romains, des arguments tirés du droit canonique, de la justice ou de l’équité. La solution, qui prend la forme d’une réponse, met en évidence la volonté, chère à Bartole, d’adapter le droit romain à la société dont il est le contemporain. Il l’enrichit pour satisfaire aux besoins de la pratique ; démarche présente par exemple lorsqu’il aborde les questions monétaires. Cette adaptation vaudra à Bartole les critiques, au XVIe siècle, des représentants de l’humanisme juridique car elle oblige à s’éloigner du texte originel. Malgré ces attaques, les civilistes font souvent référence à ses œuvres jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Aujourd’hui encore, la lecture de celles-ci est ou devrait être une source d’inspiration pour tous les juristes qui sont favorables à la construction d’un jus commune européen.
La série d'ouvrages que possède la bibliothèque du Centre Georges Chevrier nécessitait une restauration. Cette opération a été confiée à Véronique Drigny, gérante de la maison Vercey. Sylvia Granoulhac, documentaliste du CGC, l'a rencontrée pour nous faire partager leur passion commune :
Sylvia Granoulhac : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la maison Vercey à qui a été confiée la restauration de neuf volumes d’une œuvre du XVIe siècle ?
Véronique Drigny : C’est une maison familiale. L'atelier dans lequel nous travaillons est un atelier que mon père a repris en 1966 après un CAP de relieur et des études aux Beaux-Arts de Dijon. Habilité par l'Éducation Nationale, il a formé des apprentis. Après trois ans d'études à l'Université, j'ai choisi, par amour du livre, d'apprendre la reliure, la dorure et la restauration. J'ai été formée par mon père et son personnel. Je travaille dans cette maison depuis 1983 et en assume la gérance depuis 19 ans. J'adorais venir regarder travailler mon père, surtout lorsqu'il réalisait des dorures, il avait des traces d'or sur le front.
Si vous parlez de restauration et de reliure c’est qu’en fait vous cumulez les deux métiers ?
Les deux techniques sont complémentaires, l'une ne va pas sans l'autre, il faut parfaitement maîtriser les phases de la reliure classique avant de passer à la restauration. Nous avons toujours conjugué trois activités dans cet atelier : la restauration, la reliure, la dorure. Ce type d'atelier multifonctions est de moins en moins fréquent. Nous ne sommes plus que deux, mais lorsque mon père a commencé il y avait onze personnes !
Nous devons conserver au maximum la structure et la composition de l'ouvrage d'origine pour la restauration. Il faut donc bien analyser le façonnage de l'ouvrage avant d'intervenir, contrairement à la reliure traditionnelle où nous avons toute liberté quant à la technique et aux matériaux employés.
Est-il possible d’estimer le temps de d'une restauration ?
Il est très difficile d’estimer le temps. On essaye au mieux. Mais parfois il y a des surprises dans le mauvais sens. On a par exemple l’impression que le livre se tient bien, puis on s’aperçoit que le fil est cassé ou qu'il y a des manques. Cela fait partie des surprises de la restauration.
Faut-il connaître des techniques du XVIe siècle ?
Comme tous les arts, la reliure a évolué en fonction des époques. Au XVIe siècle la couture que l'on retrouve sur les œuvres de Bartole était la plus commune. C'est une couture dite à chevron sur bandelette de peau fendue et roulée qui lui donne un aspect de double nerf. Là on voit bien la lanière fendue. Ces lanières sont en cuir.
Sur cet ouvrage, on voit le nerf subsistant, cassant et fragile (les petits bouts qui dépassent). Nous allons passer de la ficelle de chanvre à l'intérieur pour remplacer le cuir défectueux.
Quelle est la première étape de la restauration ?
La première étape consiste à faire un état des lieux du livre. Dans ce cas précis, il s’agissait d'une reliure plein cuir, c’était de la peau de basane (mouton) retournée dont il restait très peu de fragments, ce qui laissait une grande partie des cartons apparents et en mauvais état.
Le travail commence par un nettoyage et un dépoussiérage. L’ancienne peau est décollée pour dégager les cartons. On aspire l’intérieur de l’ouvrage avec un petit aspirateur dont on peut régler la puissance, avec de petites brosses, permettant de filtrer l'air et d’éviter que de petites poussières se redéposent.
On aspire page par page, on en profite pour vérifier l'état des fils de couture, les lacunes des pages du livre (trous, déchirures…) On les repère et on met des sortes de marque-pages afin de les restaurer ; ici le milieu de cahier est repéré de façon à reprendre une tranchefile à refaire, cela permet de gagner du temps par la suite.
Par ailleurs, on enduit légèrement le dos avec de la colle de pâte pour le renforcer, ce qui facilite ensuite le travail.
Dans le cas des œuvres de Bartole les cartons étaient très abîmés, c’est ce qu’on appelle les « plats ». Mais on va les conserver. Ces cartons d’origine sont faits de superpositions de feuilles fabriquées avec des chiffons, on en retrouve d'ailleurs des fragments.
Nous verrons par la suite comment restaurer ces plats en décollant ces couches avec un couteau à bout rond ou une pointe à débrocher.
Il y avait des feuilles de garde collées sur ce plat qui ont été décollées de façon à pouvoir restaurer les cartons.
Ici suite à l'humidité, il y avait des endroits où les gardes n'étaient plus du tout collées au plat. Le papier était plus ou moins déchiré. Une fois ce papier enlevé les plats et les pages de gardes peuvent être restaurés.
Comment procède-t-on pour restaurer ce type de papier ?
On peut utiliser du papier japon : un papier avec une fibre un peu blanche.
Ici c’est du papier Verger d’Arches. Il existe le Verger d’Arches, tout comme le Vélin d’Arches, c’est du papier 100% coton, neutre, destiné à la restauration. On utilise un papier dont la teinte se rapproche le plus possible de celle d'origine.
En décollant les gardes contrecollées sur les plats, on retrouve les onglets en parchemin que l'on discernait dès le début de la restauration. Ces onglets en parchemin permettaient de renforcer la garde et consolidaient la charnière. Le parchemin a été récupéré sur un ancien ouvrage. On retrouve ainsi des parties d'ouvrages rares (que l'on prend soin de conserver). (antiphonaire ou autre).
La restauration des papiers terminée, on se préoccupe des gardes. Au XVIe on avait uniquement du papier blanc. Le papier qu’on utilise ici pour les gardes à restaurer vient d’Arches, un village dans les Vosges. C'est du papier à la forme qui est utilisé pour renforcer les cartons.
La pâte à papier que nous fabriquons sert à combler les déchirures et les trous. Ici c’est une feuille de Vélin d’Arches, déchirée en mille morceaux, qui a été trempée pour la ramollir puis passée au mixeur et enfin mélangée à de la colle de pâte. On fabrique une sorte de « papier mâché ». Dans les volumes les fentes au niveau des cartons et les lacunes ont été comblées avec cette pâte.
Ensuite le tout ira en presse entre des feuilles de papier paraffiné, le carton va se rigidifier et se consolider en séchant.
Pour toute la restauration on utilise de la colle de pâte ou colle d’amidon. Il s’agit d’une colle neutre et réversible.
Dans ce travail particulier, est-ce que vous vous efforcez de rendre invisibles les traces de restauration ?
En fait il y a deux écoles sur cette question : il y a la restauration qui doit se voir et la restauration qui ne doit pas se voir ! Il paraît que cela dépend des conservateurs, des personnes. C'est une question qui se pose dès que l'on parle de restauration.
Après cette étape de restauration des cartons, que fait-on ?
L'étape suivante concerne la couture. Parfois les coutures sont très belles, les nerfs ne sont pas à retoucher. À l’époque de l'édition de ces volumes les coutures étaient des coutures sur nerfs fendus. Cela s’appelle des nerfs parce que les premières reliures étaient cousues avec des nerfs de bœufs que l'on passait dans des ais en bois remplacés ensuite par les cartons.
Pourriez-vous nous dire quelques mots sur le lin et le chanvre ?
Le fil de couture est en lin. La ficelle, qui sert à lier les cartons au corps d’ouvrage est, elle, en chanvre. Elle va remplacer dans le cas des œuvres de Bartole, les « nerfs » de cuir cassés.
On va percer très délicatement un trou avec une alêne, afin de passer la ficelle de chanvre préalablement épointée en utilisant une plaque de zinc et un grattoir pour former avec l'aide de la colle une sorte d'aiguille qui, une fois durcie, sera insérée et tirée à travers le trou.
Tirer la ficelle est une opération délicate car il ne faut pas abîmer le nerf. La ficelle est ensuite étalée sur le dos avec de la colle de pâte.
Avec le reste de la ficelle on va reproduire l’opération pour la passer dans les cartons. La pointe est coupée et la ficelle est étalée en éventail sur les cartons de la même façon que sur le dos.
Dans cette reprise des coutures et des nerfs, comment restaurez-vous les tranchefiles qui peuvent d’ailleurs être absentes sur certains volumes ?
À l'origine, la tranchefile servait à consolider le livre. C'était un morceau de cuir cousu sur un bâti. Les tranchefiles qui devaient servir à consolider sont devenues ornementales avec la généralisation de l'imprimerie.
Dans le cas des œuvres de Bartole c'est une tranchefile très simple réalisée avec le fil de couture, qui a disparu et doit donc être refaite.
Pour cela on recherche le milieu des cahiers qui compose l'ouvrage et on pique à travers le point de chaînette pour réaliser le bâti sur lequel on réalisera la tranchefile avec du septain (ficelle à 7 brins).
L'étape suivante concerne la restauration des cartons : comme nous l'avons vu, les cartons sont faits de superpositions de feuilles. À l'aide d'un couteau, les différentes couches de feuilles sont écartées et renforcées en insérant des bandes de vélin d'Arches encollées à la colle de pâte. Une fois que tout est consolidé et passé en presse, on recolle une feuille de Vélin d’Arches de chaque côté du plat, puis de nouveau, passage en presse. Et les cartons sont prêts.
Les bandes de parchemins, après un nettoyage pour supprimer l'excès de colle, sont remis en forme après passage en presse puis recollées à l'identique sur les pages de gardes.
Après avoir percé les cartons, les ficelles sont passées et collées sur le plat intérieur.
On renforce alors le dos avec des claies en parchemin fin aux extrémités, en tête et en queue. Les coins des plats ont été également renforcés avec du parchemin.
Une fois la plaçure des cartons faite, on reprend le déroulement normal d'une reliure à la différence que la couvrure est faite directement sur le dos du livre.
Quel que soit le type de reliure, le cuir est préparé de la même façon. Il est nécessaire d'amincir le cuir au niveau de la partie qui va être rembordée et au niveau des mors. Cela s'appelle la parure. Elle est réalisée avec un couteau à parer avec une plaque de marbre. Les nerfs sont ensuite cernés à l'aide d'une pince à nerfs.
On pose également des coins en parchemin comme renforts supplémentaires.
Sur les différents volumes, trouvez-vous des détériorations différentes ?
Oui, chaque livre à ses propres détériorations, sur les œuvres de Bartole la couvrure a disparu, sur d'autres volumes la peau quasiment intacte sera repositionnée sur l'ouvrage restauré. Parfois il est nécessaire de recoudre entièrement le livre à l'identique.
A l’origine, quelle matière était utilisée pour recouvrir ces volumes ?
Les œuvres de Bartole étaient couvertes de peau de mouton côté fleur de la peau. Mais à l'époque, on utilisait la peau qu'on avait sous la main (daim, veau, basane...).
Au XVIe siècle les livres étaient rangés à plat et les décors simples ou inexistants.
Lorsque les ouvrages étaient titrés, ils ne comprenaient souvent qu'une partie du titre composé lettre à lettre.
Les volumes à restaurer n'étaient pas titrés. Pour cette restauration, la volonté a été de consolider et de conserver les ouvrages qui se détérioraient, il a donc été choisi une reliure en ½ veau qui garantissait l'esthétique et la solidité tout en ayant un coût raisonnable pour ces neuf volumes. Nous avons choisi en complément un papier fait main, granité, de la couleur de la peau pour couvrir le reste des plats.
Sur le dos de l’ouvrage on peut choisir de faire un titre avec des lettres dorées ou sans dorure ?
Au début du XVIe il y a eu des décors, mais pas systématiquement. On trouve beaucoup de décors à froid (à la plaque) sur les plats en cuir. Il s’agissait plutôt de reliures assez simples.
Pouvez-vous nous parler de la composition des titres ?
Pour les lettres, elles sont rangées dans des casiers. C’est du bronze comme les fleurons. On a toutes les tailles de caractères. On utilise un composeur que l'on appelle également une main, pour composer le titre. Par exemple j’ai composé… Bartole… puis Opera (qui veut dire œuvre).
Pour titrer un volume il faut d’abord passer un adhésif. C’est du blanc d’œuf chimique. On passe deux à trois couches d'adhésif sur la peau du dos du livre. Une fois le blanc d’œuf bien sec, on peut coucher l'or après avoir passé un tampon
d'huile d'amande douce sur le cuir. À l'aide d'un coton, on applique l'or sur le dos. Nous faisons chauffer le fer et lorsqu'il est à bonne température, nous l'appliquons à main levée sur le dos. L'adhésif fond et l'or s'incruste dans la peau.
Pour conclure, après ce rapide survol de la restauration de ces volumes, qelles sont les qualités nécessaires pour être un bon relieur ?
Il faut beaucoup de patience, être adroit, méticuleux. Il ne faut surtout pas essayer de brûler des étapes. Dans n’importe quel domaine, que ce soit la dorure, la reliure ou la restauration, si l'on brûle une étape cela peut entièrement gâcher le travail.
Comment définiriez-vous votre métier d'artisan ?
Chez Vercey, on sait faire beaucoup de choses, et nous nous sommes diversifiés avec le temps. On fait par exemple des cartonniers, des dessus de bureau, des étuis ou des boîtes pour des livres, diverses choses… L'intérêt c'est que ce n'est jamais monotone. On peut même faire de la création, on peut faire des livres-objets. De temps en temps on me demande un beau décor original. Je vais d'ailleurs participer aux journées européennes des métiers d'art et j'ouvre mon atelier à cette occasion.
La lettre du Centre Georges Chevrier n° 13 - février 2013
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