Historiographie et archivistique

 

Les enjeux de la politique des archives en France


« Les archives sont l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale, et par tout service ou organisme public ou privé, dans l’exercice de leur activité. La conservation de ces documents est organisée dans l’intérêt public tant pour les besoins de la gestion et de la justification des droits des personnes physiques ou morales, publiques ou privées, que pour la documentation historique de la recherche. » La loi française sur les archives du 3 janvier 1979, qui définit ainsi son objet dans son titre Ier (« Dispositions générales »), en donne une extension très large, au contraire de la tradition anglo-saxonne qui distingue des « archives courantes » (ou records) utiles au droit des personnes et au fonctionnement des institutions, et des « archives historiques » (ou archives) seulement conservées en vue de la recherche. L’archivistique française ne retient cette distinction qu’au niveau des usages des archives, pas dans leur constitution même. Les dispositions législatives qui s'appliquent aux archives constituent désormais le livre II du code du patrimoine, promulgué en 2004 et modifié par la récente loi sur les archives du 15 juillet 2008. Elles reprennent également des dispositions du code général des collectivités territoriales et du code de commerce relatives à certains types d'archives.

Cette loi nouvelle sur les archives modifie les délais de communicabilité des documents. Elle constitue un relatif progrès eu égard à la situation antérieure, mais la discussion du projet a bien failli entraîner au contraire une sérieuse régression. Et il n’en demeure pas moins que l’ensemble du dispositif juridique est frappé d’obsolescence. La loi du 3 janvier 1979, même modifiée par celle du 15 juillet 2008, n’est plus adaptée à la situation actuelle des archives, aux missions et rôles qui lui sont reconnus, et à la complexité des législations relatives à la société de l’information. Aucun des projets de loi développés depuis 1996  [1] n’est allé jusqu’à son aboutissement logique, en dépit de nombreuses garanties tant administratives, au niveau de la direction des Archives de France, que politiques, au niveau du Premier ministre. La France ne peut éternellement faire l’économie d’une nouvelle loi sur les archives, conformément à l’esprit de la constitution. Guy Braibant, dans son rapport remarqué sur les archives en France remis au Premier ministre en 1996, soulignait que la loi de 1979 s’était fondée sur l’article 34 de la Constitution, qui réserve à la loi le pouvoir de fixer « les droits civiques et les garanties fondamentales accordées au citoyen pour l’exercice des libertés publiques ». Les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 avaient pour leur part anticipé la dimension fondamentale des archives : « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » (art. 15).Plus immédiate était l’ambition de coordonner toute une législation éclatée entre l’actuelle loi de 1979 et les lois des 6 janvier 1978 (« Informatique et libertés »), 17 juillet 1978 (« accès aux documents administratifs ») et 12 avril 2000 (« droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration »). Ce devoir était également impératif pour restituer la valeur de la loi, celle des archives étant régulièrement bafouée, notamment avec les phénomènes fréquents d’aliénation ou de destruction d’archives publiques par leurs producteurs, mais aussi aux pratiques des institutions publiques elles-mêmes qui ne respectent pas la loi en ne versant pas leurs archives à l’institution chargée de les recueillir, des les classer, de les conserver et de les communiquer. Une loi ambitieuse en matière d’archives donnerait aux institutions et aux personnels chargés de conserver la mémoire nationale les moyens matériels et symboliques d’une telle tâche.

Les moyens manquent aussi pour le réseau des archives publiques. Moyens administratifs d’abord, avec une réforme des Archives de France qui disparaissent en tant que direction du ministère de la Culture au profit d’un « Service interministériel des Archives de France » dépendant cette fois d’une direction des Patrimoines. Relevant toujours du ministère de la Culture et de la Communication, cette nouvelle direction a été créée par le décret du 11 novembre 2009, dans le cadre des bouleversements induits pas la « révision générale des politiques publiques » lancée en 2007. Elle est devenue effective depuis le 13 janvier 2010 et elle a pour premier titulaire Philippe Bélaval. L’expérience et les qualités de ce conseiller d’Etat et ancien directeur des Archives de France (de 1998 à 2000) constituent des garanties pour le respect des missions régaliennes autant que scientifiques des institutions publiques d’archives. Il n’en demeure pas moins, comme pour la dimension juridique, que le volet administratif reste très inférieur aux ambitions nécessaires. En dépit des discours souvent iréniques des responsables officiels, la disparition de la direction des Archives de France au profit d’un Service – qui n’est interministériel qu’en vertu du caractère interministériel du ministère de la Culture – représente une régression des moyens de l’Etat, c’est-à-dire de la collectivité, et un recul de la notion « des droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » – dont seule une institution puissante et dotée d’indépendance peut assurer la protection. Les politiques d’archives ne questionnent pas seulement la puissance publique, le regard de l’Etat sur son passé ou la place du citoyen dans l’économie des pouvoirs. Elles conditionnent aussi la recherche en histoire et en sciences sociales de même que la satisfaction des intérêts de la société pour sa mémoire et son histoire. La question des archives doit être appréciée à l’aune des enjeux d’une politique scientifique qui fait elle-aussi défaut même si les professionnels des archives intègrent de plus en plus ces dimensions de la recherche. Celles-ci leur sont souvent un levier pour défendre leur métier, leur identité, leurs missions, mis à mal par les objectifs comptables et la réduction du périmètre de l’Etat central.

 

L’affirmation d’un objet « archives »

Pour les chercheurs, les archives existent traditionnellement en tant que sources nécessaires à la recherche, sur lesquelles reposent la majorité des travaux, d’histoire notamment. Cette fonction de « documentation historique », ainsi que le rappelle la loi, détermine aujourd’hui la volonté d’organiser la collecte des archives, leur conservation et leur communication, des pratiques définies selon les réglementations nationales et les normes de l’archivistique. Cette dernière, dite « science des archives » s’est constituée dès la naissance des institutions qui leur ont été dédiées à la fin du Moyen Âge, en relation avec la construction de l’État, et elle a connu un fort développement dès le XVIIe siècle. Elle a pris place parmi les sciences auxiliaires de l’histoire lorsque celle-ci s’est professionnalisée dans la seconde moitié du XIXe siècle. La dimension technique de l’archivistique a eu pour conséquence de limiter l’approche du document à son unique fonction de documentation pour les historiens. Les archives, l’archive, ne pouvaient exister à elles seules. Ce schéma plus que séculaire a cédé depuis plus de dix ans, pour laisser place à la naissance d’un véritable objet archives pour la recherche.

 

Le « moment archives » des chercheurs

Au début des années 1990, des interrogations convergentes de chercheurs ont transformé ce qui n’était qu’un matériau pour la recherche ou une donnée de l’archivistique en une véritable question scientifique. Les archives ont été pensées pour elles-mêmes, à travers les processus de toute nature qui les ont constituées et dans leur pouvoir de révéler aussi bien les institutions (ou les acteurs) qui les ont produites que les savoirs qui les exploitent. L’idée d’un « rapport à l’archive » a conduit vers l’étude des savoirs scientifiques et des identités sociales.

Cette prise de conscience a succédé à une longue période de désintérêt des historiens, ou plutôt d’une certaine catégorie d’historiens, les contemporanéistes, souvent dominés dans leur rapport aux archives par une forme de néo-positivisme – les archives disent obligatoirement le vrai – ou même d’ignorance de ces processus constitutifs. Les médiévistes et les modernistes avaient, par contraste, davantage travaillé ce « rapport à l’archive ». C’est du reste de ce monde des chercheurs habitués à travailler avec les archives qu’est venue en 1989 l’amorce d’une réflexion originale sur « le goût de l’archive » avec l’essai d’Arlette Farge du même nom  [2] . Aujourd’hui, l’initiative semble mieux appartenir aux historiens contemporanéistes  [3] . Leurs interventions relancent même la réflexion des modernistes et des médiévistes sur le sujet. On peut voir un indice de cette interaction dans le projet même de la revue Histoire et archives longtemps animée par l’historienne moderniste Françoise Hildesheimer, ou bien dans un numéro de 2004 de la Revue de synthèse consacré à la « Fabrique des archives, fabrique de l’histoire ». Mais l’apport essentiel est sans conteste l’association des historiens avec d’autres chercheurs en sciences sociales et humaines, des archéologues, des anthropologues, des juristes, des philosophes.

Cet âge présent de l’expérience des archives a été précédé de celui, précédemment évoqué, du « goût de l’archive ». Mais cette relation quasi enchantée avec le document s’est souvent heurtée à la réalité du terrain qui a rendu beaucoup plus difficile la perpétuation de ce désir. En effet, les archives sont devenues des espaces de conflit, leur accès étant parfois très difficile pour les chercheurs. Il s’agit par exemple des archives dites « sensibles » relevant des pouvoirs régaliens ou concernant des pages noires des histoires nationales. L’occultation des documents, leur disparition volontaire ou non, les contraintes opposées à la communication ont remis en cause l’évidence d’une relation entre chercheur et archives. Mais l’espace du conflit a renforcé l’intérêt pour les archives et pour la connaissance émanant de leur propre histoire.

Le rapport à l’archive est donc devenu plus difficile, mais plus profond aussi. Il a fait place à une multiplicité de liens, d’approches qui traduisent cette « mobilisation des historiens ». Pour apprécier l’importance et la valeur de ce nouvel âge du rapport avec les archives, il convient, dans un premier temps, de distinguer entre elles toutes ces expériences d’archives afin d’en dégager ensuite quelques-uns des apports les plus décisifs. Ainsi les archives sont-elles en passe d’acquérir un nouveau statut : au-delà de leur utilité comme sources pour la recherche en sciences sociales et humaines, elles se constituent elles-mêmes comme objet de connaissance et question scientifique en définissant une interrogation sur les processus de mémoire et de conservation des sociétés. Parce qu’elles témoignent de la construction du pouvoir, les archives deviennent même un pouvoir. Aux historiens, particulièrement, de le révéler.

 

Les formes de l’expérience

Les réflexions actuelles sur les archives peuvent se rattacher à cinq grands types d’expériences. Politiques, professionnelles, disciplinaires, scientifiques, épistémologiques.

Les expériences politiques sont celles qui relèvent de l’étude de la politique des archives. Elles ne sont pas politiques dans le sens idéologique, mais politiques parce qu’elles interviennent sur le terrain des politiques publiques et qu’elles relèvent de l’histoire politique. Ce sont des textes ou des initiatives d’historiens sur la situation des Archives nationales en France, sur l’évolution du réseau national, sur l’état de la législation, sur des abcès de fixation – découverte des fichiers juifs datant de la Seconde Guerre mondiale  [4] , difficulté d’accès aux archives des manifestations du 17 octobre 1961 à Paris et de Charonne  [5] –, etc. De telles expériences impliquent quoiqu’il arrive de posséder une solide connaissance en histoire de l’État et en histoire du droit. Par l’étude des politiques d’archives, on atteint souvent à une véritable connaissance des États ou des institutions. Ou bien l’on se donne les moyens d’interroger les formes politiques les plus complexes, ainsi la République en France  [6] .

Les expériences professionnelles concernent quant à elles la confrontation des chercheurs avec le document et toutes les questions que pose son exploitation en histoire et en sciences sociales. Cette dimension a souvent caractérisé le travail des médiévistes et des modernistes, à l’image de ce qu’en a écrit Marc Bloc dans Apologie pour l’histoire  [7] . Elle a longtemps relevé d’un genre, celui des archives comme « science auxiliaire de l’histoire ». Mais l’idée que les archives relèvent d’un ensemble de processus qui doivent être étudiés pour comprendre et exploiter le document a amplifié ce champ des expériences professionnelles  [8] . La formation des jeunes chercheurs s’en est ressentie de manière positive puisque les universités proposent désormais de fréquents séminaires de formation à la recherche en archives.

Les expériences disciplinaires renvoient à tous les travaux individuels et collectifs qui réfléchissent à une thématique de recherche ou à une question particulière en empruntant la voie de l’étude des archives qui s’y rapportent. De nombreuses rencontres et tables rondes permettent ainsi d’avancer dans la connaissance d’une question et d’élargir ainsi le champ de la recherche par une bien meilleure appréhension de ses matériaux. Il s’agit même parfois de revenir vers un type de savoir historien pour l’appréhender à travers les sources qu’il se donne  [9] .

Les expériences scientifiques portent sur les archives considérées, non comme une source pour la recherche, mais comme un objet d’étude au point même d’aller jusqu'à l’analyse de ce que nous décrivons ici. Le nouvel âge historien des archives est un sujet d’histoire en soi. La question des archives, le passé des archives, les lieux d’archives, les usages des archives, la science des archives ou archivistique peuvent mobiliser la recherche et le font désormais. Ces sujets d’étude, l’historien ne peut les appréhender ni même parfois les concevoir seul. C’est le rapprochement avec d’autres sciences sociales, l’anthropologie, l’ethnologie, la sémiologie, les cultural studies qui a permis d’étudier les archives et de leur donner un statut scientifique à part entière. Les travaux dirigés par Philippe Artières, par Marie Cornu, par Nathalie Léger constituent de belles illustrations de l’avènement de l’« objet archives »  [10] .

Les expériences épistémologiques se fondent enfin sur l’hypothèse que l’étude des archives et du rapport des historiens avec elles décrit profondément le temps historique ou l’écriture de la recherche, comme le soutiennent des historiens tels François Hartog  [11] ou Bertrand Müller  [12] . L’apport des philosophes dans ce dernier type d’expérience est réel, à l’image d’un Paul Ricœur réfléchissant au rapport de l’histoire et de la mémoire  [13] . Les archives apparaissent ainsi comme une question commune à toutes les sciences sociales, susceptible donc de recevoir des réponses croisées, mais aussi, et surtout, de constituer un terrain unique d’interrogation pour les sciences sociales et de favoriser l’émergence de nouvelles configurations au sein des communautés savantes.

Ainsi les archives sont-elles passées d’un statut technique de « science auxiliaire » pour les historiens et les chercheurs à celui, bien plus ambitieux, d’objet de connaissance réfléchissant les processus de savoir, les logiques institutionnelles, les identités sociales. Le « moment archives » contribue ainsi à rendre plus accessibles des questions essentielles à la recherche.

Le sens des pratiques

S’il était nécessaire d’établir une typologie pour se repérer dans les nombreuses figures de ce rapport chercheurs et archives, il n’est pas dans notre intention de durcir abusivement les catégories. Des points communs et des enseignements généraux peuvent aussi être aisément dégagés.

Il y a d’abord le constat qu’à la base de ces expériences il y a souvent une pratique concrète d’archives, un choix de chercheurs sur des fonds particuliers ou bien une contrainte qui s’est transformée en une avancée. C’est le cas des archives littéraires, des archives orales, ou des archives de la répression. En valorisant des fonds d’écrivains comme à l’Institut Mémoire de l’édition contemporaine (IMEC) créé précisément pour cette mission  [14] , en recueillant la parole des contemporains grâce à l’histoire orale  [15] , en s’impliquant dans la recherche des archives de la spoliation en France ou dans l’ouverture des archives à l’Est après 1991  [16] , les historiens se sont faits archivistes. Ils ont dû affronter des questions clairement archivistiques et leur apporter des réponses aussi bien techniques qu’intellectuelles. La place des historiens dans le monde des archives et la pensée archivistique est désormais bien plus forte, comme le montrent l’enquête de la Maison des sciences de l’homme de Dijon sur les archives des sciences sociales et humaines, le séminaire « archives et sciences sociales » qui a fonctionné à l’École des hautes études en sciences sociales de 2001 à 2005, ou bien en 2006 le programme d’étude « Catalogues et inventaires dans la transmission de l’histoire » associant archivistes, bibliothécaires et historiens à la Maison des sciences de l’homme de Paris. Ces différentes initiatives ont eu une double conséquence, celle d’une part de mieux comprendre la place des archives dans l’écriture de la recherche, celle de l’autre d’inciter les institutions et leurs membres à se préoccuper du destin matériel des archives produites. Les archives ainsi retravaillées par les historiens accèdent à un statut qui pourrait s’apparenter à celui de « patrimoine scientifique ».

Il y a ensuite la conviction que chacune des expériences décrites précédemment ne se referme pas sur elle-même et qu’elle appelle au contraire un travail réflexif sur les méthodes et les résultats. En tout état de cause les historiens doivent développer pour les archives autant d’exigence critique que s’ils analysaient l’historiographie. C’est en ce sens qu’on peut lire la critique de Philippe Grand relative à la commission René Rémond sur le « Fichier juif »  [17] – chargée d’en établir la signification –, reprochant aux historiens de ne pas avoir été suffisamment historiens, c’est-à-dire d’avoir ignoré l’histoire politique sous-tendant toute recherche sur les archives de l’Occupation  [18] .

Il y a bien, également, la nécessité de lier ces expériences multiples. On a eu un bon exemple avec le collectif Archives « secrètes », secrets d’archives dirigé par Sébastien Laurent et dont les contributions traduisaient la diversité des modes d’intervention  [19] . Cette approche large des archives oblige à ne pas se contenter d’un aspect particulier et d’avancer sur tous les plans à la fois, d’aller de la question politique des institutions à la dimension philosophique des savoirs.

L’objet archives apparaît également comme un puissant vecteur de décloisonnement des sous-disciplines de l’histoire et des disciplines des sciences sociales, voire de rapprochement des sciences « molles » et des sciences dures souvent confrontées aux mêmes défis des archives, depuis leur sauvegarde matérielle jusqu’à leur exploitation la plus intellectualisée. Penser les archives de sa discipline, c’est penser la discipline elle-même, ses méthodes, son savoir, son écriture  [20] . Ce possible d’ordre épistémologique fonde une communauté d’interrogations et de pratiques pour toutes les sciences, susceptible de réunir des chercheurs sur un terrain partagé. On n’insistera pas sur le fait – tout aussi essentiel – que l’objet archives fournit aussi l’occasion de fortes coopérations internationales. La grande majorité des entreprises collectives en ce domaine associe une part significative de chercheurs étrangers tandis que d’autres pays s’ouvrent aux chercheurs français par cette voie. La comparaison internationale en matière d’archives est souvent fructueuse, de la même manière que l’objet peut être facilement abordé du point de vue international, européen en tout cas  [21] .

Se pose enfin la question récurrente du rapport archivistes / chercheurs dans cet âge de l’expérience. Posée comme telle, la question reviendrait à dire que les archivistes ne sont pas des chercheurs, puisqu’on les distingue généralement des chercheurs. Ce n’est bien sûr pas le cas, mais cette insistance à poser cette distinction contraste avec la réalité de cette mobilisation scientifique à laquelle participent de nombreux archivistes intervenant comme des chercheurs. Les réalisations communes ne sont pas rares, à l’image du travail exemplaire mené sur les archives de l’Académie des sciences  [22] . Les archivistes sont aussi bien les médiateurs des archives que de la recherche qu’ils saisissent, soit en la pratiquant directement, soit en la retrouvant dans le traitement des archives. Les introductions des inventaires sont souvent très démonstratives de ce point de vue-là.

Pour autant, la réflexion intellectuelle des archivistes sur leur objet ne connaît pas l’ampleur ni la profondeur que l’on constate avec le monde des musées, du patrimoine, ou celui des bibliothèques  [23] . Ce déficit critique a pu être exposé  [24] , suscitant parfois de vigoureuses polémiques, et renvoyant aussi au long désintérêt des historiens pour la genèse de leurs sources, depuis les processus de constitution matérielle jusqu’aux démarches de conservation. Mais les réinvestissements heuristiques nombreux ont permis d’ouvrir de multiples chantiers communs démontrant que la pensée de l’objet « archives », au pluriel comme au singulier, forme un domaine à part entière de la recherche historienne comme de la profession d’archiviste. Cette approche souligne que les archives, loin d’être seulement déterminées par une technique archivistique, représentent une manière de concevoir le monde et son histoire.

 

La dégradation des politiques d’archives 

Les politiques publiques d’archives ont été longtemps en crise, précipitant les institutions eux-mêmes dans une situation de doute sur leurs missions voire sur leur raison d’être. Cette crise date du début des années 1990. Elle découle largement du désintérêt des personnels de la Ve République pour ce domaine pourtant hautement républicain et régalien. Cette crise est celle d’une institution – les Archives nationales et la direction des Archives de France –, d’une profession – les archivistes formés à l’École nationale des chartes et à l’École nationale du Patrimoine –, d’une fonction – définie par la loi sur les archives du 7 janvier 1979 et par une « pratique archivistique » lourdement codifiée et réglementée –, et aussi une crise de moyens masquée par l’engagement de l’Etat dans la construction d’un nouveau centre des Archives nationales sur la commune de Pierrefitte (Seine-Saint-Denis), à proximité de l’Université de Paris VIII, destiné aux documents postérieurs à 1789. Annoncé le 9 mars 2004, lors d’une réunion de travail au Palais de l’Élysée, par le Président de la République de l’époque Jacques Chirac, ce projet est entré dans une phase de réalisation concrète avec la pose solennelle de la première pierre, le 11 septembre 2009, par le Premier ministre François Fillon et le ministre de la Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand.

 

Une crise durable et polymorphe

La crise des archives, qui a été clairement attestée par la teneur du rapport au Premier ministre de Guy Braibant remis en 1996  [25] , a été déclenchée par les vives polémiques résultant de la découverte fortuite d’éléments des fichiers ayant permis l’arrestation et la déportation pendant la Seconde Guerre mondiale des juifs du département de la Seine, le 16 septembre 1991, par l’avocat à la Cour et historien de Vichy Serge Klarsfeld, au centre des archives du secrétariat aux Anciens Combattants et Victimes de guerre (Val-de-Fontenay). Ces dossiers, qui auraient dû avoir été versés et conservés aux Archives nationales, n’étaient cependant pas ici dissimulés volontairement. Ils avaient seulement été oubliés, comme beaucoup de documents publics qui disparaissent par négligence ou indifférence. Mais, alors que la responsabilité de la Direction des Archives de France et des Archives nationales qui ont en charge les fonds de l’administration centrale de l’État en France, était réelle même si aisément compréhensible, le refus de prendre la mesure du problème, tant dans ses implications classiques de collecte, de conservation et de communication des documents publics, que symboliques eu égard au travail de mémoire qui se réalisait déjà fortement sur cette période noire de l’histoire nationale  [26] , eut des effets désastreux, alimentant des polémiques souvent très stériles qui ne firent en rien progresser la réflexion  [27] , mais qui contribuèrent à faire des archives une question introuvable, ingérable. D’autres affaires, et notamment tout ce qui allait avoir trait aux nombreux dossiers non résolus de la guerre d’Algérie, alimentèrent la suspicion du public utilisateur d’archives. De nombreuses critiques, en France, mais aussi à l’étranger  [28] , furent dirigées contre une institution archivistique qui apparaissait comme inerte, plongée dans une crise indépassable, incapable de remplir ses missions légales, éloignée aux évolutions sociales qui faisaient qu’après les musées et le patrimoine devait venir le temps des archives, nouveau régime d’expression de la mémoire des personnes et des sociétés  [29] . Au-delà, c’était l’État et le politique qui étaient visés dans leur impuissance à maintenir un haut niveau de développement pour une haute administration créée par les hommes de 1789 pour assurer le progrès des libertés démocratiques et de l’État moderne.

Cette crise profonde des archives en France prit différentes formes, patrimoniales, institutionnelles, politiques, scientifiques, lesquelles ne furent pas seulement constatées par le rapport de Guy Braibant, mais aussi par une série de documents officiels ou officieux, allant même jusqu’au Centre historique des Archives nationales à Paris où sa directrice, Marie-Paule Arnauld, souligna avant son départ volontaire l’extrême difficulté de sa tâche  [30] . La naissance de l’association  [31] qui milita efficacement pour un nouveau centre des Archives nationales – l’un des trois volets des décisions de mars 2004 – reposa ainsi sur une enquête d’archivistes publics réalisée à l’été 2000 sur la situation des fonds dans les grands dépôts de Paris. Cette mobilisation en faveur d’une solution immobilière à la crise des archives reprenait elle-même certaines solutions préconisées dans un rapport tout à fait essentiel, postérieur au rapport Braibant et qui fut l’œuvre de celui qui était à l’époque directeur des Archives de France, Philippe Bélaval  [32] . Elle déboucha sur un vaste colloque organisé au Conseil économique et social le 5 novembre 2001  [33] , lequel ne fut malheureusement pas suivi d’effets, à la fois en raison du changement de majorité et de gouvernement issus des élections d’avril-juin 2002, mais aussi à cause du désintérêt général de la classe politique à l’égard de la politique des archives, gauche et droite confondues  [34] .

À l’exception du rapport de Guy Braibant, puis de celui de Philippe Bélaval en 1999, les analyses conduites sur la crise des archives, depuis que celle-ci se révéla dans toute sa complexité et dans toute son importance, sont restées très partielles. Le refus de poser la question des responsabilités politiques, qu’elles soient gouvernementales ou législatives, handicapa gravement la réflexion, tandis qu’à l’inverse la volonté de mettre systématiquement en cause un État forcément liberticide, voire « totalitaire », réduisit l’analyse de la crise à une charge idéologique hors de propos. Le caractère polémique de la question amena la plupart des responsables du monde public des archives à euphémiser les problèmes ou même à les occulter  [35] , préférant se féliciter, comme le fit Lionel Jospin le 5 novembre 2001, de la « politique moderne et ambitieuse » que le gouvernement consacrait aux archives. Objectivement, ce jugement n’était pas conforme à ce qui a été effectivement réalisé  [36] .

 

Un bilan sévère mais nécessaire

Le cœur de la crise des archives est bien là, dans cette impossibilité récurrente de la reconnaître et de l’analyser. Elle est aussi – ceci expliquant cela – dans l’impuissance de la résoudre. Le statut actuel des archives publiques n’est ni achevé ni satisfaisant. La direction des archives de France, placée sous la tutelle du ministre de la Culture depuis 1959, ne s’est jamais intégrée à la rue de Valois, et la rue de Valois n’a rien fait pour l’y aider. Régulièrement, un changement de tutelle était évoqué, mais jamais rien n’a été sérieusement envisagé jusqu’à la réforme du ministère de la Culture du 11 novembre 2009 qui fige encore davantage la situation administrative dans une version peu satisfaisante. Les Archives nationales quant à elles dépendent encore des archives de France. Leur statut a été modifié par l’arrêté du 24 décembre 2006 ; elles sont devenues (comme les Archives d’outre-mer d’Aix-en-Provence et les Archives du monde du travail de Roubaix), un « service à compétence nationale ».

La loi du 3 janvier 1979, qui reste largement en vigueur, n’est plus adaptée à la situation actuelle des archives et à la complexité des législations relatives à la société de l’information, comme nous l’avons signalé dès l’introduction. Enfin, la fameuse Cité des Archives nationales, qui a cristallisé tant d’énergie et représenté si fortement le relèvement attendu de l’institution, et qui est désormais acquise par un vœu présidentielle, a signifié aussi, depuis dix ans, l’impuissance de l’État à doter la France des outils à la mesure des ambitions et des missions en la matière. Dès 1994 en effet, un comité interministériel d’aménagement du territoire décidait de construire à Reims une maison de la Mémoire de la Cinquième République destinée à désengorger les sites des Archives nationales à Paris et Fontainebleau déjà saturés et à constituer un pôle scientifique et patrimonial en région, dans une ville universitaire proche de Paris et promise par cet équipement à un fort développement intellectuel. Très rapidement pourtant, le projet fut défait de l’intérieur, par le fait d’une mauvaise gestion interne du dossier et surtout en raison de l’absence d’engagement des hautes autorités politiques et administratives. Cet échec d’un projet cohérent et ambitieux renvoyait à celui de la Cité interministérielle des archives voulue à Fontainebleau, sous le ministère Malraux, par le directeur André Chamson, et qui se réduisit à n’être plus, en 1986, qu’un Centre des Archives contemporaines qui ne trouva jamais ni son identité ni sa place.

Ce bilan sévère, qui atteste de la profondeur et de l’ampleur d’une crise qui dépasse de beaucoup son objet, doit être apprécié aussi en comparaison des progrès remarquables que connurent en France les secteurs des musées et des bibliothèques, preuves qu’une politique volontariste et ambitieuse n’était pas exclue pour les archives elles-mêmes. Il est vrai aussi que ces deux secteurs de comparaison avaient bénéficié de l’engagement de directeurs résolus, comme Françoise Cachin pour les musées et Jean Gattegno pour les bibliothèques. Après le très long mandat de l’historien et archiviste Jean Favier à la tête des Archives de France (1974-1994), deux démissions, celle d’Alain Erlande-Brandenburg en juillet 1998, celle de Philippe Bélaval en décembre 2000, ont révélé l’extrême difficulté d’innover dans ce secteur, une situation qu’a fortement intériorisée l’ancienne directrice Martine de Boisdeffre (2001-2009)  [37] .

Toujours du point de vue comparatif, la réussite, dans de nombreux départements, de l’action des directeurs d’archives très soutenus par les exécutifs locaux, montre sans hésitations que la volonté politique est payante dès lors qu’elle est choisie  [38] . Un autre angle d’analyse et de jugement critique réside dans le fort développement des unités d’archives publiques extérieures à la direction des archives de France, tant du côté du ministère de l’Économie et des Finances (implantation de Savigny-le-Temple) que de celui du ministère de la Défense, avec notamment les services historiques installés au château de Vincennes. Et il y a, plus encore, la démonstration apportée par les initiatives privées, associatives ou para-publiques. La Bibliothèque de documentation internationale contemporaine implantée sur le campus de l’université de Paris X-Nanterre a fortement accru son activité archivistique, disposant dès lors de fonds très riches dont la consultation s’harmonise intelligemment avec celle des vastes collections d’imprimés conservées par ce haut établissement scientifique. Déjà évoqué, l’Institut mémoire de l’édition contemporaine, créé à l’initiative d’un petit groupe de chercheurs de la Maison des sciences de l’homme emmené par Olivier Corpet, est devenu en une décennie un poids lourd de la conservation des archives privées, passant des fonds éditeurs à celui des écrivains, des intellectuels, pour finir avec les prestigieux ensembles du Collège de France. Les investissements immobiliers et organisationnels ont suivi puisque l’IMEC achève aujourd’hui, avec le soutien déterminant du Conseil régional de Basse-Normandie, un vaste programme de transformation de l’abbaye Dardenne, près de Caen, en un lieu unique de conservation, de communication et de recherche. Ces deux exemples ne doivent pas éclipser le nombre croissant d’initiatives, tant du côté des comités d’histoire qui fleurissent dans les ministères, les grands établissements, les entreprises privées, que vers les multiples associations qui se constituent pour sauver le patrimoine écrit de la société française.

 

La « nuit des archives »

La faiblesse des politiques d’archives en France peut s’apprécier au regard de situations étrangères, comme celle des Etats-Unis qui disposent, au niveau fédéral, d’un poste régalien d’« archiviste national » dirigeant la National Archives and Records Administration (NARA), une agence indépendante garantie par l’exécutif américain. Une législation essentielle et très libérale, fondée sur l’idéal d’Open Government qui s’est trouvée renforcée après le scandale du Watergate, est définie par trois lois ambitieuses, le Freedom of Information Act 1967, le Privacy Act de 1974, et le Presidential Records Act de 1978, complétée en 1995 par un Executive Order du président Bill Clinton qui a raccourci à dix ans le délai de non-communicabilité de la majeure partie des documents classifiés. En Europe, le système fédéral qui domine les pays de l’Union a permis, en Grande-Bretagne comme en Allemagne de disposer de grands centres d’archives, souvent implantés au cœur des grandes cités, fortement insérés dans les tissus scientifiques et universitaires, assumant pleinement la tâche d’exprimer le lien civique et l’historicité des administrations. Une inquiétude très vive a saisi la communauté des historiens après l’adoption par le Sénat, le 8 janvier 2008, d’un projet de loi sur les archives qui sera soumis au vote des députés le 29 avril prochain. Au-delà d’une discussion qui semble ne concerner que les spécialistes, le risque de promulgation d’une telle loi menace la recherche en histoire et la liberté des citoyens. Une nouvelle fois les archives publiques nous rappellent que, loin d’être seulement de vieux papiers d’Etat, elles demeurent au centre de la cité et participent pleinement de la démocratie. Le débat sur la nouvelle loi du 15 juillet 2008 a souligné une nouvelle fois le contraste entre les enjeux des archives et les réponses politiques.

Dans une « Adresse aux parlementaires », l’Association des usagers des Archives nationales avait relevé cinq dispositions inquiétantes, susceptibles de paralyser la recherche historique contemporaine et de restreindre « de façon arbitraire le droit d’accès des citoyens aux archives publiques contemporaines » : la création d’une catégorie d’archives incommunicables, au nom de la sécurité nationale ou de la sécurité des personnes, mais qui contredit le principe rendant les archives publiques communicables de plein droit ; l’instauration d’un nouveau délai de non-communicabilité d’archives pendant 75 ans, ce qui allonge de 15 ans le délai interdisant (sauf dérogation) l’accès à toute une série d’archives sensibles dont certaines sont aujourd’hui librement communicables ; une aggravation des conditions permettant aux chercheurs d’utiliser des documents obtenus par dérogation ; l’accélération du processus de privatisation des archives publiques émanant des chefs d’Etat, des ministres et de leurs collaborateurs, ceux-ci obtenant une forme de droit sur des documents qui ont été produits dans l’exercice de leurs fonctions ; enfin, un culte du secret visible jusque dans la rhétorique du projet et qui apparaît de fait comme une justification d’un projet résolument obscurantiste.

L’obscurité risquait de tomber sur la recherche scientifique, les chercheurs se voyant entraver dans leur accès aux sources politiques (même si certains délais de communicabilité seraient réduits) et menacer si leurs travaux portent « une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger ». Cet étouffement serait d’autant plus dramatique que les historiens ont prouvé que la recherche était le moyen essentiel de la sortie par le haut, dans l’honneur et la connaissance, des crises de mémoire. L’obscurité pouvait recouvrir aussi l’Etat tenté de s’abstraire de sa mission de servir l’intérêt général et les libertés publiques. Ce projet de loi, défendu par le précédent ministre de la Culture, traduit un processus de renforcement des logiques administratives visant au contrôle des archives par les institutions qui les ont produites. Cette forme de privatisation du bien commun a affecté jusqu’au Conseil constitutionnel qui avait décidé pour ses propres archives de sortir du cadre de la loi (27 juin 2001).

Avec ces propositions, l’obscurité touchait enfin les droits fondamentaux eux-mêmes. La question des archives figure désormais au nombre des critères de démocratie, comme l’indépendance de la justice ou la liberté de la presse. Le Conseil de l’Europe ou les institutions fédérales américaines reconnaissent ce principe qui est aujourd’hui nié par le projet de loi, synonyme de régression nationale : la France n’a-t-elle pas été dans le passé une nation de référence pour les politiques publiques d’archives et l’existence d’une administration scientifique, juridique et technique ? Soucieux de bien agir, l’ancien directeur des Archives et nouveau directeur des Patrimoines, Philippe Béléval, avait proposé en 1998 que les archives soient « au centre de la Cité ». Le projet de loi modifié par le Parlement les plaçait au dehors. Finalement, le gouvernement put ramener les parlementaires vers les intentions initiales plus raisonnables.

 

Le pouvoir des archives

« Alors que notre monde semble obsédé par la mémoire des grands crimes du XXe siècle, l’histoire inédite des pillages de la Seconde Guerre mondiale révèle quel rôle fondamental jouaient pour les régimes nazis et soviétiques, le contrôle du passé, la connaissance des rouages des régimes adverses, l’assassinat des mémoires collectives ou privées. Elle peut contribuer à éclairer la relation qu’entretenaient avec la culture et avec le passé national les deux grands régimes dits “totalitaires” du XXe siècle, mais aussi le régime de Vichy et la République française, à comprendre les conséquences durables de cette spoliation massive sur le droit et la perception des archives par les États.  [39]  »

Au-delà donc des archives qui traduisent la répression, la politique des archives elle-même peut devenir un instrument d’oppression. La réparation des « années noires » doit alors passer par un travail sur les archives, sur leur récupération puis sur leur inscription dans la mémoire collective. Une conscience des archives est la condition de leur approche en termes de pouvoir et de savoir. Elle implique aussi bien les individus que les collectivités, les institutions, ou les États. Cette conscience, qu’éveille une histoire méthodique des fonds et des politiques d’archives comme l’a menée Sophie Cœuré, participe de la transformation des documentations éparses, abandonnées dans les caves ou les greniers, en patrimoine pour la recherche. Cette responsabilité incombe maintenant aux historiens qui ont développé une nouvelle connaissance des archives. Celles-ci sont devenues une question d’histoire contemporaine, même lorsqu’elles renvoient, comme documentation, à des périodes plus anciennes. Cette contemporanéité des archives est l’acquis le plus décisif des multiples recherches de la dernière décennie. Elle fonde leur compréhension la plus avancée et détermine leurs meilleurs usages. Aux historiens, aux archivistes, de ne plus l’ignorer désormais.

Vincent Duclert
EHESS-CRH


 

[1] Cf. Philippe Bélaval, « Les enjeux de la réforme de la loi de 1979 », in Marie Cornu et Jérôme Fromageau [dir.], Archives et recherche. Les archives et le droit. Actes du colloque de Sceaux, 25-26 mai 2000, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 14. Vincent Duclert est professeur agrégé à l’École des hautes études en sciences sociales (Centre de recherche historique-AHMOC, Approches historiques des mondes contemporains).

[2] Arlette Farge, Le goût de l’archive, Paris, Éditions du Seuil, 1989.

[3] Les historiens et les archives. Actes de la table ronde organisée le 31 mars 2001 à l’École normale supérieure, Revue d’histoire moderne et contemporaine, supplément 2001, p. 5-68 [articles de Daniel Roche, Christine Nougaret, Vincent Duclert, Éric Brian, Patrick Fridenson, Claude Liauzu, Jean-Marc Berlière]

[4] Le « Fichier juif ». Rapport de la commission présidée par René Rémond au Premier ministre, Paris, Plon, 1996.

[5] Cf. Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962. Anthropologie historique d’un massacre d’État, Paris, Gallimard, coll. « Folio histoire », 2006.

[6] « Archives et République », dossier, Le Débat, 115, 2001, p. 99-144 [articles de Philippe Bélaval, Jean-MarcBerlière, Vincent Duclert, Isabelle Neuschwander, Annette Wieviorka].

[7] Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, édition critique préparée par Étienne Bloch, préface de Jacques Le Goff, Paris, Armand Colin, 1993.

[8] Anita Guerreau, « Document, histoire, recherche », in Vincent Duclert, Alain Chatriot [dir.], Quel avenir pour la recherche ?, Paris, Flammarion, 2003, p. 322-338.

[9] Archives contemporaines et histoire. Actes de la journée d’étude organisée à Vincennes les 28-29 novembre 1994, Paris, Archives nationales, 1995 [articles et contributions de Jacques Toubon, Jean Luquet, Françoise Banat-Berger, Joël Delaine, Élisabeth Gautier-Desvaux, Mireille Jean, Jacques Mourier, Rosine Cleyet-Michaud, Françoise Durand-Evrard, Christine Pétillat, Hélène Viallet, Lydia Mérigot, Chantal Bonazzi, Michel Estienne, Cécile Souchon, Françoise de Ruffray, Paule René-Bazin, Marie-André Corcuff, Christine Nougaret, Xavier de La Selle, Joël Surcourf, Jean-Michel Léniaud] Transparence et secret. L’accès aux archives contemporaines. Actes du colloque organisé les 28 et 29 mars 1996 à Paris, La Gazette des Archives, 177-178, 1997 [articles et contributions de Jean Le Pottier, Guy Braibant, Hervé Bastien, Béatrice Faillès, Jean Luquet, Benoit Van Reeth, François Gasnault, Odile Krakovitch, Denis Peschanski, Renée Poznanski, Daniel Lindenberg] Histoire contemporaine & archives. Actes de la table ronde du 4 décembre 1997, Archives départementales du Val-de-Marne, 1998 [avec les contributions de Michel Germa, Marc Olivier Baruch, Christian Bouyer, Michel Dreyfus, Jean-Marie Jenn, Guy Krivopissko, Annie Lacroix-Riz, Michel Margairaz, Claude Pennetier, Françoise Bosman].

[10] Philippe Artières [dir.], « Histoire et archives de soi », Sociétés & Représentations, 13, 2002 (avec Dominique Kalifa), et « Lieux d’archive », Sociétés & Représentations, 19, 2005 (avec Annick Arnaud) ; Marie Cornu, Jérôme Fromageau [dir.], Archives et Recherche. Aspects juridiques et pratiques administratives, Actes du colloque de Sceaux, 25-26 mai 2000, Paris, L’Harmattan, 2003 ; Nathalie Léger [dir.], Questions d’archives, Paris, IMEC, 2002.

[11] François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Éditions du Seuil, 2003.

[12] Bertrand Müller, « Les archives et l’écriture de l’histoire », Revue des Archives fédérales suisses, 27, 2001 (avec Gérard Arlettaz) ; « Écriture de l’histoire et archives », Revue suisse d’histoire, 53, 3, 2003.

[13] Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Éditions du Seuil, 2000.

[14] « Les archives de la littérature », Le Débat, 102, 1998 [articles de Florence Callu, Olivier Corpet et Jean-Yves Tadié] ; Nathalie Léger [dir.], Questions d’archives, op. cit.

[15] Florence Descamps, L’historien, l’archiviste et le magnétophone. De la constitution de la source orale à son exploitation, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière, 2001 ; Vincent Duclert, « "Archives orales". De l’archivistique aux sciences sociales », Histoire et archives, 11, 2002, p. 69-86.
[16] Patricia Kennedy Grimsted, A Handbook for Archival Research in the USSR, International research and Exchanges Board, 1989 ; Serge Wolikow [dir.], Une histoire en révolution ? Du bon usage des archives de Moscou et d’ailleurs, Dijon, EUD, 1996 ; « Les archives de l’Est », Genèses, 52, 2003.
[17] Le « Fichier juif ». Rapport de la commission présidée par René Rémond au Premier ministre, Paris, Plon, 1996.

[18] Philippe Grand, « Le Fichier juif : un malaise. Réponse au rapport Rémond remis au Premier ministre le 3 juillet 1996 », Revue d’histoire de la Shoah, septembre-décembre 1999.
[19] Sébastien Laurent [dir.], Archives « secrètes », secrets d’archives ? Historiens et archivistes face aux archives sensibles, Paris, CNRS Éditions, 2003.
[20] Pour exemple : « Archives et anthropologie », Gradhiva. Revue d’histoire et d’archives de l’anthropologie, 30-31, 2001-2002, p. 1-196.

[21] Mémoire et histoire. Les États européens face aux droits des citoyens du XXIe siècle. Actes de la table ronde de Bucarest les 25-26 septembre 1998 publiés par Gérard Ermisse, Paris, ICA/DAF, 2000 [avec, pour la partie française, les articles et contributions de Gérard Ermisse, Philippe Bélaval, Charles Kecskeméti, Christine Nougaret, Vincent Duclert, Guy Braibant, Denis Peschanski, Caroline Obert-Piketty]

[22] Éric Brian et Christiane Demeulenaere-Douyère [dir.], Histoire et mémoire de l’Académie des sciences. Guide de recherches, Paris, Lavoisier, Technique et Documentation, 1996.

[23] Voir notamment l’ouvrage collectif dirigé par Valérie Tesnière, inspectrice générale des bibliothèques, spécialiste de l’histoire de l’édition scientifique, et directrice de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC), Histoire en bibliothèque, Paris, Editions du Cercle de la Librairie, coll. « Bibliothèques », 2009.

[24] Voir les pages qu’Alain Guerreau consacre à la dimension intellectuelle perdue des archivistes français dans L’avenir d’un passé incertain. Quelle histoire du Moyen Age au XXIe siècle ?, Paris, Éditions du Seuil, 2001, et le résumé qu’il en a donné : « Plaidoyer pour les archivistes », L’Histoire, n° 252, mars 2001, p. 30. Nous renvoyons également à notre article « Pour une politique scientifique des archives » dans le dossier précité du Débat (n° 115, mai-août 2001, p. 125-129).

[25] Guy Braibant, Les archives en France. Rapport au Premier ministre, Paris, La Documentation française, « Collection des rapports officiels », 1996.

[26] Cette mauvaise compréhension du problème posé par cette affaire ressort de la lecture du rapport de la commission d’enquête présidée par l’historien René Rémond (Le « Fichier juif ». Rapport de la commission présidée par René Rémond au Premier ministre, Paris, Plon, 1996). Pour une analyse critique de cette expertise, voir Philippe Grand, « Le Fichier juif : un malaise (réponse au rapport Rémond remis au Premier ministre le 3 juillet 1996) », Revue d’histoire de la Shoah, n°167, septembre-décembre 1999, p. 53-101. Voir également, pour une mise en contexte plus large, Éric Conan et Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Fayard, « Pour une histoire du XXe siècle », 1994.

[27] Cf. Sonia Combe, Archives interdites. Les peurs françaises face à l’histoire contemporaine, 1994, rééd. 2001, Paris, La Découverte, coll. « Poche » [avec une préface inédite de l’auteur]

[28] Voir pour exemple la lettre du directeur général de la Society for french historical studies comptant plus de six cent membres adressée à l’été 2003 au ministre de la Culture et de la Communication et à la directrice des Archives de France. Voir également la lettre collective de six professeurs du Collège de France, « Sauver les Archives nationales » (Libération, 10 avril 2003), et la tribune de l’historien Antoine Prost, « La crise des Archives nationales », Le Figaro, 4 février 2004).

[29] Cf. Une cité pour les Archives nationales, Les Français et leurs archives. Actes du colloque au Conseil économique et social, 5 novembre 2001, Paris, Fayard, 2002,

[30] « 2002 n’aura, malheureusement, pas été l’année des deux seules décisions susceptibles de redonner dynamisme et enthousiasme à l’institution : un nouveau Centre et un nouveau statut » (Marie-Paule Arnauld, in Direction des Archives de France, Enquête statistique annuelle, Archives nationales, 2002, Paris, Centre historique des Archives nationales, p. 6).

[31] Voir le manifeste publié dans l’ouvrage Les Français et leurs archives, dont l’association Une cité pour les Archives nationales est l’auteur collectif (op. cit.), et www.membres.lycos.fr/citearchives.

[32] Philippe Bélaval, « Pour une stratégie d’avenir des Archives nationales », précédé de « Les historiens et les archives » par Vincent Duclert, Genèses, n° 36, septembre 1999, p. 132-161

[33] Les Français et leurs archives (op. cit.). Voir l’analyse que nous en avons donné : « Archives. Après le 5 novembre 2001 », Historiens & Géographes, n° 377, janvier-février 2002, p. 361-396.

[34] L’historien Pierre Nora ne se priva pas d’ironiser sur la vanité de certains engagements trop solennels : « on y a vu sur une estrade qui était beaucoup plus digne que celle-ci puisqu’elle était au Conseil économique et social, madame la ministre de Culture et de la Communication, monsieur le Premier ministre, l’ancien président de la République Valéry Giscard d’Estaing, Pierre Mauroy et Pierre Messmer, venir dans un grand élan du cœur plaider pour la confection d’une Cité des Archives qu’ils ont tous refusée depuis des années. Cela n’a été assorti d’aucune promesse précise, d’aucune budgétation, d’aucune formation des personnels, d’aucune localisation réelle, et on est au lendemain de ces discours exactement là où on en était la veille. » (in Actes des Entretiens du patrimoine. Le regard de l’histoire. L’émergence et l’évolution de la notion de patrimoine au cours du XXe siècle, sous la présidence de Henry Rousso, Paris, Fayard, 2003, p. 335-336).

[35] La communication actuelle de la Direction des archives de France, ou bien l’action du Conseil supérieur des archives présidé par l’historien René Rémond fournissent une parfaite illustration de ce comportement.

[36] Précisons que le gouvernement de Lionel Jospin s’était globalement désintéressé des archives jusqu’à l’annonce de ce colloque et de la participation du Premier ministre puisqu’il annonça l’adoption d’une circulaire (du 2 novembre 2001) relative à la gestion des archives dans les services et établissements publics de l’État. Celle-ci a ainsi très nettement favorisé le versement des archives du gouvernement après sa démission consécutive à la défaite de Lionel Jospin aux élections présidentielles d’avril-mai 2002. Le discours du 5 novembre 2001 annonçait donc la promesse d’une « politique moderne et ambitieuse » beaucoup plus qu’il ne pouvait attester de cette volonté pour le passé.

[37] Nous renvoyons aux communications de la directrice des Archives de France : « Les archives de France aujourd’hui » in Sébastien Laurent [dir.], Archives « secrètes », secrets d’archives ? Historiens et archivistes face aux archives sensibles, Paris, CNRS Éditions, 2003, p. 13-19 ; « Administration et archives aujourd’hui », in « La mémoire de l’administration », Revue française d’administration publique, n° 102, avril-juin 2002, p. 277-283.

[38] Deux exemples parmi des dizaines, celui des Archives départementales des Hautes-Alpes qui multiplient les initiatives citoyennes pour faire comprendre à un large public la fonction supérieure du document d’archives, et celui des Archives départementales de Haute-Savoie qui ont été dotées d’un nouveau et splendide bâtiment inauguré le 9 octobre 2000. C’est là, à Annecy, que s’est tenu en mai 2003 le congrès annuel de la direction des archives de France consacré précisément aux bâtiments d’archives.

[39] Sophie Cœuré, La mémoire spoliée. Les archives des Français, butin de guerre nazi puis soviétique (de 1940 à nos jours), Paris, Payot, 2007, p. 14-15.

 


Pour citer cet article :
Vincent Duclert , « Les enjeux de la politique des archives en France » in Historiographie & archivistique. Ecriture et méthodes de l'histoire à l'aune de la mise en archives, sous la direction de Philippe Poirrier et Julie Lauvernier, Territoires contemporains, nouvelle série - 2 - mis en ligne le 12 janvier 2011.
URL : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/historiographie/V_Duclert.html
Auteur : Vincent Duclert
Droits : © Tous droits réservés - Ce texte ne doit pas être reproduit (sauf pour usage strictement privé), traduit ou diffusé. Le principe de la courte citation doit être respecté.

 


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